Céreq Bref, n° 408, Junio 2021, 4 p.

Le rôle des compétences transversales dans les trajectoires des diplômés du supérieur

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3 Junio 2021

Les qualités relationnelles ou communicationnelles, l’estime de soi, la créativité ou encore la capacité à travailler en équipe font partie de ce que l’on nomme les compétences transversales. Variées et évolutives, elles échappent à une saisie exhaustive comme à une conceptualisation univoque. Au-delà des débats entourant la notion, ces compétences influent-elles sur les trajectoires professionnelles des diplômés du supérieur ? Trois études du centre régional associé au Céreq de Dijon apportent des éléments de réponse. 

La notion de compétence s’est imposée dans le monde du travail, de la formation et de l’école. Elle polarise aujourd’hui les débats sur la manière dont la société, à travers l’institution scolaire mais pas uniquement, prépare les jeunes à leur vie sociale et professionnelle future. Parmi les compétences, une catégorie particulière suscite l’intérêt depuis une vingtaine d’années, celle des compétences transversales. Être autonome, savoir s’adapter, être organisé, être capable de travailler en équipe, faire preuve d’initiative ou encore de créativité… sont autant de compétences transversales recherchées par les recruteurs, ce qui témoigne de l’intérêt et des attentes des entreprises pour les candidats qui les détiennent. A quoi renvoient ces compétences transversales ? Comment expliquer l’engouement qu’elles suscitent ? Et quel rôle jouent-elles dans les trajectoires professionnelles ? S’appuyant sur une analyse de la place croissante qu’occupent les compétences transversales dans le débat public, ce Céreq Bref propose une synthèse des apports de trois études explorant leur influence sur les trajectoires professionnelles des diplômés du supérieur.
 

Les compétences transversales : une notion à géométrie variable

Dans le champ de la formation ou de l’emploi, il est aujourd’hui courant d’opérer une distinction entre des compétences spécifiques et des compétences dites génériques ou transversales. Si les premières renvoient communément à des savoirs disciplinaires et techniques, clairement identifiables et mesurables, la manière de définir et de qualifier les secondes peut varier fortement en fonction du champ d’analyse où elles sont mobilisées. Il existe en effet une diversité de typologies permettant de caractériser ces compétences non disciplinaires, qui se rapportent tantôt à des savoir-faire, tantôt à des savoir-être.

Parmi les nombreux fondements théoriques et empiriques à l’origine de cette notion, une part importante découle de travaux en psychologie cognitive, dont une des représentations les plus répandues est la taxonomie de la personnalité des Big Five1 . On distingue généralement, parmi ces compétences, une dimension intrapersonnelle renvoyant au rapport à soi, à l’atteinte d’objectifs ou la gestion des émotions (estime de soi, autonomie, gestion du stress, etc.), et une dimension interpersonnelle renvoyant au rapport à autrui (capacité à travailler en équipe, à communiquer, leadership, etc.).
Au fil du temps, les approches et dénominations de la notion se sont diversifiées, à mesure de son appropriation par différents champs disciplinaires. L’essor des termes de soft skills dans le champ de la gestion et du management, ou de compétences sociales et émotionnelles du côté des sciences sociales en sont quelques exemples. Cette variété sémantique cristallise les nombreux débats autour de ces notions, centrés à la fois sur la manière de définir ces compétences, d’identifier leurs sphères d’acquisition et leurs lieux d’expression mais aussi sur la façon, voire l’opportunité, de les mesurer et de les évaluer [2]. La diversité des approches et des théories qui mobilisent cette catégorie de « compétences transversales » complexifie son étude. Cependant, force est de constater que de nombreux acteurs s’en emparent : la communauté éducative, les professionnels du recrutement en entreprise, les acteurs de la formation professionnelle, etc.
 

  • 1En psychologie, les Big Five désignent un modèle descriptif de la personnalité en cinq traits centraux, initialement proposé par Lewis Goldberg : l'extraversion, l'agréabilité, la conscienciosité, l'ouverture à l'expérience et la stabilité émotionnelle.

Pourquoi un tel engouement autour des compétences transversales ?

Les compétences transversales ont longtemps été appréhendées comme des savoirs invisibles que l’école, comme le marché du travail, requièrent et considèrent bien souvent comme allant de soi. En ce sens, l’usage de cette notion peut être assimilé à une façon d’objectiver ce que l’on repérait déjà avant de façon subjective [3].

