Céreq Bref, n° 403, Marzo 2021, 4 p.

Emploi, enfant et aspirateur : quelles évolutions chez les jeunes couples depuis 2005 ?

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4 Marzo 2021

Comment les premières années de vie active s‘articulent-elles avec les débuts de la vie conjugale et familiale ? Les enquêtes Génération du Céreq documentent ce double processus de construction familiale et professionnelle sur les sept premières années qui suivent la sortie de formation initiale, et permettent d’offrir un panorama des évolutions. Pour les jeunes en couple en 2005, ces deux « carrières » s‘agençaient différemment pour les femmes et pour les hommes : ceux de 2017 ont-ils pu dépoussiérer les stéréotypes et balayer les clivages encore à l’œuvre parmi leurs aînés ?

Depuis plus de vingt ans, la question des inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché du travail est au cœur des politiques publiques. Leur philosophie est non seulement de veiller à l’égalité professionnelle entre les sexes, mais aussi de favoriser l’articulation des temps de vie au sein des familles1 . Ce volontarisme politique, également porté par l’Union européenne, vise à soutenir le rapprochement des carrières des femmes et des hommes, reconnaissant ainsi que la construction familiale et ses implications sur la carrière professionnelle pèsent incontestablement plus sur les épaules des femmes. Les enquêtes Génération permettent d’analyser les liens entre les débuts de « carrières » professionnelle et familiale des jeunes, à travers des questions portant sur la vie en couple, la répartition des tâches domestiques, les éventuelles conséquences de la naissance d’un enfant sur la vie professionnelle (Cf. Encadré méthodologique). Elles offrent de surcroît l’occasion d’interroger les évolutions intervenues au sein des jeunes couples à 12 ans d’intervalle. [1]

  • 1* Quelques jalons : 2002 : instauration du congé de paternité de 11 jours. 2006 : loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, qui renforce les droits des femmes en congé de maternité, notamment en matière de salaires, de congés et de protection contre les discriminations. 2008 : « Charte de la Parentalité en Entreprise » qui encourage le développement de bonnes pratiques de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. 2014 : loi sur l’égalité professionnelle qui incite les pères à prendre un congé parental.

Un décalage croissant entre début de vie active et construction familiale

L’arrivée sur le marché du travail constitue l’un des jalons importants du passage des jeunes à l’âge adulte. Si hommes et femmes connaissent des modalités et des rythmes d’accès à l’emploi relativement proches, ce n’est pas le cas de leur trajectoire familiale. Dans un contexte de désynchronisation croissante de ces temps sociaux, des distinctions fortes entre jeunes femmes et jeunes hommes persistent au fil des Générations [2]. Ainsi, un décalage sexué perdure dans la précocité à fonder sa propre famille (Cf. Tableau 1). Parmi les sortant·es de formation initiale de 2010 comme de 1998, les jeunes femmes sont deux fois plus nombreuses que les jeunes hommes à être déjà installées en couple à la fin de leurs études. Plus généralement, la première installation intervient beaucoup plus tôt pour les femmes, mais elle est considérablement retardée pour les jeunes de la Génération 2010. Il faut en effet compter 13 mois de plus pour que la moitié des jeunes femmes de cette Génération aient une première expérience de couple, par rapport à celles de la Génération 1998 (3 ans et 3 mois sont nécessaires après la sortie de formation pour atteindre cette proportion, contre 2 ans et 2 mois). Pour les jeunes hommes, deux ans de plus sont nécessaires pour que 50 % d’entre eux connaissent leur première installation en couple, par rapport à ceux de 1998 (7 ans après leur sortie de formation au lieu de 5). Au moment de l’enquête, un peu plus de sept ans après leur sortie du système scolaire, l’écart entre les deux sexes persiste puisque moins de la moitié des jeunes hommes sont en couple contre près des deux tiers des jeunes femmes (cf. Tableau 1).

Ce recul du temps d’installation à deux pour la Génération 2010 par rapport à celui observé 12 ans auparavant se traduit également par une baisse conséquente de la proportion de jeunes parents, chez les hommes comme chez les femmes. En 2017, seulement 43 % d’entre elles et 20 % d’entre eux ont au moins un enfant (contre respectivement 55 % et 29 % en 2005 pour la Génération 98).

Être mère modifie la situation professionnelle de nombreuses jeunes femmes en couple

En 2017 comme en 2005, la situation professionnelle des jeunes hommes en couple ne paraît pas avoir été affectée par une éventuelle paternité, ni par le nombre d’enfants. In fine, quelle que soit leur situation familiale, la grande majorité d’entre eux (89 %) travaillent à temps plein, 4 % à temps partiel et 7 % ne sont pas en emploi.

