Comment les entreprises ont-elles formé en 2020 ?
En 2020, malgré la crise sanitaire, les trois quarts des entreprises de 10 salariés et plus ont formé au moins un des membres de leur personnel. Cette proportion est stable depuis 2005. En revanche, les modalités de formation ont changé : davantage d’entreprises ont eu recours à l’autoformation, aux formations en situation de travail et aux formations à distance, moins aux cours ou stages. Si certaines de ces évolutions sont étroitement liées à l’adaptation à la situation sanitaire, d’autres pourraient être plus structurelles. En dépit de ces transformations, la part des effectifs formés dans le cadre de cours ou stages (47 %) reste proche de ses niveaux antérieurs. Par ailleurs, les déterminants du recours à la formation professionnelle restent inchangés : il est croissant avec la taille de l’entreprise et variable suivant le secteur d’activité, celui des finances et de l’assurance formant le plus.
Au cours des cinquante dernières années, les entreprises ont eu tendance à réduire leurs dépenses de formation lorsque le produit intérieur brut ralentissait [1] [2]. Qu’en est-il de leur effort de formation durant l’année 2020, marquée par une chute de l’activité économique sous l’effet de la crise du Covid-19 [3] ? L’Enquête Formation Employeur européenne (EFE-e, encadré 1) permet de saisir la façon dont les entreprises employeuses du secteur privé ont fait face à ce contexte très particulier. Elle permet également, pour la première fois, d’éclairer les pratiques de formation des entreprises de moins de dix salariés, qui diffèrent de celles des plus grandes (éclairage 1).
- Stabilité de la part des entreprises formatrices en 2020
- Baisse du recours aux cours et stages, à la faveur d’autres modalités de formation
- La crise sanitaire, une raison majeure d’absence de formation en 2020
- Davantage d’autoformation et de formations en situation de travail
- Triplement de la part des entreprises pratiquant la formation à distance
- L’importance de l’accompagnement des entreprises en 2020
- Un accès à la formation croissant avec la taille de l’entreprise et traduisant des pratiques différentes
- Une proportion d’effectifs formés et des caractéristiques de formations très différentes selon le secteur d’activité
- Pour en savoir plus
Stabilité de la part des entreprises formatrices en 2020
Tous types de formation confondus, en 2020, 76 % des entreprises privées, hors agriculture, éducation et santé dans lesquelles travaillent au moins dix salariés (périmètre européen de l’enquête EFE-e, encadré 1) ont formé au moins un membre de leur personnel. Cette proportion est proche de celle observée depuis 2005 (graphique 1).
Baisse du recours aux cours et stages, à la faveur d’autres modalités de formation
Le recours aux cours ou stages diminue nettement en 2020. Cette baisse ne semble cependant pas uniquement imputable à la crise sanitaire, puisque 82 % des entreprises qui n'en ont pas financé en 2020, n'y avaient déjà pas eu recours en 2019. Si les cours ou stages restent le type de formation le plus répandu au sein des entreprises dont l’effectif est supérieur ou égal à dix, la part d’entreprises concernées a reculé à 63 % en 2020, contre 75 % en 2015 (graphique 1). Ce repli ne s’est pas pour autant traduit par une diminution de même ampleur de la part de salariés formés via des cours ou stages, qui s’est maintenue à 47 %, contre 48 % en 2015 (graphique 2). La formation s’est ainsi concentrée sur un nombre d’entreprises moindre, mais elle y a touché davantage de personnes qu’auparavant.
Parallèlement, la réduction du recours aux cours ou stages est compensée par la hausse de celui aux autres modalités de formation (encadré 2) : 61 % d’entreprises formatrices ont mobilisé d’autres formes de formation que les cours ou stages, contre 48 % en 2015 (graphique 1). Si cette évolution majeure semble être pour partie liée à la crise sanitaire, elle pourrait également être le résultat d’un changement structurel des pratiques de formation des employeurs1.
1Sur le champ des entreprises présentes en 2019 et 2020, on observe dès 2019 un recul de la part d’entreprises formatrices via les cours et stages.
La crise sanitaire, une raison majeure d’absence de formation en 2020
Pour près de la moitié des employeurs d’au moins dix salariés, le contexte sanitaire a été l’un des freins à la formation graphique 3). Il a entrainé à la fois des difficultés techniques d’organisation des formations et l’impossibilité pour certaines personnes d’y prendre part pour des raisons familiales (garde d’enfants) ou de santé.
Le niveau de formation des effectifs, jugé approprié, est cependant resté le principal motif d’absence de formation en 2020 (64 %), même s’il est en net recul par rapport à 2015 (88 %). Le manque de temps disponible du personnel n’a été un frein que pour 38 % des entreprises non formatrices, contre 72 % en 2015.
Les autres motifs d’absence de formation sont également en baisse, en particulier la priorité donnée à la formation des jeunes en alternance (23 % des entreprises non formatrices en 2020, contre 58 % en 2015) et le recours préférentiel au recrutement de personnes disposant des qualifications requises (40 % contre 63 %).
