Céreq Bref, n° 376, Avril 2019, 4 p.

La formation des salariés 2.0 : l’effet levier des TIC

Publié le
20 Avril 2019

Plus de huit salariés sur dix mobilisent les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans leur travail, mais à des degrés divers et selon des profils d’utilisateurs différents. Les plus connectés accèdent davantage à la formation organisée et bénéficient également de l’effet stimulateur des TIC sur les apprentissages informels. Repérer l’influence des TIC sur les différentes manières d’apprendre au travail est ainsi une des façons possibles d’anticiper la transition numérique.

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La diffusion des équipements informatiques dans les entreprises, associée à celle d’Internet, a permis l’émergence de nouveaux outils favorisant des pratiques de travail plus collectives qui modifient les rapports au temps et à l’espace. En facilitant la coordination, la recherche d’information, le partage d’applications ou de ressources, les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont susceptibles d’offrir des possibilités nouvelles d’organisation du travail [1]. Elles favorisent également le développement des compétences des salariés, non seulement par les formations régulières qu’elles impliquent du fait de leur évolution constante, mais aussi parce qu’elles stimulent, par leur usage quotidien, les apprentissages au travail.

Mais au-delà de ces bénéfices attendus, l’examen du recours à ces outils montre que leur diffusion est loin d’être généralisée à l’ensemble des salariés. Cet usage contrasté des TIC selon les secteurs et les métiers n’est pas sans incidence sur l’accès des salariés aux formations, sur le contenu de celles-ci et plus généralement sur les apprentissages dans le cadre du travail.  

Les salariés les plus éloignés des TIC dans le cadre de leur travail le sont également de la formation, mais aussi des apprentissages informels dont bénéficient de façon cumulative les utilisateurs de TIC. Une réalité qui interpelle les décideurs publics dans un contexte où l’évolution des emplois, sous l’effet de la transition numérique, concernera également ceux, souvent les moins qualifiés, qui sont aujourd’hui les moins connectés.  
 

Cinq profils d’utilisateurs des TIC

Comment les salariés utilisent-ils les TIC dans le cadre de leur travail ? Le Dispositif d’enquêtes sur les formations et itinéraires des salariés (DEFIS) permet de mieux cerner le panorama des TIC et la diversité de leurs usages, en confrontant les types d’outils utilisés avec les raisons de cette utilisation déclarées par les salariés. Sur cette base, une typologie permet de distinguer cinq profils d’utilisateurs  (pour le détail de la méthodologie, consultez le supplément numérique). 

 

Les « nomades » (16 % des salariés) sont les plus connectés et se différencient par un recours très important aux outils de communication instantanée. En lien avec leur communauté professionnelle, ils utilisent intensément les réseaux sociaux. Il s’agit surtout pour eux de maintenir le contact, notamment lorsqu’ils travaillent en dehors des locaux de leur entreprise. Ces technologies nomades, associées à des pratiques favorisant la communication et le partage, contribuent à la mise en place d’un travail collaboratif. Cet environnement est d’autant plus encouragé que les pratiques de management et la « culture » d’entreprise rendent propices les coopérations entre salariés. Plus souvent diplômés du supérieur (63 % ont un diplôme supérieur au bac), ces salariés occupent en conséquence plus souvent des postes qualifiés (58 % sont cadres) dans de grandes entreprises des secteurs des services aux entreprises et de la finance/assurance. En toute logique, les professions les plus fréquemment représentées dans ce premier profil sont celles d’ingénieurs en informatique, d’employés administratifs et de cadres commerciaux.

Les « relation clients » (16 % des salariés) : forts utilisateurs du mail et des moteurs de recherche, ce sont également des salariés très connectés. Ils se distinguent par un usage des TIC essentiellement orienté vers la communication sur leur entreprise et la gestion de la relation avec leurs clients ou prestataires. Ce sont plus souvent des diplômés du supérieur (59 % ont un diplôme supérieur au bac) et des femmes (46 % contre 38 % dans l’ensemble), occupant plutôt des postes qualifiés (agents de maîtrise) dans des entreprises du commerce. Les professions paramédicales, d’attachés commerciaux et de secrétaires sont ici surreprésentées. 

