Inégalités de genre en début de vie active, un bilan décourageant
Alors que les jeunes femmes sont toujours plus diplômées que les hommes, les inégalités entre les sexes sur le marché du travail ne se réduisent pas.
De l'accès à l'emploi aux niveaux de salaires, ce Céreq Bref dresse un état des lieux de la situation des jeunes de la Génération 2017 après trois ans de vie active, comparée à celle de la Génération 2010. Si les conjonctures sont différentes, plafond de verre et plancher collant ne semblent pas prêts de vaciller.
Les jeunes ayant quitté le système éducatif en 2017 sont entré·es sur le marché du travail dans une bonne conjoncture économique, jusqu’à l’avènement de la crise sanitaire de mars 2020. Leurs trois premières années de vie active se sont donc déroulées dans de meilleures conditions que celles des jeunes sorti·es de l'école en 2010 [1]. Par ailleurs, cette génération est plus diplômée que la précédente, et les femmes sont particulièrement concernées par ce mouvement. Devant ces deux tendances, comment ont évolué les inégalités entre les femmes et les hommes en début de vie active entre les deux générations ?
Des jeunes femmes toujours plus diplômées à la sortie du système éducatif...
Si la part de diplômé·es du supérieur a progressé de 5 points entre les Génération 2010 et 2017, les écarts entre femmes et hommes restent à l'avantage des premières. Ce résultat s’inscrit dans un mouvement de fond, déjà ancien, d’un niveau de formation féminin plus élevé depuis les années 1980 [2]. Ainsi, au sein de la Génération 2017, la moitié des femmes contre 40 % des hommes sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, respectivement 44 % et 35 % dans la Génération 2010. Elles sont également toujours moins nombreuses que les hommes à entrer sur le marché du travail sans aucun diplôme, même si l’écart entre les deux sexes a fortement diminué, notamment grâce à la baisse de la part des hommes non diplômés, passée de 21 % à 15 %.
Du point de vue des filières suivies, les mécanismes de ségrégation sont toujours à l’œuvre, particulièrement au niveau secondaire. En 2017, au niveau CAP-BEP, les femmes ne représentent que 18 % des diplômé·es dans les filières industrielles contre 70 % dans les filières tertiaires. Sans surprise, les formations en santé-social du bac+2 au bac+4 restent massivement féminines (89 %), cette proportion ayant même augmenté entre les deux générations. Moins marquée dans le supérieur long, la ségrégation reste prégnante puisque les femmes restent majoritaires en bac+5 Lettres, Langues et Sciences Humaines (LLSH) et tertiaires, et toujours minoritaires dans les filières scientifiques et techniques.
Si l’on n’observe aucun bouleversement du côté des formations, tant en termes de niveaux que de filières, qu’en est-il sur le marché du travail ?
... mais avec toujours moins de chances d’être en emploi trois ans après
Les situations sur le marché du travail sont à la fois très proches entre les femmes et les hommes et très stables d’une génération à l’autre. Ainsi, en février 2020, soit trois ans après leur sortie du système éducatif, les taux d'activité comme les taux de chômage sont équivalents pour les deux sexes, respectivement 87 % et 16 %. Globalement, la Génération 2010 s’étant insérée dans un contexte économique dégradé après la crise de 2008, les taux de chômage ont significativement diminué, en particulier pour les hommes que cette crise avait davantage affectés. En revanche, si les jeunes femmes sont aussi souvent en emploi que les hommes, elles devraient l’être davantage au regard de leur capital scolaire. En effet, toutes choses égales par ailleurs, et en particulier à niveaux et spécialités de formation identiques, elles ont toujours moins de chances que leurs homologues masculins d’être en emploi trois ans après leur sortie de formation initiale (Cf. Tableau 5). Il est notable qu’après seulement trois ans de vie active, la parentalité a déjà un effet différencié : alors que les jeunes mères ont moins de chances d’être en emploi que les femmes sans enfant, le fait d’être père accroît en revanche les leurs.