Davantage d’autoformation et de formations en situation de travail
La part d’entreprises ayant recours à des modalités de formation adaptées au contexte particulier de 2020 a fortement augmenté : 26 % ont financé des périodes d’autoformation (y compris en ligne), contre 12 % en 2015 (graphique 4). Les effectifs ayant suivi ce type de formation ont augmenté pour 37 % des entreprises concernées entre 2019 et 2020. Dans 13 % des entreprises concernées, plus de 50 % de leurs effectifs se sont autoformés.
Si cette hausse semble pouvoir être attribuée aux conséquences de la crise sanitaire, le constat est moins clair pour les formations en situation de travail (dites « fest », encadré 2), pratiquées dans beaucoup plus d’entreprises en 2020 (39 %) qu’en 2015 (24 %). La diffusion de la fest au sein des entreprises est large pour 17 % d’entre elles, où plus de 50 % des effectifs ont bénéficié de ce type de formation ; pour 37 % d’entreprises, la fest a permis de former entre 10 et 50 % des personnels, pour 46 % elle a concerné moins de 10 % des effectifs. L’augmentation des formations par rotation de postes est également conséquente (18 % en 2020 contre 8 % en 2015). Au-delà d’une adaptation conjoncturelle à la crise du Covid-19, cela pourrait révéler une hausse de l’attrait des formations dans le cadre du travail.
La part d’entreprises dont au moins une partie des effectifs participent à des conférences ou séminaires a diminué de quatre points entre 2015 et 2020. Les effectifs concernés se sont également réduits pour 35 % des entreprises qui pratiquaient ce type de formation en 2019. Cette diminution semble en partie imputable au contexte sanitaire de 2020, avec l’interdiction des rassemblements et des évènements publics.
Triplement de la part des entreprises pratiquant la formation à distance
Pour former leurs effectifs pendant la crise sanitaire, les entreprises ont dû prendre en compte l’impossibilité d’accès physique aux organismes de formation durant une partie de l’année et l’accroissement du recours au télétravail. Elles ont adapté leurs pratiques de formation, notamment en mobilisant davantage les formations à distance. Ainsi, 50 % des entreprises formatrices ont eu recours à des cours ou stages en ligne en 2020, contre seulement 16 % en 2015. En outre, ce type de formation s’est intensifié dans les entreprises qui le pratiquaient déjà : pour deux tiers d’entre elles, la proportion des effectifs formés à distance a augmenté entre 2019 et 2020.
L’importance de l’accompagnement des entreprises en 2020
Le maintien de l’effort de formation va de pair avec l’appui d’organismes externes, en particulier pour les entreprises affectées par la crise sanitaire (éclairage 2). En 2020, 35 % des entreprises de dix salariés et plus ont été accompagnées pour mobiliser des dispositifs d’aide à la formation : le plus souvent par leur Opco (27 %), mais aussi par leur branche (11 %), la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) (7 %), les chambres consulaires (4 %) ou d’autres organismes (5 %). Accompagnées, les entreprises ont plus fréquemment (77 % contre 56 %) financé des formations en cours ou stages. Elles ont également eu un recours plus intensif à la formation : 48 % de leurs effectifs ont suivi des cours ou stages, contre 39 % dans les entreprises qui n’ont pas été accompagnées.
Un accès à la formation croissant avec la taille de l’entreprise et traduisant des pratiques différentes
Au-delà du contexte conjoncturel et les évolutions structurelles, l’effort de formation reste, comme par le passé, étroitement lié aux caractéristiques des entreprises employeuses.
En 2020, la taille reste l’un des principaux déterminants de l’accès à la formation professionnelle : plus une entreprise est grande, plus elle forme ses effectifs. Ainsi, en 2020, la part de salariés ayant suivi des cours ou stages passe de 15 % dans les structures employant moins de dix personnes à 61 % dans les entreprises de 1 000 et plus (graphique 5).
Inversement, la durée des formations par personne formée décroît avec la taille de l’employeur : elle passe de 91 heures en moyenne dans les très petites entreprises, à 36 heures pour les structures comptant entre 10 et 19 salariés et à 22 heures dans celles de 1 000 salariés et plus.
Ces différences peuvent en partie s’expliquer par des stratégies de formation différentes : les grandes structures forment leurs effectifs de manière plus régulière et pour des formations de plus courte durée, tandis que les petites forment moins fréquemment, pour des durées supérieures. Ainsi, la quasi-totalité des entreprises de 1 000 salariés et plus sont formatrices à la fois en 2019 et 2020. Inversement, la formation est plus cyclique au sein des petites structures [2] [5] : parmi celles de moins de 10 salariés en 2019 et 2020, seulement 12 % ont formé les deux années, près de 10 % ont formé uniquement en 2019 et 9 % seulement en 2020.