Son apparition à partir de 2005 dans le socle commun de connaissances et de compétences1 , qui définit ce que l’élève doit savoir et maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire, est en partie liée au rôle que ces compétences jouent dans la performance scolaire, et donc dans l’explication des inégalités de parcours. Peu de temps après, les universités s’engagent elles-aussi dans cette approche, notamment dans le cadre de la professionnalisation des étudiants, en cherchant à décrire les compétences disciplinaires, mais aussi génériques, sanctionnées par leurs diplômes [4]. Un événement exogène comme les attentats survenus en France en 2015, qui ont été suivis de mesures de renforcement des compétences citoyennes en formation initiale, a également contribué à les mettre en avant. Plus récemment, l’ajout de l’épreuve du « Grand oral » à la session 2021 du baccalauréat, témoigne de l’importance conférée au développement et à l’évaluation des compétences transversales liées aux capacités à communiquer et à interagir à l’oral.
Sur le marché du travail, le rôle des compétences transversales fait l’objet d’une pluralité d’hypothèses. Lors du recrutement des débutants, elles permettraient de compléter le signal du diplôme, de moins en moins opérant en tant que tel pour trier chaque année la masse croissante de candidats bien formés. Certaines compétences transversales constitueraient ainsi « un plus » décisif, recherché par les recruteurs et valorisé par les entreprises. En outre, le renouvellement des compétences qu’impliquent les transitions numérique, énergétique et écologique favoriserait la mise en avant de ces compétences transversales. Leur valorisation pourrait aussi s’inscrire dans un processus de responsabilisation de l’individu par rapport à son employabilité : leur développement permettrait d’accroître sa capacité à s’adapter aux évolutions des emplois. L’accent mis sur les compétences du salarié masquerait alors le rôle des conditions organisationnelles du travail dans l’ajustement des compétences individuelles aux besoins de l’économie. Cette pluralité d’arguments invite dans tous les cas à explorer la portée réelle de ces compétences dans les trajectoires professionnelles.
Dans la continuité des études engagées depuis plusieurs années par le Céreq sur les compétences [5], le Centre associé régional de Dijon lance en 2011 un vaste programme de recherche portant sur les compétences de base dans un premier temps, puis sur l’identification et la mesure des compétences transversales dans les parcours scolaires et professionnels.
Parmi les nombreux travaux et publications issus de ce programme [6], les résultats présentés ci-après sont issus de trois études, ayant en commun d’avoir abordé l’influence de compétences transversales sur différents aspects des trajectoires professionnelles d’une population spécifique, les diplômés du supérieur. Ces trois études témoignent, à travers le double point de vue des diplômés et des organisations, de la diversité des dimensions professionnelles que ces compétences peuvent influencer. Par leurs différences méthodologiques, elles illustrent également la variété des démarches mobilisables pour l’étude de ces compétences (cf. Encadré 1). 

Encadré 1 - Trois études pour illustrer le rôle des compétences transversales dans les trajectoires professionnelles 
Etude 1. Les compétences sociales et transversales valorisées par les recruteurs (2020) [7]
Cette étude repose sur une enquête menée auprès de 105 recruteurs, invités à noter des CV fictifs entre 0 et 100, correspondant à la probabilité de proposer un premier entretien au candidat. Selon les CV, les caractéristiques du diplômé sont modifiées et certaines compétences sociales mises ou non en avant. Par ailleurs, les recruteurs sont invités à hiérarchiser, parmi les 10 qui leur sont proposées, les compétences sociales et transversales les plus importantes selon eux.
Etude 2. Les compétences transversales développées en master et utiles en emploi (2019) [8]
Cette étude repose sur une enquête de suivi menée auprès de 852 diplômés de master. À partir de questions ouvertes, ils étaient invités à décrire et hiérarchiser les compétences transversales qu’ils estiment avoir développées en formation. Leurs réponses ont ensuite été mises en correspondance avec leur situation professionnelle 9 à 12 mois après l’obtention du diplôme (accès à l’emploi, type de contrat, statut, salaire).
Etude 3. L’effet des soft skills sur la rémunération des diplômés (2016) [9]
La troisième étude repose sur la ré-interrogation en 2014 de diplômés sortis de l’enseignement supérieur en 2010. à partir de différents items et échelles inspirés d’autres travaux, ces derniers étaient invités à s’auto-évaluer sur 5 soft skills. Leurs réponses étaient ensuite mises en relation avec les salaires des diplômés.
Les trois études sont détaillées dans le supplément numérique :

 

  • 1Devenu socle de connaissances, de compétences et de culture avec la loi sur la Refondation de l'école de 2013.

