Céreq Bref, n° 455, Août 2024, 4 p.

L'alternance, un plus pour les jeunes des QPV, à condition d'y accéder

Publié le
27 Août 2024

Les jeunes originaires des quartiers prioritaires de la politique de la ville quittent le système éducatif moins diplômé·es que les autres, et en ayant moins souvent suivi une formation en alternance, notamment au niveau du secondaire. Pourtant, cette voie de formation leur permet, au moins autant que les autres, d’améliorer leurs chances d’accès à l’emploi, et plus encore à l’emploi stable. Ce résultat issu des données de l’enquête Génération pourrait inciter les pouvoirs publics à accroître leurs efforts en faveur de l’accès des jeunes des QPV à l’alternance.

Communiqué de presse

 

Les jeunes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV, voir encadré 1) sont confronté·es à des difficultés persistantes d’accès à l’emploi. En 2020, le taux de chômage des 15-29 ans dans ces quartiers est deux fois plus important que dans les quartiers environnants* (30 % vs 15 %, selon les données de l’Observatoire national de la politique de la ville). Ces difficultés sont en grande partie attribuables au plus faible niveau de diplôme dont disposent ces jeunes à la sortie des études, celui-ci étant lui-même un marqueur de caractéristiques socio-démographiques plus défavorisées. En effet, les jeunes originaires des quartiers prioritaires sont plus souvent d’origine sociale défavorisée, et plus souvent immigré·es ou issu·es de l’immigration que leurs voisin·es. 

Dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), le Céreq documente depuis plusieurs années les parcours scolaires de ces jeunes et leurs débuts dans la vie active. Les données issues de l’enquête menée en 2020 sur la Génération 2017 confirment que les jeunes résidant en QPV connaissent davantage de difficultés scolaires et sont moins diplômés que leurs voisin·es : 26 % sont non-diplômé·es (vs 10 % de leurs voisin·es) et 27 % sont diplômé·es du supérieur (vs 54 %) [1]. Au-delà du niveau de diplôme, leurs difficultés sur le marché du travail sont aussi attribuables à un effet propre du territoire, qui tend à entraver leur insertion [2]. Le manque d’appariement spatial (spatial mis-match), c’est à dire l’éloignement des opportunités d’emploi, ainsi que l’inadéquation locale entre les compétences ou les qualifications des demandeurs d’emploi originaires de ces quartiers et celles attendues par les entreprises (skill mismatch) pourraient en effet expliquer une partie de leurs difficultés à accéder à un emploi. Elles pourraient également résulter de pratiques discriminatoires sur le marché du travail, liées à une tendance à la stigmatisation du quartier et au raccourci fréquent qui consiste à considérer la jeunesse de ces quartiers comme potentiellement « à problèmes ». 

Parmi les mesures mises en œuvre par les pouvoirs publics pour améliorer l’accès à l’emploi des jeunes, l’alternance, sous forme de contrat d’apprentissage ou de professionnalisation (voir encadré 2), occupe une place centrale. Parce qu’elle permet une immersion plus rapide dans le milieu professionnel tout en favorisant le développement des compétences attendues par les employeurs, et par conséquent l’employabilité de ces jeunes sur le marché du travail, cette voie de formation favorise de meilleures conditions d’insertion professionnelle [3]. Or, alors même qu’ils pourraient en tirer particulièrement bénéfice, l’alternance semble plus difficile d’accès pour les jeunes des quartiers prioritaires de la Génération 2017. Ce Céreq Bref s’attache à éclairer d’une part les conditions d’accès à l’alternance de ces jeunes, et d’autre part la capacité de cette voie de formation, lorsqu’ils y accèdent, à « compenser » le retard à l’insertion que ces jeunes accusent par rapport à leurs voisin·es.

Les jeunes des quartiers prioritaires accèdent moins à l’alternance

Les données de l’enquête Génération 2017 montrent que les jeunes des quartiers prioritaires font leurs premiers pas sur le marché du travail moins diplômés que leurs voisin·es, et en ayant moins souvent été formés en alternance. 

Le palier de la fin de troisième détermine l’orientation vers la voie professionnelle ou vers la voie générale. Les jeunes des QPV considéré·es dans cette étude sont plus nombreux·ses que leurs voisin·es à s’orienter, ou à être orienté·es, vers la voie professionnelle, en bac pro ou en CAP (71 % vs 54 %, voir supplément numérique). Leur orientation est par ailleurs plus souvent contrainte : dans 35 % des cas elle ne correspondait pas à leur premier vœu de fin de troisième (vs 21 % de leurs voisin·es). Une fois dans la voie professionnelle, seuls 9 % des jeunes originaires des QPV signent un contrat en apprentissage pour 16 % de leurs voisin·es. L’orientation en CAP par apprentissage est en effet liée à l’origine sociale des élèves : les enfants d’immgré·es, d’origine sociale défavorisée ou scolarisés en éducation prioritaire, y sont proportionnellement moins nombreux [5]

