Jeunes en service civique : des parcours comme les autres ?
Depuis sa création en 2010, le service civique a connu une diversification de ses enjeux et de ses usages. L’analyse de son rôle dans le processus d’insertion professionnelle des jeunes souligne à la fois l’importance du moment de sa réalisation dans les trajectoires individuelles, celle du niveau de diplôme et du type de formation des jeunes engagés. Conduite à l’initiative de l’Agence du service civique et à partir de l’enquête Génération 2017, une étude du Céreq permet d’enrichir la connaissance des jeunes volontaires et de comparer leurs trajectoires d’insertion avec celles des autres jeunes de la génération.
Le service civique (cf. encadré 1) a acquis en une dizaine d’années une place particulière tant dans les politiques publiques de jeunesse que dans les conduites juvéniles. Dispositif composite, il s’inscrit tout d’abord dans la logique de l’engagement, et présente une filiation plus ou moins directe avec certains programmes d’intérêt général des politiques d’emploi de la jeunesse (TUC1
, EIL2
), mettant davantage en avant l’objectif de la citoyenneté et de la cohésion sociale. Le service civique participe aussi des politiques de remédiation au décrochage scolaire. De leur côté, les jeunes l’investissent pour construire leurs projets professionnels, ou se prévalent de cette expérience pour entrer sur le marché du travail.
Les effectifs des jeunes volontaires n’ont cessé de croître depuis sa création en 2010, passant de 29 000 volontaires en 2012 à 55 000 en 2016 puis à 145 000 en 2021. Parmi les jeunes sortis de formation initiale en 2017, près d’un sur dix (9 %) a réalisé une mission de service civique au cours de ses études ou de ses trois premières années de vie active. C’est le premier résultat d’une étude conduite à la demande de l’Agence du service civique, visant à approfondir la connaissance de la population des jeunes volontaires, de leurs parcours d’insertion et de leurs éventuelles spécificités, à partir de l’enquête Génération 2017 du Céreq, représentative des sortants au niveau national (cf. encadré 2). Certaines questions de l’enquête financées par l’Agence permettent de situer précisément la mission dans le parcours scolaire ou professionnel du jeune volontaire, et d’apprécier ainsi le rôle du service civique dans la trajectoire d’insertion. Cela enrichit les données de suivi généralement collectées six mois après la fin de la mission, et permet une approche comparée avec les jeunes n’ayant pas réalisé de mission durant leur parcours.
- Une place et des usages différenciés dans les parcours individuels
- Le service civique : une manière de surmonter des scolarités contrariées
- Le profil des volontaires influencé par l’offre de missions
- Un accès à l’emploi favorisé pour les jeunes de l’enseignement secondaire
- Des conditions d’emploi liées à des métiers spécifiques
- Conclusion
- Pour en savoir plus
Une place et des usages différenciés dans les parcours individuels
Le croisement des niveaux de formation et des « calendriers » du service civique montre la place variable de la mission au sein des trajectoires individuelles, qui laisse supposer des usages multiples du dispositif par les différentes catégories de jeunes (cf. figure 3). Si 22 % des jeunes ont effectué leur mission au cours de leur formation initiale, un tiers l’a commencée au cours des 6 mois qui suivent la fin de leurs études et 45 % la réalisent après. Plus le niveau de diplôme est élevé, plus le service civique intervient tôt dans le parcours de vie (en particulier pendant les études pour les diplômés de l’enseignement supérieur).
La situation précédant le début du service civique varie également selon le niveau de formation : les plus diplômés s’engagent plus souvent après une période d’emploi ou d’études (26 % et 35 % des diplômés de niveau bac+5 et plus ayant réalisé un service civique contre 11 % et 20 % des anciens volontaires diplômés de niveau CAP ou moins). À l’inverse, pour les moins diplômés, le service civique fait suite à du chômage ou une autre situation (inactivité, vacances, etc.). Ces résultats sont cohérents avec les motivations citées par les jeunes [1] : pour les moins diplômés dont l’accès à l’emploi est souvent plus difficile, il s’agit surtout d’avoir une expérience professionnelle et une source de revenus, tandis que l’intérêt général est souvent mentionné par les plus diplômés [2].