En revanche, la situation professionnelle varie beaucoup plus du côté des jeunes femmes en couple : celle des jeunes mères diffère nettement de celle des jeunes femmes qui ne sont pas mères.

Tout d’abord, elles sont plus nombreuses à ne pas travailler : 14 % des mères de plusieurs enfants sont inactives et 11 % sont au chômage, contre respectivement 4 % et 8 % des jeunes femmes sans enfant. Toutefois, et comme c’était le cas pour la Génération précédente, ces proportions diffèrent fortement selon leur niveau scolaire : en 2017, l’inactivité concerne 4 % des jeunes mères diplômées d’un Bac+5 ou plus et 23 % de celles diplômées de l’enseignement secondaire.

Par ailleurs, les femmes sont toujours plus nombreuses à travailler à temps plein quand elles n’ont pas d’enfant que lorsqu’elles sont déjà mères. Quelle que soit la Génération, la proportion de celles qui travaillent, et surtout de celles qui travaillent à temps plein, est plus faible pour les jeunes mères, a fortiori lorsqu’elles ont plusieurs enfants. La situation professionnelle des jeunes femmes diplômées de l’enseignement supérieur long est toutefois beaucoup moins affectée par leur situation familiale que celle des diplômées de l’enseignement secondaire. C’était déjà vrai en 2005, mais cela l’est encore davantage en 2017.

En revanche, être père, que ce soit d’un ou de deux enfants, n’impacte aucunement la situation professionnelle des jeunes hommes à 7 ans.

Ces différences observées entre pères et mères après sept ans passés sur le marché du travail semblent prendre leur source en amont, en fonction de leur situation professionnelle au moment de la naissance des enfants, et de l’inflexion de la vie professionnelle qui a été choisie ou s’est imposée à ce moment-là.

Les conditions professionnelles entourant l’arrivée des enfants diffèrent de façon significative entre pères et mères [5]. Ainsi, seul un homme sur douze  contre une femme sur quatre n’est pas en emploi au moment de l’arrivée de l’enfant (ou du deuxième s’il y en a plusieurs). De surcroît, les jeunes mères en emploi adaptent beaucoup plus fréquemment leur activité suite à une naissance que les jeunes pères. Ainsi, 14 % des pères, mais près de la moitié des mères (49 %), déclarent que la naissance de leur premier enfant a eu une ou plusieurs incidences sur leur emploi. L’arrivée d’un deuxième enfant a encore davantage d’incidences pour les mères en emploi puisque 61 % d’entre elles déclarent explicitement un changement professionnel à cette occasion, contre, invariablement, 14 % des pères (cf. Tableau 2 ci-dessous).

Ces changements professionnels peuvent prendre des formes multiples et s’accroissent après la naissance du deuxième enfant. On observe toutefois une baisse considérable du recours au congé après le deuxième enfant entre les deux Générations (-16 points). On peut faire l’hypothèse que la forte augmentation du niveau de diplôme des jeunes mères entre les deux Générations, conjuguée aux évolutions du cadre règlementaire et des prestations associées au congé parental1 , ont réduit de façon substantielle l’intérêt que les couples pouvaient trouver au renoncement provisoire de l’un d’entre eux à son activité professionnelle [4] [6].

Les conditions et inflexions de la vie professionnelle entourant la naissance d’un enfant ne sont pas sans conséquences sur la situation ultérieure des jeunes mères. En 2017, parmi les femmes en emploi avant la naissance de leur dernier enfant, celles ayant infléchi leur activité professionnelle ont 3,7 fois moins de chances d’être en emploi à temps plein et 1,4 fois plus de chances de ne plus être en emploi après la naissance, que celles qui n’ont pas modifié leur activité professionnelle. Quant aux mères qui ne travaillaient pas juste avant la naissance de leur dernier enfant (aux trois quarts non diplômées ou diplômées de l’enseignement secondaire), elles ont, à la date de l’enquête, 9,2 fois moins de chances d’être en emploi à temps plein et 12,4 fois plus de chances de ne pas l’être du tout après la naissance.

Les hommes sont nettement moins concernés par les conséquences de ces interactions entre naissance et situation professionnelle : d’une part, parce qu’ils sont très majoritairement en emploi au moment de la naissance et n’infléchissent que rarement leur activité professionnelle à cette occasion, d’autre part, parce que les rares concernés voient leur situation professionnelle ultérieure davantage ou plus rapidement évoluer vers la norme d’emploi à temps plein.

