Céreq Bref, n° 386, February 2020, 4 p.

Valoriser les acquis de l'expérience,  pour un usage renouvelé de la VAE

Créé au début des années 2000, le dispositif de validation des acquis de l'expérience (VAE) n’a pas connu le succès attendu. Les évolutions législatives récentes, conjuguées à la généralisation des blocs de compétences pourraient néanmoins lui ouvrir de nouvelles possibilités de développement. Une étude du Céreq centrée sur le secteur du BTP incite ainsi les entreprises et les OPCO à s'en saisir comme d'un outil RH, et préconise plus généralement un changement de représentation de la VAE.

La validation des acquis de l’expérience (VAE) permet à tout individu de se voir délivrer, sous certaines conditions, une certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), en reconnaissance d'un ensemble de compétences acquises lors de l'exercice d'une activité professionnelle ou bénévole. Elle a été instaurée par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 dans un objectif de diversification des voies d’accès à la certification et de valorisation de l’expérience professionnelle. En dépit d'un développement continu jusqu’à la fin des années 2000, la VAE est loin toutefois d’avoir atteint le succès que lui prédisaient les pouvoirs publics. Ces dernières années sont d’ailleurs marquées par un net recul du nombre de candidats dans la quasi-totalité des ministères certificateurs (cf. graphique n°1). Le secteur sanitaire et social, dont les professions réglementées nécessitent des diplômes spécifiques, a su mobiliser ce dispositif pour ses salariés et concentre à lui seul la majorité des diplômes obtenus par cette voie de certification. Les dernières lois relatives à la formation tout au long de la vie offrent cependant un cadre propice au recours à la VAE, pour peu que se mobilisent les acteurs en charge des ressources humaines dans les entreprises mais aussi les OPCO, nouveaux opérateurs de compétences.

1. Méthodologie
L’étude réalisée par le Céreq pour le compte de l’OPCO de la construction a pour objectif de dresser un état des lieux de la perception des différents interlocuteurs sur les possibilités de recours à la VAE dans les entreprises du BTP. Elle formule des préconisations à l’attention des principaux acteurs en charge du développement des compétences des salariés du secteur (OPCO et services RH des entreprises). L'étude montre que si la VAE est très faiblement utilisée, elle peut néanmoins être davantage mobilisée par ce secteur dans un avenir proche, au regard des évolutions du secteur comme du contexte législatif.
Soixante-neuf entretiens ont été réalisés à Paris et dans deux régions (la Bretagne et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur) auprès de représentants de fédérations professionnelles (nationales et régionales), de représentants de certificateurs, d’organismes régionaux (Carif/OREF), de responsables formation ou RH d’entreprises du BTP, de candidats à la VAE et d’initiateurs de VAE collectives.
Ces entretiens ont mis en évidence la diversité des modalités et des finalités d’utilisation du dispositif (VAE collective, VAE individuelle, VAE partielle, VAE hybride), comme les limites et atouts de cette démarche pour les candidats et les employeurs.
Les préconisations, formulées à l’issue de ce travail de terrain et bibliographique, visent à favoriser la diffusion de la VAE et son recours dans les démarches de professionnalisation et de sécurisation des parcours.

 

 

 

Des difficultés de montée en charge en dépit d’un cadre réglementaire favorable

Les premiers rapports d’évaluation de la VAE, dans le courant des années 2000, ont montré qu’en dépit de sa perception positive par les individus et les entreprises, de multiples obstacles ont entravé son recours ou concouru à l’abandon des candidats en cours de démarche. Parmi ceux-ci, on retiendra les inégalités d’accès selon les publics et les moyens de financement, le manque d’information des salariés et de professionnalisation des acteurs de la VAE, les pratiques d’accompagnement mal définies, la méconnaissance des certifications. Depuis lors, de nombreuses préconisations ont été formulées pour endiguer ces problèmes et favoriser le développement de la VAE aussi bien lors de démarches individuelles que collectives (cf. encadré n°4). Elles se sont traduites par certaines mesures législatives venant modifier les conditions de son recours et de sa mise en œuvre dans le cadre des lois successives sur la formation professionnelle tout au long de la vie.     

