Accès à la formation : pourquoi souhaiter se former ne suffit pas
La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel s'inscrit dans un ensemble de réformes qui responsabilisent davantage le salarié dans la construction de son parcours de formation. Or, il s'avère que le simple souhait de se former ne suffit pas à accéder à la formation. L'environnement créé par l'entreprise a également son importance, qu'il s'agisse du budget consacré à la formation, de la volonté d'informer le salarié sur les dispositifs existants ou de l'accompagner dans sa démarche. Faute de quoi, les inégalités d'accès à la formation sont amenées à perdurer.
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 conforte le rôle de la formation dans la sécurisation des parcours professionnels, pour permettre à chacun de développer les compétences et les qualifications nécessaires à l’emploi. Ce faisant, elle s’inscrit dans un ensemble de réformes qui renvoient de fait la responsabilité de se former vers les salariés, les appelant à se projeter dans le futur et à assurer, par la formation, le développement et la continuité de leur parcours. Ce nouveau cadre institutionnel attend des salariés qu’ils aient un plan pour leur propre avenir et initient des démarches autonomes pour le mettre en œuvre via la formation. Ainsi, l'initiative individuelle devient centrale pour façonner son parcours professionnel. Or celle-ci se manifeste d’abord dans le fait de souhaiter se former. Il devient alors intéressant d’explorer comment et quand émergent ces aspirations à la formation, quels éléments favorisent leur concrétisation ou les maintiennent à l'état latent, ainsi que leur impact réel sur l'accès à la formation en fonction des catégories socioprofessionnelles.
Les inégalités d’accès à la formation, en particulier entre salariés sur des postes qualifiés et salariés sur des postes non qualifiés, sont souvent imputées à un différentiel d’intérêt pour la question de la formation, comme si chacun avait la même capacité à se projeter dans l’avenir et comme s’il suffisait d’aspirer à se former pour accéder à la formation [4]. Or, des travaux récents ont mis en évidence que l'aspiration à se former est largement présente aussi bien parmi les plus hauts niveaux de qualification que parmi les plus bas. Ils ont aussi montré que c’est au sein des plus bas niveaux de qualification que le décalage entre souhaiter se former et en exprimer la demande était le plus prononcé [2]. Mais que peut-on dire des conditions favorables à l’émergence d’un souhait de formation ? Suffit-il de manifester un souhait pour atteindre son objectif ? Quels sont les leviers à l’œuvre ? Et comment les aspirations interfèrent- elles avec d’autres facteurs pour expliquer les inégalités d’accès à la formation ?
Cette étude met en lumière le processus allant de la construction des aspirations à se former, à l’accès effectif à la formation, et permet de mieux comprendre quels éléments contextuels le favorisent. Le souhait de se former est-il le fruit exclusif de l'individu ? De quelle manière ce souhait est-il influencé par des contextes organisationnels particuliers ? Le fait de nourrir les aspirations des salariés à la formation permet-il d'éliminer les disparités d'accès à celle-ci entre les salariés en emploi non qualifié et ceux en emploi qualifié ?
Ces questions sont abordées à travers l'utilisation d'une méthode de modélisation économétrique permettant d’observer les leviers de l'aspiration à se former et son rôle dans l'accès à la formation. Cette méthode se caractérise par sa capacité à prendre en considération la relation bilatérale entre ces deux variables (cf. Encadré 2). Cette étude s’appuie sur l'enquête Defis, qui offre une perspective détaillée sur les parcours de formation des salariés, et examine le rôle de l'aspiration à se former sur une période de cinq ans, de 2014 à 2019. Elle permet d’établir des liens entre l'aspiration à la formation, l'accès réel à celle-ci, les caractéristiques individuelles des salariés et le contexte organisationnel des entreprises.
- Quand un salarié souhaite se former, ses chances de suivre une formation sont accrues
- Souhaiter se former ne relève pas que des caractéristiques individuelles mais aussi d’un environnement formateur
- Le rôle essentiel des processus d’information et de délibération initiés dans l’entreprise
- Le contexte de l’entreprise reste déterminant dans les inégalités d’accès à la formation
- Conclusion
- En savoir plus
Quand un salarié souhaite se former, ses chances de suivre une formation sont accrues
Au cours des années 2014 et 2015, 71 % des salariés interrogés envisageaient de se former dans les cinq années suivantes. Si tous n’ont pas concrétisé cette intention, ils sont plus nombreux à s'être formés. En effet, sur cette période, 62 % de ceux ayant exprimé le souhait de se former ont effectivement suivi une formation, contre seulement 50 % de ceux qui n’en ont pas exprimé le souhait. Ces constats sont corroborés par des analyses prenant en compte les effets de contexte et de biais, démontrant que l'aspiration à se former accroît significativement les chances d'accéder à une formation, quel que soit le niveau de qualification de l’emploi. Mais comment nait chez un salarié l’aspiration à se former ?
