Céreq Bref, n° 379, Julio 2019, 4 p.

Pour les lycées professionnels, l'avenir se joue en réseau

Publicado el
9 Julio 2019

La réforme du lycée professionnel engagée en 2018 compte entre autres sur la généralisation de la « mise en réseau » des établissements de formation pour transformer ce secteur.

Une étude du Céreq portant sur deux académies « pilotes » en matière de réseaux d'établissements permet de mieux cerner leurs enjeux, leurs finalités et les défis à relever pour systématiser leur mise en oeuvre.

Éclatée entre la formation initiale secondaire sous statut scolaire et l’apprentissage, la formation continue des salariés, la formation professionnelle des demandeurs d’emploi et l'enseignement supérieur, la formation professionnelle souffre d'un manque de lisibilité renforcée par un fort cloisonnement des établissements. Face à cette fragmentation, certaines académies ont expérimenté la mise en place de réseaux fédérant des lycées publics professionnels et technologiques, des lycées privés sous contrat, des centres de formation d’apprentis (CFA), des Greta, des centres de formation privés et des partenaires du monde économique, représentants de branches ou d’entreprises, autour de grandes thématiques professionnelles.

L'objectif de ces réseaux est de décloisonner les établissements et les voies de formation (scolaire, par apprentissage et en formation continue) à partir d’une approche par métiers. L'enjeu est d’améliorer la lisibilité de l’offre de formation, de faciliter les parcours et la mobilité des élèves, d’élever le niveau de qualification, en passant d’une offre de formation par établissement à une offre de formation par réseau. Les réseaux visent aussi à conduire une démarche prospective sur les formations liées à une filière, grâce au partenariat avec le monde économique qui doit permettre d’anticiper les évolutions technologiques et les besoins en compétences des entreprises. Il s'agit de progresser dans la cohérence de la carte de formation en lien avec le conseil régional, problème complexe et récurrent depuis les premières lois de décentralisation de 1982-1983 [1].

Venue du terrain, cette idée de mise en réseau a été reprise dans le rapport de la mission ministérielle sur la transformation de la voie professionnelle scolaire remis au ministère de l'Éducation nationale en février 2018, qui voit en elle un levier de l'évolution de ce segment de la formation. En effet, le rapport préconise de systématiser ces « expériences efficaces, de réseaux (...) d’établissements labellisés ou non campus des métiers et des qualifications, qui favorisent l’ouverture des établissements et la cohérence de l’offre de formation », afin « d’aboutir à une carte des formations pensée en fonction des parcours des élèves » [2]. Le ministère a suivi ces préconisations dans le cadre de sa réforme du lycée professionnel, et depuis mai 2018 « chaque lycée professionnel a vocation à s’intégrer dans un réseau géographique facilitant les complémentarités sur un territoire donné, dans un réseau thématique structuré par filière professionnelle. Ces rattachements permettront un maillage territorial qui favorisera la réussite des élèves tout en répondant aux besoins économiques de chaque territoire » [3].

 

Ce Céreq Bref rend compte d’une étude portant sur deux de ces expériences de mise en réseaux, déployées en 2013 dans l'académie de Rouen et en 2016 dans celle de Grenoble. L’étude pointe les défis de la mise en œuvre des réseaux dans les deux académies, et apporte des éclairages utiles pour leur généralisation. Des préconisations sont notamment développées dans le rapport d’études [4].

Deux académies, deux déclinaisons de mise en réseaux

Portées par un même recteur déterminé à faire de la voie professionnelle une priorité de l'action académique, les deux expériences présentent néanmoins deux configurations de réseaux différentes. Celles-ci dépendent en effet des contextes académiques, des spécificités géographiques, des activités économiques et filières de formation en présence, des relations avec le Conseil régional. Dans l’académie de Rouen, le recteur procède à une mise en réseau « systématique » des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) à l’échelle de l’académie. Neuf réseaux sont définis à partir d’une cartographie socio-professionnelle et économique des secteurs d’activités, établie avec le conseil régional et les branches.

Dans l’académie de Grenoble, la cartographie est définie par les seules autorités académiques, autour de problématiques spécifiques à une filière et un territoire : améliorer l’attractivité des métiers de la maintenance industrielle, limiter la concurrence public-privé dans le domaine santé-social, soutenir le développement de territoires dans l’hôtellerie restauration, etc. Si chaque réseau regroupe un continuum de diplômes du CAP au BTS, leurs tailles sont au final très diverses, certains comptant plusieurs dizaines d’établissements dans l’académie de Rouen, quand ils varient plutôt autour d'une dizaine dans l’académie de Grenoble. Un premier résultat de l'étude est donc qu’il n’existe pas de modèle unique de mise en réseau, mais un dispositif malléable au service d’objectifs communs.