Le service civique : une manière de surmonter des scolarités contrariées
L’enquête Génération permet de souligner les articulations particulières entre réalisation d’un service civique et parcours scolaires. Les jeunes volontaires se révèlent moins diplômés que l’ensemble de la Génération 2017. Ils sont plus nombreux à être sortis sans aucun diplôme, et seuls 34 % d’entre eux sont diplômés de l’enseignement supérieur (cf. tableau 4).
Les jeunes issus de voies de formation non ou faiblement professionnalisantes ont une propension plus importante à effectuer une mission de service civique. C’est en particulier le cas des jeunes bacheliers de la voie générale ou des sortants de licence générale. À l’inverse, quel que soit le niveau d’enseignement, les formations à vocation professionnelle ne prédisposent pas leurs publics à s’orienter vers le service civique, et plus le niveau de formation augmente, moins les jeunes le mobilisent. Si l’on retrouve plus de jeunes volontaires dans les spécialités de formation connexes aux domaines couverts par le service civique, c’est davantage le statut professionnalisant ou non de la formation qui explique la réalisation d’une mission.
Par ailleurs, l’analyse des carrières scolaires montre qu’une « scolarité contrariée » (redoublements, diplôme non validé en fin de formation), et en particulier le fait d’avoir été contraint d’arrêter ses études, conduit plus souvent un jeune à s’engager. Le service civique vient ici jouer un rôle de remédiation ou de prolongement d’un parcours scolaire inabouti.
À profil égal, les sortants de l’enseignement secondaire comme du supérieur ayant effectué un service civique sont plus nombreux que les autres à reprendre des études ou une formation trois ans après la fin de leur formation initiale (cf. tableau 5). Ceci souligne l’impact que peut avoir ce dispositif dans la construction par les jeunes de leur projet professionnel, qu’il s’agisse d’approfondir une idée, de découvrir un nouveau métier, de trouver une voie professionnelle nécessitant parfois une réorientation scolaire.
Le profil des volontaires influencé par l’offre de missions
Dans la Génération 2017, les filles sont plus nombreuses que les garçons à réaliser un service civique (10 % contre 7 %), et ceci à tous les niveaux de formation ou de diplôme. L’usage sexuellement différencié du service civique peut se comprendre en rapport avec la nature du dispositif, les domaines d’activité concernés et les missions proposées (éducation, social, culture). Fortement présentes dans les spécialités de formation préparant au « travail pour autrui », les jeunes femmes s’investiraient davantage dans un dispositif qui met en avant cette dimension.
Au sein de la Génération 2017, le service civique ne fait pas l’objet de différenciations sociales très marquées. Les jeunes issus des milieux les plus modestes (définis par le fait d’avoir deux parents ouvriers, employés ou sans emploi) sont légèrement plus nombreux à faire un service civique, et l’effectuent plus souvent après leur sortie du système éducatif, ce qui est à mettre en lien avec leur niveau de diplôme. Le fait d’avoir bénéficié d’une bourse sur critères sociaux caractérise un peu plus fréquemment les jeunes engagés, que le service civique ait été réalisé avant ou après la fin des études (10 % des boursiers réalisent un service civique contre 8 % des non boursiers).
Les jeunes qui habitaient un quartier prioritaire de la politique de la ville à la fin de leurs études réalisent plus souvent un service civique que ceux qui n’y résidaient pas (12 % contre 8 %), et effectuent celui-ci plus fréquemment après la fin des études. À ce constat, on ajoutera que la répartition des jeunes volontaires n’est pas complètement homogène sur l’ensemble du territoire, et que certaines disparités observées s’expliquent par des contextes locaux où l’insertion des jeunes sur le marché du travail est plus difficile (jeunes volontaires des DOM surreprésentés dans l’ensemble, par exemple).