Souhaiter se former ne relève pas que des caractéristiques individuelles mais aussi d’un environnement formateur
En pointant les désirs et la motivation des individus, la notion d’aspiration pourrait faire penser que se projeter dans un avenir souhaitable relève d’une disposition purement individuelle indépendante des facteurs externes. Or, la capacité à aspirer à se former est largement façonnée par le contexte et les interactions avec l’environnement professionnel. Son développement dépend notamment du rapport de l’entreprise à la formation, de son caractère formateur et donc de la manière dont l’univers professionnel offre des ressources pour explorer un futur teinté de formation.
Tout d’abord, la stabilité de la situation professionnelle est un facteur influençant la construction des aspirations. Les salariés en contrat temporaire expriment moins souvent un souhait de formation. En moyenne, ils ont 8 % de chance en moins de le faire que ceux en CDI. Le caractère plus ou moins formateur de l’entreprise joue un rôle tout aussi important. L’enquête Defis montre que les salariés d’entreprises qui consacrent entre 1 et 3 % de leur masse salariale à la formation ont 6 % de chance en plus d’aspirer à se former que ceux d’entreprises non formatrices. Ce chiffre monte à 10 % pour les salariés d’entreprises dont la formation représente 3 % ou plus de leur masse salariale. Les entreprises donneuses d’ordre, qui ont la vertu d’investir davantage en formation, sont également celles où les aspirations à se former se développent le plus (+5 %). En revanche, les secteurs connus pour leur faible effort de formation, tels que la construction ou la logistique, sont ceux où les aspirations apparaissent comme étant les plus faibles (respectivement -9 % et -8 % de chance d’aspirer à se former que dans les secteurs du commerce et des services).
Le rôle essentiel des processus d’information et de délibération initiés dans l’entreprise
Le passage de l’aspiration à se former à l’accès effectif à la formation requiert de prendre en compte deux types de variabilité : d’une part le rôle de l’aspiration elle-même, et d’autre part, les facteurs organisationnels qui désignent le contexte dans lequel les salariés évoluent, et qui leur permettent à des degrés variables de transformer une aspiration en formation. Ainsi, le souhait de se former se concrétise d’autant plus que les entreprises investissent les rôles que les réformes successives leur ont attribués en matière d’information, et de discussion individuelle ou collective autour de la formation, permettant de rendre faisable et opérationnel un projet de formation.
Les réformes successives de la formation en 2004, 2014 et 2018 ont développé des instruments, à la charge des entreprises, pour favoriser l’accès à la formation professionnelle. L’organisation systématique d’entretiens professionnels et la diffusion de l’information à l’ensemble des salariés, notamment de la part de la hiérarchie ou du service des ressources humaines [1], occupent une place cruciale dans le processus d'accès à la formation. Les salariés évoluant au sein d'une entreprise qui leur a permis de participer à un entretien professionnel sont deux fois plus nombreux à avoir suivi une formation que ceux qui n’ont pas participé à un entretien (70 % contre 35 %). Ce lien se vérifie également pour les salariés qui bénéficient d'une information sur les perspectives de formation de la part de leur hiérarchie ou du service des ressources humaines, avec un taux d'accès à la formation de 64 %, contre 37 % pour ceux privés de ces canaux d’information.
Lorsque les salariés manifestent une aspiration à se former, le rôle de l’entreprise demeure crucial dans le processus d'accès à la formation. Les salariés les plus souvent formés sont ceux qui aspirent à le faire, et qui évoluent au sein d'organisations leur permettant de suivre un entretien professionnel, ou qui sont informés des possibilités de formation. En revanche, les salariés aspirant à se former, mais n'appartenant pas à des organisations vertueuses, accèdent nettement moins à la formation. Les salariés aspirant à se former, sans avoir suivi d'entretien professionnel, ont 17 % de chance en moins de suivre une formation que ceux qui ont suivi un entretien professionnel. Et ceux aspirant à se former mais n'ayant pas été informés des opportunités de formation ont 4 % de chance en moins de suivre une formation. Les entreprises n'investissent pas toujours leur rôle d'information et d'accompagnement pour concrétiser les aspirations de formation.
Le contexte de l’entreprise reste déterminant dans les inégalités d’accès à la formation
Les réformes de 2014 et 2018 visent particulièrement les salariés en emploi peu qualifié, à travers la mise en place de dispositifs et de droits supplémentaires. Pourtant, les inégalités d’accès à la formation professionnelle entre les catégories de salariés persistent et demeurent un sujet d’attention. D’après le dispositif d’enquêtes Defis, 61 % des salariés en emploi qualifié ont suivi une formation non réglementaire entre 2014/15 et 2019, contre 48 % des employés non qualifiés et 44 % des ouvriers non qualifiés.
