Ces campus des métiers et des qualifications qui renouvellent la formation professionnelle
L’action « Territoires d’innovation pédagogique », lancée en 2018 et financée par le troisième programme d’investissement d’avenir (PIA 3), a doté une trentaine de campus des métiers et des qualifications de ressources conséquentes pour développer leur action de modernisation de la formation professionnelle à l’échelle des territoires. Une évaluation de cette action, réalisée par le Céreq, permet de faire le point sur ces expérimentations et sur la capacité des campus à ouvrir de nouvelles perspectives dans le domaine.
Une nouvelle « génération » de campus ?
L’analyse des projets retenus montre que, malgré la grande diversité des sujets envisagés, le jury de sélection a surtout retenu des campus inscrits dans les stratégies de la réindustrialisation, notamment avec le programme « territoires d’industries ». Outre l’industrie 4.0, les filières de la mobilité et des transports ainsi que celle des infrastructures, du bâtiment et de l’éco-construction sont largement représentées. Le tertiaire figure surtout à travers les filières « création et design » et « tourisme et gastronomie ». On soulignera également que la plus grande partie des campus retenus dispose déjà d’une certaine expérience : certains ont démarré dès la création du label, plus du tiers a obtenu sa mention Excellence en 2019 et seuls quelques-uns démarrent leur activité avec les fonds d’amorçage du PIA. Ce constat n’est pas étonnant compte tenu des exigences fixées pour la constitution des dossiers ; les campus doivent démontrer qu’ils s’engagent sur des idées prometteuses en termes de développement de filière mais les paris doivent rester mesurés et forts d’un étayage collectif ayant déjà fait ses preuves (présence fédératrice d’une grosse entreprise, soutien d’une organisation professionnelle, impulsion de la Région par exemple).
La répartition régionale des projets montre que l’action « Territoires d’innovation pédagogique » a redessiné quelque peu le poids des régions, acteurs essentiels dans le pilotage du label. Autrement dit, les régions se sont saisies de manière variable de la nouvelle donne institutionnelle des campus, avec un investissement plus marqué pour certaines d’entre elles (Île-de-France, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes).
« L’attractivité » : un objectif stratégique largement réalisé par les campus
L’attractivité est un objet consensuel entre les partenaires ; elle est perçue comme un préalable incontournable au projet de changement de perception de la formation professionnelle. C’est pourquoi les actions dans ce domaine sont nombreuses et bien repérées par l’ensemble des partenaires. Elles constituent un fort investissement en temps et en moyens avec une grande diversité d’initiatives. Parmi l’ensemble des réalisations, trois répertoires d’action peuvent être identifiés. Tout d’abord, l’action institutionnelle événementielle, qui se traduit principalement sous la forme de salons. Les salons généralistes visent à promouvoir l’emploi et les métiers au niveau local de même qu’ils donnent une assise institutionnelle aux campus sur leurs territoires, tandis que les salons spécialisés mettent en avant l’enjeu national voire international des campus, valorisant les activités d’innovation des partenaires ou les formations supérieures dispensées en leur sein. La réflexion sur l’attractivité passe également par une (re)définition des publics à sensibiliser et un travail sur les modalités pertinentes de communication. On voit ainsi les campus sortir du cadre traditionnel de l’orientation et s’ouvrir à de plus larges publics. En travaillant parfois auprès des plus jeunes, élèves du primaire et collégiens (par un usage massif des outils numériques, de la réalité virtuelle ou immersive, de serious game, de quiz en ligne, etc.), en sensibilisant les familles, les campus visent non seulement à présenter une version moderne des métiers mais aussi à construire une représentation des activités industrielles ou de services couvertes par le campus comme un élément d’une identité territoriale. Enfin, l’attractivité se réalise à travers des mises en scène « grandeur nature » des métiers et des professions. Des lieux emblématiques dédiés ou des infrastructures grandioses (avion A350-900 transformé en atelier pédagogique par exemple) permettent non seulement de montrer les différentes dimensions du métier, mais surtout de faire vivre une expérience et de faire « ressentir le métier ».
