Céreq Bref, n° 420, March 2022, 4 p.

Crise sanitaire et formation professionnelle : le temps libéré ne suffit pas pour se former

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18 March 2022

Pendant la crise sanitaire, la formation professionnelle a été mise en avant comme un élément central de la reprise économique et de la sécurisation des parcours. Comment le contexte marqué par le chômage partiel, les incitations des pouvoirs publics à former les salariés, l'accroissement de l'offre de formation à distance et le déploiement massif du télétravail s’est-il répercuté sur la formation des salariés ? Les premiers résultats de l’enquête Impact réalisée par le Céreq au printemps 2021 identifient les principaux leviers et obstacles de l’accès à la formation durant cette période.

 

Communiqué de presse
Supplément numérique

Dès le début de la crise sanitaire, la formation professionnelle continue a été mise en avant par les pouvoirs publics comme un moyen de maintenir et développer les compétences « qui seront au cœur de la relance dans l’après-crise  » (circulaire du 9 avril 2020)  [1]. Dans un contexte marqué par un recours sans précèdent au chômage partiel1 et au télétravail massif, l’objectif était de préserver l’emploi tout en incitant les entreprises et les salariés à mettre le temps libéré au service de la formation. Dans ce but, le dispositif FNE-Formation, initialement conçu comme une mesure d’appui aux mutations économiques pour les entreprises de moins de 250 salariés, a été élargi et repensé comme incitation à la formation. La prise en charge de coûts pédagogiques pour toutes les entreprises en activité partielle et, depuis 2021, pour celles en difficulté, leur permet, indépendamment de leur taille, de former leurs salariés quel que soit leur niveau de qualification.

Face à l’impossibilité de proposer des formations en présentiel durant le premier confinement, le ministère du Travail a annoncé, début avril 2020, la mise à disposition massive de ressources pédagogiques en ligne par des organismes de formation. Le nombre de formations à distance proposées dans le cadre du Compte personnel de formation (CPF) a doublé durant cette période, et le taux de recours au CPF a fortement augmenté en 2020 [1]2 . Dans ce nouveau contexte, comment les salariés ont-ils perçu les opportunités de formation  ? Lesquels d’entre eux ont pu les saisir et grâce à quels leviers ? La possibilité offerte aux entreprises bénéficiant des mesures du chômage partiel, de financer intégralement certaines formations a-t-elle permis aux salariés habituellement éloignés de la formation d’y accéder ? Pour répondre à ces questions, le Céreq a réalisé, au printemps 2021, une enquête ad hoc auprès des salariés précédemment suivis dans le cadre du dispositif Defis (cf. encadré 1).

  • 1Outil de prévention des licenciements économiques, l’activité partielle permet à l’employeur en difficulté de faire prendre en charge tout ou partie de la rémunération de ses salariés. L’activité partielle de longue durée (APLD) est destinée aux entreprises confrontées à une réduction durable de leur activité. Elle nécessite la signature d’un accord collectif. Selon la Dares, en avril 2020, 8,4 millions de salariés ont été en chômage partiel, et ils étaient encore 2,9 millions (soit environ 16 % des salariés du privé) en novembre 2020.
  • 2La hausse du recours au CPF (2,8 % de la population active contre 1,5 % en moyenne entre 2016 et 2019) est, au moins en partie, attribuable à la mise en place de l’application « Mon compte formation » en novembre 2019. [2]

Un taux d'accès à la formation globalement stable et toujours marqué par des inégalités

Au total, plus de 40 % des salariés déclarent avoir suivi ou entamé une formation entre mars 2020 et mai 2021, tous types de formations confondus (y compris les VAE et les bilans de compétences). Ce taux d’accès à la formation est proche du taux annuel moyen calculé pour la même période en 2018- 2019. L’accès à la formation reste inégal selon les caractéristiques de l’emploi des salariés : la moitié des cadres contre un tiers seulement des ouvriers ont déclaré avoir suivi au moins une formation, alors que pour les professions intermédiaires et les employés les taux d’accès sont proches. Les salariés des grandes entreprises et ceux en CDI à temps plein ont été plus nombreux à se former, comparativement à ceux en CDD ou à temps partiel. Globalement, durant l’année observée, les femmes ont été plus nombreuses à suivre des formations et pour des durées plus longues que les hommes. Toutefois, la présence d’enfants en bas âge diminue significativement leurs chances de se former, ce qui n’est pas le cas pour les hommes. Ainsi les contraintes familiales semblent avoir pesé sur l’accès à la formation des femmes durant le premier confinement (mars-mai 2020), ce que confirme le résultat suivant : 14 % des formations suivies par les femmes en 2020 l’ont été lors du premier confinement, contre 21  % de celles suivies par les hommes.