Le binôme « inspecteur-proviseur » au cœur de l'innovation

Le principal défi des réseaux consiste à conforter un nouveau mode managérial par projet au sein d’une administration traditionnellement hiérarchique. La mission d'animation de réseau créée dans cet objectif constitue une des innovations du dispositif. Un binôme est en effet désigné par le rectorat, composé d’un inspecteur de la filière et d’un chef d’établissement d’un lycée dit « tête de réseau », en général un lycée des métiers emblématique des formations du réseau. Il est appuyé par un professionnel représentant la thématique portée par le réseau, dénommé « parrain économique » dans ce dispositif. Ce binôme a pour mission première de mobiliser tous les acteurs internes à l’Éducation nationale, mais aussi les partenaires externes, tels les établissements de formation privés et les acteurs économiques. Il doit « créer un cadre qui permette à tout le monde d’exister et de se retrouver » sur des « objets communs » (animateur de réseau). Pour tous les animateurs interrogés, la dynamique de mobilisation nécessite l’affichage d’une volonté politique forte du recteur et un accompagnement soutenu de la DAFPIC. Le travail d’appropriation des objectifs du réseau est également jugé déterminant. Plusieurs mois de co-construction des projets ont ainsi été nécessaires dans l’académie de Grenoble.

Une fois installés, les réseaux fonctionnent en autonomie, avec le soutien du rectorat. Le travail prospectif sur la carte des formations et l'élaboration d'actions « pédagogiques » communes sont les deux grandes activités qui structurent la vie des réseaux. Dans les deux académies, les binômes réunissent deux à trois fois par an les proviseurs et responsables des structures partenaires, pour élaborer collectivement des actions telles que des plaquettes et des vidéos de communication sur l’offre de formation du réseau, un accueil d’élèves dans les établissements du réseau pour des mini-stages, des visites d’entreprises ou de plateaux techniques, des formations d’enseignants, etc. L’académie de Grenoble a fait appel au volontariat des enseignants pour concevoir et réaliser certaines de ces actions, mais peu étaient mobilisés au moment de l’étude.

Dans l’académie de Rouen, les réunions traitent prioritairement de la carte des formations, car le réseau a la charge de relayer un avis sur chaque demande d’ouverture et de proposer un classement auprès des autorités académiques et régionales. Cette mission n’est pas pour l’instant dévolue aux réseaux dans l’académie de Grenoble.

Pour les inspecteurs interrogés, les réseaux sont des outils au service de leurs missions habituelles, « coordonner les bonnes pratiques », « faire évoluer le positionnement professionnel des enseignants ». Ils adoptent une posture « d’expert » et de « conseil » sur les métiers et la pédagogie, « en appui » au proviseur, considéré comme le véritable animateur et la « force motrice » du réseau. La plupart des animateurs de réseau vivent leur mission comme une reconnaissance de leurs capacités managériales à convaincre et mobiliser. Les proviseurs y voient aussi l'opportunité de développer des compétences organisatrices plus larges que celles de leurs pairs.

Inspecteurs et proviseurs disent regretter que cette nouvelle tâche ne soit pas formalisée dans les lettres de mission, ni jusqu'à présent reconnue dans la gestion des carrières. Ils font également face à une série de difficultés, en premier lieu le manque de temps pour assurer « pleinement » cette mission additionnelle « à côté du quotidien », et l'insuffisance de moyens. S’ils s’accommodent pour l’instant du volant d’heures supplémentaires alloué et des lignes de financements pour la formation des enseignants, ils alertent sur les besoins que nécessitera le développement des réseaux. Enfin, la configuration de certains réseaux complique parfois la tâche. Un périmètre trop large ou des distances géographiques trop importantes à parcourir constituent des obstacles aux collaborations.

Une place des partenaires externes encore à définir

Tous les acteurs interrogés, qu’ils soient de l’Éducation nationale ou non, adhèrent aux objectifs de la mise en réseau : « cette idée de mutualiser, de croiser les regards, d’alimenter la réflexion, de réfléchir à une carte des formations qui soit cohérente (...), de réfléchir collégialement à l’évolution de l’école dans sa globalité, c’est extrêmement intéressant » (conseiller en formation continue, Greta). Ils estiment que les réseaux permettent un début de décloisonnement, et des avancées concrètes : « si on arrive à construire des plaquettes de présentation... ça peut paraître anodin mais en termes d’état d’esprit, en termes de volonté, c’est important comme [premier] pas » (animateur). Les interlocuteurs de l'étude s'accordent également sur la réelle amélioration de la visibilité de l’offre de formation permise par les réseaux. Néanmoins, ils considèrent que les résultats sont encore trop limités. La mobilisation des acteurs est jugée inégale, y compris au sein des EPLE. Les partenaires économiques sont souvent absents. Malgré la présence des Greta dans les réunions, les problématiques liées à la formation continue ne sont que très rarement traitées. La réalisation de parcours d’élèves entre établissements demeure également marginale. Dans l’académie de Rouen, le travail sur la carte des formations se fait sans véritable réflexion prospective et les actions pédagogiques manquent d’envergure.

