Céreq Bref, n° 443, Août 2023, 4 p.

Comment les séniors envisagent-ils leur avenir professionnel jusqu'à la retraite ? 

Publié le
29 Août 2023

Alors que l’âge légal de départ à la retraite s’élève, comment les salariés se projettent-ils professionnellement à partir de 50 ans ? Contrairement à l’idée reçue, la grande majorité d’entre eux témoigne d’une volonté d’évolution bien plus que d’une « résistance au changement ». Qu’il s’agisse de progresser en interne, de monter en compétences ou encore de se reconvertir, ce ne sont pas les projets professionnels qui manquent aux séniors, mais plutôt les formations à même de les soutenir.

Communiqué de presse
Supplément numérique

La mise en œuvre annoncée de la réforme du système de retraite précipite un questionnement relatif à l’emploi des salariés les plus avancés dans la vie active. Plus précisément, elle interroge les conditions de poursuite de l’activité professionnelle jusqu’à 64 ans, nouvel âge légal de départ à la retraite. Selon les profils de qualification, l’ancienneté en emploi et la réalité des métiers exercés depuis l’entrée sur le marché du travail, les dernières années d’activité professionnelle ne s’annoncent pas pour tous sous les meilleurs auspices [1]. L’activité de travail et son contexte ménagent des conditions plus ou moins favorables au maintien en emploi des travailleurs les plus âgés, obligeant certains d’entre eux à réenvisager leur avenir professionnel et, parfois, à réorienter leurs trajectoires. La question se pose alors du regard que portent les principaux intéressés sur leurs perspectives professionnelles et sur les projets de formations qu’ils élaborent pour les réaliser.
Comment les salariés séniors envisagent-ils leurs fins de carrière ? Les conceptions sont très variables et dépendent du parcours professionnel antérieur, de l’histoire personnelle et de la qualité du travail exercé. Elles peuvent se traduire selon deux dimensions : par les appréciations que les personnes portent sur leur travail et leur emploi d’une part (par exemple : rémunération, possibilités d’évolution, engagement et conditions de travail) ; par la perception qu’elles ont de l’utilisation de leurs compétences d’autre part.
Pour éclairer cette question, ce Céreq Bref s’appuie sur les données du dispositif d’enquêtes sur les formations et les itinéraires des salariés (Defis, cf. encadré 1). Une série d’investigations statistiques conduit dans un premier temps à apprécier une diversité de profils parmi les plus de 50 ans. Quatre groupes de salariés séniors ressortent, qui appréhendent différemment leur avenir (cf. tableau encadré 2 et supplément numérique). Si une minorité d’entre eux jugent leur situation satisfaisante pour cheminer jusqu’à la retraite, la grande majorité affichent des perspectives professionnelles le plus souvent accompagnées de souhaits de changement et sur lesquelles l’âge, donc la potentielle proximité de la retraite, influe peu. La mise en lien de ces perspectives avec les formations souhaitées, demandées, satisfaites ou pas* et les parcours professionnels suivis, permet de souligner des points d’attention.

 

* Comme des travaux récents l’attestent [2], tout souhait de formation exprimé par les salariés n’aboutit pas nécessairement à la formalisation d’une demande de formation (ni à sa réalisation), notamment en raison des contextes d’entreprise dans lesquels ils évoluent.

« Progression en interne » : des projets à la hauteur des possibilités de promotion

Le groupe « Progression en interne » rassemble 22 % des salariés séniors. Leur parcours se caractérise jusque-là par la stabilité de l’emploi et la progression professionnelle. Ils sont plus souvent que les autres en CDI et moins nombreux à redouter la perte de leur emploi. Bien intégrés dans leur entreprise, ils sont pleinement satisfaits de leur travail qu’ils jugent intéressant et bien rémunéré. Presque tous estiment avoir encore des possibilités d’évoluer dans les prochaines années (95 % contre 25 % dans l’ensemble). Portés par cette perspective et un contexte propice au développement des compétences, ils déclarent d’importants besoins de formation et sont relativement nombreux à souhaiter se former en 2015. Surtout, ils formulent plus de demandes que les autres salariés séniors (29 % contre 18 % dans l’ensemble).
Ce groupe est principalement composé d’hommes, diplômés, occupant des postes très qualifiés. Ces salariés déclarent des rémunérations plus élevées que la moyenne des salariés de 50 ans et plus. Ils sont également les plus nombreux à travailler dans des entreprises de 1 000 salariés et plus, et au sein de secteurs relevant de la fabrication industrielle ou des activités financières et d’assurances. En outre, ils exercent plus souvent des métiers dont les conditions, compatibles avec l’avancée en âge (seulement 30 % jugent leur travail pénible contre 44 % en moyenne), leur permettent d’envisager une retraite plus tardive.