S’agissant du regard porté sur l’évolution de l’offre de formation pendant la période de crise sanitaire, l’impression d’une offre élargie est plus présente chez les plus diplômés : c’est le cas de 20 % des diplômés au niveau bac+5, contre 12 % des titulaires au plus d'un bac (cf. supplément numérique).

Selon les catégories de qualification ou de diplôme des salariés, on observe des écarts quant aux types et modalités de formations suivies. Plus de la moitié de celles suivies par les ouvriers sont règlementaires ou «  obligatoires  »  : formations hygiène et sécurité Caces et autres permis, habilitations, formations aux normes etc., alors qu’elles représentent à peine un tiers des formations suivies par l’ensemble des salariés. En revanche, moins de 10 % des formations suivies par les ouvriers sont en lien avec le numérique, contre 29 % de celles suivies par les cadres.

Les formations à distance ont surtout bénéficié aux plus qualifiés et aux télétravailleurs

Avec le passage des formations au mode distanciel, plus de 60 % des salariés formés durant la période déclarent l'avoir été au moins une fois à distance. Sur l’ensemble des formations suivies, un peu moins de la moitié (45  %) l’ont été exclusivement à distance. Le développement de l’offre en distanciel semble avoir particulièrement profité aux plus qualifiés et aux télétravailleurs, les deux caractéristiques allant généralement de pair. En effet, la moitié de ces formations ont été suivies par les cadres, tandis que plus de la moitié des formations en présentiel l'ont été par les employés et ouvriers (cf. encadré 2). Ayant moins accédé à la formation dans l’ensemble, les non-télétravailleurs (soit la quasi-totalité des ouvriers et plus de 70 % des employés) ont rarement accédé à la formation à distance (14 % seulement contre 40 % des télétravailleurs). Lorsqu’ils se sont formés, ces derniers l’ont fait plutôt en présentiel, notamment en situation de travail (FEST)1 . Ainsi, 44 % des ouvriers formés et plus de la moitié des formés sans diplôme ou d’un niveau inférieur au bac déclarent avoir suivi une FEST, contre près d’un tiers de l’ensemble des salariés formés.

  • 1Le terme FEST est ici utilisé de façon générique, sans que l’on puisse dire s’il s’agit du recours à l’AFEST (action de formation en situation de travail), dispositif issu de la loi du 5 septembre 2018.

Le rôle déterminant de l’employeur dans l’accès à la formation des salariés

Parmi les éléments permettant d’expliquer les disparités d’accès à la formation, l’information et les propositions reçues de l’employeur semblent déterminantes. Au-delà de l'intention de se former, l'accès effectif à la formation est fortement lié au fait d’avoir reçu une proposition de formation de la part de l’employeur [3]. Durant la période observée, près de 41 % des salariés déclarent avoir reçu au moins une proposition de formation, et un tiers au moins une venant de l’employeur (cf. encadré 3).

L’entreprise est de loin la principale source de propositions (pour plus de 80 % des salariés concernés), loin devant les organismes de formation et les réseaux professionnels. Les propositions de l'entreprise s'adressent cependant plus souvent aux catégories les plus qualifiées : 42 % des cadres et 38 % des professions intermédiaires ont reçu une proposition de formation de leur employeur, contre seulement 25  % des employés et 27  % des ouvriers. A contrario, les salariés sans diplôme ont été les plus nombreux à déclarer n’avoir reçu aucune proposition de formation de la part de leur employeur (76 % contre 67 % en moyenne), de même que les salariés en contrat à durée déterminée ou à temps partiel (respectivement 76 et 85 %).

Si le temps dégagé par le chômage partiel ne suffit pas pour se former..

Le recours au dispositif de chômage partiel puis d’APLD (Activité partielle de longue durée), combiné à la possibilité de proposer des formations gratuites aux salariés, a-t-il influencé les comportements des entreprises en matière de formation ? La mise en regard de deux populations comparables, l'une ayant connu le chômage partiel, l'autre pas, n'a pas permis de mettre en évidence un impact positif de la mesure du chômage partiel sur les propositions et l'accès à la formation, et ce quelle que soit la catégorie des salariés (cf. supplément numérique). En revanche, c’est bien le contexte productif de l’entreprise qui explique le recours à la formation, y compris en temps de crise, notamment lorsqu’il y a eu introduction d’un nouveau produit ou d’un nouvel outil numérique. Au regard des résultats observés auprès des salariés, le recours sans précédent au chômage partiel ne semble donc pas avoir transformé fondamentalement les pratiques des entreprises en matière de formation. En témoigne également le fait qu’à caractéristiques individuelles et d’emploi équivalentes, pendant la période de crise, les chances de recevoir une proposition de formation de l’employeur sont plus grandes pour les salariés ayant déjà suivi des formations auparavant.

