Céreq Bref, n° 373, Mars 2019, 4 p.

Et les femmes devinrent plus diplômées que les hommes...

Publié le
3 Mars 2019

En deux décennies, la place des jeunes femmes sur le marché du travail s'est améliorée : plus diplômées, davantage en emploi, elles bénéficient aussi d'un début de rattrapage salarial, et accèdent à des métiers et des filières plus proches de ceux des hommes. Mais ce rapprochement est en partie alimenté par la dégradation de la situation des hommes. Et malgré tout des inégalités persistent, notamment dans l'accès au statut de cadre. 

 

Toutes les études sur deux décennies d'insertion professionnelle des jeunes sont à retrouver dans l'ouvrage :

20 ans d'insertion professionnelle des jeunes : entre permanences et évolutions, Thomas Couppié, Arnaud Dupray, Dominique Épiphane, Virginie Mora (coord.), Céreq Essentiels n°1, avril 2018.

Depuis 20 ans, les enquêtes Génération interrogent à intervalles réguliers un large échantillon de jeunes sortis la même année du système scolaire. Grâce à ce dispositif, le Céreq peut aujourd'hui rendre compte des permanences et des principaux changements en matière d'accès des jeunes au marché du travail, au terme de deux décennies marquées par l'installation d'un chômage massif, et par un accès toujours plus important à l'enseignement supérieur. Si les inégalités professionnelles entre hommes et femmes sont un fait récurrent et historiquement observé sur le marché du travail, le rapprochement des débuts de carrières professionnelles peut être évoqué comme une des grandes évolutions de cette période.

 

Les vingt dernières années sont marquées par une réduction des inégalités de genre en début de vie active.

 

Il s'appuie sur deux trends majeurs perceptibles dans les comportements socioéconomiques des femmes et des hommes. En premier lieu, l'intensification de la participation des femmes au marché du travail, amorcée au milieu des années soixante, n'a cessé de progresser. En 2015, elles représentent ainsi 48 % de la population active occupée. En second lieu, en amont du marché du travail, les filles ont, dans un contexte d'essor général de la scolarité des jeunes, rattrapé puis dépassé le niveau de formation des garçons, au point d'être désormais globalement plus diplômées.

 

Des jeunes femmes de plus en plus diplômées

En matière scolaire, le niveau de formation des jeunes s'est globalement élevé : la proportion de bachelier·e·s dans une génération est passée de 48 % en 1991 à 78 % en 2015 [1]. Déjà majoritaires parmi l'ensemble des bacheliers depuis plus de quarante ans, les filles représentent aujourd'hui 56 % des bachelier·e·s généraux [2], filière préparant le mieux aux études supérieures longues. Elles sont aussi de moins en moins nombreuses à sortir du système scolaire sans aucun diplôme : 25 % en 1990-92 contre 10 % en 2014-16, quand les hommes sont passés de 28 % à 15 % de sortants sans diplôme sur les mêmes périodes [1].

 

Chiffre clé
56 % des bacheliers généraux sont des bachelières

 

Par ailleurs, leur présence dans l'enseignement supérieur s'est renforcée, notamment aux niveaux les plus élevés (master et doctorat). Depuis les années 1990, la carte des formations supérieures s'est fortement développée, et la réforme LMD a multiplié l'offre de diplômes avec la création des licences professionnelles. Cela s'est accompagné d'une hausse globale des niveaux de sortie du système éducatif, encore plus manifeste pour les jeunes femmes. Sur la période 2014-16, parmi les jeunes sortant de formation initiale, 40 % des hommes et 49% des femmes étaient diplômé·e·s de l'enseignement supérieur contre respectivement 32 % et 33 sur la période 1990-92 [1].

 

Une ségrégation éducative atténuée

En termes de filières, les choses bougent également, vers davantage de mixité dans les choix de formation. Certains bastions masculins et féminins se maintiennent : les formations professionnelles industrielles de l'enseignement secondaire, les filières universitaires scientifiques, les écoles d'ingénieurs restent massivement investies par les garçons. De leur côté, les CAP-BEP tertiaires, les écoles paramédicales et sociales, les filières littéraires du secondaire et de l'université restent majoritairement choisis par les filles.

 

Les filières à forte ségrégation éducative perdent des effectifs tandis que les filières mixtes en gagnent.

 

Mais cette ségrégation éducative a tendance à s'atténuer sous l'effet de deux mécanismes. D'une part, dans la majorité des filières, s'opère un mouvement d'équilibrage entre les effectifs féminins et masculins. D'autre part, les filières dont les effectifs ont le plus augmenté sont les moins ségréguées (formations universitaires de santé, de sciences économiques et AES, écoles de commerce). A contrario, les filières plus ségréguées que la moyenne (CAP-BEP industriels, bacs littéraires, filières scientifiques de l'université) ont perdu des effectifs [3].

La progression du niveau de diplôme des jeunes filles, conjuguée à l'atténuation de la ségrégation éducative, se traduisent-elles, comme on pourrait le supposer, par une réduction, voire une inversion, des inégalités professionnelles historiquement observées sur le marché du travail ?