La qualité de l’offre de formation : connecter, innover
Dans l’objectif d’asseoir un nouveau modèle de formation professionnelle, les campus développent un spectre large d’actions. La formation d’enseignants et de formateurs, la modernisation des équipements dans les établissements de formation, l’innovation pédagogique pour la réussite des parcours et la création de nouvelles formations sont ainsi transverses à l’ensemble des projets avec des réalisations variables suivant les situations locales. On retiendra que la formation de formateurs et l’investissement en équipements sont généralement perçus comme des opportunités d’échanges entre les professionnels, de mutualisation des pratiques et d’élaboration de nouveaux projets de coopération (à travers les plates-formes technologiques notamment). La réussite des élèves, enjeu fort de l’enseignement professionnel, donne lieu à des actions diversifiées. Pour autant, leur trait commun est de donner à voir aux jeunes concernés l'ensemble des perspectives permises par leurs formations et, d’une certaine manière, de les mettre eux aussi en réseau : projets en binômes entre élèves du secondaire et du supérieur, mentorat avec des ingénieurs pour l’école, « cordées de la réussite »*, concours des métiers, etc. Enfin, les CMQ sont tous à l’origine de la création d’un ou plusieurs cursus de formation, certifiants ou qualifiants. Le PIA semble avoir permis d’accélérer, par le biais des campus, la connexion entre les besoins des entreprises et les opérateurs de formation. En effet, les projets proposés aux entreprises étant plus ambitieux compte tenu des moyens alloués, ces dernières réalisent davantage d’actions dans le cadre du campus et s’adressent plus souvent à lui lorsqu’elles ont identifié un besoin de formation.
Morphologie du partenariat, diversité et qualité des relations
Le label « campus » suppose, par construction, la collaboration de différentes catégories d’acteurs sur un territoire donné. Les nouveaux standards associés à l’action « Territoires d’innovation pédagogique », notamment le conventionnement entre la Caisse des dépôts et un consortium de partenaires, ont quelque peu modifié le partenariat initial des campus. En effet, les consortiums constitués dans chaque campus représentent l’instance de financement et de pilotage interne des projets, ce qui, compte tenu des sommes en jeu, leur confère aussi un certain pouvoir dans l’ensemble de l’organisation. S’il se structure toujours autour du triptyque « enseignement secondaire, enseignement supérieur et entreprise », le partenariat issu de l’action « Territoires d’innovation pédagogique » voit s’accroître le poids de l’enseignement supérieur et de la recherche, et se renforcer la place des acteurs privés (cf. encadré 2). C’est notamment le cas des entreprises mais surtout des organismes de formation et des « structures intermédiaires » réunissant syndicats ou organisations professionnelles, clusters ou pôles de compétitivité par exemple.
Liste des 32 campus des métiers et des qualifications
L’enquête a montré que la création de liens de partenariat était une motivation majeure pour participer à un campus. Cette attente n’est pas déçue ; l’enquête statistique souligne même que les campus sont une opportunité pour diversifier la nature des partenaires. Tous campus confondus, on estime que chaque partenaire interagit avec cinq types de partenaires différents, ce qui souligne la capacité des campus à décloisonner les relations et à fonctionner en réseau. Si l’étendue et la diversité du partenariat varient selon les campus, on notera qu’il existe globalement un effet positif du financement PIA sur le nombre et la pluralité des relations. Cet effet est sensible quel que soit le type de partenaire concerné. Seule la catégorie des entreprises se distingue, peut-être du fait que les relations restent concentrées sur un nombre restreint d’entre elles, en particulier lorsqu’elles sont associées à la réalisation d’actions, les autres restant à la « périphérie » des campus.
Pour apprécier la capacité du campus à agir en tant que collectif, un indicateur de « qualité » du partenariat a été élaboré. Il repose sur différents registres : dynamique globale du partenariat, efficacité du leadership, niveau des ressources du campus, gestion et management des projets. Chacun de ces registres a été objectivé par différents items, et les réponses apportées par les partenaires permettent d’évaluer chacun avec une note.
La « dynamique » du partenariat révèle un fort taux de satisfaction avec une faible hétérogénéité entre les partenaires, qui se retrouvent sur l’idée d’un projet commun et d’une volonté de travailler ensemble. Les questions de leadership, de gestion et de management peuvent être analysées conjointement : les partenaires expriment un niveau de satisfaction moindre que sur le précédent registre. Si les aspects de communication ou de pilotage sont jugés satisfaisants, l’intégration de nouveaux partenaires ou la collecte des fonds sont des points plus sensibles. Par ailleurs, on voit se dessiner sur ce sujet des différences de points de vue entre catégories de partenaires : les membres qu’on pourrait qualifier d’extérieurs aux campus (acteurs publics en particulier) ont un jugement plus favorable que ceux émanant des entreprises ou des opérateurs de formation directement impliqués dans la réalisation des actions. Le niveau de ressources est perçu comme très satisfaisant, mais avec des fluctuations suivant le type de ressources : la compétence, l’expertise ou la légitimité institutionnelle sont estimées à un niveau supérieur que les ressources financières notamment.
Quels que soient les registres analysés, il existe une hétérogénéité entre les campus, mais il est important de souligner qu’au sein de chaque campus, les partenaires expriment de manière convergente leur satisfaction sur les différents registres évoqués. Autrement dit, on voit se dessiner différentes qualités de partenariat. La situation moins favorable de certains campus s’explique par des contextes particuliers : réorganisation profonde du campus, problème de pilotage opérationnel (changement du directeur opérationnel ou vacance prolongée du poste). L’ancienneté des campus peut également permettre d’expliquer la qualité de leur partenariat.