Si les pratiques de formation ont dû être ajustées aux contraintes du contexte sanitaire par les entreprises déjà formatrices avant la crise, avec notamment le passage à distance ou en mode hybride de certaines formations, les entreprises jusque-là non formatrices ne semblent pas avoir particulièrement saisi le dispositif de chômage partiel à des fins de formation.

Au total, environ un tiers des formations suivies par les salariés durant l’année observée relèvent de leurs demandes. Ces formations visaient plus souvent un changement de métier ou d’emploi (respectivement 39 et 51  % contre 16 et 17  % en moyenne), alors que pour l’ensemble des formations suivies, les objectifs concernaient plutôt l’efficacité au travail (72  %), l’accompagnement ou la préparation d’un changement dans l’activité (respectivement 47 et 44  %) et la prise de responsabilités (32 %). Pour 16 % des salariés (plus souvent les employés) ayant fait une demande de formation ou ayant suivi des formations à leur propre initiative, c’était en lien avec la crise. Mais celle-ci a par ailleurs empêché les projets de formation de près d'un tiers des salariés qui ont reçu une proposition ou en avaient fait la demande. Les employés, catégorie plus féminisée, évoquent plus souvent les contraintes personnelles (13 % contre 8 % en moyenne), les cadres avancent plus souvent un emploi du temps trop chargé (44 % contre 26 % en moyenne, cf. supplément numérique).

...le contexte de crise a ouvert des opportunités pour certains salariés

Le contexte spécifique à la crise sanitaire a pu, sous certaines conditions, être favorable à la formation, y compris pour une partie des salariés qui en sont habituellement éloignés. Ainsi, près d’un quart des salariés non formés entre 2014 et 2020 ont suivi au moins une formation, entamé une VAE ou un bilan de compétences entre mars 2020 et mai 2021. Certaines caractéristiques de cette population évoquent celles des publics les plus éloignés de la formation : les salariés à temps partiel, ceux des petites entreprises (moins de 10 salariés). Parmi ces salariés formés pour la première fois depuis 2014, 11 % déclarent avoir entamé une VAE (contre seulement 4 % des salariés formés au moins une fois depuis 2014), et 9 % un bilan de compétences (soit un peu plus que les salariés déjà formés auparavant, 7 %).

Ces salariés formés pour la première fois depuis 2014 se distinguent par leurs perceptions plus favorables des possibilités de formation durant cette année particulière. En effet, ils sont les plus nombreux à considérer que l’offre de formation s’est élargie (32  % contre 14  % de l’ensemble des salariés), qu’ils ont eu plus de temps disponible pour se former (36  % contre 23  % de l’ensemble des salariés) et que les occasions de s’informer sur la formation ont été plus fréquentes (20 % contre 9 % de l’ensemble des salariés, cf. encadré 5). Enfin, ils sont plus nombreux à avoir été en contact avec un conseiller en évolution professionnelle (24  % contre 7 % de l’ensemble des salariés).

La crise révélatrice des conditions favorables à la réalisation d’un projet

Si le chômage partiel à lui seul n’a pas été déterminant dans le fait d’accéder à la formation pour les salariés concernés, la combinaison du temps ainsi dégagé avec d’autres facteurs d’ordre personnel (en particulier les conditions familiales) et professionnel (pratiques de formation de l’entreprise), a pu favoriser le recours à la formation, notamment pour des projets déjà muris en amont (cf. encadré 4). La crise sanitaire a ainsi été révélatrice de la pluralité des leviers et des obstacles à la formation des salariés. Les mesures de chômage partiel combinées à la réduction du coût de la formation pour les entreprises n’ont pas substantiellement modifié les constats habituellement portés sur l’accès à la formation, mettant en lumière les multiples conditions personnelles et professionnelles à réunir. Au-delà du temps dégagé, l’élargissement de l’offre, une meilleure information et le recours au conseil en évolution professionnelle apparaissent comme des leviers importants. D’autres facteurs, comme des pratiques d’entreprise favorables à la formation et une situation familiale propice sont également centraux. Cela est d’autant plus le cas lorsque la formation accompagne un projet professionnel.