Les « tâches en ligne » (25 % des salariés) : si leur utilisation est très orientée vers la recherche d’information, les salariés de cette classe se distinguent en outre par un recours à des outils qui facilitent la coordination en interne. En automatisant un processus allant de la demande à la décision, ces outils permettent également l’information des personnes concernées. à titre d’exemple, on peut citer l’utilisation de l’intranet, de la gestion documentaire partagée et de services dématérialisés qui permettent de réaliser des tâches administratives en ligne. Diplômés du supérieur, ces salariés occupent des postes d’agents de maîtrise ou de techniciens avec une ancienneté moyenne plus importante que les autres (27 % ont plus de 20 ans d’ancienneté, contre 19 % pour l’ensemble). Les professions d’employés administratifs, de la banque et des assurances, de secrétaires et de techniciens de la maintenance y sont surreprésentées.

Les « recherche d’emploi » (13 % des salariés) : dans le cadre de leur activité, ils ont un recours aux outils connectés assez faible et lorsqu’ils les utilisent, c’est avant tout pour se documenter ou rechercher un emploi, des tâches assez périphériques à leur travail. Ainsi les moteurs de recherche et les réseaux sociaux sont privilégiés. Très jeunes (42 % sont âgés de moins de 35 ans), ils sont moins diplômés que la moyenne (la moitié n’ont pas le bac) et occupent des postes d’employés ou d’ouvriers. Ils travaillent plus souvent dans de très petites entreprises (près de la moitié d’entre eux sont dans une entreprise de moins de 20 salariés) des secteurs du transport et de l’hôtellerie-restauration. Les professions d’employés de l’hôtellerie et de la restauration, d’infirmiers et de conducteurs de véhicules y sont surreprésentées. 

Les « distants » (14  % des salariés) : leur recours aux outils connectés, très faible, se limite au mail et à l’intranet. Moins orientés vers la recherche d’information et la communication, l’utilisation des outils informatiques offre peu d’occasion d’échanges et de partages. Peu diplômés, ces salariés occupent plus souvent des postes d’employés ou d’ouvriers qualifiés dans des fonctions de production et d’exploitation. Ils exercent plus souvent dans les secteurs des transports et de la fabrication de produit industriel, au sein de structures de taille moyenne (250 à 449 salariés). Les professions d’agents d’entretien, de vendeurs, de conducteurs et d’ouvriers qualifiés de l’industrie y sont surreprésentées.

Cette typologie n’épuise pas la population étudiée, qui comprend également 16 % de salariés « non connectés » qui n’utilisent aucun de ces outils. Ce qui n’exclut pas l’utilisation occasionnelle d’un équipement numérique : 24 % d’entre eux ont ainsi recours à un ordinateur dans leur travail, mais leur usage ne nécessite pas une connexion à un réseau interne ou externe. Ces salariés sont plus âgés que la moyenne (55 % ont plus de 45 ans), plus souvent des hommes, peu diplômés (1/4 n’ont aucun diplôme) et occupent des postes peu qualifiés. Ils exercent des fonctions de production, de chantier, de gardiennage ou de nettoyage, dans les secteurs de la construction ou de l’industrie agroalimentaire. Les professions d’ouvriers du bâtiment, d’ouvriers des industries de process, de conducteurs de véhicules et d’agents d’entretien, sont surreprésentées.

Qu’ils soient « distants » ou « non connectés », près d’un tiers des salariés, en 2017, n’utilisent donc pas ou peu les TIC, et sont de ce fait moins susceptibles de suivre des formations dans ce domaine. à contrario, un recours intense et régulier au TIC rend nécessaire d’actualiser et de développer des connaissances numériques. Plus précisément, quel est l’impact du recours aux TIC sur les façons de se former ? 
 