Cet inégal accès à l’alternance selon le territoire d’origine perdure au fil de la scolarité. Sur l’ensemble des jeunes sortis de formation initiale en 2017, quel que soit le niveau de diplôme, celles et ceux résidant en QPV sont moins fréquemment que les autres issu·es de formations en alternance : 23 % pour 33 % de leurs voisin·es, soit 10 points d’écart (voir encadré 3). Plusieurs facteurs peuvent se combiner pour l’expliquer : l’éloignement de l’entreprise ou du CFA, ces jeunes des QPV subissant une série de freins à la mobilité géographique, mais aussi le manque d’accompagnement lors de la phase de recherche d’une place en organisme de formation et surtout d’une entreprise d’accueil. L’apprentissage introduit en effet un nouveau sas de sélection déplacé en amont de la période d’insertion, lors de la phase d’orientation (certain·es n’étant pas informé·es de la possibilité de l’apprentissage) ou en raison des pratiques de sélection des employeurs [6], préjudiciables aux jeunes des QPV

Les motifs qui les ont conduits à interrompre leurs études tendent d’ailleurs à conforter ces pistes explicatives. Ces jeunes sont en effet proportionnellement plus nombreux·ses que leurs voisin·es à citer les difficultés à trouver un employeur pour une formation en alternance et l’absence de formation à proximité parmi les raisons d’arrêt des études (respectivement 15 % et 12 % vs 10 % et 6 % pour leurs voisin·es). Si l’écart dans l’accès à l’alternance selon le lieu de résidence s’observe à tous les niveaux de la formation, il diminue à mesure de l’élévation du niveau d’études, avec une rupture pour le supérieur long (bac+5 et plus). Il passe ainsi de 13 points pour les sortant·es du secondaire à 10 points pour celles et ceux du supérieur court et 3 points pour les sortant·es du supérieur long. À ce niveau, les jeunes originaires des QPV sont même proportionnellement un peu plus nombreux que leurs voisin·es à avoir suivi leur formation en contrat de professionnalisation (16 % vs 14 %, voir encadré 3). 

Par ailleurs, l'alternance semble favoriser l’obtention du diplôme de fin d’études. En effet, les jeunes ayant préparé leur formation par le biais d’un contrat de professionnalisation ou d’apprentissage parviennent plus fréquemment que les sortant·es de la voie scolaire à obtenir leur diplôme de fin de cycle supérieur long (bac+5). C’est le cas en particulier pour les jeunes des QPV, et ce quel que soit le niveau d’études. Dans ces territoires, la part des alternants qui ont obtenu leur diplôme de fin d’études est supérieure de 7 points à celle des sortants de la voie scolaire dans le secondaire et de 9 points dans l’enseignement supérieur (voir supplément numérique). L’écart est seulement de deux points pour leurs voisin·es, aux deux niveaux de formation.

Un bénéfice de l’alternance accru pour les jeunes des QPV

Quel que soit le lieu de résidence, l’alternance facilite l’insertion professionnelle. Dans l’ensemble, pendant leurs trois premières années de vie active, près de huit jeunes diplômé·es alternants sur dix ont connu des parcours dominés par l’emploi, soit 12 points de plus que les diplômé·es de la voie scolaire (voir encadré 4). Parmi eux, environ deux sur trois ont connu des trajectoires d’accès plus ou moins rapide à l’emploi à durée indéterminée (EDI) (65 % vs 47 % des scolaires), les autres une trajectoire composée pour l’essentiel d’une ou plusieurs occurrences d’emploi à durée déterminée (EDD)**. L’écart en faveur des alternants se retrouve sur les indicateurs d’insertion à trois ans. 

Cette plus-value de l’alternance semble particulièrement jouer pour les jeunes des QPV, leur permettant de compenser en partie le retard à l’insertion accusé par rapport à leurs voisin·es. Ainsi, si l’on s’intéresse à la part de jeunes ayant connu des trajectoires dominées par l’emploi pendant leurs trois premières années de vie active, l’écart entre les deux populations issues de la voie scolaire est de 19 points (51 % vs 70 %), pour descendre à 10 points entre les alternant·es (68 % vs 78 %). 

L’avantage demeure néanmoins en faveur des jeunes alternants résidant en dehors des QPV, dont le taux d’emploi reste supérieur de 12 points à celui de leurs homologues des QPV en octobre 2020. Mais quand ces jeunes ont accédé à l’emploi, l’écart d’accès à un emploi stable diminue au point de disparaître : originaires des QPV ou des unités urbaines englobantes, les jeunes formé·es en alternance occupent dans les mêmes proportions un emploi en EDI après trois ans de vie active (83 % vs 84 %). Pour celles et ceux occupant un emploi salarié à cette période, l’écart de rémunération mensuelle entre les alternant·es des quartiers prioritaires et leurs voisins s’établit à 160 euros (contre 210 euros pour les jeunes formés par la voie scolaire, voir supplément numérique). 