 

 

Vers une convergence dans l'accès à l'emploi

Jeunes femmes et jeunes hommes n'ont pas été touché·e·s de la même manière par les transformations du marché du travail dans un contexte de crises successives. D'une enquête Génération à l'autre, leurs conditions d'accès au marché du travail se sont rapprochées : cinq ans après la fin de leurs études, ils se retrouvent à parts égales en emploi en 2015, alors qu'en 1997 les femmes accusaient un retard de 13 points.

 

 

Ce rapprochement est la conséquence directe d'un accès plus difficile des jeunes hommes à l'emploi au fil des générations, alors que celui des jeunes femmes s'améliore. On peut lire ici l'impact du déclin de l'emploi industriel, à dominante masculine, particulièrement affecté par la crise de 2008. Parmi les jeunes actifs occupés cinq ans après la fin de leurs études, la part de l'emploi industriel a ainsi baissé de 31 % entre les deux Générations. À l'inverse, la croissance de 10 % de la part des services dans l'emploi des jeunes a particulièrement profité aux jeunes femmes de la Génération 2010.

 

Baisse de l'emploi industriel et croissance des emplois de services ont largement contribué à la réduire l'écart entre hommes et femmes dans l'accès à l'emploi.

 

Par ailleurs, en vingt ans, les conditions d'insertion se sont détériorées pour tou·te·s. Parmi les jeunes en emploi cinq ans après leur sortie de formation, la part des emplois à durée indéterminée (fonctionnaires, CDI ou à leur compte) a chuté de 9 points pour les femmes et de 7 points pour les hommes (cf. tableau ci-dessus). Sans surprise, les non-diplômé·e·s sont davantage touché·e·s par la précarisation des emplois, qui n'épargne pas les diplômé·e·s du niveau secondaire. Les écarts observés entre les femmes et les hommes se sont particulièrement accentués au niveau bac + 2/3 (cf. tableau ci-dessous, taux d'EDD).

 

 

Réduction des inégalités de salaires

Concernant les salaires perçus cinq ans après la sortie de formation initiale, deux faits majeurs émergent. D'une part, se confirme ce fait récurrent et ancien, couramment observé sur le marché du travail : les jeune femmes gagnent, en moyenne, moins que les jeunes hommes, que ce soit en 1997 (-320 euros constants) ou en 2015 (-190 euros constants). D'autre part, le niveau de salaire des femmes se rapproche de celui des hommes dans la Génération la plus récente, le différentiel atteignant -11 % en 2015 contre -20 % en 1997. Ce rapprochement est le résultat de hausses salariales, d'une Génération à l'autre, beaucoup plus importantes chez les femmes que chez les hommes. Sur l'ensemble des jeunes en emploi cinq ans après la sortie, le pouvoir d'achat lié au salaire moyen a en effet progressé de 20 % chez les femmes, et de seulement 8 % chez les hommes.

 

Si les femmes gagnent toujours moins que les hommes, les écarts de salaires se réduisent.

 

Différents facteurs peuvent expliquer ce rééquilibrage salarial en faveur des jeunes femmes. En premier lieu, la hausse de leur niveau de formation leur a permis d'accéder à des salaires de début de carrière plus élevés. Elle leur a aussi permis d'être relativement épargnées par la sélectivité accrue du marché du travail dans la période la plus récente. Le contexte de crise a en effet davantage pénalisé les jeunes aux carrières scolaires les plus courtes et/ou issu·e·s de filières industrielles dans l'accès à l'emploi, et conduit à réduire fortement le taux d'emploi des moins diplômés cinq ans après leur sortie de formation. Ceci a eu pour conséquence d'accentuer le poids des plus diplômé·e·s parmi les jeunes effectivement en emploi en 2015, renforçant là aussi une hausse globale des salaires perçus. Hausse du niveau de diplôme et accroissement de la part des plus diplômé·e·s parmi les jeunes en emploi expliquent ainsi 100 des 130 euros (75 %) d'augmentation de pouvoir d'achat pour les hommes, et 120 des 260 euros (47 %) pour les femmes. Enfin, le recul du temps partiel, concernant davantage les femmes, a également contribué au rattrapage salarial féminin.

Cependant, les écarts moyens de salaires à chaque niveau de diplôme, bien qu'en baisse, restent importants (de -11 % à -16 %). Ils demeurent presque toujours supérieurs à l'écart moyen de l'ensemble (-11 %). Ce paradoxe n'est qu'apparent, lorsque l'on considère que l'écart moyen de l'ensemble prend en compte le fait que les jeunes femmes sont globalement plus diplômées que les hommes, et ceci davantage encore en 2010 qu'en 1992. La meilleure réussite scolaire des femmes contribue donc à masquer une partie des inégalités salariales qui perdurent à tous les niveaux de diplôme.