Esprit d’équipe et dynamisme : des compétences valorisées pour accéder à l’emploi

Dans l’étude menée auprès des recruteurs [7], il apparaît que certaines compétences transversales jouent un rôle non négligeable sur le score qu’ils attribuent aux CV fictifs qui leur sont soumis. Lorsque la capacité à travailler en équipe est mise en avant dans le CV, les recruteurs accordent en moyenne 11 points supplémentaires (le score moyen étant de 67 points sur 100), quels que soient le parcours et les caractéristiques du diplômé, celles du recruteur ou le secteur d’activité considéré. Il s’agit par ailleurs de la variable ayant le plus de poids dans le score, davantage que le type de diplôme (master universitaire ou grande école) ou la mention obtenue. De plus, l’engagement dans une association étudiante, qui supposerait le développement de compétences telles que le dynamisme ou la capacité d’organisation, envoie également un signal positif aux recruteurs, qui accordent en moyenne 4 points supplémentaires aux CV qui le mentionnent.
Mettre en avant des compétences transversales dans le CV, de manière directe ou indirecte, agit ainsi sur l’appréciation des recruteurs. Au-delà de savoir si la compétence est réellement acquise ou non, c’est bien le poids des représentations des recruteurs qui est ici mis en exergue. Lorsqu’il leur est demandé de classer les compétences qu’ils jugent les plus importantes pour recruter un jeune diplômé, ils indiquent d’ailleurs le travail en équipe en premier lieu, suivi par la capacité à s’organiser, le sens des responsabilités et la capacité d’initiative.
Ces résultats sont en partie corroborés par ceux de l’étude de suivi menée auprès de diplômés de master [8]. Les étudiants qui déclarent avoir développé, durant leur formation, leur capacité à travailler en équipe et leur dynamisme, voient en effet leur probabilité d’accéder à l’emploi augmenter, à conditions égales (âge, genre et domaine de formation). Là encore, le poids des représentations subjectives, en l’occurrence celles des diplômés, se substitue à l’évaluation de la maîtrise réelle des compétences évoquées. Pour autant, il est intéressant de remarquer que les deux points de vue, celui des recruteurs et de manière indirecte celui des diplômés, se rejoignent dans une certaine mesure autour des compétences transversales utiles ou valorisées pour accéder à l’emploi. Outre la capacité à travailler en équipe et le dynamisme qui sont mentionnés dans les deux études, les autres compétences mises en avant apparaissent sémantiquement proches (innover et faire preuve d’initiative, être minutieux et savoir s’organiser, cf. Encadré 2).
 

Autonomie et éthique professionnelle : des compétences acquises en formation influant sur la qualité de l’emploi

Mais en amont de l’accès à l’emploi, qu’en est-il du développement de compétences transversales dans les cursus universitaires ? Les diplômés de master enquêtés apportent un éclairage à ce sujet [8]. D’après leurs réponses, le système de formation permet de développer en premier lieu la capacité à travailler en équipe, puis l’autonomie, l’éthique professionnelle et la curiosité, ce qui suggère une conformité des formations aux attentes des recruteurs et du marché du travail. Comme établi précédemment, la capacité à travailler en équipe apparaît particulièrement utile pour accéder à l’emploi. Quant à l’autonomie et l’éthique professionnelle, il semble qu’elles influent, parmi d’autres compétences (cf. Encadré 2), sur la qualité de l’emploi exercé 9 à 12 mois après l’obtention du diplôme.

A conditions égales, les diplômés déclarant avoir développé leur autonomie ont en effet une probabilité plus forte d’être employés en CDI plutôt qu’en CDD, de travailler à temps complet plutôt qu’à temps partiel, d’être embauchés sur un poste de cadre ou encore d’avoir une rémunération plus élevée. L’éthique professionnelle, quant à elle, exerce également une incidence positive sur le statut de l’emploi (CDI et temps complet) et sur la rémunération.

Bien que perçu subjectivement par les diplômés, le contenu des formations paraît à nouveau répondre aux attendus du marché du travail, pour ce qui est des compétences objectivement valorisées dans les parcours professionnels selon certains critères de qualité de l’emploi. L’étude ne permet toutefois pas de savoir si les réponses des diplômés varient selon les situations d’emploi et les secteurs d’activité.
 

