Céreq Bref, n° 456, Septembre 2024, 4 p.

Les diplômés de master universitaire ont-ils tous les mêmes débuts de vie active ?

Publié le
12 Septembre 2024

Corollaire de la hausse générale du niveau de diplôme, la part de jeunes entrant sur le marché du travail avec un master ne cesse d'augmenter. Si ce diplôme est un des plus hauts niveaux de sortie d'études, ses détenteurs n'ont pourtant pas tous la même insertion professionnelle. Comment expliquer ces différences de trajectoires entre des jeunes de même niveau de diplôme ? L'enquête Génération du Céreq, qui permet de suivre les premières années de vie active des jeunes sortis diplômés de master en 2017, apporte des éléments de réponse.

Communiqué de presse

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L'allongement des parcours éducatifs a entraîné une forte hausse des inscriptions en master, même si le taux de poursuite dans ce niveau après une licence semble avoir diminué depuis la réforme de l'accès au master adoptée en 2017. Ce diplôme de niveau bac+5, le plus haut hors doctorat, est aujourd’hui l'un des principaux délivrés par les universités françaises. En dix ans, le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail avec un diplôme national de master a plus que doublé. Cette massification s’accompagne d’une diversification des profils et des parcours scolaires des étudiants [1], autant d’éléments qui influencent à la fois la réussite au diplôme et la trajectoire professionnelle [2]

L’étude des trois premières années de vie active des sortants diplômés de master en 2017, grâce aux données de l’enquête Génération conduite par le Céreq (voir encadré 1), montre que leur insertion professionnelle est plus favorable que celle des jeunes entrant sur le marché du travail cette année-là avec un niveau de diplôme inférieur. Ils décrochent leur premier emploi en trois mois en moyenne. Trois ans après l’obtention de leur master, 85 % sont en emploi (contre 71 % de l’ensemble de la cohorte), 9 % en recherche d’emploi, 2 % en reprise d’études et les 4 % restants dans une autre situation (démarches de création d’entreprise, inactivité pour raisons de parentalité, etc.). 

Parmi les jeunes en emploi en octobre 2020, 81 % occupent un emploi à durée indéterminée (EDI*) et, gagnent en moyenne 2 170 euros nets mensuels. Si, avec un bac+5 en poche, le niveau attendu de qualification d’emploi est celui de cadre, seule la moitié des premiers emplois des diplômés de master sont de ce niveau. Cette tendance se poursuit après trois ans de vie active : en octobre 2020, seuls 63 % des jeunes en emploi occupent un poste de cadre. À titre indicatif, à cette date, les diplômés de niveau bac+5 hors master (voir encadré 1) sont 91 % à être en EDI, 75 % sont cadres et ils gagnent en moyenne 2 570 euros nets mensuels. 

Cependant, même avec ce niveau de formation élevé, des différences notables de trajectoires professionnelles et de conditions d’emploi sont observées entre les diplômés de master. Présentes dès le premier emploi, ces différences perdurent tout au long des premières années de vie active. Comment expliquer cette hétérogénéité alors même que ces jeunes entrent sur le marché du travail avec le même type de diplôme en poche ? Le diplôme national de master a-t-il une valeur inégale selon l’individu qui le détient ? Si l’influence des caractéristiques individuelles et scolaires a déjà été mise en évidence [3], qu’en est-il notamment de la spécialité du master et de la voie de formation (alternance ou voie scolaire) ?

Des trajectoires d’insertion professionnelle variées et inégales

La diversité des parcours d’insertion est mise en évidence par la construction de trajectoires-type, regroupant les individus selon la proximité des situations vécues et en particulier la qualité des emplois occupés, mois par mois, durant leurs trois premières années de vie active (voir encadré 2). 