Ainsi, la loi du 5 mars 2014, en même temps qu’elle étend le champ des bénéficiaires, assouplit les conditions de durées d’expériences requises pour les personnes n’ayant pas atteint le niveau V (ancienne nomenclature). Elle prévoit aussi que l’accompagnement à la VAE soit éligible au compte personnel de formation (CPF), ou que les Régions participent au financement de cet accompagnement pour les demandeurs d’emploi. Les Régions peuvent également être amenées à « conduire des actions de sensibilisation et de promotion de la validation des acquis de l’expérience, et contribuer au financement des projets collectifs mis en œuvre sur le territoire afin de favoriser l’accès à cette validation ». Cette même loi fait de l’accès à la qualification un droit, offrant la possibilité à tous les salariés de progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de leur vie professionnelle, notamment par le biais du CPF. Dès lors, la VAE s’inscrit comme l’un des moyens d’atteindre cet objectif. Par ailleurs, le découpage des certifications en blocs de compétences* a offert la possibilité pour les certificateurs de développer des VAE dites « hybrides », conjuguant validation des acquis et actions de formation en amont du processus. La loi du 8 août 2016 a réduit, quant à elle, de trois à un an la durée minimale d’activité requise pour présenter une VAE pour tous les bénéficiaires. Elle instaure une obligation d’information sur la VAE lors de l’entretien professionnel et prévoit, entre autres mesures, un accompagnement renforcé pour certains publics ainsi que son financement dans le cadre d’un accord de branche.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 va plus loin sur la reconnaissance des blocs de compétences. Dans le cadre d'une expérimentation en cours, elle vérifie notamment dans quelle proportion le découpage en blocs réduit la durée des parcours de formation lors des transitions professionnelles. Elle précise ainsi que « les actions de validation des acquis de l’expérience ont pour objet l’acquisition d’un ou plusieurs blocs de compétences ». Cette même loi définit les missions dévolues aux OPCO, en charge désormais de l’accompagnement des entreprises de moins de 50 salariés en matière de formation.

Si l’ensemble de ces mesures concourent désormais à faire de la VAE un des outils de construction et de sécurisation des parcours professionnels et de développement des compétences, l’interrogation subsiste quant aux conditions d’un recours plus extensif. Une étude réalisée dans le BTP à la demande de l’OPCO Contructys, centrée sur l’accès et l’accompagnement des salariés à la VAE dans ce secteur, permet d’une part d’examiner la façon dont les acteurs (OPCO, services de ressources humaines, conseillers formation, bénéficiaires) s’approprient cet outil et d’autre part de formuler des préconisations dans ce sens.

2. Évolution du nombre de certifiés par la VAE par ministère
Evolution du nombre de certifiés par la VAE par ministère

La VAE dans le BTP, une opportunité pour des salariés expérimentés mais peu diplômés

Cette étude montre une faible valorisation des diplômes dans les métiers du BTP, où l’expérience est le premier critère de recrutement. Reviennent également les limites classiquement associées à la VAE, telles que le rapport difficile à la formation des candidats peu ou pas diplômés et les difficultés de rédiger un dossier écrit. De plus, les budgets alloués à la formation financent principalement les obligations liées à la sécurité et à la réglementation et les démarches de VAE sont limitées. Ainsi en 2017 moins de 700 salariés du BTP ont obtenu une certification à partir de la validation de leurs expériences. Ce nombre paraît bien faible, compte tenu de la structure des qualifications de ce secteur, et du nombre de salariés aux parcours susceptibles d’être valorisés via une démarche de VAE. Le BTP emploie en effet 1,146 million de salariés, dont plus de la moitié possède un diplôme de niveau V ou infra (source Céreq, portraits statistiques de branche).

La grande majorité des entreprises et des acteurs du secteur rencontrés pour cette étude soulignent leur méconnaissance de la VAE. Cependant, aux dires principalement des représentants des organisations professionnelles, l'arrivée de salariés plus diplômés et moins réfractaires à la formation, et la nécessité pour les entreprises de fidéliser les salariés d'un secteur à forte pénibilité, peuvent constituer des leviers de recours à la VAE dans un avenir proche.