Les écarts selon la taille se reflètent également dans les domaines de formation suivis. Si les petites entreprises se focalisent sur des formations à forte composante technique, le plus souvent dans des domaines de compétences spécifiques à un métier, les plus grandes diversifient leur offre et proposent davantage des cours ou stages plus généralistes (management, commerce, langues étrangères). En particulier, le management représente un des principaux domaines de formation (en nombre d’heures) pour 49 % des entreprises de 250 salariés et plus, contre seulement
11 % de celles de plus petite taille.
2L’Opco est un organisme agréé par l'État qui a, notamment, pour but d'accompagner les entreprises de moins de 50 salariés dans la mise en place d’actions de formation professionnelle pour leurs salariés
Une proportion d’effectifs formés et des caractéristiques de formations très différentes selon le secteur d’activité
Ce recours à la formation professionnelle est très hétérogène au niveau du secteur d’activité de l’employeur, un autre des principaux déterminants de l’effort de formation des entreprises (graphique 6).
Les activités financières et d’assurance sont le premier secteur en termes d’accès aux cours et stages, avec 75 % des effectifs formés en 2020, contre 40 % dans l’ensemble des entreprises privées d’au moins un salarié. Ce résultat est à mettre en lien avec la structure des qualifications dans ce secteur, notamment la surreprésentation des fonctions intermédiaires et d’encadrement (72 %, contre 37 % en moyenne), et dont les taux d’accès à la formation sont plus élevés que ceux des autres catégories socio-professionnelles [6].
Le taux d’accès aux cours ou stages est également élevé dans l’industrie, avec 53 % des effectifs formés en 2020. Cette proportion varie toutefois nettement selon le domaine d’activité de l’employeur, s’échelonnant entre 76 % dans l’industrie pharmaceutique et 33 % dans le textile. Le secteur industriel se caractérise également par des formations de plus courte durée (de 20 heures en moyenne par stagiaire), un recours important aux formations obligatoires (34 % de l’ensemble des heures de cours ou stages, contre 24 % en moyenne, graphique 7) et un taux d’accès à la formation des ouvriers (49 %) nettement plus élevé que la moyenne (37 % pour l’ensemble des ouvriers tous secteurs confondus). Le niveau élevé de technicité des métiers industriels et l’importance des contraintes réglementaires dans le secteur expliquent ces résultats [7].
À l’inverse, une très faible proportion d’effectifs a bénéficié de formations dans l’hébergement et la restauration (19 %) ainsi que dans l’agriculture (14 %), des secteurs caractérisés par la prépondérance de petites structures et une surreprésentation de salariés occupant des postes à faible niveau de qualification, ayant généralement moins fréquemment accès à la formation. En particulier, l’hébergement-restauration se distingue par une proportion plus importante que la moyenne de formations portant sur le management et le travail en équipe. Dans les activités agricoles, ce sont les cours ou stages dans les domaines techniques ou administratifs qui ont été privilégiés.
Parallèlement, la construction ainsi que les arts et spectacles se différencient par une proportion d’effectifs formés inférieure à la moyenne (respectivement 27 % et 24 %), mais des durées de formation nettement plus longues : 55 heures pour la construction, 70 heures pour les arts et spectacles (28 heures en moyenne). Les formations dans ces deux secteurs se sont concentrées sur des techniques spécifiques, principalement sur les activités cœur de métier, ainsi que sur des formations administratives.
Enfin, les entreprises relevant des activités des services administratifs et de soutien (intérim, services de nettoyage, centres d’appels, location de véhicules…), formant un peu moins que la moyenne (33 % contre 40 %), ont consacré une part plus importante de leur effort aux formations obligatoires (35 % des heures de formation financées, graphique 8). Ce recours important aux formations réglementaires s’explique pour partie par la présence des agences d’intérim dans ce secteur, dont les personnels doivent dans certains cas présenter des habilitations particulières (sécurité renforcée, habilitation électrique, habilitations relatives à la conduite d’engins,…) [6].
Pour en savoir plus
[1] Checcaglini A., Marion-Vernoux I., Gauthier C., Rousset P. (2009), « Les entreprises forment moins quand la conjoncture se dégrade »,
Céreq Bref, n° 267, septembre.
[2] Lambert M., Lefresne F., Marion-Vernoux I. (2021), « Le système de formation permet-il de s’adapter aux chocs ? », Actes des 1ères Rencontres Céreq DGEFP, juin.
[3] Baleyte J., Bourgeois A., Favetto B., Heam J-C., Lequien M., Ralle P. (2021), « L’économie française en 2020 : une année de bouleversements », Insee Analyses n°64, mai.
[4] Dessein S., Perez C. (2021), « Rôle de la formation pendant la crise sanitaire : quelle articulation avec le chômage partiel ? »,
Dares, Rapport d’études n°020, juin.
[5] Marion-Vernoux I. (2017), « Point sur : La formation dans les petites entreprises », Céreq, décembre.
[6] Fournier C. (2006), « Les besoins de formation non satisfaits des salariés au prisme des catégories sociales »,
Formation emploi [En ligne], 95, juillet-septembre.
[7] Beraud D. (2019), « Dis-moi quel poste tu occupes, je te dirai quelle formation tu suis », Céreq Bref, n° 384, décembre.