Les partenaires externes (CFA, organismes de formation privés, partenaires économiques) et les Greta expriment des difficultés à trouver leur place dans des réseaux où les acteurs de l’Éducation nationale dominent largement et où sont abordées des problématiques jugées « très scolaires » et centrées sur la formation initiale : « je ne sais pas comment me situer moi par rapport à ça. Ils parlent d’un univers en fait que je [ne] connais que de loin », (artisan, responsable d'un organisme de formation continue). Lors de l'enquête, deux réseaux n’avaient plus de « parrain », et un autre a fait appel à un retraité. La difficulté n’est pas de trouver des professionnels car tous les lycées sont ancrés dans un tissu relationnel fort avec les entreprises, mais de repérer des partenaires « neutres » et représentant l’ensemble des métiers du réseau, car ce dernier correspond rarement au périmètre d'une branche professionnelle. Certains « parrains » peinent à identifier leur rôle, jamais explicitement défini : « comment [a-t-on] présenté mon rôle de " parrain " ? [Pour moi], je n’en ai pas... Moi je me suis positionné comme observateur » (« parrain économique »).

Dépasser la concurrence entre établissements

La concurrence entre établissements, y compris entre EPLE, est aussi un obstacle majeur aux partenariats, comme l’admet cet animateur de réseau : « [Chacun] est sur son territoire avec ses partenaires et ses actions, et [personne] n’a envie de les lâcher ». Ce cloisonnement est également source de tensions pour les proviseurs animateurs, qui doivent en effet promouvoir les intérêts de tous les établissements du réseau, y compris les concurrents publics ou privés de leur propre lycée : « Alors c’est toujours un peu la confusion de se dire j’anime mon réseau mais quel est le bénéfice pour mon établissement ? Ça, c’est compliqué ». L’animation gagne donc à éviter les sujets trop clivants. Dans l’académie de Rouen, les acteurs notent que le travail sur la carte des formations cristallise les tensions concurrentielles : « quand on a commencé à parler carte des formations (...) il n’y avait pas un collègue qui prenait l’initiative parce qu’en fait il y a une vraie concurrence sur ce sujet-là » (animateur). Forte de ce retour d’expérience, l’académie de Grenoble a préféré éviter dans un premier temps le travail sur la carte de formation. L’animation a privilégié des actions liées à la pédagogie, propices au développement de relations de confiance entre des acteurs qui ne se connaissent pas et aux intérêts potentiellement divergents.

Le recul manque encore pour évaluer l’impact des réseaux sur les parcours de réussite et d’insertion des élèves et sur la cohérence de l’offre de formation. En revanche, l'étude montre qu'un processus de changement organisationnel est à l'œuvre dans le mode de pilotage académique de la formation professionnelle, adapté progressivement aux retours d’expérience. Les dynamiques observées tendent à nuancer le diagnostic de certains chercheurs soulignant « la grande stabilité » de l'Éducation nationale [55 ]. Sous l’impulsion du recteur, ce processus a en effet pu engager tous les acteurs concernés par la voie professionnelle dans deux académies, des enseignants aux cadres académiques en passant par la DAFPIC. L'avenir des réseaux dépendra de la continuité de la politique académique pour maintenir l'investissement de ces acteurs. Le principal défi sera de mobiliser davantage les partenaires externes, sans doute en progressant dans la co-construction des finalités des réseaux et en clarifiant le rôle des partenaires économiques.

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Pour en savoir plus

1] « Hiérarchie des savoirs et concurrences institutionnelles : la régulation des cartes régionales de formation professionnelle », Revue française de pédagogie n°182, H. Buisson-Fenet, E. Verdier, 2013.

[2] « La voie professionnelle : viser l'excellence », C. Calvez et R. Marcon, rapport remis au ministère de l'Éducation nationale, 2018.

[3] « Transformer le lycée professionnel, former les talents aux métiers de demain », ministère de l'Éducation nationale, mai 2018.

[4] « Des réseaux d’établissements au cœur des transformations de la voie professionnelle. Retour sur deux expériences académiques de mise en réseau d’établissements de formation professionnelle et technologique », Céreq Etudes n°24, I. Borras, N. Bosse, M. Zalkind, 2019.

[5] L’administration de l’Éducation nationale, H. Buisson-Fenet, PUF, 2008.

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Borras Isabelle, Bosse Nathalie, Zalkind Madeleine , Pour les lycées professionnels, l'avenir se joue en réseau, Céreq Bref, n° 379, 2019, 4 p. https://www.cereq.fr/es/node/9627