Une ségrégation professionnelle toujours à l’œuvre
En 2013 comme en 2020, on constate la persistance d’une ségrégation professionnelle dans ses deux dimensions : horizontale et verticale. La première voit les jeunes femmes et les jeunes hommes continuer de se concentrer dans certaines professions. En 2020, non seulement les femmes se distribuent sur un éventail plus étroit de groupes socioprofessionnels (53 % se répartissent sur 5 de ces groupes versus 7 pour les hommes) mais de plus, aucun de ces 5 groupes n’est classé dans la catégorie cadre, alors que c’est le cas de 2 groupes du côté des hommes. Par ailleurs, près d’un tiers des hommes sont ouvriers contre à peine 7 % des femmes, et plus de 40 % d’entre elles sont employées contre seulement un cinquième des hommes (Cf. Tableau 1).
La ségrégation verticale est également toujours d’actualité, les femmes restant sous-représentées dans les professions les plus rémunératrices et socialement valorisées [3]. Ainsi, elles sont non seulement toujours un peu moins nombreuses que les hommes à accéder à la catégorie cadre, mais l’écart s’est même légèrement accru entre les deux générations. En outre, lorsqu’elles le sont, elles occupent moins souvent des responsabilités hiérarchiques (21 % versus 28 % pour les hommes). Les disparités au sein de chaque filière de formation ne suffisent pas à expliquer ces inégales distributions (Cf. Tableau 5). En effet, toutes choses égales par ailleurs et à diplôme de l’enseignement supérieur identique, les femmes ont très significativement moins de chances d’être cadres. Ainsi, le plafond de verre résiste et cela conduit à des situations qui ne sont pas à la mesure des niveaux de diplôme des femmes, significativement plus élevés. Parmi les jeunes diplômé·es au plus d’un baccalauréat, le plancher est toujours aussi collant puisqu’à qualification identique les femmes ont plus de risques que les hommes d’être en emploi peu qualifié*. Alors que le fait d’être mère réduit les chances d’être en emploi, cela n’a pas d’incidence sur l’accès à cette catégorie. En revanche, les hommes sont moins souvent dans ces emplois peu qualifiés lorsqu'ils sont pères.
Au sein de chaque groupe socioprofessionnel et pour chacune des générations, les femmes sont systématiquement plus diplômées. D’une génération à l’autre, on observe une montée en qualification pour les deux sexes et pour chaque groupe socioprofessionnel mais, à l’exception des professions intermédiaires, cette augmentation est encore plus importante pour les femmes. Par exemple, parmi les femmes ouvrières ou employées qualifiées en 2013, 28 % étaient diplômées du supérieur contre seulement 19 % des hommes. En 2020, ces proportions sont respectivement de 42 % et 23 %. L’écart entre les deux sexes est ainsi passé de 9 à 19 points. Parmi les cadres, elles étaient 80 % en 2013 à être diplômées du supérieur long – avec seulement 2 points d’écart avec leurs homologues masculins (78 %). En 2020, elles sont 89 % contre seulement 84 % d’entre eux – soit un écart qui a plus que doublé.
Ces deux types de ségrégations se traduisent in fine par des conditions d’emploi moins favorables et des rémunérations plus faibles.
* Employé·e ou ouvrier·ère peu qualifié·e
Des conditions d’emploi toujours moins favorables pour les femmes
En ce qui concerne le temps de travail, les jeunes femmes de la Génération 2017 sont nettement moins souvent que leurs aînées à temps partiel puisqu’elles sont environ un quart dans ce cas tandis qu’en population générale, elles sont un peu moins d’un tiers. Elles restent cependant plus souvent dans cette situation que leurs homologues masculins, même si un mouvement de réduction de l’écart entre les deux sexes d’une génération à l’autre s’observe. Ainsi, la part du temps partiel augmente de 4 points pour les jeunes hommes tandis qu’il diminue de 2 points pour les jeunes femmes. La quotité du temps partiel n’est toutefois pas la même. C’est surtout le recours au temps partiel à 80 % qui a certes pris de l’ampleur pour les deux sexes, mais dont la part a plus que doublé du côté des hommes (Cf. Tableau 2). À noter que ce mouvement s’accompagne d’une diminution de la proportion de celles et ceux souhaitant travailler à temps plein, ce qui laisse supposer qu’il est un peu moins souvent subi qu’il ne l’était auparavant, une nette majorité de ces jeunes continuant tout de même de privilégier le temps plein.