4. Le temps dégagé par le chômage partiel, facteur favorable mais pas suffisant : éléments qualitatifs [4] 
Certains salariés ont mis à profit le chômage partiel pour se lancer dans la réalisation d’un projet professionnel et se former. C’est le cas de Mme Ferrier (nom fictif), 40 ans, mariée, 1 enfant, diplôme de niveau bac, esthéticienne/conseillère de vente en CDI depuis 20 ans dans un grand groupe. Elle a saisi l’opportunité offerte par le chômage partiel long pour entamer une VAE en vue d’une reconversion en tant que professeur en école d’esthétique  : «...j'ai entamé une démarche après le premier confinement, dans l'été, ça fait longtemps que ça me trotte dans la tête, c’est-à-dire travailler dans mon métier mais dans l'enseignement. Et pour ça j'ai fait des enquêtes auprès des écoles et j'ai déjà postulé dans... des écoles d'esthétique, il faut le BTS que je n'ai pas. Je n'en ai pas parlé à mon employeur mais il a fallu que je fasse des démarches pour passer une VAE, et je me suis dit c'est la bonne année parce qu'on est à l'arrêt, on a moins de travail, le confinement, ... et donc j'ai lancé la démarche ». Si la démarche est personnelle, le contexte de son entreprise est facilitateur : une plateforme numérique permet aux salariés, bien avant la crise, d’accéder à des contenus pédagogiques selon leurs besoins, des entretiens professionnels sont conduits et le CEP est régulièrement abordé, des formations sont également proposées par les fournisseurs. Elle a une vision positive de la formation : il y a quelques années, lors du rachat de son institut par le groupe, elle a bénéficié d’une formation-voyage de plusieurs jours avec des intervenants issus des « écoles réputées » qui lui a beaucoup apporté « en termes de développement personnel ».

 

Conclusion

Signé le 15 octobre 2021, l’accord cadre interprofessionnel visant à adapter la loi Avenir professionnel a remis le principe de co-responsabilité du salarié et des entreprises dans le développement des compétences au cœur des enjeux. Les éléments centraux des négociations sociales à venir que sont l’accompagnement et le conseil en évolution professionnelle, le CPF, l’accès élargi aux dispositifs de reconversion et les incitations des entreprises à former leurs salariés, permettront-ils de relever les nouveaux défis posés par la crise ?

1. Présentation de l’enquête Impact
L’enquête Impact (Impact de la crise sanitaire sur les Mobilités, les Projets, les Aspirations professionnelles, les Compétences et le Travail) a été réalisée entre mars et mai 2021. Elle a bénéficié de la participation financière de la Dares, dans le cadre de l’appel à projets de recherche sur « L’impact de la crise sanitaire sur les compétences et la formation professionnelle », organisé sous l’égide du conseil scientifique de l’évaluation du Plan d’Investissement dans les Compétences. Elle a pris appui sur le dispositif d’enquêtes couplées Entreprise – Salariés Defis, consacré aux formations et itinéraires des salariés, conduit par le Céreq en cinq vagues d’interrogations (de 2015 à 2019) en partenariat avec France compétences. L’échantillon de Défis est représentatif de l’ensemble des salariés ayant travaillé au cours du mois de décembre 2013 dans les entreprises de 10 salariés et plus du secteur marchand.
Le volet statistique de l’enquête Impact contient 2 728 répondants, dont 2 340 étaient salariés en mars 2020. Ont été interrogés les répondants à la vague 4 (2018) et/ou à la vague 5 (2019) de Defis. La période couverte par l’enquête Impact s’étend de mars 2020 à mars-mai 2021 (selon la date de l’interrogation).
Un volet qualitatif a permis de réaliser des entretiens semi-directifs auprès d’une vingtaine de personnes ayant répondu à la dernière vague de Defis fin 2019. S’intéressant plus particulièrement aux effets de la crise sur les projets et aspirations professionnels, notamment des salariés moins qualifiés, le volet qualitatif a également mis au jour les effets de la crise sanitaire sur le travail et les apprentissages, la formation professionnelle durant le confinement, la mobilisation et l’apport des différents dispositifs publics.

Pour en savoir plus

[1] « Préserver l’emploi. Le ministère du travail face à la crise sanitaire », Cour des comptes, Rapport public thématique, 2021.

[2] « Le compte personnel de formation en 2020. Une hausse sans précédent des entrées en formation », J. Bismuth, M. Valero, Dares Résultats n° 59, Oct. 2021.

[3]  « Le dispositif d’enquêtes Defis : un nouveau regard sur la formation en entreprise », J-M. Dubois, I.Marion, E. Noack, Céreq Bref n° 344, 2016.

[4] Quels effets de la crise sanitaire sur les projets et aspirations professionnels ? Volet qualitatif du projet Impact, A. D’Agostino, C. Galli, E. Melnik-Olive, Céreq Etudes n° 37, 2022..

Mention the publication

Melnik-Olive Ekaterina, Crise sanitaire et formation professionnelle : le temps libéré ne suffit pas pour se former, Céreq Bref, n° 420, 2022, 4 p. https://www.cereq.fr/en/node/10257