Céreq Bref, n° 466, Février 2025, 4 p.

Interrompre un temps ses études : un choix rarement payant sur le marché du travail

Publié le
20 Février 2025

Pratiquées depuis longtemps dans plusieurs pays européens, les suspensions temporaires d'études restaient peu présentes dans les cursus des jeunes en France. Les derniers travaux du Céreq témoignent de l’amorce d’un changement en la matière, avec notamment l'existence du dispositif de césure depuis 2015. Si les données sur ces pratiques sont encore rares, l’enquête Génération en offre un aperçu pour l’ensemble des jeunes sortant de l'enseignement supérieur en 2017. Elle permet aussi d’en mesurer les effets sur l’insertion professionnelle, qui restent pour le moment relativement contrastés.

Communiqué de presse

 

Entre le lycée et la vie professionnelle, les parcours d’études en vigueur en France restent encore aujourd’hui très marqués par un modèle linéaire, en comparaison d’autres pays européens pratiquant plus couramment les périodes de suspension d’études [1]. Pourtant, les travaux récents du Céreq [2] suggèrent qu’une relative délinéarisation s’est engagée, marquée par des réorientations ou des pratiques d’interruptions temporaires d’études. Par ailleurs, depuis 2015, le système français facilite et encadre la pratique de la « césure* » en cours d’études supérieures : l’objectif affiché est l’acquisition de nouvelles compétences grâce à une expérience supplémentaire pouvant être personnelle, associative ou professionnelle [3]. Soumise à l’autorisation du chef d’établissement, la césure permet de suspendre son cursus pendant un semestre ou une année universitaire tout en restant inscrit dans l’établissement d’origine, la place étant garantie au retour. Elle peut consister en un contrat de travail, un service civique, une activité bénévole, la préparation d’une création d’entreprise, un stage, ou encore une formation dans un autre domaine que celui de la formation d’inscription. Pendant cette période, le statut d'étudiant est conservé et la bourse peut être maintenue selon les cas. Initié en 2015 et précisé les années suivantes, ce dispositif récent ne couvre qu’une partie des interruptions temporaires d’études supérieures. Les données sur les interruptions en cours d’études en France sont rares : l'observatoire national de la vie étudiante (OVE) [L'OVE produit ces données dans le cadre du programme Eurostudent, qui permet depuis les années 1990 de comparer la situation sociale des étudiant·e·s à l'échelle de l'espace européen.] les documente mais seulement à certains moments clefs de la scolarité (transition secondaire-supérieur, licence-master ou cursus en cours). L’enquête Génération fournit des données déclaratives parmi les seules permettant de quantifier ces interruptions pour l’ensemble des parcours d'études et des niveaux de diplôme en France. D’après l’enquête 2020 auprès de la Génération 2017, 15 % des jeunes sortis de l’enseignement supérieur en 2017 avaient préalablement interrompu leurs études pour une durée d’un à seize mois, soit au maximum l’équivalent d’une année universitaire (Encadré 1), dont 6% dans le cadre d'une césure.

Quels sont les parcours d’études les plus concernés par les interruptions temporaires ?