De même, quelques entreprises ont initié des politiques de formation plus variées et utilisé la VAE comme un outil de gestion des compétences. Leur démarche, inscrite dans leur politique de ressources humaines, est liée à des objectifs de fidélisation et de professionnalisation qui se traduisent par la valorisation ou la montée en compétences des salariés. Ainsi, une des entreprises rencontrées envisage de valoriser les compétences spécifiques de ses salariés spécialisés dans le désamiantage. Ceux-ci peuvent désormais acquérir des titres professionnels reconnus et spécifiques au métier (de niveau V, IV et III) via la VAE. Voici ce qu’exprime à ce propos le responsable formation d’une entreprise de travaux publics de près de 200 salariés, qui propose systématiquement des VAE aux ouvriers peu qualifiés : « Je pense que ça fidélise les gars, ça structure une démarche RH aussi, pour une entreprise qui ne ferait rien on commence à regarder les potentiels, on commence à faire un bilan de compétences, ça peut amener les entreprises à s’approprier une démarche de développement de compétences. […] Il y a un intérêt c’est clair, même pour la profession de valoriser les compétences. »  

Le recours à la VAE peut donc favoriser la mise en place d’une politique de ressources humaines et de développement des compétences dans les petites entreprises. Dans les plus grandes, il pourrait être associé à d’autres outils RH comme la formation professionnelle, puisque le candidat peut désormais suivre des actions de formation en cours de démarche lui permettant de viser une validation totale de la certification (VAE hybride).

Le responsable d’un service de formation continue universitaire explique par exemple que les métiers de la construction intègrent de plus en plus d’outils technologiques. Ainsi, l’usage de la modélisation des données du bâtiment (BIM ou Building information model) dans les chantiers de construction incite les salariés et les employeurs à développer cette compétence. Les formations qui intègrent cet outil ont donc vu arriver des salariés en démarche de VAE pour faire reconnaitre leurs expériences, y compris en validation partielle et hybride. « Le BIM c’est quelque chose qui s’installe progressivement dans les entreprises […] On a eu pas mal d’entreprises qui nous ont sollicités pour des salariés pour de la VAE. Des salariés qui venaient nous solliciter car ils voyaient qu’il y avait un intérêt soit dans leur entreprise, soit à l’extérieur. Ils avaient déjà l’utilisation du logiciel, mais la notion de BIM n’était pas développée, donc pour la développer il fallait soit passer par la case formation, soit par la case VAE pour justement valider ces compétences et derrière faire valoir un diplôme. »

3. VAE individuelle vs VAE collective
La VAE est avant tout un droit individuel qui peut s’exercer aussi bien dans le cadre de démarches individuelles que collectives. Dans ce dernier cas, le salarié bénéficie d’un soutien actif de l’entreprise tout au long du processus : prise en charge des modalités administratives et financières, accompagnement dans l’élaboration du dossier, préparation au jury, accès à des formations complémentaires, suivi post-jury. Mieux soutenus et motivés, les candidats rencontrent ainsi moins de difficultés et parviennent très souvent au terme de leur démarche contrairement aux candidats individuels pour qui les abandons sont plus nombreux.

Préconisations pour favoriser le recours à la VAE dans le secteur du BTP

Les investigations de terrain, dont les entretiens réalisés avec les acteurs (salariés, entreprises, institutionnels), ont démontré que si la VAE est peu mobilisée, le contexte législatif et les enjeux de développement des compétences de ce secteur sont autant de leviers favorables à son essor. En effet, la VAE peut désormais devenir un outil au service des parcours professionnels pour les salariés qui voient leurs compétences certifiées, mais aussi un outil de professionnalisation pour les entreprises, notamment les plus petites, qui peuvent l'utiliser pour identifier des compétences stratégiques et éventuellement de nouveaux métiers. Il en résulte un nouveau partage des rôles entre le salarié, les services de ressources humaines, l’OPCO et les acteurs de l’ingénierie de formation. Ces différents constats invitent à formuler des préconisations en faveur d’une mobilisation plus fréquente de la VAE.  

Dans ce contexte de responsabilité partagée, deux acteurs au moins semblent essentiels pour contribuer à faire progresser le recours à cet outil : les services RH pour les moyennes et grandes entreprises et l’OPCO pour celles de moins de cinquante salariés. Du point de vue des entreprises, cela implique d’inscrire la VAE individuelle et collective dans leur offre de formation, au même titre que tout autre dispositif déjà intégré (MOOC, formation en présentiel, etc…). Il importe également de la mentionner clairement au cours des processus RH (cf. encadré n°3). En ce qui concerne les OPCO, leur rôle d’accompagnement des politiques RH des entreprises doit les inciter à inscrire la VAE dans leur offre de services. à deux niveaux : premièrement en présentant la multiplicité de ses usages (individuelle, collective, avec ou sans formation associée) par le biais de campagnes régulières et surtout pérennes de sensibilisation et d’information auprès des entreprises, et deuxièmement en la mettant concrètement en œuvre dans leur offre d’ingénierie de formation, tant en matière d'agencement que de financement.