 

 

Un rapprochement des destinées professionnelles

On assiste depuis plusieurs décennies à une féminisation des emplois occupés, portée par le double mouvement de tertiarisation et de montée du niveau de qualification des emplois en France [4]. à l'instar de la baisse de la ségrégation éducative, ce mouvement accompagne une baisse de la ségrégation professionnelle entre les Générations 1992 et 2010. Ainsi, après cinq ans de vie active, la part des emplois très féminisés ou très masculinisés (c'est-à-dire accueillant plus de 75 % de femmes ou d'hommes) sont en très net recul entre 1997 et 2015 : -4 points dans les deux cas, au profit des métiers de composition plus mixte (accueillant de 25 % à 75 % de femmes), en progression de 8 points.

 

Les emplois mixtes se renforcent, tandis que les emplois très féminisés ou masculinisés diminuent.

 

Cette évolution s'explique par deux phénomènes concomitants. D'une part, la part des emplois du secteur tertiaire – traditionnellement mixtes ou majoritairement « féminins » – a nettement augmenté, tandis que s'est réduite celle des emplois industriels et agricoles, souvent majoritairement « masculins ». Ainsi, la part des métiers à composition relativement mixte (cadres commerciaux, cadres des services administratifs, employés de libre-service, serveurs par exemple) s'est renforcée dans les emplois occupés par les débutant·e·s. à l'inverse, certains métiers fortement ségrégués sont en déclin dans les débouchés offerts aux jeunes, telles nombre de professions ouvrières (qualifiées ou non qualifiées) accueillant très majoritairement des jeunes hommes, ou certaines professions très féminisées (caissier·e·s de libre-service ou secrétaires). D'autre part, on observe un mouvement de convergence entre filles et garçons dans l'accès à certains métiers : des « bastions » historiquement masculins s'ouvrent aux femmes (métiers de la sécurité, cadres de l'informatique...), d'autres, historiquement féminins, aux hommes (caissier·e·s de libre-service...).

Des points de clivage sexués se dessinent également dans la hiérarchie socioprofessionnelle des emplois occupés. Ainsi, 6 jeunes femmes sur 10 sorties en 2010 de formations de l'enseignement secondaire  « héritières » d'un système à forte ségrégation éducative , occupent en 2015 des emplois classés dans la catégorie des « employés », contre moins du quart des jeunes hommes de mêmes niveaux de formation. Parallèlement, plus de la moitié d'entre eux investissent toujours les emplois de la catégorie « ouvriers », contre moins d'un cinquième des jeunes femmes. Du côté des plus diplômé·e·s, c'est aux niveaux bac+2 et bac+3 que les femmes progressent le plus. Seules 50 % d'entre elles accédaient aux emplois de cadres ou de professions intermédiaires en 1997, en retrait de 15 points par rapport aux hommes ; elles sont dorénavant 60 % en 2015, ayant presque rejoint leurs homologues masculins (63 %).

 

Chiffre clé
63 % des femmes titulaires d'un bac+4 occupent un poste de cadre en 2015, contre 73 % des hommes de même niveau de diplôme.

 

Enfin, l'accès à la seule catégorie « cadre » a également fortement évolué. Désormais, la part de jeunes femmes qui occupent un emploi de cadre cinq ans après leur entrée sur le marché du travail est devenue équivalente à celle des jeunes hommes. Pour autant, au regard de leur niveau de formation, les jeunes diplômées de l'enseignement supérieur devraient être encore plus fréquemment cadres qu'elles ne le sont. Ainsi, les jeunes femmes titulaires d'un bac+4 et plus accèdent davantage aux postes de cadres que par le passé (63 % en 2015 contre 56 % en 1997), mais encore bien moins souvent que les hommes de mêmes niveaux de diplôme (73 % pour ces derniers en 2015).

 

Pour une part, le relatif rapprochement des situations des hommes et des femmes s'opère "par le bas"

 

Au cours des vingt dernières années, on assiste donc à un rapprochement des destinées scolaires et professionnelles des hommes et des femmes, aboutissant à une réduction perceptible des inégalités observées dans le passé. Du côté des études, les femmes dépassent désormais les hommes dans les niveaux de formation les plus élevés, à la forteresse des écoles d'ingénieurs près et, dans une moindre mesure, au niveau du doctorat. De plus, un réel mouvement vers davantage de mixité dans les choix de formation se dessine, même si demeurent encore des bastions masculins et féminins. En écho, à l'entrée dans la vie active, s'observe un rapprochement des femmes et des hommes dans l'accès à l'emploi et les conditions d'emploi rencontrées, ainsi qu'une moindre ségrégation dans les choix professionnels.

Reste que, pour une part, cette relative convergence s'opère « par le bas » : elle doit autant, voire davantage, à une détérioration de la situation des jeunes hommes sur le marché du travail qu'à la seule amélioration de celle des jeunes femmes. D'autre part, il faut souligner que les écarts, s'ils se sont réduits, ne se sont pas effacés pour autant ; de ce point de vue, les progrès sur le marché du travail sont encore en deçà des évolutions observées dans la formation.

Citer cette publication

Epiphane Dominique, Couppié Thomas, Et les femmes devinrent plus diplômées que les hommes..., Céreq Bref, n° 373, 2019, 4 p. https://www.cereq.fr/et-les-femmes-devinrent-plus-diplomees-que-les-hommes