Céreq Bref, n° 415, Noviembre 2021, 4 p.

Des territoires plus favorables aux débuts de carrière

Publicado el
22 Noviembre 2021

La transformation des territoires, du fait de la démographie, des évolutions des secteurs d’activité et de la métropolisation, a profondément modifié la géographie de l’insertion ces dernières années. Ainsi, certaines zones présentent des particularités qui favorisent les débuts de carrières, notamment sur le plan de la rémunération. Introduire le territoire comme dimension d’analyse permet de questionner les interactions qui se jouent entre espaces de résidence et débuts de carrière, au-delà des caractéristiques intrinsèques des jeunes, et de pointer des zones d’emploi plus ou moins favorables.

Des phénomènes tels que la métropolisation, la désindustrialisation, les reconversions, les spécialisations ou la littoralisation des activités ont engendré des fractures territoriales qui expliquent en partie la géographie de l’insertion [1]. Ainsi, des effets territoriaux accompagnent ou freinent les processus d’insertion, mais perdurent-ils dans le temps ? Autrement dit, au-delà des principales disparités constatées en fonction du diplôme, du sexe, de la catégorie sociale des parents, d’un emploi à durée indéterminée ou d’un emploi à temps plein, le territoire imprime-t-il sa marque sur les débuts de carrière et les évolutions de rémunération ? Une partition du territoire en zones d’emploi telles que délimitées par l’Insee, c’est-à-dire où les actifs résident et travaillent en grande majorité, permet de mettre en évidence des conditions d’emploi, des structures économiques et des caractéristiques géographiques hétérogènes, propres à chaque zone. À partir de l’observation de la Génération 2010 sur sept années de parcours d’insertion, c’est l’importance du territoire en tant que déterminant des évolutions salariales des jeunes actifs qui est interrogée ici en distinguant les jeunes actifs sédentaires et mobiles.

Les trois premières années de vie active correspondent à une période d’insertion professionnelle et de stabilisation dans l’emploi. C’est aussi celle d’une insertion plus globale dans l’âge adulte avec la décohabitation parentale, l’éventuelle mise en couple ou l’arrivée d’enfants. Les étapes de cette transition vers l’âge adulte sont propices aux mobilités résidentielles, lesquelles sont beaucoup plus fréquentes entre 16 et 24 ans que pour les autres tranches d’âges. Afin de ne pas surestimer les mobilités liées à ces événements, seules les mobilités au-delà des trois premières années de carrière sont prises en compte.

Parmi les jeunes occupant un emploi dans le secteur privé sept ans après leur sortie du système scolaire, un peu plus d’un sur cinq a changé de zone d’emploi entre 2013 et 2017 [2]. Relativement aux travailleurs sédentaires, les individus qui composent la population mobile ont, en moyenne, un niveau de formation plus élevé. En revanche, en 2013, leurs conditions initiales de travail (salaires et contrats) sont moins intéressantes. Ainsi, les plus formés, plus enclins à la mobilité, augmentent leurs chances d’accès à des emplois offrant de meilleures conditions de travail qui compensent les coûts (économiques et psychologiques) associés à la mobilité.

L’introduction du territoire comme dimension d’analyse permet ainsi d’interroger les interactions qui se jouent entre espaces de résidence et débuts de carrière, au-delà des caractéristiques intrinsèques des jeunes, et de pointer des zones d’emploi plus ou moins favorables. Après avoir identifié les composantes des économies locales attractives en termes de salaires, selon le niveau d’études des individus, seront ensuite exposées, respectivement pour les salariés restés au sein de leur zone d’emploi et les salariés mobiles, les dimensions géographiques favorables.

Déménager vers des métropoles-technopoles ou des zones touristiques stimule la progression salariale des jeunes

Quels que soient les diplômes et la mobilité, les rémunérations des jeunes actifs sont favorisées dans des zones d’emploi qui se démarquent par le dynamisme de leur démographie et de leur marché du travail1 (voir carte). Ces zones abritent des systèmes productivo-résidentiels (voir encadré 1) [3] [4] créateurs d’emplois spécialisés, qui induisent plus de production de richesses, et donc de revenus, pour les actifs qui y travaillent.

1. Sphères présentielle et productive
« Les activités présentielles sont les activités mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes dans la zone, qu’elles soient résidentes ou touristes. Les activités productives sont déterminées par différence […]. [Elles] produisent des biens majoritairement consommés hors de la zone et des activités de services tournées principalement vers les entreprises de cette sphère ».
https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr

Des zones métropolitaines comme Cergy sont favorables à toutes les catégories de jeunes, notamment les sédentaires sortant de l’enseignement supérieur (voir carte). Celle d’Annecy est plus favorable aux jeunes mobiles diplômés de l’enseignement secondaire, et aux jeunes sédentaires quel que soit leur niveau de diplôme. Cette situation s’explique par le fait que cette zone est spécialisée à la fois dans des emplois productifs et présentiels. Des clusters industriels à fort taux d’emploi productif comme Ancenis, Cholet ou Les herbiers sont favorables aux jeunes sédentaires diplômés de l’enseignement secondaire et aux jeunes mobiles de tous niveaux. Des métropoles-technopoles, spécialisées dans la recherche et des industries de haute technologie, comme Toulouse, sont favorables à tous les jeunes mobiles, quel que soit leur niveau de diplôme.