Pour étendre l’usage et le recours à la VAE, OPCO et entreprises doivent désormais travailler de concert. Leur collaboration peut se traduire par des échanges de pratiques, entre entreprises ayant déjà une expérience en matière de VAE, organisées et accompagnées par les OPCO, afin que la parole « entre pairs » constitue un levier de la légitimation de la VAE dans ce secteur. L’OPCO apparaît ainsi comme un chef d’orchestre, ayant pour rôle de traduire auprès des entreprises cette compréhension de la VAE dans un contexte législatif mouvant, et de l’inscrire concrètement comme un outil parmi d’autres dans son offre d’ingénierie de formation. Plus encore, l’OPCO pourrait développer, pour les structures de petites tailles, des pratiques de VAE collectives dans le cadre de projets inter-entreprises. Dans ce cas, il peut proposer un projet « clé en main » en réponse à une problématique RH commune à plusieurs entreprises sur un même territoire. Il a alors en charge la mobilisation de l’ensemble des partenaires impliqués dans la démarche (certificateurs, organismes de formation, pouvoirs publics, cabinet externe éventuellement), les modalités administratives et financières ainsi que le suivi des prestations (accompagnement des salariés…). Le caractère collectif de la démarche de VAE est à privilégier dans la mesure où il permet de dépasser les obstacles rencontrés par les candidats lors des démarches individuelles (isolement, recherche d’une certification adéquate, financement etc.), d’inscrire les étapes de la démarche dans une temporalité définie en amont pour les salariés concernés et d’apporter un soutien effectif au candidat durant toute la démarche.

4. Le recours à la VAE dans le processus RH : exemples dans des entreprises du BTP

Le recours à la VAE dans le processus RH : exemples dans des entreprises du BTP

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Les évolutions récentes de la VAE permettent notamment de la mobiliser aux différentes étapes du processus RH, d’inciter les acteurs à la considérer comme un outil et non plus seulement comme une finalité (obtention d’une certification), et de l’intégrer à la boîte à outils de l’ingénierie de formation. L’OPCO (pour les entreprises de moins de cinquante salariés) et les services RH ou de formation (pour les moyennes et grandes entreprises) apparaissent comme des acteurs stratégiques de ce changement de représentation de la VAE. Seule une observation des missions des 11 OPCO auprès des entreprises permettra de dire si ces nouvelles potentialités d’usage de la VAE deviendront effectives. Pour autant, le déploiement de la VAE passe aussi par une meilleure reconnaissance par les entreprises des compétences certifiées tout au long de la vie.

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Pour en savoir plus :

Accès et accompagnement des salariés du BTP à la VAE, N. Beaupère, F.Kogut-Kubiak, N. Quintero, J. Urasadettan, Céreq Etudes n°30, 2020.

Pourquoi la VAE n’a pas trouvé sa place auprès des professionnels du BTP ?, P. Leclerc, Crefor - Pôle Observation et Prospective - Observatoire VAE, mai 2015.

Les abandons de validation des acquis de l’expérience (VAE), S. Enriotti, R. Guillemette, S. Vogel, Étude réalisée à partir d’une initiative de l’Union régionale CAPEB PACA-CORSE, CARIF espace-compétences, étude n°7, 2011.

Les politiques des entreprises en matière de certification et l'utilisation de la validation des acquis de l'expérience, M.C. Combes et ali., Net.doc n°34, Céreq, 2008.

Logique d’accès à la VAE et parcours de validation, F. Kogut-Kubiak, E. Personnaz, N. Quintero, F. Séchaud, Relief n°12, Céreq, 2006.

Mention the publication

Beaupère Nathalie, Kogut-Kubiak Françoise, Quintero Nathalie, Urasadettan Jennifer, Valoriser les acquis de l'expérience,  pour un usage renouvelé de la VAE, Céreq Bref, n° 386, 2020, 4 p. https://www.cereq.fr/en/node/9810