Le parcours-type no1 (voir encadré 3), qualifié comme le plus favorable et dominé par la présence d’emplois de cadres et de revenus supérieurs à la moyenne des masters, concerne un jeune diplômé de master sur quatre. L’emploi domine dans les cinq premières trajectoires malgré des conditions d’emploi variables. Dans chacune d’elles, 86 % des trois premières années de vie active en moyenne sont consacrées à l’emploi, sauf pour la quatrième trajectoire avec 79 % du temps en emploi. Cette dernière se distingue par une plus grande prévalence d’emplois à durée déterminée. Parmi ces cinq trajectoires, on remarque une répartition inégale des individus selon le secteur d’activité. Par exemple, la part d’individus travaillant au sein d’établissements publics est la plus importante dans les trajectoires marquées par des emplois de cadres avec des revenus inférieurs à la moyenne (42 % pour la 3e trajectoire et 57 % pour la 4e). De même, environ 22 % des individus empruntant les trajectoires no2 et 3 occupent un emploi dans l’enseignement en octobre 2020 (enseignants du primaire pour la 2e et du secondaire pour la 3e). La trajectoire no5, avec des non-cadres gagnant plus de la moyenne, se caractérise par une surreprésentation des métiers du commerce et réparation automobiles, ainsi que des activités financières ou d’assurance. 

Les jeunes empruntant la 6e trajectoire ont passé plus de la moitié de leurs trois premières années de vie active en reprise d’études ou en inactivité et un peu moins d’un tiers du temps en emploi. La reprise d’études débute en moyenne deux ans après la sortie du système éducatif, précédée dans 77 % des cas d'une première expérience d’emploi, et dans 66 % des cas d'une période de chômage. 

Enfin, la dernière trajectoire regroupe les 16 % des diplômés de master connaissant l’insertion la plus difficile, avec 30 % du temps passé au chômage et près de la moitié du temps passé dans des emplois aux conditions les moins favorables sur les trois critères considérés (voir encadré 2). 

Près de neuf diplômés de master sur dix en emploi à la date de l’enquête déclarent se réaliser professionnellement (47 % répondent « oui tout à fait » et 40 % « oui plutôt »). Les jeunes des 2e et 7e trajectoires en emploi à cette date sont les moins nombreux dans ce cas, mais restent cependant à un niveau élevé de réalisation professionnelle (respectivement 82 % et 80 %).

Le rôle déterminant de la spécialité du master sur les parcours

La spécialité de formation apparait comme un élément important de compréhension de cette disparité des parcours. En effet, les spécialités sont liées à des secteurs aux modes de gestion de la main-d’œuvre et aux types de marchés du travail différents, qu'ils soient en plein essor comme l'informatique ou structurellement plus limités en opportunités d'emploi comme la culture. Ces différences entraînent de fortes inégalités à l’insertion selon l'emploi recherché. 

À profil égal par ailleurs, les jeunes détenteurs d’un master spécialisé dans l’informatique et réseaux, secteur en plein essor, ont ainsi les chances les plus élevées d’emprunter la meilleure trajectoire d’insertion professionnelle. Ils sont suivis de très près par les titulaires d’un master spécialisé en Banque et finance. À l’inverse, les diplômés en Arts et lettres, spécialités débouchant principalement sur des secteurs où les postes sont rares et plus précaires, ont les chances les plus faibles de suivre ce parcours. Ils sont suivis par les diplômés des spécialités Éducation et formation, puis Sciences naturelles et de la vie et Sciences humaines et sociales. 

Un individu combinant les caractéristiques les plus communes** dans l’enquête a une probabilité estimée à 23 % de suivre la meilleure trajectoire. Avec les mêmes caractéristiques mais en possédant un diplôme en Informatique et réseaux plutôt qu’en Gestion des échanges et des ressources (profil de référence), cette probabilité passe à 54 %. En effet, près de 59 % des diplômés en Informatique et réseaux empruntent la meilleure trajectoire, contre seulement 7 % des diplômés en Arts et lettres (voir encadré 4). Ces derniers ont, toutes caractéristiques égales par ailleurs, une probabilité de seulement 6 % de connaitre cette trajectoire. De plus, ils gagnent en moyenne environ 500 € de moins que les diplômés en Informatique et réseaux. Les diplômés en Arts et lettres, comme les diplômés en Services à la collectivité, ont d’ailleurs le plus de risques d’emprunter la trajectoire la plus défavorable, suivis par les spécialités de Sciences naturelles et de la vie, Sciences économiques et Commerce et vente. 

