Céreq Bref, n° 389, Marzo 2020, 4 p.

Construire les compétences de demain dans le BTP

Du CAP aux écoles d'ingénieurs, le BTP propose différents parcours de formations aux jeunes souhaitant s'orienter vers ses métiers. S'il attire de nombreux apprentis, le secteur ne parvient cependant pas suffisamment à les garder tout au long de leur apprentissage, ni à les stabiliser dans ses emplois.  L'évolution des métiers liée aux transitions écologique et numérique sera-t-elle l'occasion de renouveler l'attractivité de la filière auprès des jeunes ? Une étude du Céreq auprès des professionnels du secteur apporte de premiers éléments de réponse.

L’offre de formation « BTP » (cf. encadré 1) concerne, pour l’année 2017-2018, 197 000 élèves inscrits dans les formations professionnelles de l’enseignement secondaire de l’éducation nationale. Parmi eux, 35 % sont inscrits en CAP ou équivalent, 60 % en bac professionnel et bac technologique et 5 % en brevet professionnel. Dans l’enseignement supérieur, on dénombre 68 000 inscrits pour l’année 2017-2018, dont 41 % en BTS, 12 % en DUT, 15 % en licence professionnelle et 32 % en formation d’ingénieur. Par ailleurs, les formations du BTP par voie scolaire, du second degré au BTS, sont relativement bien réparties sur l'ensemble du territoire, alors que la répartition est beaucoup moins homogène pour les formations en apprentissage du secondaire ainsi que pour celles de l’enseignement supérieur.

Encadré 1 : L'étude et sa méthodologie
Le Céreq a réalisé, en 2019, une étude sur l'offre de formation dans le BTP pour le compte de Constructys, opérateur de compétences pour ce secteur. L'objectif était triple : qualifier la dynamique des diplômes du BTP ; préciser les parcours de formation et d’insertion des diplômés du BTP ; et instruire les enjeux du développement des formations du supérieur par alternance aux métiers du BTP. Cette étude a combiné une approche qualitative par entretiens auprès d’une vingtaine d’acteurs impliqués dans la relation formation-emploi dans le champ du BTP, et l’exploitation de différentes sources d’information sur les formations initiales.
Pour les formations du second degré et les BTS, les données sont issues de la base de données FAERE (Fichiers anonymisés pour les études et la recherche) de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) en provenance des SIS (Systèmes d’information scolarité) et SIFA (Systèmes d'information de la formation des apprentis). Pour les formations de l’enseignement supérieur, les données proviennent des bases SISE (Système d'information sur le suivi de l'étudiant) du SIES (Sous-direction des systèmes d'information et des études statistiques) et SIFA de la DEPP.
L’analyse de l’insertion des primo-sortants de formation BTP (identifiés à partir du code diplôme des formations qui préparent aux métiers cibles du domaine d’activité) a été réalisée à partir des données de l’enquête 2016 auprès de la Génération 2013 du Céreq.

Une offre de formation initiale adaptée au tissu économique, favorisant une bonne insertion professionnelle

Au sein des formations professionnelles initiales du BTP, les apprentis sont surreprésentés. Selon l’enquête Génération : 58 % des jeunes sortant d'une formation du BTP en 2013 étaient en apprentissage, contre seulement 18 % pour les formations hors BTP. Cette surreprésentation est particulièrement forte au niveau CAP et bac pro, où l’apprentissage représente respectivement 79 % et 45 % des sorties de formation initiale du BTP, contre respectivement 39 % et 14 % pour les formations hors BTP. Elle est à rapprocher de la structure économique sectorielle très spécifique, polarisée entre « quelques majors1 prédominantes en termes d’emplois et de capacités de production, et plus de 90 % d’entreprises de moins de 10 salariés, avec, au milieu, quelques poids lourds, bâtisseurs régionaux » (responsable de branche). Selon leur taille et surtout selon leur configuration productive, les entreprises opèrent des choix quant au niveau de formation et à la nature de la certification de leurs futurs salariés.