Enfin, parmi les sortants de l’enseignement secondaire, le fait d’avoir au moins un parent fonctionnaire favorise le passage en service civique, mais ça n’est pas le cas des diplômés de l’enseignement supérieur.
Un accès à l’emploi favorisé pour les jeunes de l’enseignement secondaire
Même si le service civique n’est pas juridiquement considéré comme un emploi, pour beaucoup il constitue une étape vers l’insertion professionnelle. Ainsi, il fait office de première expérience « professionnelle » pour 68 % des jeunes l’ayant réalisé au cours de leurs trois premières années de vie active, et représente même l’unique période assimilable à un emploi dans 18 % des cas. Ce résultat est encore renforcé dans le cas des moins diplômés (niveau CAP ou moins), pour lesquels 30 % de ceux qui ont fait un service civique après la fin des études n’ont pas eu d’emploi sur leurs trois premières années.
Les résultats présentés précédemment ont pointé les spécificités du profil des jeunes engagés. Or, les études du Céreq montrent que certaines de ces caractéristiques influencent les parcours professionnels, et pourraient donc contribuer à expliquer, plus que le passage par un service civique, les différences d’insertion professionnelle observées. Pour mettre en évidence l’effet propre du passage par ce dispositif en tenant compte de ces autres caractéristiques influençant l’insertion professionnelle, des modélisations « toutes choses égales par ailleurs » (modèles logistiques binaires et régression pour le salaire) ont été effectuées, soulignant l’effet différentiel du service civique sur l’insertion professionnelle selon le profil des jeunes et le moment de sa réalisation (Voir tableau 5).
Contrairement aux études existantes sur le sujet, les données mobilisées ici permettent de comparer l’insertion des volontaires sortants de formation initiale à celle de leurs homologues non concernés par le dispositif. Ainsi, toutes caractéristiques égales par ailleurs, le service civique, qu’il soit réalisé avant ou après la fin des études, favorise l’accès à l’emploi trois ans après la fin des études pour les jeunes issus de l’enseignement secondaire, ce qui n’est pas le cas des sortants du supérieur. Pour ces derniers, le nombre important de reprises d’études après le service civique peut expliquer en partie qu’ils soient moins souvent en emploi.
Les jeunes ayant réalisés des services civiques plus tardivement sont moins souvent en emploi en octobre 2020, ce qui peut s’expliquer par un délai trop court entre la fin de la mission et l’enquête. Cette situation est liée au fait que les structures d’accueil ne gardent généralement pas les jeunes suite à leur mission ; seuls 10 % des anciens volontaires sont dans ce cas de figure [3].
Pour comprendre l’impact différencié du service civique selon le niveau de diplôme, on peut chercher à identifier la situation la plus probable qu’auraient connue ces jeunes durant la même période s’ils n’avaient pas décidé de s’engager dans un service civique. Cette identification s’appuie sur une méthode d’appariement de chaque jeune passé par un service civique avec un « jumeau » non engagé lui ressemblant fortement. Pour cela on compare pour les uns et les autres les informations recueillies dans l’enquête relatives à la formation initiale, les caractéristiques individuelles et le parcours professionnel précédant le début du service civique
(cf. rapport mentionné dans l’encadré 2).
Ainsi, parmi les sortants de l’enseignement secondaire, pendant que notre population d’intérêt réalise son service civique, leurs « jumeaux » sont davantage au chômage qu’en emploi. À l’inverse, parmi les diplômés du supérieur, les « jumeaux » des volontaires sont davantage en emploi qu’au chômage. Pour ces derniers, il apparaît donc que le service civique n’est pas équivalent à un emploi « classique » dans le déroulement de la carrière.
