Céreq Bref, n° 463, Décembre 2024, 4 p .

Quelle intégration des enjeux liés aux transitions écologique et numérique dans les certifications professionnelles ?

Publié le
19 Décembre 2024

Les enjeux de transitions écologique et numérique sont au cœur des politiques publiques depuis plusieurs années. En matière de certification, l'intégration de ces préoccupations se pose également, notamment au moment de la construction de l'offre et des référentiels de certification. Toutefois, ces derniers ne donnent pas tous à voir la même chose. Si la prise en compte des enjeux liés au numérique semble mieux identifiée, celle liée à l'écologie s'avère plus hétérogène.

Communiqué de presse

Sous l’impulsion des recommandations formulées dans le cadre des politiques européennes, la prise en compte des enjeux de transitions écologique et numérique est au cœur des préoccupations des politiques publiques depuis plusieurs années. Dans le champ éducatif, elle s’est traduite notamment au sein des différents programmes disciplinaires et interdisciplinaires d’enseignements généraux par l’acquisition progressive de domaines de compétences spécifiques de l’école au lycée. Dans les diplômes professionnels délivrés par le ministère de l'Éducation nationale, par exemple, c’est dans le module d’enseignement général Prévention-santé-environnement (instauré dès 2009 pour le CAP/BEP et le bac pro) que s’inscrivent les savoirs relatifs à la transition écologique. Les compétences numériques sont quant à elles disséminées dans les modules d’enseignements généraux disciplinaires existants et font l'objet d'une évaluation et d’une certification délivrée par la plateforme Pix en fin de cycle au collège et au lycée (général, technologique ou professionnel). Au-delà de l’émergence d’un socle commun de compétences qui vise à sensibiliser les élèves et développer tout au long de leur scolarité une éducation à la citoyenneté en matière de développement durable et de numérique, qu’en est-il de la prise en compte des transformations en cours lors de la construction de l’offre publique de certifications professionnelles au sein des commissions professionnelles consultatives interministérielles (CPCi) ? De même, comment la prise en compte des impératifs de transition écologique et l’introduction des technologies numériques se traduit-elle en termes d’activités, de connaissances et de compétences dans l’écriture des référentiels qui les caractérisent ?

Une offre de certifications ministérielles qui s'adapte aux transitions

Les commissions professionnelles consultatives interministérielles sont des instances paritaires qui émettent des avis sur les créations, révisions ou abrogations de certifications professionnelles délivrées par les ministères (hors enseignement supérieur à l’exception du BTS). Entre 2020 et 2024, elles se sont prononcées sur la création d’un peu plus d’une trentaine de certifications de niveau 3 à 6 visant des métiers dits « verts » ou « verdissants » ou des métiers liés aux technologies numériques (Encadré 1). Ceux-ci concernent en particulier, sur le versant écologique, les métiers de la filière du génie écologique et de la maintenance des batteries (pour en assurer le recyclage) et sur le versant numérique, les métiers d’administrateur de systèmes d’information ou de réseaux, de sécurité des systèmes, ou de la filière électronique. 

Dans le secteur du génie écologique par exemple, le ministère du Travail tout comme le ministère de l’Agriculture ont créé respectivement un titre professionnel de niveau 3 (Ouvrier du génie biologique) et un certificat de spécialisation de niveau 4 (Travaux mécanisés du génie biologique). Ces certifications répondent aux besoins en qualification exprimés par l’union professionnelle du génie écologique (UGPE), représentant patronal des entreprises de cette filière professionnelle, qui vise au travers de ses activités à l’amélioration et la restauration de la biodiversité et des fonctions écologiques sur des milieux naturels et artificialisés. 

 

Autre exemple, c’est à la suite d’un rapport d’opportunité présenté par l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) dans la CPCi Industrie de mars 2021 que le ministère de l’Éducation nationale a rénové l’ensemble de la filière électronique, répondant mieux ainsi aux enjeux des professionnels en matière de maîtrise de la consommation d’énergie, de réglementation, et de développement de nouveaux marchés comme l’écoconception, la silver économie, la domotique, la cybersécurité ou l’économie circulaire. Les débats en CPC ont montré que ces enjeux s’inscrivent plus largement dans le cadre d’une politique de réindustrialisation dans ce secteur, et à des besoins en emploi importants notamment sur les métiers de la réparation dans un objectif de lutte contre l’obsolescence programmée des produits. Renommée par un acronyme qui offre plus de lisibilité, la filière CIEL (cybersécurité, informatique et réseaux électroniques) comprend ainsi désormais quatre certifications : un baccalauréat professionnel, deux mentions complémentaires de niveau 4 et un BTS, qui s’inscrivent dans une logique de parcours. 