Les parcours les plus continus de tous sont ceux couronnés d’un diplôme d’ingénieur ou d’un doctorat dans la santé : seul un sur dix déclare avoir interrompu ses études, pourtant parmi les plus longues de l’enseignement supérieur. Pour les diplômes d’ingénieur, les interruptions hors césure sont particulièrement rares (3 %). La césure concerne plus particulièrement les diplômés d’école de commerce : 17 % d’entre eux l’ont pratiquée, contre 8 % chez les diplômés de master et encore moins pour tous les autres diplômes. Qu’il s’agisse d’une césure ou non – et à situation comparable par ailleurs –, le fait d’interrompre ses études concerne davantage les jeunes ayant obtenu un baccalauréat général, ceux ayant au moins un parent étranger, ou ceux qui exercent un emploi de plus de 8 h par semaine en même temps que leurs études. À caractéristiques égales par ailleurs, les diplômes de licence et de master, ainsi que les parcours d’études achevés dans l’enseignement privé, sont plus souvent associés aux parcours d’études discontinus.Plus précisément, par rapport à un parcours d’études continu, celui comportant une césure est plus souvent associé aux diplômes de l’enseignement supérieur long (à l’exception du doctorat) et aux spécialités littéraires ou tertiaires. Il concerne plus fréquemment les jeunes issus d’un milieu favorisé. L’interruption réalisée hors du cadre d’une césure, elle, concerne davantage les sortants de l’enseignement supérieur court (soit jusqu’au niveau bac+4), y compris ceux qui n’y ont pas obtenu de diplôme, ainsi que les parcours d’études achevés par alternance. Dans leur ensemble, les interruptions répondent à des motivations diverses. Plus de quatre sur dix (44 %) ont été réalisées pour travailler, une sur dix pour apprendre une langue (11 %), une sur dix pour faire une pause (11 %), quelques-unes pour faire du bénévolat ou du volontariat (4 %), ou pour des motifs de santé (4 %). Reste donc un quart des interruptions (26 %), réalisées « pour une autre raison ». L’apprentissage d’une langue et le bénévolat ou volontariat sont des motifs plus souvent cités au sein des césures (20 % et 6 %) que pour les interruptions effectuées dans un autre cadre (5 % et 3 %). Le motif plus flou de « l’autre raison » est lié pour sa part aux interruptions hors césure (31 % contre 18 % des césures). La moitié des césures ont lieu à l’étranger, contre seulement 10 % des interruptions effectuées dans un autre cadre.

 

Des types d’interruption qui diffèrent selon le cadre, le lieu et le motif

Les interruptions d'études ont été divisées en huit catégories en s’intéressant en priorité au cadre formel de l’interruption (césure ou hors césure), puis au lieu de sa réalisation (France ou étranger) et enfin, à son motif. 

  • Les césures à l’étranger pour travailler (7 % des interruptions). On trouve dans cette catégorie essentiellement des jeunes sortis in fine en 2017 avec un diplôme de l’enseignement supérieur long (86 %), pour près de la moitié du secteur d’enseignement privé (49 %) et dans les trois quarts des cas avec des diplômes de master, d’ingénieur ou d’école de commerce. À profil comparable, les probabilités d’avoir effectué ce type de césure sont particulièrement fortes pour les diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieur. Les enfants de cadre et les bacheliers généraux sont plus susceptibles d’appartenir à cette catégorie que les autres, y compris à niveau d’études donné, et les femmes y sont également surreprésentées. Les interruptions de ce type s’inscrivent souvent dans des parcours d’études achevés en 2017 par la voie scolaire. 

  • Les césures à l’étranger pour un motif autre que le travail (13 %). De nouveau, les femmes et les jeunes issus d’un ménage favorisé sont surreprésentés ici. C’est aussi le cas des diplômés de master, d’ingénieur et d’école de commerce. On observe aussi un lien entre ce type d’interruption et les parcours achevés en 2017 dans les spécialités littéraires ou tertiaires et par la voie scolaire. Toutes ces tendances persistent à profil donné (« toutes choses égales par ailleurs »). 

  • Les césures en France pour travailler (9 %). Plus empruntées par les hommes que ne le sont la moyenne des interruptions, elles rassemblent aussi plus souvent les jeunes sortis diplômés de niveau bac+3/4 ou d’école de commerce. Les bacheliers technologiques et professionnels et les parcours achevés par alternance ou dans le secteur privé sont surreprésentés. À caractéristiques comparables, ce sont de nouveau les diplômés d’école de commerce ou d’ingénieur qui ont plus de chances d’avoir réalisé ces césures. Les césures en France pour un motif autre que le travail (9 %). Le niveau de diplôme des jeunes concernés est un peu inférieur à celui de l’ensemble des jeunes ayant fait une interruption, avec une surreprésentation des jeunes sortis ultérieurement diplômés de l’enseignement supérieur court, ou non-diplômés, qui comptent au total pour deux tiers (66 %) de cette catégorie. 

