Céreq Bref, n° 406, Avril 2021, 4 p.

Débuter en CDI : le plus des apprentis

Publié le
26 Avril 2021

En priorisant la formation en situation de travail, l’apprentissage génère un double effet de proximité : entre l’apprenti et l’entreprise et entre la spécialité de formation et le métier. Il peut ainsi remplir, davantage que la voie scolaire, une fonction de pré-recrutement, ou mener à une embauche sur des emplois correspondant à la spécialité de formation suivie. Pour les apprentis du secondaire, les entreprises valorisent cette double proximité au travers d’embauches directes en CDI. Les sortants du supérieur court en apprentissage bénéficient, pour leur part, de la plus-value de cette voie de formation, quel que soit le premier emploi occupé.

Depuis plusieurs décennies, l’apprentissage s’est imposé dans le débat social comme une clé pouvant faciliter les transitions des études à l’emploi et son développement est promu sans relâche. De fait, l’apprentissage s’est étendu à de nouveaux publics, de nouveaux métiers et de nouvelles entreprises, mais les effets de cette «révolution» sont à nuancer. D’une part, l'essor des effectifs d’apprentis formés s’est  heurté,  jusqu’à ces derniers mois, au mur des « 500 000 », objectif affirmé et renouvelé par les différentes lois depuis 25 ans. Il aura fallu la crise sanitaire de la Covid-19 et le plan de soutien « 1 jeune, 1 solution» pour finalement le dépasser, fin 2020. Bien que ses effectifs aient triplé depuis le milieu des années 1970, l’apprentissage demeure en France un mode de formation  professionnelle  minoritaire  comparé  à  la  voie scolaire, loin de la place prépondérante qu’il occupe dans d’autres pays, à l’exemple de l’Allemagne (25 % des effectifs du second cycle secondaire de filière professionnelle en France, contre 89% en Allemagne, données OCDE).

D’autre part, les vertus en matière d’insertion de ce mode de formation se sont confirmées, à travers les époques,  les contextes et le renouvellement de ses publics.  Mais la nature et l’ampleur des bénéfices qu’il produit dans la transition études-emploi apparaît variable, selon le type de diplôme préparé, le segment du marché du travail visé et le contexte économique [1], [2]. Pour aller plus loin dans la compréhension de cette plus-value de l’apprentissage au  moment de l’insertion professionnelle, il faut analyser  pourquoi les employeurs privilégient les apprentis dans leurs recrutements de débutants, comment cette préférence se manifeste et par quels mécanismes elle se concrétise. Un retour sur les spécificités de la formation par apprentissage s’impose alors et permet de comprendre ce qui se joue au moment clé de l’accès au premier emploi.

L’apprentissage : spécificités génériques et effets de proximité

Les singularités de la formation par apprentissage sont susceptibles de produire, à l’issue de celle-ci, des effets sur les comportements et des apprentis, et des employeurs. Du côté des apprentis, l’immersion en entreprise pendant la formation leur fournit une expérience et une connaissance pratique du métier, du monde des entreprises et du fonctionnement du marché du travail. Ces éléments constituent des avantages informationnels dans leur future prospection. Du côté des employeurs, la formation par apprentissage envoie le signal d’un individu déjà socialisé à la condition salariale, ayant accumulé de l’expérience professionnelle et déjà passé au tamis de la sélection au moment de son recrutement par l’entreprise formatrice [3].

Au-delà de ces singularités génériques, avantage informationnel pour les uns, effet signal pour les autres, l’apprentissage présente d’autres singularités relevant de la proximité que ce processus de formation instaure entre le jeune et certaines entreprises, certains emplois, métiers, secteurs...

Cette proximité résulte d’abord du lien qui s’est construit tout au long de l’apprentissage entre le jeune et l’entreprise formatrice. Il permet en effet l'employeur-maître d’apprentissage d’évaluer l’apprenti pendant le temps de sa formation, et à ce dernier d’incorporer une connaissance de l’entreprise, de son organisation, de ses process, de ses collectifs de travail - en somme une forme de capital humain spécifique à l’entreprise. L’apprentissage remplit ainsi une fonction de pré-recrutement pour une partie des employeurs. De leur côté, les jeunes formés par la voie scolaire peuvent également espérer bénéficier de cette logique de proximité, soit à l’occasion de leur(s) période(s) de stage en entreprises imposées dans leur cursus, soit à l’occasion d’emplois occupés en parallèle de leurs études. Cependant, plusieurs facteurs suggèrent que l’apprentissage revêt une valeur de pré-recrutement plus marquée : la durabilité de la relation d’apprentissage, l’implication de l’entreprise dans l’action de formation, et le statut même de salarié détenu par l’apprenti.