Ainsi, tandis que les profils des hommes, qu’ils soient pères ou non, sont assez homogènes, se dessinent en revanche différentes catégories de jeunes mères. Si certaines acceptent une réduction voire une interruption de leur activité professionnelle, d’autres en revanche ne modifient pas – ou seulement temporairement – leur investissement professionnel à la naissance de leurs enfants et se trouvent, au terme de leur septième année de vie active, dans des conditions professionnelles proches des femmes sans enfant.

L’inégal retentissement de la construction familiale sur la situation professionnelle des femmes et des hommes demeure donc toujours d’actualité. De fait, il interroge les rôles sociaux au sein des couples et la place que chacun·e (s’)accorde ou s’assigne dans les sphères professionnelle et privée. Dans la sphère privée, outre la charge parentale, l’implication dans le travail domestique est également un élément révélateur de ces rôles [3].

  • 1Allocation parentale d’éducation (APE), jusqu’en 2004, remplacée par le complément de libre choix d’activité (entre 2004 et 2014) puis par la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) à partir de 2014.

Une polarisation des rôles sociaux au sein des couples, qui s’affaiblit d’une Génération à l’autre

Globalement, la part des couples où la femme s’occupe principalement des tâches ménagères (couple « traditionnel ») a diminué entre les deux Générations. Si 49 % des jeunes en couple déclaraient être dans ce cas en 2005, ils sont 36 % en 2017.

Des variations apparaissent dans l’investissement domestique selon notamment le capital scolaire et social des jeunes femmes. Quelle que soit la Génération observée, la part des couples « traditionnels » diminue systématiquement au fur et à mesure qu’augmente le niveau de diplôme de l’enquêtée. En 2017, on constate un écart de 10 points entre les diplômées de l’enseignement supérieur long et celles de l’enseignement secondaire. L’investissement domestique des jeunes femmes reste également lié au type de profession qu’elles exercent, les cadres continuant à être moins représentées dans ce type de couple que les employées. Mais cet investissement est également dépendant de leurs trajectoires familiale et professionnelle. Les jeunes femmes sans enfant sont moins souvent « fortement investies » que les mères qui, elles-mêmes, se distinguent à la fois selon le nombre d’enfant mais aussi leur situation professionnelle et son inflexion au moment de l’arrivée de leur dernier enfant (cf. Tableau 3).

De façon asymétrique, la forte implication des pères reste modeste en toutes circonstances, qu’ils aient ou non opéré un changement professionnel après la naissance de leur(s) enfant(s), ou qu’ils aient seulement bénéficié du congé de paternité instauré en 2002.

Par ailleurs, au sein des jeunes couples, en 2017 comme en 2005, les femmes « fortement investies » dans les tâches ménagères sont 1,5 fois moins en emploi à temps plein que les femmes dont le couple partage les tâches de façon plus égalitaire. Elles se trouvent aussi être 1,4 fois plus souvent hors de l’emploi. Ce résultat se retrouve chez les mères comme chez les femmes sans enfant. Sans surprise, les hommes dans ce modèle de couple « traditionnel » sont en revanche plus fréquemment en emploi à temps plein que les autres. Quant à ceux qui dérogent à ce modèle en déclarant s’impliquer très fortement dans l’univers domestique (soit environ un quart des hommes en couple), ils sont significativement (1,7 fois) moins souvent en emploi à temps plein, et deux fois plus souvent en dehors de l’emploi.

Conclusion

Au final, tous les clivages ne sont pas balayés et de fortes disparités sexuées subsistent dans les jeunes couples de 2017. Pour les femmes, l’intrication des sphères privée et professionnelle demeure prégnante, la maternité conduisant nombre d’entre elles, provisoirement ou plus durablement, à réduire ou suspendre leur participation à l’emploi. Des évolutions notables se dessinent cependant, pour l’essentiel du côté des femmes. Si une certaine mise à distance de l’emploi au moment de l’arrivée du premier enfant se renforce entre les deux enquêtes, elle apparaît plus transitoire, moins porteuse de conséquences sur leur participation au marché du travail à moyen terme. De plus, cette évolution va de pair avec un certain affaiblissement de la polarisation des rôles sociaux dans la répartition du travail domestique au sein des couples, dépoussiérant ainsi certains stéréotypes. Ces évolutions apparaissent heureuses au regard des risques, toujours réels, d’une dissolution de la cellule familiale et des conséquences économiques auxquelles elle expose les femmes en situation de parent isolé. Ainsi, à l’automne 2017, 16 % des mères ne vivent pas ou plus en couple ; parmi celles-ci, 42 % n’ont pas d’emploi.