 

« Montée en compétences » : la nécessité de se former pour rester en emploi et évoluer

Ce groupe rassemble 30 % des salariés séniors. Ce sont les plus nombreux à formuler en 2015 un projet professionnel pour les 5 années à venir (93 % contre 68 % pour l’ensemble). Très investis dans leur travail (ils transmettent leurs connaissances et font des propositions pour améliorer leur poste de travail), ils déclarent cependant plus souvent que les autres être confrontés à des risques de perte d’emploi, auxquels s’ajoutent des perspectives de progression très limitées. Aussi sont-ils plus nombreux à souhaiter faire évoluer le contenu de leur activité, gagner en responsabilité et, s’il le faut, changer d’entreprise. En outre, les nombreux changements affectant leur activité imposent le maintien à niveau de leurs compétences. Leurs besoins de formation sont particulièrement criants : 83 % d’entre eux déclarent un manque de compétences. Logiquement, ils sont ainsi les plus nombreux à souhaiter se former en 2015 (66 % contre 48 % dans l’ensemble), même si seulement 21 % formulent une demande (cf. supplément numérique).
Ce groupe est composé à 38 % de femmes. Il se caractérise par une part relativement plus importante de diplômés de niveau baccalauréat. De fait, ces salariés occupent plus souvent des postes de techniciens et agents de maitrise. Plus souvent en CDI que la moyenne, ils bénéficient également d’une ancienneté relativement plus élevée dans l’entreprise. Leur travail relève davantage d’activités de gestion ou d’administration des entreprises.

« Reconversion » : une volonté de changement dans un contexte peu propice à la formation

Le groupe « Reconversion » rassemble 18 % des salariés séniors. Ce sont les moins satisfaits de leur situation professionnelle. Ils déclarent plus fréquemment des conditions de travail dégradées : travail inintéressant, pénible, qui génère de l’ennui et requiert des gestes répétitifs. Ils estiment également que leur emploi ne correspond pas à leur qualification et n’est pas suffisamment rémunéré. De plus, ils ne pensent pas avoir la possibilité d’évoluer dans leur emploi, ni que l’implication dans leur travail puisse avoir des effets bénéfiques. Tout cela les conduit à formuler des projets de changements professionnels conséquents : 37 % souhaitent changer de métier ou de profession et 30 % d’entreprise (contre respectivement 20 % dans l’ensemble). Cependant, leur environnement peu propice à l’information et à la discussion sur les possibilités de mobilités, ne semble pas favoriser l’accompagnement de leurs projets. Leur itinéraire professionnel passé illustre l’enfermement de ces salariés dans des parcours plus difficiles, marqués par le chômage, la précarité et l’absence d’évolution professionnelle. Alors que 53 % d'entre eux souhaitent se former en 2015, seuls 7 % formulent une demande (cf. supplément numérique).
C’est le groupe le plus féminisé, rassemblant des salariés moins diplômés que la moyenne des séniors et occupant davantage des postes peu qualifiés. Plus souvent à temps partiel, ils ont également les niveaux de salaires les plus bas (31 % ont un salaire inférieur à 1,3 fois le smic, contre 17 % pour l’ensemble). Deux familles professionnelles sont surreprésentées dans ce groupe : celle des métiers du transport, de la logistique et du tourisme (notamment des conducteurs de transports en commun, des livreurs) et celle des métiers de services aux particuliers et aux collectivités, avec une forte proportion d’agents d’entretien. Ces derniers, ou plutôt ces dernières, incarnent l’une des figures emblématiques de cette catégorie. Après 50 ans, tributaires d’un cheminement professionnel caractérisé par des interruptions de carrière et du temps partiel, leur situation est critique [3]. Quand bien même leur âge leur permettrait d’accéder à la retraite, le trop faible nombre d’annuités cumulées et le bas niveau des rémunérations perçues tout au long de leur parcours professionnel leur imposent souvent de continuer à travailler tout en formulant des souhaits d’évolution radicale, notamment en dehors de l’entreprise.