La proximité concerne ensuite les compétences acquises au cours de l’apprentissage. L’alternance, en tant que mode de formation en majeure partie en situation de travail, permet de développer davantage de compétences professionnelles pratiques, des savoir-faire et savoir-être spécifiques au métier préparé. L’apprentissage élargirait et approfondirait donc la maîtrise de compétences spécifiques immédiatement mobilisables dans le métier préparé, alors que l’enseignement  professionnel scolaire est perçu comme développant des compétences plus théoriques et transversales facilitant l’adaptabilité de l’individu à une palette plus large de métiers. Dans cet esprit, l’apprentissage faciliterait, côté employeur, - et orienterait vers, côté jeune - l’accès à un métier en correspondance avec la spécialité de formation suivie.

Le premier emploi des apprentis n’est pas le premier emploi des scolaires

Compte tenu de ces effets de proximité, scolaires et apprentis accèdent à des premiers emplois qui se distinguent par l’entreprise d’embauche et dans la correspondance entre la spécialité de formation et l’emploi obtenu.
L’enquête Génération 2010 (cf. Encadré 1) montre ainsi que, quel que soit le niveau du diplôme préparé, les sortants d’apprentissage sont plus souvent recrutés dans l’entreprise fréquentée au cours de la formation que les jeunes formés par la voie scolaire. Cette situation reste cependant dans tous les cas minoritaire, voire peu fréquente. Ainsi, 25 % des jeunes sortis de formation en 2010 après un CAP-BEP en apprentissage obtiennent un premier emploi dans l’entreprise connue pendant la formation contre 14 % des scolaires (cf. Tableau 2). Pour les sortants du supérieur court, ces proportions augmentent nettement : 46 % des apprentis bac+2/+3 sont maintenus dans leur entreprise de formation à l’issue de celle-ci, contre 28 % des scolaires. L’apprentissage assure donc, davantage que la voie scolaire, une fonction de pré-recrutement.
Par ailleurs, quel que soit le niveau de diplôme préparé, les sortants d’apprentissage trouvent plus souvent un premier emploi ciblé par la spécialité de leur diplôme ; cette situation est, pour les deux populations, relativement fréquente. Ainsi, 56 % des jeunes apprentis ayant fini leur CAP-BEP ont obtenu un premier emploi en lien avec leur spécialité de formation, contre 41 % des scolaires (cf. Tableau 2). 

Au final, la combinaison de ces deux éléments, emploi obtenu ou pas dans l’entreprise connue pendant la formation et emploi en lien ou pas avec la spécialité de formation, dessinent quatre profils de premier emploi qui ne sont pas identiques chez tous les jeunes.
Pour les sortants de la voie scolaire, les effets de proximité évoqués jouent peu. Le profil dominant  est celui d’un premier emploi qui n’est ni dans l’entreprise connue pendant la formation ni en lien avec la spécialité du diplôme. Seuls les sortants du supérieur court connaissent dans des proportions similaires un premier emploi qui, bien que n’étant pas dans l’entreprise connue pendant la formation, est toutefois en lien avec la spécialité suivie. 
Pour les sortants d’apprentissage en revanche, ces effets de proximité jouent plus nettement. Les apprentis sortants du secondaire au niveau bac obtiennent plus souvent un emploi ciblé par la formation mais dans une entreprise différente de celle connue en apprentissage (43 %) qu’un emploi ni en lien avec la formation ni dans l‘entreprise d’apprentissage (26 %). Quant aux apprentis issus du supérieur court, leur premier emploi est le plus souvent à la fois dans l’entreprise connue pendant l’apprentissage et en lien avec la spécialité suivie.
Ces différents profils de premier emploi rendent compte d’appréciations différenciées des caractéristiques productives des individus, de la part des entreprises. Recruter un jeune qu’elles ont déjà pu évaluer (au cours d’un apprentissage, d’un stage effectué ou d’un emploi occupé en parallèle des études) implique une forme d’évaluation des capacités productives attendues de l’individu qui, d’une manière ou d’une autre, « convient ». De même, embaucher un jeune débutant qui s’est formé dans le métier pour lequel elles recrutent traduit, sinon une reconnaissance du diplôme, du moins des attentes spécifiques en termes de compétences ou qualifications supposées acquises dans la formation, là encore qui a priori «  conviendraient » au poste. Ces appréciations différenciées de la part des employeurs se traduisent-elles alors par des pratiques différenciées en termes de contrat de travail proposé ? Autrement dit, est-ce qu’obtenir un emploi dans l’entreprise connue pendant sa formation et/ ou occuper un poste en lien avec sa spécialité de formation augmente ses chances d’obtenir dès son premier poste un CDI ?