Reste que si, au sein des couples, les relations entre famille, emploi et travail domestique évoluent chez les jeunes femmes, les changements chez les hommes sont beaucoup plus discrets, se concentrent vers une participation plus active au travail domestique et ne remettent nullement en cause le primat de l’emploi, y compris au moment de la naissance d’enfant(s). En effet, les réformes passées (congé de paternité en 2002, congé parental en 2014) n’ont guère influé sur la façon dont ils articulaient les deux sphères. De ce point de vue, la nouvelle réforme du congé de paternité – étendu à partir de juillet 2021 à 28 jours – est annoncée comme un moyen supplémentaire de faciliter cette conciliation. Portera-t-elle ses fruits en la matière, alors que ce congé va rester, en grande partie, non obligatoire ?

5. Encadré méthodologique
Les résultats présentés dans ce Céreq Bref s’appuient sur l’exploitation statistique des enquêtes Génération 1998 et Génération 2010 menées par le Céreq sur les cheminements professionnels de jeunes ayant terminé leur formation initiale en 1998 et 2010. Ils mobilisent la troisième interrogation de ces deux Générations réalisée respectivement à l’automne 2005 et à l’automne 2017. Ils concernent les jeunes vivant en couple au moment de cette interrogation, un peu plus de 7 ans après la fin de leurs études, entendus ici comme les jeunes déclarant vivre avec un compagnon ou une compagne dans un logement différent du logement parental. Ces deux enquêtes permettent d’analyser les liens entre débuts de carrière professionnelle et début de « carrière » familiale, grâce à un module portant sur les caractéristiques individuelles et l’environnement familial des individus, la répartition des tâches domestiques au sein du couple et les éventuelles conséquences de la naissance d’un enfant sur la vie professionnelle. Ce module n’intègre cependant pas encore de questions permettant de distinguer les couples hétérosexuels des couples homosexuels.
Les modèles de couples définissant l’implication dans les tâches domestiques de chacun des conjoints ont été évalués à partir des réponses des jeunes vivant en couple aux trois questions suivantes : « Qui passe le plus souvent l’aspirateur chez vous ? », « Qui prépare le repas du soir le plus souvent, quand vous êtes ensemble chez vous ? » et « Qui fait les courses le plus souvent ? ». Les possibilités de réponses à ces questions étaient : « Vous », « Votre conjoint », « Les deux indifféremment », « Les deux ensemble » ou « Quelqu’un d’autre ». Dans un couple « traditionnel », la femme effectue elle-même ces trois tâches, ou en effectue deux, la troisième étant soit partagée avec le conjoint, soit déléguée à un tiers. Dans un couple « paritaire », les deux membres du couple se répartissent les tâches ou délèguent de façon à être autant impliqués ou que l’implication de la femme ne dépasse pas celle de l’homme de l’équivalent d’une tâche entière. Enfin, un couple est qualifié de « moderne » quand la femme est globalement moins impliquée que l’homme dans la réalisation de ces tâches domestiques.

 

Pour en savoir plus

[1] « Vivre en couple et être parent : impacts sur les débuts de carrière », T. Couppié et D. Epiphane, Céreq Bref n°241, 2007.
[2] « Quitter le domicile parental : un processus très lié au parcours scolaire et professionnel », A. Robert, E. Sulzer, France Portrait Social, Insee Références, 2020.
[3] « Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans? », C. Champagne, A. Pailhé et A. Solaz, Économie et Statistique n° 478-479-480, 2015.
[4] « Les Français et les congés de maternité et paternité : opinion et recours », K. Antunez, G. Buisson, Etudes et Résultats n°1098, DREES, 2019.
[5] « Après une naissance, un homme sur neuf réduit ou cesse temporairement son activité contre une femme sur deux », Stéphanie Govillot, Insee Première n°1454, 2013.
[6] L’accueil des enfants de moins de trois ans, Haut conseil de la famille de l’enfance et de l’âge, Rapport du 10 avril 2018.

 

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Couppié Thomas, Epiphane Dominique, Emploi, enfant et aspirateur : quelles évolutions chez les jeunes couples depuis 2005 ?, Céreq Bref, n° 403, 2021, 4 p. https://www.cereq.fr/es/node/10065