L’analyse des conditions d’insertion à partir de modèles économétriques, croisant le territoire d’origine et la voie de formation, conforte les observations précédentes. Elle confirme tout d’abord qu’à profil comparable, et indépendamment de leurs origines géographiques, les jeunes ayant préparé leur formation en alternance ont 1,6 fois plus de chances que les sortants de la voie scolaire de connaitre une trajectoire dominée par l’emploi, et 1,9 fois plus de chances d’être en EDI en octobre 2020 (voir supplément numérique). Elle montre ensuite que l’effet de l’alternance sur l’insertion est plus important pour les jeunes des quartiers prioritaires, résultat particulièrement marqué pour l’accès à l’EDI.

Un avantage plus élevé dans le secondaire

Cet avantage relatif conféré par l’alternance s’avère plus élevé dans le secondaire que dans le supérieur. Parmi les jeunes diplômés du secondaire originaires des QPV, la part des alternant·es ayant connu une trajectoire dominée par l’emploi dépasse de 19 points celle des scolaires (58 % vs 39 %, voir encadré 5). Cet avantage en faveur des alternants diminue à 7 points chez les diplômé·es du supérieur. Cette diminution de l’avantage relatif s’observe aussi sur les indicateurs d’insertion à trois ans, de manière plus marquée pour l’accès à l’EDI, et à l’exception de la rémunération, beaucoup plus favorable aux alternants de QPV. Ainsi, la différence sur le taux d’emploi est de 7 points pour les diplômé·es du secondaire et de 5 points pour ceux du supérieur ; elle passe de 25 à 10 points concernant à la part des jeunes en EDI. Ce constat se vérifie aussi chez les jeunes résidant dans les unités urbaines englobantes. Ainsi, pour l’accès à l’emploi et à l’emploi stable, le rattrapage par l’alternance des jeunes des QPV évoqué précédemment concernerait davantage les diplômés du secondaire que ceux du supérieur.

Conclusion

Les disparités d’accès à l’alternance entre les jeunes de la Génération 2017 résidant dans les quartiers prioritaires et les jeunes urbains non originaires de ces quartiers, en défaveur des premiers, sont avérées. Elles s’observent dès le lycée, en première année de CAP ou de bac pro, et s’amenuisent toutefois à mesure de l’élévation du niveau de formation initiale. En revanche, le bénéfice de l’alternance pour l’insertion s’avère plus marqué pour les jeunes originaires des QPV, en particulier pour ceux entrés dans la vie active avec un diplôme du secondaire comme plus haut diplôme, permettant ainsi à ces derniers de rattraper, en partie, le retard qu’ils accusent par rapport aux autres jeunes. Renforcer et faciliter l’accès à cette voie de formation pourrait compléter l’arsenal des mesures déjà déployées, à l’instar du dispositif des emplois francs, pour améliorer l’insertion de cette population et réduire, in fine, les inégalités d’insertion observées sur le marché du travail. Des actions dans ce sens pourraient ainsi être intégrées dans le cadre des Cités éducatives qui, au regard du rapport de l’Injep [7], doivent encore développer l'accompagnement des jeunes tout au long de leur parcours scolaire jusqu'à leur insertion professionnelle. Cet effort devrait davantage concerner l’enseignement secondaire, où le bénéfice de l’alternance paraît plus important.

En savoir plus

* Plus précisément, il s'agit des autres quartiers des villes comprenant des quartiers prioritaires (voir encadré 1).

** L’emploi à durée indéterminée (EDI) regroupe les non-salariés, les salariés en CDI et les fonctionnaires. L’emploi à durée déterminée (EDD) rassemble les contrats aidés, l’intérim et les autres formes d’emploi à durée déterminée (CDD…).

[1] Évolution de l’insertion professionnelle des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville entre la Génération 2010 et la Génération 2017, E. Personnaz, A.F.W. Sawadogo & J. Robin, ANCT-ONPV, 2024. 

[2] « Insertion des jeunes issus de quartiers sensibles : les hommes doublement pénalisés », T. Couppié, Céreq Bref, n° 309, 2013 

[3] Apprentissage et voie scolaire : comment expliquer les différences d’insertion observées ?, T.Couppié, C. Gasquet, dans Rendement éducatif, parcours et inégalités dans l’insertion des jeunes, Céreq Echanges, n° 5, 2017. 

[4] « Les coulisses de la formation professionnelle : processus de sélection à l’entrée de l’apprentissage », P. Kergoat, Formation emploi, n° 159, 2022. 

[5] « L'orientation en CAP par apprentissage ou par voie scolaire est fortement liée au niveau scolaire et à l'origine sociale des élèves », M. Barhoumi, Note d'information de la Depp, n°24.05, mars 2024. 

[6] Les dispositifs en faveur de l'emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, rapport de la Cour des comptes, 2022. 

[7] Évaluation nationale des cités éducatives, T. Stromboni, S. Louhab, INJEP Notes & Rapports, 2024.

Citer cette publication

Personnaz Elsa, Sawadogo Arthur Félix W., L'alternance, un plus pour les jeunes des QPV, à condition d'y accéder, Céreq Bref, n° 455, 2024, 4 p. https://www.cereq.fr/alternance-jeunes-qpv