Pour les jeunes mobiles, deux caractéristiques de la zone d’emploi ont des effets sur les niveaux de salaire : le taux de chômage et le revenu médian. Ainsi, les moins diplômés ont des salaires plus faibles lorsqu’ils arrivent dans des zones d’emploi où le chômage est plus important que la moyenne nationale. À l’inverse, lorsqu’ils étaient, avant 2013, dans une zone d’emploi avec un important taux de chômage, leurs salaires vont progresser d’autant plus qu’ils arriveront dans une zone avec un fort niveau d’emploi.

En ce qui concerne les salaires des diplômés du supérieur, le fait d’arriver dans une zone d’emploi où le revenu médian est supérieur à l’ensemble du territoire métropolitain leur est profitable. Ainsi, les plus diplômés ont plus de chances d’améliorer leur niveau de salaire lorsqu’ils quittent des zones d’emploi au revenu médian modeste pour des zones où la rémunération médiane est plus élevée.

L’arrivée dans certains territoires est bénéfique pour les salaires des sortants du secondaire comme dans la Vallée de l’Arve où l’économie productive est fortement spécialisée dans le décolletage, ou à Briançon ou Ajaccio, où l’économie présentielle a une forte dimension touristique, ou encore à Aix, Marseille, Strasbourg, Lille ou Paris, zones à forte dimension technopolitaine. Certaines zones présentent un profil touristique et viticole (Mâcon, Colmar ou Epernay) et offrent ainsi des opportunités salariales à des jeunes peu diplômés grâce aux emplois des industries agro-alimentaires, du négoce-commerce des vins, de la logistique, du transport, de l’œnotourisme et de l’immobilier.

 

  • 1Dynamisme démographique et dynamisme du marché du travail correspondent à des valeurs supérieures à la moyenne pour des indicateurs relatifs à l’évolution de la densité de population (2011 à 2016), au taux d’actifs occupés qui travaillent hors de leur commune de résidence (2016), et au taux d’activité (2016). De même, leurs valeurs sont supérieures à la moyenne pour la part des secteurs innovants dans le total de l’emploi salarié privé (2015) et pour le taux de création d’entreprises (2015).

Des progressions salariales favorables pour les jeunes sédentaires dans les zones frontalières et les clusters industriels

Quel que soit leur niveau de diplôme, les jeunes actifs sédentaires bénéficient de conditions de rémunération favorables dans les zones d’emploi où globalement les revenus médians sont supérieurs à la moyenne nationale, et plus particulièrement pour ceux qui résident à Paris. Le dynamisme démographique des zones d’emploi où l’indice de jeunesse est supérieur à la moyenne nationale (rapport des moins de 20 ans aux plus de 60 ans) soutient la progression salariale des sédentaires les moins diplômés. Travailler dans une zone d’emploi où la part des emplois dans le BTP est supérieure à la moyenne nationale constitue également un avantage pour ces derniers.

Pour les jeunes sédentaires sortis de l’enseignement secondaire, un avantage salarial est lié à la spécialisation de l’emploi industriel de ces zones dans des secteurs dynamiques et innovants. L’accès rapide à de plus grands « gisements » d’emplois (accès à des métropoles par la route ou le rail) est aisé depuis certaines d’entre elles. C’est le cas des villes frontalières comme Pontarlier, Morteau, Le Chablais ou même Annecy qui constituent à la fois des zones d’emploi industriel et tertiaire sur place, et des zones de résidence de salariés travaillant en Suisse dont les salaires sont majorés par rapport à ceux du marché du travail français. C’est aussi le cas de zones industrielles et résidentielles pour des jeunes qui travaillent sur place et dans des métropoles voisines où les salaires sont élevés : Rouen, Beauvais, Vernon-Gisors ou Mantes-la-Jolie (navettes avec Paris et les Hauts de Seine – La Défense), Villefranche-sur-Saône (navettes avec la métropole du Grand Lyon).

Résider dans une zone où le revenu médian est plus élevé que la moyenne est d’autant plus favorable pour les diplômés du supérieur que les emplois s’y répartissent avec une part supérieure à la moyenne nationale des activités tertiaires mais aussi des emplois dans l’industrie. Le profil économique diversifié des zones métropolitaines de Cergy, Melun et Lyon explique leur caractère avantageux. Cergy et Melun sont des zones à économie plus présentielle parce qu’elles constituent des satellites parisiens en tant que villes nouvelles résidentielles depuis les années 1960. La métropole lyonnaise se caractérise par une économie à la fois productive, technopolitaine et présentielle.

Le territoire, la famille et les conditions d’emploi

Les jeunes actifs sédentaires bénéficient en outre de ressources personnelles attachées au territoire. Pour ces derniers, avoir des parents cadres influence toujours positivement leur évolution salariale, après sept ans de carrière. Mais cet effet n’est en revanche plus significatif pour les jeunes qui, depuis 2013, ont changé de zone d’emploi de résidence et se sont donc éloignés des ressources parentales.