Lorsque les salariés aspirent à se former, ceux en emploi qualifié ont plus de chances d’accéder effectivement à la formation. En dépit de l’effet performatif de l’aspiration à se former et des dispositifs organisationnels facilitant le processus d’accès à la formation, les salariés en emploi non qualifié accèdent toujours moins à la formation que ceux en emploi qualifié. L’aspiration à se former favorise l’accès à la formation mais ne gomme pas l’avantage des salariés en emploi qualifié. Lorsque les salariés souhaitent se former, ceux en emploi non qualifié ont 6 % de chance en moins de suivre une formation que les salariés en emploi qualifié (cf. Graphique 5). Les salariés en emploi non qualifié en poste au sein d'une entreprise leur ayant organisé un entretien professionnel sont moins fréquemment formés (7 % de chance en moins d’avoir suivi une formation que les salariés en emploi qualifié, cf. Graphique 5). Seule l’information sur les possibilités de formation ne permet pas d’observer de tels écarts. En définitive, les aspirations en matière de formation pour les salariés en emploi peu qualifié sont plus souvent contrariées.
Conclusion
Cette étude souligne l'importance de créer des environnements favorables à la construction des projets de formation : d’abord des environnements formateurs pour susciter des aspirations à la formation, et ensuite des environnements professionnels propices à la délibération (entretiens professionnels et informations), pour transformer une aspiration en action de formation concrète. Il ne suffit pas de souhaiter une formation pour que celle-ci se concrétise forcément ; il est également nécessaire d’avoir accès à des espaces de délibération et de pouvoir disposer d’informations éclairées, pour construire plus concrètement la faisabilité de son projet de formation et le réaliser. C’est le rôle des entretiens professionnels, qui ne sont pas toujours investis par les entreprises.
Dans un contexte où la loi du 5 septembre 2018, relative à la liberté de choisir son avenir professionnel, renforce la responsabilité du salarié, visant à faire de chacun l'acteur de son parcours professionnel tout en mettant en avant sa liberté individuelle, il est crucial que, de leur côté, les entreprises investissent le rôle qui leur est dévolu pour réduire les inégalités qu’affrontent les salariés pour explorer leur futur professionnel, mais aussi pour concrétiser leurs souhaits de formation. Les réformes récentes n’ont pas affranchi les entreprises de leurs responsabilités en matière de formation. Il est notamment question d’organiser tous les deux ans un entretien professionnel avec le salarié spécifiquement dédié aux formations nécessaires à son évolution de carrière et, tous les six ans, un entretien récapitulatif de son parcours professionnel. Au-delà des obligations légales des entreprises en matière d’information et de délibération, leur rapport à la formation et notamment leur effort formateur est central, notamment en termes d’investissement en direction des salariés en emploi peu qualifiés. Ces derniers font face à un double obstacle. D’une part, ils bénéficient moins souvent de conditions favorables à l’émergence des aspirations de formation car travaillant dans des entreprises investissant moins dans ce domaine ; d’autre part, quand ils expriment des souhaits de formation, cela ne suffit pas à gommer l’avantage des salariés en emploi qualifié, ni à réparer les inégalités d’accès à la formation entre les diverses catégories socioprofessionnelles. Enfin, au-delà du simple souhait et de l'accès à la formation, il est impératif d'interroger le contenu des formations à la lumière des perspectives entrevues par les salariés. En effet, toutes les formations ne se valent pas. Elles se distinguent notamment en fonction des perspectives envisagées par les salariés. L'aspiration à se former est intimement liée à la construction d'autres aspirations professionnelles telles que la montée en responsabilité, l'acquisition de compétences ou la reconversion [3]. Si des inégalités existent en ce qui concerne l'aspiration à se former en général, elles pourraient être plus marquées encore en prenant en compte l'adéquation des formations suivies avec les autres aspirations professionnelles des salariés
En savoir plus
[1] C. Brunet, G. Rieucau, « Tous informés... tous formés ? », Céreq Bref, n° 378, 2019.
[2] J.-M. Dubois, E. Melnik-Olive, « La formation en entreprise face aux aspirations des salariés », Céreq Bref, n° 357, 2017.
[3] C. Fournier, M. Lambert, I. Marion-Vernoux, « À quoi rêvent les jeunes salariés ? Qualité du travail, aspirations professionnelles et souhaits de mobilité des moins de 30 ans », Economie et Statistique, n° 514-515-516, 2020.
[4] C. Frétigné, L’appétence pour la formation. Une entreprise de rationalisation du flou, Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2007.
[5] M. Lambert, J. Vero, « Aspirer à se former, la responsabilité des entreprises en question », Céreq Bref, n° 279, 2010.