Estime de soi, prise de risque, communication, persévérance : des compétences liées aux postes plus qualifiés et mieux rémunérés

La post-enquête menée sur la Génération 2010 [9] apporte des éléments sur le lien entre compétences transversales et niveau de rémunération des emplois occupés par les diplômés du supérieur. Les analyses révèlent ainsi que, sous contrôle de facteurs sociaux et scolaires classiques (niveau de diplôme, domaine disciplinaire, milieu social), le niveau de rémunération des diplômés augmente avec l’estime de soi (penser réussir professionnellement mieux que les autres), la prise de risque, la communication (être satisfait des échanges entretenus avec les collègues) et la persévérance. Par ailleurs, une analyse statistique montre que l’effet des compétences transversales est en général plus élevé pour le haut de l’échelle des salaires, ce qui est également le cas d’autres facteurs de sélection scolaire ou sociale, tels que la mention obtenue ou la profession du père. à l’inverse, d’autres dimensions mesurant traditionnellement le capital humain, comme l’obtention d’un master ou l’expérience, influent plus largement sur le bas de l’échelle des salaires.
Ces résultats témoignent ainsi du rôle complémentaire exercé par les compétences transversales, dans les trajectoires professionnelles des individus mais également dans la nature de l’activité de travail. Si le diplôme et l’expérience demeurent des signaux, ils semblent rester discriminants pour l’accès à des postes moins rémunérés, mais ne suffiraient pas pour accéder aux postes les plus qualifiés et les plus rémunérateurs, qui nécessiteraient de détenir, en sus, un éventail de compétences transversales. Au-delà d’être un critère de sélection pour accéder à ces emplois, ces compétences semblent également caractériser les exigences réelles requises pour leur exercice.

 


Les résultats présentés ici sont limités au champ spécifique des diplômés du supérieur, dont la réussite scolaire et universitaire repose déjà potentiellement sur la mobilisation de certaines compétences transversales. Pour autant, la confrontation des points de vue des diplômés comme des recruteurs tend à confirmer l’intérêt de cette question dans l’étude des relations formation-emploi et des trajectoires professionnelles. Les résultats conduisent ainsi à identifier, d’une part, des compétences servant de signal pour accéder à l’emploi et, d’autre part, celles qui semblent effectivement requises pour exercer certains emplois, notamment les plus qualifiés. Ceci conduit nécessairement à s’interroger sur la correspondance entre ces compétences transversales exigées pour entrer sur le marché du travail, ou nécessaires à l’exercice professionnel, et celles développées en formation. Si les trois études pointent un alignement relatif des formations universitaires en la matière, leur portée ne permet pas de statuer sur les compétences effectivement visées par les formations, et encore moins sur l’efficacité de ces dernières en matière d’acquisitions par les apprenants. Rappelons enfin que la mise en avant régulière de ces compétences, et l’attention qu’on leur porte dans le débat public comme dans l’actualité, dépendent également du contexte socio-économique global. Alors que la crise sanitaire et économique marque profondément le monde professionnel et la société dans son ensemble, il y a fort à parier que les évolutions en cours et à venir concernant l’emploi, notamment le développement du télétravail, feront davantage encore la part belle à certaines compétences transversales telles que l’autonomie, l’adaptabilité ou encore les compétences communicationnelles.
 

Pour en savoir plus

[1] Language and individual differences: The search for universals in personality lexicons, L.R. Goldberg,  In Wheeler (Ed.), Review of Personality and social psychology, Vol. 1, 141-165. Beverly Hills, CA: Sage, 1981. 
[2] Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la compétence en éducation, M. Crahay, Revue française de pédagogie, 154, 2006.
[3] Objectiver les compétences d’interaction. Critique sociale du savoir-être, E. Sulzer, Education permanente, n°140 - 1999-3- La logique de la compétence (I). 1999.
[4] L’approche par compétences : un nouveau paradigme pour la pédagogie universitaire ?, C. Chauvigné, J.-C. Coulet, Revue française de pédagogie, 172, 2010.
[5] Réfléchir la compétence : approches sociologiques, juridiques, économiques d’une pratique gestionnaire, A. Dupray, C. Guitton, S. Monchatre (Dirs.), Éd. Octarès, (Colloques), 2003.
[6] Les compétences sociales et non académiques dans les parcours scolaires et professionnels, J.-F. Giret, S. Morlaix, EUD, Sociétés, 2016.
[7] La perception des parcours d’études non linéaires par les recruteur·euses, I. Albandea, L’Orientation scolaire et professionnelle, 49 (1), 2020.
[8] Compétences transversales et employabilité : de l’université au marché du travail, S. Morlaix, N. Nohu, Education permanente, 218, 2019.
[9] L’effet des soft-skills sur la rémunération des diplômés, I. Albandea, J-F. Giret, Net.doc, n°149, Céreq, 2016.

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Berthaud Julien, Le rôle des compétences transversales dans les trajectoires des diplômés du supérieur, Céreq Bref, n° 408, 2021, 4 p. https://www.cereq.fr/es/node/10109