Selon les groupes socioprofessionnels, la part de temps partiel est d’autant plus élevée que l’on descend dans la hiérarchie des emplois. Ainsi, alors qu’en 2020 seulement 6 % (7 % en 2013) des cadres travaillent à temps partiel, ce sont 37 % (36 % en 2013) des ouvrier·ères ou employé·es peu qualifié·es. De même, l’écart femmes/hommes augmente à mesure que l’on descend dans cette hiérarchie, et ce pour les deux générations. La réduction de cet écart entre 2013 et 2020 s’observe pour chaque catégorie sociale, mais est particulièrement forte parmi les ouvrier·ères ou employé·es peu qualifié·es, passant de 30 à 15 points (Cf. Tableau 2).
En termes de secteurs, en 2013 comme en 2020, le privé emploie une nette majorité de la cohorte et rassemble un peu plus d’hommes, les femmes étant classiquement plus souvent dans la fonction publique. Les parois de verre (ou ségrégation horizontale) résistent particulièrement dans les hôpitaux publics qui concentrent encore plus de 80 % de femmes.
Le poids des emplois à durée indéterminée (EDI), équivalent pour les deux sexes, a augmenté de 5 points d’une génération à l’autre, traduisant ainsi l’amélioration de la conjoncture économique entre les deux périodes. Cette égalité apparente dans le poids des EDI masque en réalité des différences notables selon les groupes socioprofessionnels.
Ainsi, du fait d’une conjoncture économique favorable, leur part augmente d’une génération à l’autre pour tous les groupes et pour les deux sexes, à l’exception des hommes cadres pour qui la proportion d’EDI était déjà élevée. Aussi, alors qu’en 2013 les femmes cadres étaient nettement moins embauchées en contrats pérennes que leurs homologues masculins, la forte hausse de ces contrats pour les femmes réduit considérablement l’écart entre les sexes. À l’inverse, parmi les employé·es et ouvrier·ères peu qualifié·es, l’EDI est un peu plus fréquent pour les femmes des deux générations (Tableau 3). En outre, toutes choses égales par ailleurs, les femmes ont toujours moins de chances d’être en emploi « stable » que les hommes, et ce en 2013 comme en 2020 (Cf. Tableau 5).