Les demandes de rénovation de certifications déjà existantes visant des métiers plus traditionnels sont quant à elle souvent justifiées par les branches professionnelles, les fédérations d’employeurs ou encore les ministères certificateurs, par l’évolution du contexte des emplois visés ou de nouvelles activités nécessitant l’acquisition de compétences singulières en lien avec les transformations induites par les transitions écologique (impératifs de maintien de la biodiversité, diminution des gaz à effet de serre, protection de l’environnement…) ou numérique (digitalisation des activités, protection des données…). Dans la CPC Services aux entreprises de mars 2022 par exemple, la demande de révision du BTS Professions immobilières, émanant de l’inspection générale du ministère de l’Éducation nationale, est justifiée en ces termes : « La dernière réforme de ce diplôme remontait à 2012 et le secteur a très fortement évolué depuis 10 ans, avec notamment un accroissement des exigences règlementaires et de gestion, ainsi que l’apparition de nouvelles activités d’encadrement et de spécialisation, et le développement de pratiques professionnelles nouvelles avec le déploiement du numérique… Le contexte récent a conduit à fortement faire évoluer la demande, que ce soit au travers de la composition des ménages, des préoccupations environnementales, du contexte sanitaire… La montée en puissance du numérique a totalement révolutionné l’expérience client qui peut désormais réaliser une visite virtuelle ou signer ses documents à distance et certaines agences immobilières sans implantation géographique identifiée ont émergé. Ces dossiers d’opportunité conduiront notamment à s’interroger en profondeur sur l’impact réel et prévisionnel du numérique, les nouveaux modèles économiques d’agence, les évolutions en matière de système d’information (facturation électronique…) et enfin sur les changements sociétaux et climatiques, notamment afin de tenir compte de la loi climat »(Extrait du compte rendu CPC Services aux entreprises du 1er mars 2022). 

À partir d’une analyse lexicale de quelques référentiels de certification (Encadré 2), on constate pourtant que les enjeux liés aux transitions écologique et numérique sont pris en compte de façon très variable selon le secteur d’activité des métiers visés.

 

Des contenus de référentiels loin de traduire tous les enjeux de la transition écologique

Des travaux antérieurs du Céreq sur le verdissement des diplômes [1] ont mis en avant les cinq registres dans lesquels s’inscrit le vocabulaire pour référer à la transition écologique et au développement durable (TEDD) dans les référentiels de certification : la réglementation, la protection de l’environnement, les nécessités économiques (réduction des coûts de production, positionnement sur un marché concurrentiel, développement de nouveaux produits), les innovations technologiques (ayant pour but de diminuer les impacts négatifs sur l’environnement) et les démarches de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). 

Les contenus liés à la TEDD en lien avec ces cinq registres sont plus ou moins présents dans l’écriture des référentiels. Ils apparaissent parfois exclusivement dans la définition du champ d’activité visé par la certification ou dans la description du contexte d’exercice de ces activités mais ne se traduisent pas forcément ensuite par l’expression d’activités ou de compétences spécifiques en lien avec la pratique professionnelle. 

C’est le cas par exemple du BTS Conseil et commercialisation de solutions techniques (CCST) rénové en 2021 par le ministère de l’Éducation nationale (diplôme de niveau 5). Si certaines préoccupations en matière de protection de l’environnement sont énoncées dans la partie introductive de présentation du référentiel de ce diplôme, tout comme en matière de RSE il prend en compte les préoccupations sociétales et environnementales [...] le technico-commercial respecte les règles d’éthique des affaires et il inscrit son action dans le cadre des engagements RSE de son entreprise ») ou encore d’innovations technologiques (il s’intéresse « à l’impact du produit et de son usage tout au long de sa vie, sur son environnement, et dans toutes ses dimensions technologiques et sociales »), aucune compétence spécifique ou bloc de compétences n’est pourtant formulé pour y répondre. 

A contrario, dans le titre professionnel Technicien d’études en chauffage, ventilation et climatisation (niveau 5), révisé en 2022 par le ministère du Travail, les exigences d’évolution réglementaire, évoquées comme l’un des éléments de contexte de sa rénovation, se traduisent concrètement dans l’exercice du métier par la compétence « exploiter des documents réglementaires adaptés » en mobilisant des savoirs spécifiques relatifs à cette réglementation (« connaissance de la réglementation environnementale, connaissance des éléments clés d'une fiche de données environnementales et sanitaires »). Certains référentiels, mais les cas semblent plus rares, vont jusqu’à définir des critères d’évaluation de certaines compétences en faisant référence aux registres énoncés. C’est le cas pour la compétence « Organiser le travail » du BTSA Aquaculture rénové en 2023 par le ministère de l’Agriculture. L’un des critères d’appréciation de la maitrise de cette compétence repose sur « le respect de la réglementation et des démarches de qualité, santé, environnement en vigueur dans l’organisation, la qualité de l’analyse des risques contextualisée, et la qualité des ajustements proposés ». 

Comme observé dès 2016 dans les travaux du Céreq, la prise en compte des mutations induites par la transition écologique dans les référentiels semble moins dépendre du niveau des certifications que des secteurs d’activité visés, certains ayant des métiers « verts » ou « verdissants » tandis que pour d’autres, les métiers et les activités qui leur sont associées ont un impact moins direct sur l’environnement. Dans ce cas, les activités et compétences mentionnées dans les référentiels relèvent en grande partie de l’application de gestes « verts » liés au seul registre de la protection de l’environnement comme le tri des déchets par exemple. De même, l’hétérogénéité observée des pratiques d’ingénierie de certification entre les ministères démontre à ce jour une avancée plus ou moins importante en termes de réflexions de la prise en compte de ces mutations dans les référentiels.