« Vers la retraite » : une situation jugée satisfaisante sans perspective d’évolution

Le groupe « Vers la retraite » rassemble 30 % des salariés séniors. Ce sont les plus satisfaits de leur situation professionnelle, qui leur assure stabilité de l’emploi et assurance d’être employé à leur juste valeur (cf. tableau encadré 2). Bien intégrés dans leur entreprise depuis longtemps (plus de deux tiers d’entre eux affichent une ancienneté dans l’entreprise supérieure à 10 ans), ils estiment utiliser pleinement leurs compétences dans un emploi correspondant à leur qualification. Leur vie professionnelle s’est déroulée sans changements majeurs (même métier, peu d’interruptions) et ils semblent arrivés à une étape de leur carrière qui ne ménage plus de possibilités d’évolution professionnelle. Sans surprise au regard des traits dominants mis en relief, ce sont les moins nombreux à formuler un projet professionnel et à souhaiter se former en 2015.
Ces salariés présentent des caractéristiques relativement proches de la moyenne des salariés séniors. On peut cependant relever une surreprésentation des personnes travaillant dans le transport, la logistique et le tourisme, notamment des chauffeurs routiers. C’est dans ce groupe que la part de ceux qui ont quitté l’école depuis plus de 40 ans est la plus importante (25 % contre 17 % dans l’ensemble). Probablement entrés plus tôt que les autres sur le marché du travail, le nombre d’annuités qu’ils ont cumulées leur permet d’envisager un départ prochain à la retraite.

Appréciation contrastée des séniors sur la place de la formation dans leurs parcours

Interrogés annuellement pendant 5 ans dans le cadre du dispositif Defis, les séniors apportent des réponses qui permettent, dans un deuxième temps, de rendre compte de leurs trajectoires sur le marché du travail et du développement de leurs compétences jusqu’en 2019. Âgés alors de 55 ans ou plus, comment ceux qui sont toujours actifs en 2019 apprécient-ils la place de la formation dans leurs parcours à l’aune des perspectives qu’ils entrevoyaient 5 ans auparavant (cf. tableau encadré 3) ?
Deux catégories de séniors ne semblent pas avoir rencontré d’importantes difficultés dans leur parcours. Les salariés du groupe « Vers la retraite » qui, en 2015, manifestaient le moins d’attentes au regard de leur situation, sont majoritairement retraités en 2019 (58 % contre 42 % pour l’ensemble). Ceux du groupe « Progression en interne » sont restés dans la même entreprise dans des proportions plus importantes (les trois quart de ceux encore en emploi en 2019) que les séniors des autres groupes. Ils sont par ailleurs les plus nombreux à avoir satisfait leurs souhaits d’évolution au sein de l’entreprise (cf. supplément numérique).
À l’instar de leurs parcours professionnels, leurs pratiques de formation semblent se dérouler conformément aux aspirations exprimées 5 ans auparavant, mais selon des scénarios radicalement différents pour ces deux catégories de séniors. Parmi ceux qui manifestaient le moins d’attentes (groupe « Vers la retraite »), certains, encore actifs sans doute pour peu de temps, ont en conséquence peu accédé à la formation, conformément au peu de souhaits formulés en la matière. À l’opposé, ceux du groupe « Progression en interne » font état d’une participation à la formation importante, conformément à leurs souhaits, et qu’ils jugent porteuse d’un effet favorable sur leur évolution professionnelle et leur travail.
Les deux autres catégories de séniors connaissent pour leur part des parcours plus difficiles. Les salariés du groupe « Montée en compétences » déclarent ainsi plus souvent que les autres ne pas avoir réalisé leurs souhaits d’évolution. Les parcours sont particulièrement heurtés pour les salariés du groupe « Reconversion ». Ces derniers, aux conditions de travail les plus dégradées, sont aussi ceux qui suivent les parcours les plus chaotiques (marqués par des changements d’entreprise ou des périodes importantes de chômage). Ils sont également les moins nombreux à avoir glissé vers la retraite (26 % contre 42 % dans l’ensemble). Faute de pouvoir la vivre dans des conditions décentes, une partie d'entre eux se trouve dès lors dans l’obligation économique de rester en activité.
Ainsi les parcours professionnels de ces deux groupes ne sont-ils pas à la hauteur des volontés de changement, de forte ampleur, formulées 5 ans auparavant. Plus particulièrement, ces séniors exprimaient des attentes conséquentes envers la formation. Parmi ceux du groupe « Montée en compétences », une part non négligeable a pu accéder à la formation, mais pas conformément à leurs souhaits initiaux, et avec, selon leurs propres dires, peu d’effets sur leur évolution professionnelle et leur travail. Les salariés les plus en difficulté (groupe « Reconversion ») se heurtent à un contexte d’entreprise particulièrement défavorable pour l’accès à la formation (cf. tableau encadré 2 et supplément numérique). Ils sont ainsi les plus nombreux à déclarer que leurs souhaits de formation n’ont pas été réalisés conformément à leurs vœux. Ils sont de surcroît les moins nombreux à s’être formés, et lorsque c’est le cas, c'est le plus souvent à des formations obligatoires ne permettant pas d’impulser les reconversions escomptées.