Ainsi, le bac professionnel semble moins mobilisé par les PME, TPME et les artisans, au profit d’un CAP reconnu comme un premier niveau de qualification avéré. Mais il est apprécié et demandé par les grandes entreprises, où les activités sont sans doute plus segmentées, et où le bac pro peut constituer l’antichambre d’une poursuite d’études en BTS. S’il y a peu d'enchaînements CAP - BTS, les parcours multi-CAP ou du CAP vers le BP (uniquement accessible en apprentissage) apparaissent pour les PME comme les idéaux-types des parcours de formation et d’acquisition des compétences. Par ailleurs, le rythme de l’alternance contribue aussi à marquer des différences entre certifications selon les entreprises : le nombre de semaines en CFA, plus important en bac pro (vingt) qu’en BP (douze) est parfois jugé pénalisant par les PME. Dans le supérieur, on trouve plus fréquemment des poursuites d’études du bac pro vers le supérieur court (bac +2, voire +3), ou du supérieur court (bac + 3) vers le supérieur long (master ou cursus d’ingénieur), sachant que 7 étudiants ingénieurs sur 10 proviennent de cycles préparatoires classiques (CPGE et prépas intégrées).

Comme pour l’ensemble des jeunes arrivant sur le marché du travail, ceux formés dans les filières du BTP s'insèrent d’autant plus facilement à l'issue de leur formation qu’ils ont obtenu un diplôme, d’une part, et qu’ils ont suivi une formation en apprentissage, d’autre part.

Les jeunes diplômés du secondaire des filières BTP en 2013 connaissent de meilleures conditions d’insertion que les diplômés du secondaire d'autres filières. Au printemps 2016, trois ans après la fin de leurs études, près de sept jeunes primo-sortants sur 10 (68 %) occupent un emploi, et à niveau de diplôme égal, les jeunes formés dans le BTP sont plus fréquemment en emploi que les autres. Le taux de chômage des jeunes diplômés du secondaire est également nettement plus faible que celui des jeunes sortis d’autres filières au même niveau. Cet avantage se retrouve tout au long des trois premières années passées sur le marché du travail : près des deux tiers de ces jeunes formés au BTP ont une trajectoire d’emploi durable, contre seulement une courte majorité pour les jeunes de même niveau de diplôme hors BTP. La part totale du temps passé en emploi des non-diplômés et des diplômés de CAP, MC (mention complémentaire), bac pro, BP du BTP est plus forte, et la part du temps passé au chômage plus faible (cf. encadré 2).

Part de temps passé au chômage ou en emploi des jeunes formés au BTP selon la filière de formation
  • 1Le secteur du BTP se caractérise par l'existence de trois grandes entreprises à dimension internationale nommées «majors» : Vinci, Bouygues, Eiffage, qui côtoient une majorité de petites entreprises, artisans et TPE pour la plupart.

Mais des abandons en cours d'études et un départ des sortants vers d'autres secteurs

Cette insertion professionnelle favorable des sortants des filières de formation BTP ne doit pas cacher les difficultés auxquels les acteurs du secteur sont confrontés.

En premier lieu, un nombre important de parcours de formation dans le BTP restent inachevés : le taux de sortants non diplômés de ces formations est de 27 %, contre 13 % dans les autres filières selon l’enquête Génération. Et les jeunes en apprentissage représentent 60 % de ces sortants sans diplômes (seulement 17 % pour les formations hors BTP). La problématique des ruptures des contrats d’apprentissage est ainsi au cœur des difficultés du BTP, où le taux de rupture est supérieur à la moyenne intersectorielle (33 % contre 26 % en 2017, selon les données 2019 de la Dares). Le  BTP pâtit cependant d'un cumul de facteurs qui hausse mécaniquement ce taux : il comprend en effet une majorité de PME et TPME, entreprises où les  ruptures de contrats d'apprentissage sont surreprésentées. Il présente également une part plus importante d'apprentis de moins de 18 ans, tranche d'âge où les ruptures d’apprentissage sont plus fréquentes.