À mesure que la correspondance entre la spécialité de formation et le poste occupé augmente, la proportion de jeunes empruntant la meilleure trajectoire professionnelle s’accroît (voir tableau encadré 4). Les diplômés en Informatique et réseaux occupent ainsi le plus souvent (94 %) un emploi plutôt ou totalement en adéquation avec leur formation initiale. À l’inverse, pour les spécialités Arts et lettres et Sciences naturelles et de la vie, l’adéquation entre la formation et l’emploi occupé après trois années sur le marché du travail est la plus faible, signe du manque de débouchés ou des conditions plus difficiles que les emplois cibles proposent pour ces deux spécialités. Ainsi, pour la spécialité Arts et lettres, beaucoup de jeunes estimant exercer un métier sans lien fort avec leur diplôme occupent des postes dans l’enseignement (surveillants, assistants d’éducation et enseignants), d’assistants de la communication, de la publicité et des relations publiques ou encore des emplois dans le commerce et la restauration. Pour les diplômés en Sciences naturelles et de la vie, les métiers les plus couramment exercés jugés par les jeunes comme ayant peu ou pas de lien avec leur formation sont ceux de techniciens ou ingénieurs de recherche et développement de l’industrie. 

Les diplômés en Arts et lettres, tout comme les diplômés en Communication et médias, Services aux personnes, Sciences juridiques et politiques et Sciences humaines et sociales sont quant à eux les plus susceptibles d’emprunter la trajectoire marquée par une reprise d’études. Une fois pris en compte l’effet de la spécialité de formation sur les parcours des jeunes, quelles autres caractéristiques influencent leurs trajectoires professionnelles ?

L’alternance favorise l’accès aux meilleures conditions d’emploi

Deux jeunes diplômés de master sur dix (22 %) ont préparé leur dernière année de formation en alternance, principalement (70 %) par le biais d’un contrat d’apprentissage. Toutes choses égales par ailleurs, les étudiants alternants lors de leur dernière année d’études ont 1,4 fois plus de chances d’emprunter la meilleure trajectoire que les non-alternants. Parmi les premiers, 33 % ont déjà travaillé précédemment (plusieurs fois pour 15 % d’entre eux) dans l'entreprise qui les embauche après l’obtention de leur master, contre 29 % des non-alternants (plusieurs fois pour 8 %). Cela explique en partie les meilleures conditions d’insertion des jeunes alternants. L’alternance « protège » également du chômage : en effet, ces derniers ont 1,6 fois moins de risques que les non-alternants d’emprunter la trajectoire la plus défavorable. À noter que certaines spécialités sont plus ouvertes que d’autres à l’alternance qui est donc présente de manière inégale selon les formations, allant de 5 % en Arts et lettres à 51 % en Gestion et ressources humaines (voir encadré 4).

Les diplômes intermédiaires conservent leur importance

L’influence des composantes du parcours d'études sur le niveau de diplôme atteint, démontrée à de nombreuses reprises [3], se poursuit dans les trajectoires d’entrée dans la vie active. En effet, les jeunes ayant obtenu un BTS ou un DUT avant leur diplôme national de master ont moins de chances que les autres d’emprunter la meilleure trajectoire d’insertion. Les titulaires d’un DUT, poursuivant souvent en master à l’université à défaut d’avoir pu intégrer une grande école, ont plus de risques d’emprunter la moins bonne trajectoire. On note également que les jeunes ayant mis fin à leurs études pour des raisons personnelles ou familiales ou à cause de l’éloignement géographique de la formation souhaitée ont respectivement 1,2 et 1,4 fois plus de chances d’emprunter la moins bonne trajectoire d’insertion.