Du point de vue des rémunérations, après seulement trois ans de vie active, on observe déjà des écarts salariaux entre les femmes et les hommes (Tableau 4). En 2020, tous temps de travail confondus, le salaire médian des jeunes hommes est de 1 625 € alors que celui des jeunes femmes n’est que de 1 500 €, soit un écart relatif** de 8 %. Cet avantage salarial masculin a légèrement progressé puisqu’il était de 6 % en 2013. Pire encore : lorsqu’on ne considère que les emplois à temps plein, cet avantage qui n’était que de 1 % en 2013 est passé à 7 % en 2020. Certes, cet écart, particulièrement bas en 2013, tient probablement aux conséquences de la crise de 2008 où l’on a assisté à une modération salariale, en particulier dans les secteurs industriels à dominante masculine. Il reste que, sur la période, on aurait pu s’attendre à ce que les politiques publiques en faveur de l’égalité salariale, telle la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014, produisent quelques effets…
Bien sûr, les situations sont contrastées selon les groupes socioprofessionnels. Lorsqu’on regarde les seuls emplois à temps plein, les écarts sont beaucoup plus proches d’un groupe à l’autre qu’en considérant les écarts tous temps de travail confondus, témoignant du rôle prépondérant du temps partiel dans les inégalités salariales. C’est parmi les employé·es et les ouvrier·ères peu qualifié·es que l’écart est le plus important et qu’il se réduit le plus en ne considérant plus les temps partiels. Par ailleurs, si les écarts diminuent modérément dans le temps au sein des cadres, ils augmentent pour les professions intermédiaires et ce, qu’il s’agisse des seuls temps pleins ou de tous les temps de travail. En revanche, parmi les professions où le temps partiel est important, les tendances divergent selon que l’on prend en compte le temps partiel ou qu’on l’exclut. Ainsi, pour les employé·es-ouvrier·ères qualifié·es, si l’on observe un statu quo pour l’ensemble des temps de travail, l’avantage masculin s’amplifie légèrement parmi les salarié·es à temps plein. Pour les peu qualifié·es, la tendance va même jusqu’à s’inverser : à temps plein, les écarts entre hommes et femmes se sont accrus de 2 points, alors qu’en incluant les temps partiels, l’avantage salarial masculin s’est réduit de 4 points entre les deux générations. Cette diminution est la trace de l’évolution du temps partiel à la hausse pour les hommes et à la baisse pour les femmes (cf. Tableau 2). Ceci n’est pas sans lien avec la part des jeunes rémunéré·es en dessous du seuil de pauvreté (évalué à 60 % du revenu médian, soit pour une personne vivant seule à 1 056 € en 2013 et 1 128 € en 2020). En effet, les femmes en emploi sont plus nombreuses dans ce cas, et ce quels que soient leur niveau de diplôme ou leur PCS. Et si l’écart entre les sexes se réduit, c’est parce qu’en 2020, les femmes sont un peu moins souvent à temps partiel qu’en 2013 et donc un peu moins en situation de précarité économique.
** Le plus souvent, les inégalités salariales mettent en évidence combien les femmes touchent en moins par rapport aux hommes. Nous choisissons ici de montrer ce que les hommes touchent de plus par rapport aux femmes. Aucune des deux méthodes n’est plus juste ; c’est pourtant celle conduisant à l’écart le plus faible qui s’est imposée dans le débat public.
Conclusion
Ce panorama des inégalités femmes/hommes confirme que la pénalisation relative des femmes s’amenuise quand la conjoncture se dégrade, mais qu’elle reprend dès lors que celle-ci s’améliore [4]. Il montre que, alors même que le surinvestissement éducatif des jeunes femmes se poursuit, cela ne se traduit pas par une amélioration significative de leurs situations sur le marché du travail. Toutes choses égales par ailleurs, non seulement les écarts se maintiennent sur certains indicateurs, mais, de plus, d’autres s’accentuent. Ainsi, l’avantage salarial des hommes, comme leur accès plus important à la catégorie des cadres et moindre à celle des professions peu qualifiées, s’amplifient, de sorte que plafond de verre et plancher collant ne vacillent toujours pas.
Pour en savoir plus
[1] T. Couppié, E. Gaubert, E. Personnaz, « Enquête 2020 auprès de la Génération 2017. Des parcours contrastés, une insertion plus favorable, jusqu'à… », Céreq Bref n°422, 2022.
[2] T. Couppié, D. Épiphane, « Et les femmes devinrent plus diplômées que les hommes… », Céreq Bref n°373, 2019.
[3] V. di Paola, A. Dupray, D. Épiphane, S. Moullet, « Accès de femmes et des hommes aux positions de cadres en début de vie active : une convergence en marche ? », Insee Références, Femmes et Hommes, l'égalité en question, 2017.
[4] V. di Paola, P; Méhaut, S. Moullet, « Entrée dans la vie active et débuts de carrière : entre effets conjoncturels et évolution des normes d'emploi. Comparaison sur cinq cohortes d'entrants sur le marché du travail », Revue Française de Socio-économie, 1 (n°20),2018.