Le secteur semble également confronté à un déficit d'attractivité de ses métiers, puisque l’on constate que seule une minorité de jeunes formés au BTP vont effectivement travailler dans le secteur. En effet, seulement 44 % des jeunes formés dans le BTP exercent leur premier emploi dans le secteur ; cette proportion s’élevant à 54 % pour les apprentis et tombant à 29 % pour les jeunes sortis d’une formation scolaire. Trois ans plus tard, ils ne sont plus que 39 % à travailler dans le secteur (45 % pour les apprentis et 29 % pour les scolaires). (cf. encadré 3)

L’insertion de ces jeunes dans le BTP est minoritaire si on s’intéresse à l’accès aux métiers cibles, autrement dit à l’exercice d’une profession du BTP dans une entreprise du secteur. L’alimentation des métiers du bâtiment dans le secteur BTP ne concerne ainsi que 35 % des formés lors de leur premier emploi et 29 % si on regarde leur emploi au printemps 2016.

Une politique de formation sensible aux retournements de conjoncture

Secteur économique très sensible à la conjoncture, le BTP a connu dès la fin des années 2000 une période de contraction économique prononcée qui a pesé sur l'offre de formation. Cette crise durable a en particulier affecté l'offre de contrats d’apprentissage, et le bâtiment fait partie des secteurs où les postes d’apprentis ont le plus diminué (-27 % entre 2009 et 2014, selon les données 2017 de la Dares).  

Concernant l’emploi, cette récession a également entraîné un départ des jeunes formés aux métiers du BTP vers d’autres secteurs, moins réactifs aux aléas de conjoncture, et surtout mieux valorisés en termes de positionnement professionnel. Avec la reprise économique, la question du retour vers le secteur du BTP des compétences perdues se pose.

Du point de vue des entreprises, on observe qu'une longue période de contraction économique favorise  le développement de certaines stratégies (refus de chantiers, appel au travail dissimulé, mobilisation de travailleurs détachés ou encore braconnage de main-d’œuvre…) susceptibles de décourager l'appétence des acteurs à mobiliser la formation, par peur de perdre le collaborateur qu'ils auraient formé, que ce soit un salarié confirmé ou un apprenti.

Dans le cas des stratégies de sous-traitance développées par certaines majors qui « ilôtisent » les marchés une fois gagnés et « découpent le boulot », la question est de savoir si « elles vont vraiment participer à la création des compétences, avec l’apprentissage partagé par exemple, ou bien déléguer, voire externaliser la création de compétences aux PME ? » (acteur de la formation professionnelle). Or, « chez la plupart des PME très dépendantes des majors, elles n’ont pas les reins assez solides économiquement pour former : pas de visibilité des chantiers et de leur nature, pas le temps surtout de former puisque leur avantage c’est de travailler à moindre coût ».

Pour les PME autonomes installées sur des niches, le processus de formation reste « fragile du point de vue de l’intérêt du secteur dans sa globalité » (représentant de la branche). Plus encore, la durée de vie des entreprises devient un facteur problématique pour la création des compétences dans un futur proche. Enfin, le secteur est aussi confronté à la question de l’impact du développement des microentreprises ou de l’activité sous forme auto-entrepreneuriale, pour lesquelles l’accès aux canaux de création et de renouvellement des compétences par la formation est plus difficile.

Part des métiers cibles dans l'insertion des jeunes formés au BTP

Attractivité des métiers et des formations, sécurisation des parcours

Face à ces difficultés, les acteurs du BTP misent sur le développement de l’attractivité des professions et des formations. Concernant les premières, il s’agit de mettre l’accent sur les aspects positifs des métiers du BTP (travail en équipe), sur leur diversité, sur l’importance des innovations dans le travail (tablettes), et surtout sur la transformation des métiers et/ou l’évolution sensible des compétences requises dans l’exercice de l’activité professionnelle. En effet, on assiste à une diversification accrue des matériaux, des produits, des services. La valorisation du secteur porte aussi sur l’inscription dans la transition et la performance énergétiques, avec des exigences renforcées en matière de labellisation de produits, de process, d’environnements (normes HQE, C2C, réglementation BEPOS dans le cas des normes pour des bâtiments à énergie positive), ou encore sur la présence entérinée de l'intelligence artificielle (IA) ou la digitalisation des pratiques de travail concrétisées par la « maquette numérique » BIM (Building Information Modeling), qui se réalise par des « phénomènes d’hybridation » diffus sur les compétences et transforme les activités de travail. Enfin, face à une logique accrue de rentabilité de l’activité de production, nombre de métiers passent d’une culture de l’expertise à celle de management d'un centre de profit, avec un renforcement de la logique gestionnaire des chantiers. La présentation des métiers met donc en avant l’ajout de dimensions administrative, humaine et commerciale venant renforcer un panel de compétences techniques.