Les effets de proximité favorisent-t-ils l’accès au CDI ?

L’accès au CDI des sortants de la voie scolaire ne semble pas lié à la proximité des jeunes recrutés avec le poste et/ou l’employeur. Ainsi, entre 21 % et 23 % des sortants de CAP-BEP démarrent par un CDI, qu’ils soient maintenus ou pas dans l’entreprise connue pendant leur formation, qu’ils occupent un emploi en lien ou pas avec leur spécialité de formation (cf. Tableau 3). 
La situation des apprentis diffère selon leur niveau de sortie. Les employeurs d’anciens apprentis du secondaire valorisent, par un accès au CDI, l’expérience préalablement acquise dans leur entreprise : 43 % des apprentis de CAP-BEP qui obtiennent un premier emploi dans l’entreprise d’apprentissage sont embauchés en CDI, contre 25 % de ceux n’ayant pas été recrutés dans leur entreprise de formation (cf. Tableau 3). L’obtention d’un emploi ciblé par la formation suivie est également valorisée, mais dans des proportions moindres. Ainsi, 34 % des apprentis CAP-BEP ayant obtenu un emploi cible accèdent à un CDI dès l’embauche dans leur premier emploi, contre 23 % de ceux n’ayant pas obtenu un emploi cible. L’apprenti du secondaire voit donc la valorisation de son apprentissage conditionnée aux proximités évoquées, avec l’entreprise comme avec le métier.
Au niveau du supérieur court, la valorisation de l’apprentissage ne suit pas les mêmes canaux. Les anciens apprentis sont plus nombreux à être embauchés dans l’entreprise de formation que ceux du secondaire, et 50 % y obtiennent un CDI (contre 38 % de ceux embauchés dans une autre entreprise). A contrario, l’obtention d’un premier emploi ciblé par la formation ne donne pas lieu à une valorisation spécifique de la part des employeurs. 

En revanche, il ressort un effet « générique » de l’apprentissage puisque, quel que soit le type de premier emploi obtenu, il apparait statutairement davantage valorisé que la voie scolaire. À la différence de ceux du secondaire, les jeunes apprentis du supérieur court accèdent plus fréquemment à un CDI dès leur première embauche même quand ce premier emploi n’est ni dans l’entreprise formatrice ni dans un emploi ciblé par leur formation. Vis-à-vis des jeunes formés par la voie scolaire, ils bénéficient d’une « prime à l’apprentissage » matérialisée par le CDI. L’apprentissage, dans ce contexte, semble alors signaler aux entreprises un individu porteur d’un potentiel spécifique.

Une embauche en CDI lors du premier emploi
L’intérêt se porte ici sur les recrutements effectués, dès l’embauche au premier emploi, en CDI. Pourquoi ? D’une part, ce type de recrutement représente un engagement « fort » auprès de jeunes débutants, dans la mesure où les embauches en CDD se sont imposées comme la norme depuis au moins 25 ans [5]. De fait, parmi les sortants étudiés, la part des recrutements en CDI au premier emploi ne dépasse pas 26% à l’issue d’un CAP-BEP, 32% à l’issue d’un diplôme professionnel de niveau bac et 32% à l’issue d’un bac+2/+3 professionnel.
D’autre part, démarrer dans la vie active avec un CDI n’est pas neutre sur la suite du parcours professionnel [6] ; les jeunes de la Génération 2010 dans cette situation connaissent, trois ans après leur sortie du système scolaire, à la fois un risque réduit de ne plus être en emploi et une chance accrue d’être encore chez leur premier employeur. Ainsi, les risques de non-emploi à l’enquête en cas de CDI dès l’embauche au premier emploi sont divisés par respectivement 1,6 (CAP-BEP), 2,4 (bac) et 2,1 (bac +2/+3).  Les chances de pérennité du premier emploi sont multipliées par 2,6 (CAP-BEP), 4,4 (bac) et 3,4 (bac +2/+3).