  • Les interruptions hors césure effectuées à l’étranger (6 %). Elles concernent principalement des jeunes sortis ensuite avec un diplôme de l’enseignement supérieur long (69 %), et surtout un master (48 %). Les diplômés de bac+3/4, parmi lesquels figurent une majorité de licences, sont eux aussi surreprésentés (23 %) et particulièrement enclins à avoir effectué ce type d’interruption. Avec un profil plus favorisé socialement que la moyenne des jeunes concernés par les interruptions, y compris à niveau d’études donné, ces jeunes présentent des similarités avec ceux ayant effectué des césures à l’étranger (deux premières catégories). Ce qui les sépare néanmoins est la faible représentation ici (27 %) du secteur d’enseignement privé lors de l’achèvement des études (les diplômes les plus représentés dans cette catégorie étant souvent obtenus en université publique). 

  • Les interruptions hors césure en France pour travailler (26 %). Les jeunes de ce groupe ont un profil socialement moins favorisé et des parcours plus souvent achevés par la voie de l’alternance (32 %), par rapport à tous les autres parcours discontinus. Un tiers d’entre eux (33 %) ont un baccalauréat technologique ou professionnel. Après cette interruption, la plupart (66 %) sont finalement sortis avec, au mieux, un diplôme de l’enseignement supérieur court. Les interruptions hors césure en France pour un autre motif que le travail (26 %). Ici, les trois quarts (73 %) des jeunes sont sortis finalement diplômés, au mieux, de l’enseignement supérieur court avec notamment une surreprésentation des sortants non diplômés du supérieur ou diplômés de BTS. Par rapport à la moyenne des jeunes aux parcours discontinus, ceux de ce groupe sont plus souvent défavorisés ou détenteurs d’un baccalauréat technologique ou professionnel. Toutes caractéristiques égales par ailleurs, c’est dans cette catégorie que les jeunes ont, le plus souvent, achevé leurs parcours d’études dans le secteur public (72 %). 

  • Les interruptions pour motif de santé (4 %). Elles concernent peu d’individus mais sont isolées dans une catégorie à part, indépendamment du cadre ou du lieu de leur réalisation, car ce motif est très spécifique. La moitié (49 %) de ces jeunes sont finalement sortis sans diplôme du supérieur. 

Dans l’ensemble, les parcours d’études discontinus traduisent une grande variété de pratiques aux publics tout autant différenciés. La propension à avoir effectué tel ou tel type d’interruption varie notamment beaucoup avec le niveau d’études atteint in fine (Encadré 2). Ainsi, pour les jeunes sortis sans aucun diplôme de l’enseignement supérieur, 60 % des interruptions avaient été réalisées en France en dehors du cadre de la césure et 10 % pour un motif de santé. La césure à l’étranger pour travailler est très rare (1 %) dans ces parcours alors qu’elle représente 15 % des interruptions des diplômés du supérieur long. Ces derniers ont interrompu, pour moitié, dans le cadre d’une césure et pour un tiers, dans le cadre d’une césure à l’étranger. Les motifs de santé ne pèsent que 2 % dans ces parcours discontinus. De leur côté, les diplômés de l’enseignement supérieur court connaissent des interruptions très semblables à celles des non-diplômés.

 

Les effets contrastés sur l'insertion

Les différents types d’interruption sont associés à des conditions d’entrée dans la vie active variables, observables dans l'Encadré 3***. Il en ressort, à profil comparable par ailleurs, que les parcours discontinus sont globalement pénalisants, par rapport aux parcours continus, pour accéder à l’emploi. En effet, les estimations montrent, au mieux, une absence d’effet des interruptions sur le taux d’emploi après trois ans de vie active et, dans la plupart des cas, un effet négatif. Il pourrait s’expliquer par la forte norme de linéarité des parcours entraînant, en France, une méfiance du marché du travail à l'égard de l’éventuel apport de l’expérience obtenue pendant l’interruption [4]. Néanmoins, en considérant les indicateurs de qualité de l’emploi que sont la qualification de l’emploi occupé et le salaire perçu après trois ans de vie active, certains types d’interruption semblent tout de même valorisables sur le marché du travail. Le bénéfice le plus tangible est associé aux jeunes ayant effectué une césure à l’étranger pour travailler, qui perçoivent un avantage salarial en comparaison de jeunes au profil comparable qui n’auraient jamais interrompu leurs études. Les diplômés du supérieur long, très majoritaires dans ce groupe, voient également augmenter leurs chances d’être cadres.Un deuxième avantage en matière d’insertion s’observe chez les jeunes ayant interrompu leurs études à l’étranger en dehors du cadre de la césure. S’ils sont sortis avec au mieux un diplôme de l’enseignement supérieur court, ils voient leurs chances d’être cadre ou profession intermédiaire augmenter après trois ans de vie active, par rapport à leurs homologues n’ayant jamais réalisé d’interruption. S’ils ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur long, cette interruption constitue un atout sur le taux d’emploi. Précisons que ces deux premiers parcours sont aussi, dans l’ensemble, les seuls qui ne pénalisent pas l’accès à l’emploi (leur effet reste non significatif quand tous les autres parcours discontinus ont un effet négatif). Deux autres types de césure ont un effet positif sur les salaires perçus après trois ans de vie active : celles effectuées à l’étranger pour un motif hors travail et celles réalisées en France pour travailler. Le gain salarial associé à ces deux parcours ne concerne toutefois que les diplômés de l’enseignement supérieur long. Inversement, certains types d’interruption sont associés à une moins bonne qualité d’emploi, par exemple chez les diplômés du supérieur long ayant interrompu leurs études, en France, en dehors du cadre de la césure et pour un motif ne relevant pas du travail. Du point de vue du salaire comme de la qualification de l’emploi, ces jeunes sont désavantagés trois ans après leur sortie de formation initiale par rapport à ceux avec un parcours continu. L’interruption pour raison de santé, elle, entrave l’accès à l’emploi comme le niveau de salaire des sortants du supérieur.