Les jeunes qui migrent vers des zones d’emploi cumulant des caractéristiques favorables se distinguent du reste des jeunes actifs par la priorité qu’ils donnent à leur vie professionnelle après les sept premières années de carrière [5] [6]. Ils sont aussi moins souvent en couple et sont moins souvent parents. Cependant, si la mobilité n’est pas toujours favorable aux conditions d’emploi, elle peut contribuer à un équilibre personnel. Par exemple les jeunes mobiles qui arrivent dans des zones d’emploi plutôt favorables à des jeunes sédentaires s’estiment majoritairement employés au-dessous de leurs compétences (59%) et sont moins enclins à souhaiter rester le plus longtemps possible dans leur emploi. Ces mobilités moins porteuses sur le plan salarial semblent néanmoins offrir d’autres avantages. Ainsi, les jeunes mobiles vers des zones telles Lyon, Melun ou Cergy, sont plus nombreux à être parents en 2017 et ils affirment, sept ans après leur sortie du système scolaire, que leur priorité est leur vie hors travailPlus généralement, l’importance donnée à la qualité de vie sur un territoire pourrait s’accentuer chez les jeunes actifs. Il convient en effet de souligner que la géographie du lieu de travail et du lieu de résidence a été récemment interrogée lors de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Le confinement a permis d’expérimenter de nouvelles formes d’organisation. Si les enjeux territoriaux de la crise sanitaire ne sont pas encore tous mesurés, il est néanmoins probable que les impacts du territoire sur le salaire et les conditions d’emploi se distingueront toujours selon les niveaux de diplôme, mais que de nouveaux effets pourraient apparaître. Ces derniers concerneraient des profils spécifiques comme les cadres parisiens, ceux-ci pouvant faire le choix de s’installer dans des territoires à moins de deux heures de train, plus favorables à la vie familiale, tout en conservant leur rémunération plus importante de la capitale. Ainsi, l’intensification du télétravail pour une partie de la population, souvent les plus diplômés, a permis l’expression de préférences résidentielles qui pourraient, si elles se confirment, transformer la relation emploi-territoire-résidence.

 

3. Méthodologie
Les sept premières années de carrière ont été synthétisées à travers les salaires individuels et leurs évolutions. Cette analyse concerne les jeunes sortis du système scolaire en 2010 et occupant un emploi en 2017 dans le secteur privé, les salaires des fonctionnaires n’étant pas pertinents pour une partition territoriale.
Une approche économétrique multiniveaux, toutes choses égales par ailleurs, permet de préciser l’effet « territoire », à la fois pour les jeunes « mobiles » qui ont changé de zone d’emploi de résidence entre 2013 et 2017, et pour les « sédentaires » qui n’ont pas changé de zone d’emploi pendant cette période.
La spécification économétrique estime le logarithme des salaires des salariés en 2017, en fonction des variables individuelles (niveau 1, tels que le genre, le diplôme des individus, etc.) et les caractéristiques des zones d’emploi (niveau 2, comme par exemple : si taux le taux de chômage de la localité dépasse le taux de chômage national, si les rémunérations moyennes de la localité dépassent la rémunération moyenne nationale, etc.) :
yij=β0j+β1j (Xij)+εij
avec yij les salaires en 2017 de l’individu i dans la zone d’emploi j et Xij l’ensemble des cofacteurs de niveau 1 et 2. Pour plus de détails, le lecteur intéressé peut consulter le Céreq Essentiels du groupe d’exploitation de l’enquête Génération 2010 à 7 ans (à paraître au cours du premier semestre 2022).

Pour en savoir plus

[1] 20 ans d’évolutions régionales de l’insertion : mobilité, métropolisation et contextes économiques et régionaux, G. Boudesseul, P. Caro et A. Checcaglini, dans Céreq Essentiels, n° 1,  p. 21-31, 2018.
[2] « L’empreinte des territoires sur les premières années de vie active des salariés », P. Caro, A. Checcaglini et J.-P. Guironnet, Céreq Essentiels, à paraitre.
[3] France : les mutations des systèmes productifs, L. Carroué, Paris, A. Colin, 2013.
[4] « L’émergence de systèmes productivo-résidentiels. Territoires productifs, territoires résidentiels : quelles interactions ? », L. Davezies et M.  Talandier, Travaux, n° 19, CGET, La Documentation française, 2014.
[5] Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée, D. Épiphane et al., Céreq Bref n° 382, 2019.
[6] La qualité du travail, au cœur des aspirations des jeunes salariés, C. Fournier, M. Lambert et I. Marion-Vernoux Céreq Bref, n° 400, 2020.

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Caro Patrice, Checcaglini Agnès, Guironnet Jean-Pascal, Des territoires plus favorables aux débuts de carrière, Céreq Bref, n° 415, 2021, 4 p. https://www.cereq.fr/es/node/10183