Conclusion
L’investissement dans la formation professionnelle réalisé par l’action « Territoires d’innovation pédagogique » montre que des effets sont déjà observables, à travers de nombreuses réalisations. On soulignera notamment les actions en faveur de l’attractivité, les initiatives pour faire évoluer les compétences des formateurs, moderniser les équipements, travailler à la réussite des élèves, élaborer une carte de formation pertinente. On retiendra enfin la capacité des campus à organiser de manière systématique des échanges entre les acteurs de la formation, du travail, de la recherche et de l’innovation, à l’échelle des territoires.
Ces avancées ne se réalisent pourtant pas à un rythme homogène suivant les campus. Elles supposent des moyens humains parfois sous-estimés dans les projets et reposent en définitive sur un engagement considérable des directrices et directeurs opérationnels, dont le statut est insuffisamment reconnu par le ministère de l’Éducation nationale. Cette situation se traduit par un turnover important sur ces postes, avec des conséquences évoquées précédemment sur la qualité du partenariat.
Aussi déterminants soient-ils, le rôle et l’action du directeur opérationnel ne peuvent servir d’interprétation unique aux conditions favorisant la bonne mise en œuvre des projets, voire leur pérennisation ou leur généralisation. L’action « Territoires d’innovation pédagogique » conjuguant à la fois un cadre formel avec les standards du label campus, de la mention « Excellence » et des attendus spécifiques de l’action, et une liberté donnée aux acteurs de terrain « d’inventer » leur modèle de campus, les projets lauréats présentent une grande hétérogénéité de contextes et de fonctionnements. Si l’antériorité des relations entre les partenaires, la place d’un acteur majeur au sein du partenariat, le soutien du tandem « Rectorat – Région » apporté aux projets, ou encore le profil des directrices et directeurs opérationnels semblent influencer la conduite des projets, la seconde campagne d’évaluation conduite à partir de l’automne 2024 permettra d’avancer dans l’examen de ces différentes pistes d’interprétation.
En savoir plus
[1] Évaluation des effets du financement du PIA sur les Campus des métiers et des qualifications, Première campagne d’évaluation, N. Bouvet, C. Galli, D. Maillard, I. Marion-Vernoux, Céreq Études, à paraître (2024).
[2] Premier bilan des campus des métiers et des qualifications, M. Caraglio & alii, Rapport, Inspection générale des Affaires sociales, Inspection de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, Inspection de l’Éducation nationale, 2017.
[3] Une histoire engagée de l’enseignement professionnel. De 1984 à nos jours, D. Bloch, Presses universitaires de Grenoble, 2022.
[4] Carte interactive géolocalisant les établissements d’enseignement secondaire par campus lauréat du PIA.
Liste des 32 campus métiers | Retour au graphique |
1 | Versailles, Patrimoine et Artisanat d’excellence Île-de-France |
2 | Aéronautique et Spatial Occitanie |
3 | Métiers d'art et du design : Paris, manufactures des Gobelins Île-de-France |
4 | Maintenance en environnement sensible Nouvelle-Aquitaine |
5 | Numérique, photonique et cybersécurité Bretagne |
6 | Mobilité et Transports intelligents Occitanie |
7 | Industrie du futur Occitanie |
8 | Génie civil et éco-construction en milieu tropical La Réunion |
9 | Industrie technologique innovante et performante Bourgogne-Franche-Comté |
10 | Industrie du futur Sud PACA |
11 | Smart Energy Systems Campus AURA |
12 | Design, matériaux et innovation AURA |
13 | Économie de la Mer PACA |
14 | Lumière intelligente et solutions d'éclairage durables AURA |
15 | Aéronautique et spatial : conception, production, maintenance 4.0 Île-de-France |
16 | Patrimoines, Métiers d'Art et Tourisme Centre-Val de Loire |
17 | Automobile et mobilités du futur Bourgogne-Franche-Comté |
18 | Bioeco Academy Grand Est |
19 | Tourisme et innovation Hauts-de-France |
20 | BTP et usages du numérique Occitanie |
21 | Habitat, énergies renouvelables et éco-construction Occitanie |
22 | Éco-construction, et efficacité énergétique Grand Est |
23 | Bâtiment durable Bretagne |
24 | Plasticampus AURA |
25 | Aéronautique Pays de la Loire et Bretagne |
26 | CosmetoPharma Centre-Val de Loire |
27 | CaMéX-IA Grand Est |
28 | Métiers de la sécurité Île-de-France |
29 | Mécanique connectée et fonctions support AURA |
30 | Industries de la mer Bretagne |
31 | Santé, Autonomie, bien vieillir Île-de-France |
32 | Ferrocampus Nouvelle-Aquitaine |