 

Conclusion

En conclusion, l’étude des conséquences des interruptions d'études sur le début de carrière montre qu’une fois contrôlés les effets puissants liés au niveau d’études atteint et aux caractéristiques individuelles, un lien subsiste entre interruptions et insertion professionnelle. Il peut s’avérer positif dans certains cas, comme celui des interruptions réalisées à l’étranger, ou des césures si elles précèdent l’obtention d’un diplôme du supérieur long. Interrompre ses études pour travailler peut aussi s’avérer payant, probablement car cette première incursion dans la vie active offre une expérience du marché du travail plus longue que celle des jeunes au parcours continu. Ces effets restent timides et observables uniquement à certains niveaux de diplôme et sur certains indicateurs d’insertion. Dans de nombreux cas, les parcours d’études discontinus sont associés à une insertion professionnelle moins favorable que celle observée parmi les jeunes au parcours continu et de profil comparable. Cette étude converge en cela avec les travaux ayant montré que les parcours discontinus restent mal considérés par le marché du travail français [5]. Toutefois, la diversité des pratiques d’interruption temporaire d'études reflète une multitude d’expériences et de transition avec la vie active, dont certaines répondent à des exigences de financement de la poursuite d’études, quand d’autres s’inscrivent dans un projet construit de réorientation. En cela, il conviendrait aussi d’examiner l’impact de ces suspensions sur l’acquisition du diplôme souhaité. Enfin, le développement du cadre réglementaire suggère une expansion en cours de la pratique de la césure dans l’enseignement supérieur, dont il faudrait se demander si elle tend à bousculer la norme française de linéarité des parcours autant que sa valorisation sur le marché du travail.

Pour en savoir plus

[1] O. Ferry, « Eurostudent VII (2018-2021). Conditions de vie et d’études des étudiants en France et ailleurs en Europe avant la pandémie de Covid-19 », OVE Infos, n° 47, 2023. 

[2] A. Robert, « Reprises d’études en début de vie active : acquérir un diplôme reste le Graal », Céreq Bref, n° 396, 2020. 

[3] Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Guide de la césure, étudiants en France et à l’étranger, 2022. https://services.dgesip.fr/fichiers/Guide_de_la_cesure_04102022.pdf. 

[4] C. Van de Velde, « Les voies de l’autonomie : les jeunes face à la crise en Europe », Regards, vol. 48, n° 2, p. 81-93, 2015. https://doi.org/10.3917/regar.048.0081 

[5] I. Albandea, « La perception des parcours d’études non linéaires par les recruteur·euse·s », L’orientation scolaire et professionnelle, 49(1), p. 37-66, 2020.

Citer cette publication

Merlin Fanette, Robert Alexie, Interrompre un temps ses études : un choix rarement payant sur le marché du travail, Céreq Bref, n° 466, 2025, 4 p. https://www.cereq.fr/cesure-interruption-etude-insertion