L’accent est mis également sur la transformation des formations. Si celles du secondaire sont réputées facilement identifiables, les formations du supérieur, multibranches et centrées sur des fonctions support et connexes, sont jusqu’à présent peu visibles. L’objectif des acteurs de la branche est double. D’une part, rendre plus lisible ce paysage des filières du supérieur par des échanges avec les établissements offreurs de formations ; d’autre part, s’appuyer sur la nature transversale des contenus de formation pour en faire un point de force. Ainsi des intitulés de formations tels « techniques et managériales », « techniques et environnementales », « techniques et tournées vers le verdissement des métiers », qui renvoient à des combinaisons de compétences dans les contenus et référentiels de formation, peuvent constituer un argument d’attractivité.

L’action des acteurs de la branche BTP porte aussi sur la sécurisation des parcours grâce à une politique renouvelée de lutte contre les ruptures de contrat d’apprentissage. La prévention, avec l’appui technique du CCCA-BTP (organisme paritaire qui coordonne 118 CFA et collecte la contribution apprentissage) et de l'OPPBTP (organisme professionnel de prévention du BTP), passe entre autres par l'accompagnement dans l'écriture et la signature des contrats en présence des 3 parties si possible (jeune, entreprise et CFA), pour expliciter les droits et devoirs de chacun, et présenter les solutions d'appui en cas de difficulté. Il s’agit aussi d’accompagner les jeunes au quotidien, avec la prise en compte de freins périphériques (logement, problèmes familiaux, santé…). Les entreprises ont leur rôle à jouer, et la démarche des acteurs de la branche vise à sensibiliser les employeurs et les maîtres d’apprentissage au fait qu’un apprenti est un professionnel en construction, que « l'apprentissage c'est du temps investi, et que cela ne rapporte pas tout de suite » (responsable d'un centre de formation en apprentissage de la branche).

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Dans la démarche qui vise à construire les compétences de demain en s’appuyant sur la formation initiale, le BTP se trouve confronté à un environnement en pleine transformation du fait des réformes récentes de la formation professionnelle initiale, de l’apprentissage, du cadre réglementaire des certifications et de la gouvernance territoriale. L’expertise des différents acteurs locaux impliqués dans le champ du BTP est donc à repenser à l’aune de ce nouvel environnement et des opportunités qu’il crée en termes de lieux d'échanges et de liens de concertation, pour disposer d’une connaissance fine et pertinente de l'offre de formation et des besoins des entreprises en matière de compétences au niveau des territoires. Plus que jamais, il semble nécessaire de penser l’alimentation des métiers et des compétences de manière combinée, tout à la fois par la formation initiale et continue, grâce à une offre de formation déployée à la fois au niveau des territoires et au niveau national.

Pour en savoir plus

[1] Les jeunes et le BTP : former ne suffit pas, J.J. Arrighi, C. Gasquet, Céreq Relief n° 15, 2006.
[2] « Ruptures de contrat d'apprentissage et abandons dans le BTP », R. Aubertin, M. Lecoeur, G. Moreau in L'apprentissage dans le BTP : une expertise en action, J-O. Héron, S. Belluco, Education permanente Hors-Série (CCCA-BTP), 12-2018.
[3] « L'apprentissage favorise-t-il toujours l'insertion professionnelle ? », B. Cart, A. Lene, M-H. Toutin in 20 ans d'insertion professionnelle des jeunes : entre permanences et évolution, T. Couppié, A. Dupray, D. Ephiphane, V. Mora (coord), Céreq essentiels n°1, 2018.
[4] « Comment l'apprentissage favorise-t-il l'accès à l'emploi des Cap-Bep ? », T. Couppié, C. Gasquet, Formation Emploi, n°142, 2018.
[5] « Quelles sont les causes de la baisse de l'apprentissage dans l'enseignement secondaire ? », E.Pesonel, P. Zamora, Insee Références, 2017.

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Joseph Olivier, Sulzer Emmanuel, Toutin-Trelcat Marie-Hélène , Construire les compétences de demain dans le BTP, Céreq Bref, n° 389, 2020, 4 p. https://www.cereq.fr/es/node/9845