Conclusion

Dès lors, des priorités émergent clairement. Il s’agit, entre autres changements, d’envisager la formation des salariés en tenant compte des perspectives professionnelles entrevues à l’aube de la séniorité. Celles-ci ne sauraient être réduites à la nécessité de faire face à une supposée « obsolescence des compétences ». Les réorientations visant à rendre le travail soutenable jusqu’à un âge avancé appellent un investissement en formation qui soit anticipé largement en amont de l’âge critique, variable selon les métiers exercés [4]. Comme l’attestent des travaux antérieurs [5], il s’avère par conséquent essentiel de renforcer bien avant le seuil des 50 ans, a fortiori celui des 55 ans – bien tardif quand il s’agit d’envisager une reconversion à même de soutenir le maintien en emploi jusqu’à 64 ans –, la formation des personnes dans les situations les plus précaires ou les plus menacées par l’avancée en âge.
Compte tenu des enjeux mis en relief, les freins à l’emploi et à la formation des séniors demandent à être levés. En premier lieu, il s’agit de balayer les idées reçues parmi lesquelles une prétendue « résistance au changement » des séniors [6], qui entraverait l’évolution de leur activité et l’actualisation de leurs compétences. L’examen des perspectives professionnelles mises en avant par ces salariés, et des souhaits de formation qu’ils formulent pour les soutenir, contredisent ces clichés. En deuxième lieu, reste aussi à lever l’un des principaux freins à la formation des séniors qui tient dans les refus de financement des employeurs ou autres organismes de prise en charge des frais de formation, refus beaucoup plus fréquents quand il s’agit de former les séniors de l’entreprise [7].
Former les séniors pour les maintenir en emploi ? Pour beaucoup d’entre eux, c’est un des moyens à déployer pour sécuriser les fins de vie active, avec détermination et au bon moment. Car les séniors témoignent, dans leur majorité, d’un souhait d’évolution et de formation qui demeure, trop souvent, lettre morte.

Pour en savoir plus

[1] Assemblée nationale, Rapport d’information n° 4443, présenté par D. Martin et S. Viry, 2021.
[2] J.M. Dubois et E. Melnik-Olive, « La formation en entreprise face aux aspirations des salariés », Céreq Bref n° 357, 2017.
[3] A. D’Agostino, C. Fournier et C. Stephanus, « Plusieurs employeurs au cours d’une année ou l’emploi “éclaté” : situation transitoire, complément d’activité ou précarité durable », Emploi, chômage, revenus du travail, Insee références, 2020.
[4] J. Flamand, « Fin de carrière des séniors : quelles spécificités selon les métiers ? », Note d’analyse n° 121, France Stratégie, 2023.
[5] C. Fournier, « Développer la formation des “séniors” ? Deux questions préliminaires », Formation Emploi, n° 81, 2003.
[6] S. Guyot, A. Pichené-Houard, M. Gilles, « Vieillissement, maintien en emploi et dans l’emploi, retour au travail : état des lieux et perspectives de prévention », INRS, Références en santé au travail, n° 162, juin 2020.
[7] J.M. Dubois et C. Fournier, « Former les séniors pour les maintenir en emploi : quelle réalité ? », Formation continue et parcours professionnels : entre aspirations des salariés et contexte de l’entreprise, Céreq Échanges n° 15, 2020.

https://doi.org/10.57706/cereqbref-0443

Citer cette publication

Dubois Jean-Marie, Fournier Christine, Lambert Marion, Comment les séniors envisagent-ils leur avenir professionnel jusqu'à la retraite ? , Céreq Bref, n° 443, 2023, 4 p. https://www.cereq.fr/comment-les-seniors-envisagent-ils-leur-avenir-professionnel-jusqua-la-retraite