Une meilleure insertion pour les hommes et les diplômés en Île-de-France

Alors qu’ils ne représentent que 40 % des diplômés de master, 57 % des jeunes empruntant la meilleure trajectoire professionnelle sont des hommes. En effet, à profil égal par ailleurs, ils ont 1,4 fois plus de chances d’emprunter cette trajectoire que les femmes. À l’inverse, les femmes, en particulier celles qui ont des enfants, ont plus de chances (resp. 1,2 et 1,6 fois) de suivre la trajectoire la plus défavorable. 

Les jeunes diplômés habitant en Île-de-France lors de leur dernière année d’études ont deux fois plus de chances de connaître la meilleure trajectoire d’insertion possible que les jeunes habitant en métropole hors Île-de-France. Ils ont également près de deux fois moins de risques d’emprunter la moins bonne trajectoire d’insertion.

L’influence de l'origine sociale sur l’insertion

La sélection selon l’origine sociale opérée sur la trajectoire scolaire se poursuit lors de l’entrée dans la vie active. Les diplômés dont les deux parents étaient cadres à la fin des études ont 1,3 fois plus de chances que ceux issus de ménages intermédiaires (sans parent cadre avec au moins un parent actif) de débuter leur vie active avec des emplois de cadre bien rémunérés. À l’inverse, ceux dont les deux parents étaient inactifs ont 1,6 fois moins de chances d'avoir une telle insertion, et 1,5 fois plus de risques de connaître des périodes de chômage et de moins bonnes conditions d'emploi, suivis par les ménages composés d’un(e) employé(e) et d’un(e) ouvrier(ère). Les enfants de père étranger ont également un peu plus de chances de connaître des conditions d'insertion favorables, comme le montrent d’autres travaux du Céreq [5]. En revanche, les jeunes vivant à la fin de leurs études dans un quartier prioritaire de la ville sont plus susceptibles de connaître des périodes de chômage et de moins bonnes conditions d'emploi.

Conclusion

Les premières années de vie active des jeunes diplômés de master varient largement en fonction de la spécialité de formation et des modalités de préparation du diplôme. D’autres facteurs, telle l’origine sociale, jouent également. Tous les masters n’ont toutefois pas les mêmes objectifs formatifs ni d’insertion professionnelle, certains étant davantage axés sur la poursuite en doctorat ou la recherche. La plateforme « Mon Master », mise en place pour la sélection des formations, puis des étudiants à la rentrée 2023, intègre une hiérarchisation de leurs vœux. Les étudiants optent-ils en priorité pour les masters offrant les meilleures perspectives d’emploi ? Cette hiérarchisation va-t-elle dès lors renforcer les différences de publics entre les masters et selon les universités ? On peut ainsi se demander si ce nouveau mode d’accès au master accentuera l’hétérogénéité des trajectoires professionnelles observée chez les diplômés des années précédentes.

En savoir plus

[1] «Parcours et réussite en master à l'université : les résultats de la session 2022 », J. Kliepfel, Note Flash n028, MESRSIES, 2023. 

[2] Enseignement supérieur : nouveaux parcours, nouveaux publics. Couppié T., Dupray A., Gasquet C, Lemistre P. (coord.),- Céreq Essentiels, n°3, 146 p., 2021. 

[3] « Démocratisations ségrégatives et parcours éducatifs des bac+5 : une étude pour trois générations de diplômés de bac+5 », P. Lemistre, Lien social et Politiques, (89), 2022. 

[4] Après l’enseignement supérieur… des parcours professionnels marqués par la crise sanitaire, D. Epiphane, F. Merlin, E.L. Wierup, Céreq Etudes, n° 41, 2023. 

[5] « L’accès à l’emploi des immigrés et enfants d’immigrés de la Génération 2017 », S. Jugnot, Céreq Bref, n° 434, 2023.

Citer cette publication

Robert Alexie, Akkouh Maryam, Les diplômés de master universitaire ont-ils tous les mêmes débuts de vie active ?, Céreq Bref, n° 456, 2024, 4 p. https://www.cereq.fr/diplomes-master-universitaire-insertion