Des conditions d’emploi liées à des métiers spécifiques
Trois ans après la fin des études, les jeunes ayant réalisé un service civique pendant leur scolarité ont des conditions d’emploi (salaire et accès à un emploi à durée indéterminée, c’est-à-dire CDI, fonctionnaire ou emploi non salarié) proches de celles des jeunes qui n’ont pas fait de service civique et qui sont également en emploi à cette date (exception : salaire un peu plus faible pour les jeunes engagés diplômés de l’enseignement secondaire). Cette proximité entre ces deux populations s’explique par un nombre équivalent de mois en activité. Ce n’est pas le cas, au contraire, des jeunes pour qui le service civique intervient après la fin des études ; il constitue alors en quelque sorte une parenthèse dans leur insertion professionnelle, à la fois hors de l’emploi et de la recherche d’emploi. Ainsi, pour les sortants du secondaire comme du supérieur ayant réalisé un service civique après la fin des études, les conditions d’emploi sont moins favorables, en termes de stabilité d’emploi et de rémunération, que pour les jeunes n’ayant pas fait de service civique. Cela peut être mis en parallèle avec la spécificité des emplois occupés par les jeunes passés par le service civique : davantage d’emplois dans le secteur public, dans des associations et dans des domaines tournés vers autrui tels que l’enseignement, la culture, la santé et le travail social. Le service civique, notamment pour les plus diplômés, peut ainsi s’apparenter à une stratégie visant à obtenir des postes dans des structures, secteurs ou métiers où les emplois sont plus rares ou avec des conditions d’emplois moins favorables, mais répondant à d’autres aspirations individuelles que la recherche d’un emploi stable avec une rémunération élevée (servir l’intérêt général, avoir un emploi qui fait sens, trouver sa voie professionnelle, etc.).
Conclusion
La spécificité du public des jeunes volontaires est de cumuler des caractéristiques généralement associées à une insertion professionnelle difficile (diplômes peu professionnalisants, scolarité contrariée, résidence dans un DOM, etc.). Pour autant, lorsque l’on tient compte de ces caractéristiques, des effets positifs de ce dispositif sur les parcours apparaissent, notamment en matière d’accès à l’emploi pour les diplômés du secondaire et de reprise d’études après le service civique pour l’ensemble des jeunes. En revanche, le passage par le dispositif ne semble pas influer positivement sur les conditions d’emplois connues après trois ans de vie active. Des projets professionnels spécifiques, tournés vers des métiers et secteurs aux conditions d’emploi souvent moins favorables, peuvent-ils expliquer en partie ce résultat ?
Cette étude pourra être prolongée et enrichie par des informations telles que le contenu de la mission et son lien avec le parcours professionnel ultérieur du jeune, le type d’organisme d’accueil, les compétences acquises et les éventuels bénéfices déclarés par les jeunes volontaires.
L’inscription en 2020 du service civique dans le plan « 1 jeune, 1 solution », portée par le ministère du Travail, répond dans le contexte de la crise sanitaire aux préoccupations politiques relatives à l’insertion professionnelle des jeunes. Les éventuels changements que cette mesure produira sur le profil des volontaires et sur l’impact du dispositif en termes de trajectoires sur le marché du travail seront appréciés lors de l’actualisation des résultats de cette étude avec la prochaine enquête Génération 2021.
Pour en savoir plus
[1] Q. Francou, A. Ploux-Chillès, Les volontaires en Service Civique : des parcours de formation et d’insertion variés. INJEP, Analyses & Synthèses, n° 32, 2020.
[2] G. Houdeville, R. Perrier, C. Suaud, « Sous l’universalité (du service civique) les parcours (des jeunes) », dans Qualifications et parcours – Qualification des parcours, Céreq Échanges no10, 2019.
[3] Q. Francou, Évaluation du service civique. Résultats de l’enquête sur les parcours et missions des volontaires, INJEP, Notes & rapports/Rapport d’étude, no9, 2021.