 

 

Des compétences numériques centrées sur la maîtrise des outils et les moyens de communication

Si l’on se réfère au cadre de référence des compétences numériques, construit dès 2019 par les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur sur la base de l’acquisition de cinq domaines de compétences (Encadré 3), on retrouve dans les différentes parties descriptives des référentiels de certification étudiés – relatives à la définition des éléments de contexte, des activités, des compétences, et des modalités d’évaluation – des énoncés qui renvoient à ces domaines de compétences mais apparaissent toutefois là encore de façon variée selon la nature des métiers visés. 

L’impact de l’introduction des technologies numériques sur l’évolution des métiers est par exemple évoqué dès la partie introductive des trois référentiels des certifications  pris précédemment pour exemple. La pratique commerciale du titulaire du BTS CCST requiert ainsi « la maitrise et l’utilisation pertinente d’outils numériques qu’il contribue à implanter, diffuser et enrichir… il accompagne son équipe dans les transformations numériques et organisationnelles…il utilise tous les outils de communication à distance à sa disposition… le numérique impacte aussi les modalités de commercialisation avec le développement du cross canal… ». Le technicien d’études en chauffage, ventilation et climatisation visé par le titre professionnel doit être en capacité, quant à lui, de changer « graduellement d’outils dans les études de projet, complétant leur logiciel 2D avec un logiciel de modélisation 3D avec lequel il se familiarise de plus en plus ». Il est ici fait référence au Buiding information modeling (BIM), outil informatique qui se répand progressivement dans le secteur de la construction. De même, les métiers visés par le BTSA Aquaculture n’échappent pas à l’arrivée des nouvelles technologies « qui influent sur l’évolution des pratiques notamment à travers l’utilisation de matériels informatiques et de logiciels. Ces derniers permettent le pilotage à distance des paramètres environnementaux et zootechniques, voire l’enregistrement de données de la traçabilité ». Outre l’usage des outils numériques largement mentionnés dans ces exemples, la maitrise des outils de communication, tout comme la mise en œuvre d’un travail collaboratif font également partie des compétences attendues dans ces métiers. 

 
 

Ainsi, l’énumération des activités, compétences et savoirs mobilisés est particulièrement fournie dans le référentiel du BTS CCST et est accompagnée de critères d’évaluation ciblés sur l’usage pertinent des outils de communication, et de diffusion des informations (Encadré 4). On retrouve ainsi dans l’écriture de ce référentiel quasiment tous les domaines de compétences numériques décrits dans le cadre de référence. Le référentiel du BTSA Aquaculture reste beaucoup plus succinct en revanche précisant uniquement quelques savoirs mobilisés dans le registre des compétences numériques (traitement des données, exploitation des résultats, techniques de communication) relevant de la compétence intitulée « Accompagnement technique ». Une compétence en communication est également attendue mais aucune ne réfère par exemple à la protection des données. 

 

 

Conclusion

Les énoncés descriptifs des référentiels de certification ne donnent pas tous à voir la même chose aussi bien en matière de prise en compte des enjeux induits par la transition écologique que celle du numérique. Dans le cas du numérique toutefois, les attendus sont mieux identifiés, notamment en raison de la définition qu’offre le cadre de référence en termes de compétences transversales à mobiliser pour répondre aux enjeux de digitalisation des activités auxquels sont confrontés de nombreux métiers aujourd’hui. 

L’absence d’un cadre de référence sur le volet « transition écologique » rend-elle plus difficile l’identification de compétences transversales qui pourraient trouver leur application dans les pratiques professionnelles en fonction des métiers visés ? Dans le cadre de la démarche de planification écologique, le Commissariat général au développement durable s’est emparé de cette question au cours du 1er semestre 2024 et a initié un groupe de travail réunissant des représentants de plusieurs ministères certificateurs présents dans les CPC. L’objectif était de mener une réflexion, à l’appui des travaux du Céreq dans ce domaine, sur ce que pourrait être ce cadre ou tout au moins tenter de rendre plus homogènes les pratiques de chaque ministère dans la prise en compte des enjeux induits par les impératifs de transition écologique. La publication d’un vade-mecum, intégrant des recommandations et une liste de compétences clés par domaine professionnel devrait voir le jour dans le courant de l’année 2025.

En savoir plus

[1] N. Beaupère et al., Prise en compte des mutations induites par la transition vers l'économie verte dans les formations professionnelles initiales, Céreq Etudes, n° 4 et n° 6, Volumes 1 et 2, 2016.

[2] V. Gosseaume, J. Paddeu, F. Kogut-Kubiak (coord.), L’offre de certification et ses évolutions à l’aune des CPC interministérielles, Céreq Etudes, n° 55, 2024.

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