Conclusion

La formation par apprentissage se traduit donc, dès le premier emploi, par une plus grande proximité des apprentis avec certaines entreprises, certains métiers, certains secteurs, qui leur permet un accès  plus fréquent à des emplois dans l’entreprise formatrice et/ou des métiers ciblés par la spécialité de leur diplôme. L’une ou l’autre de ces dimensions de l’effet de proximité sont particulièrement significatives pour expliquer l’avantage des apprentis du secondaire : c’est grâce à elle qu’ils obtiennent plus que les scolaires un CDI dès leur premier emploi. Cet avantage apparaît donc contingent, les exposant aux aléas de la conjoncture spécifique au métier préparé et à l’entreprise de formation fréquentée. Quand les perspectives d’embauche par l’entreprise formatrice ou dans le métier ciblé par la formation se réduisent, la formation par apprentissage perd de son avantage. Pour les apprentis du supérieur, en revanche, ces caractéristiques du premier emploi sont moins déterminantes car, dans tous les cas, leur passage par l’apprentissage est valorisé par rapport à la voie scolaire. L’apprentissage est, pour eux, davantage protecteur en cas de conjoncture défavorable. Ces effets différenciés rappellent que, même si l’apprentissage existe aujourd’hui à tous les niveaux de formation, celui du supérieur n’a en réalité pas grand-chose à voir avec celui du secondaire, tant au niveau de son organisation, que de son public ou encore de ses finalités [4]. 
Si l’effet bénéfique d’une formation en apprentissage est une fois de plus mise en évidence, et ce dès l’expérience délicate que peut constituer l’accès au premier emploi, il semble relativisé pour les sortants du secondaire. Surtout, il ne doit pas faire oublier les risques inhérents d’une politique ambitieuse dans la généralisation de l’apprentissage qui accorderait peu de vigilance aux véritables leviers de l’efficacité de ce dernier : les relations de proximité apprenti-entreprise.

Méthodologie
Cette étude s’appuie sur les données de l’enquête Génération conduite en 2013 pour étudier le cheminement professionnel de jeunes sortis du système éducatif en 2010. Les observations portent sur les jeunes sortant de CAP-BEP, bac professionnel, BTS, DUT et licences professionnelles, préparés par la voie scolaire ou par apprentissage. Elles comparent les jeunes sortis des deux voies de formation, restreintes aux diplômes de facto préparés par chacune d’entre elles. En utilisant la base Certif Info, les diplômes qui trouvaient des équivalents à la fois en termes de type de diplôme, de spécialité de formation et de familles d’activité professionnelle ciblées ont été sélectionnés. Par ailleurs, seuls ont été retenus les jeunes ayant obtenu au moins un emploi au cours des trois premières années qui suivent la sortie de formation. Les sortants d’apprentissage prédominent légèrement parmi les sortants de CAP-BEP (58 %), mais deviennent minoritaires au niveau bac (42 %) et bac+2 & bac+3 (20 %).
La mesure du recrutement par un employeur connu pendant la formation est permise dans l’enquête par une question qui identifie, pour la première séquence d’emploi, le fait que « avant la fin de ses études, le jeune avait déjà travaillé ou effectué un stage dans cette entreprise ». Cela inclut les situations passées de stagiaire, d’apprenti, d’intérimaire, d’emploi en CDD ou CDI, etc. Si l’enquêté répond oui et que l’embauche prend place dans les trois mois qui suivent la sortie de formation initiale, on parlera alors d’embauche dans une entreprise connue pendant la formation ou de pré-recrutement.
L’identification des emplois ciblés par une formation se base sur les informations contenues dans le référentiel d’emploi. Les emplois ciblés sont alors repérés par les familles professionnelles (première lettre du code FAP, 23 domaines) auxquels ils sont rattachés. 

Pour en savoir plus

[1] Insertion des apprentis : un avantage à interroger, A. Lopez,  E. Sulzer, Céreq Bref n°346, 2016.

[2] À l’aube de la réforme professionnelle, retour sur 20 ans d’insertion des apprentis, B. Cart, A. Léné, M.-H. Toutin, Céreq Bref n° 370, 2018.

[3] « L’apprentissage et le chômage des jeunes : en finir avec les illusions », J.-J. Arrighi, Revue française de pédagogie, 183, p. 49-57, 2013.

[4] « Apprentissage : une singulière métamorphose », G. Moreau, Formation Emploi n°101, p. 119-133, 2008.

[5] CDD, CDI : comment évoluent les embauches et les ruptures depuis 25 ans ?, K. Milin, DARES analyses n°026, juin 2018.

[6] « Les contrats à durée limitée : trappes à précarité ou tremplins pour une carrière ? », O. Bonnet, S. Georges Kot, P. Pora, Insee Références – chômage, emploi, revenus du travail, p. 47-60, 2019.

Citer cette publication

Couppié Thomas, Gasquet Céline, Débuter en CDI : le plus des apprentis, Céreq Bref, n° 406, 2021, 4 p. https://www.cereq.fr/debuter-en-cdi-le-plus-des-apprentis