Les plus connectés accèdent davantage à la formation organisée

Le recours aux TIC va de pair avec un accès plus important à la formation organisée1 . Les salariés les plus formés sont également ceux qui utilisent le plus les outils connectés : 53 % des « nomades » ont suivi une formation au cours des 12 dernier mois (respectivement 48 % et 55 % pour les « relation client » et « tâches en ligne ») contre 22 % des « non connectés ». Le plus souvent, les formations qu’ils suivent visent à se perfectionner dans ce qui fait le cœur de leur métier (le management, la comptabilité ou le droit). Pour autant, une part importante des formations suivies relève du domaine du numérique (près d’une formation sur cinq). Par exemple, les salariés du profil « tâches en ligne » se forment à l’utilisation de logiciels de bureautique et de gestion, tandis que les salariés tournés vers la « relation clients » se forment plutôt aux logiciels spécifiques à leur entreprise. Les TIC sont de surcroît pour eux des supports de formation organisée telles que les formations en ligne (e-learning2 , MOOC3 …), suivies plus souvent par ces salariés.

 

Mais la formation organisée n’est pas la seule façon de développer ses connaissances, loin s’en faut, d’autres formes d’apprentissages plus informels4 existent, mais plus difficilement quantifiables [4]. L’enquête DEFIS offre l’opportunité de les appréhender en distinguant les canaux qui les favorisent. Dans quelle mesure les TIC favorisent-elles des apprentissages informels et pour quels salariés ?
 

  • 1Formation organisée: ensemble des actions de formation organisées à visée professionnelle telles que des cours ou des stages, des formations en situation de travail, des autoformations ou des séminaires.
  • 2 e-learning : ensemble des solutions et moyens permettant l’apprentissage à distance.
  • 3MOOC : Massive Open Online Course, ou formation en ligne ouverte à tous, type de formation à distance capable d’accueillir un grand nombre de participants.
  • 4Apprentissages informels : Ni structurés ni planifiés, ils peuvent avoir été réalisés sans l’intention d’apprendre. La définition utilisée ici est plus extensive que celle de l’Unesco qui englobe toute forme d’apprentissage non institutionnalisée mais intentionnelle ou volontaire.

Les utilisateurs de TIC profitent davantage des apprentissages informels

Le recours aux TIC est souvent associé à des modes d’organisation du travail déjà fortement propices au développement des apprentissages : nombreuses interactions, prise de recul, pratiques de management favorisant les groupes de travail ou le travail autonome, l’innovation ou encore la motivation [2]. Ces situations qui se développent en concomitance avec la diffusion des TIC, stimulent les apprentissages informels sous toutes leurs formes, à l’occasion, par exemple, d’échanges entre collègues (pour 69 % des profils « tâches en ligne »), de réunions (61 % des profils « nomades ») ou en traitant un incident (51 % des profils « relations client »).

Dans certains cas, Internet devient même, en soi, une véritable source de connaissance informelle. C’est notamment le cas des salariés « nomades » qui ont 5,6 fois plus de chances de déclarer apprendre par eux-mêmes, via Internet (cf. supplément numérique). Même des salariés faisant peu usage des TIC, tels que les profils « recherche d’emploi », déclarent dans de fortes proportions utiliser Internet pour apprendre des choses utiles professionnellement. Ces salariés, qui suivent par ailleurs peu de formations organisées, utilisent essentiellement ce canal informel pour développer leurs connaissances. A contrario, les autres salariés éloignés de la formation organisée ne déclarent pas faire autant usage des canaux informels d’apprentissage.
 

Loin des TIC, loin de la formation

Les salariés qui utilisent le moins les outils connectés, les « distants » et les « non-connectés », sont également ceux qui suivent le moins de formations organisées et lorsque c’est le cas, il s’agit le plus souvent de formations obligatoires5 . Plus du quart d’entre elles ont pour objectif d’acquérir une habilitation ou un permis (CACES, formations à la sécurité). Pour ces salariés, la formation organisée n’est pas réalisée pour accompagner un changement ou pour gagner en efficacité dans leur travail, mais plutôt pour s’accorder avec des règles de sécurité nécessaires à leur activité. Leur travail ne favorise pas les échanges, de même qu’il ne les encourage pas à être plus autonomes. Leur activité nécessite plus souvent d’utiliser une machine et implique de reproduire des gestes répétitifs. Aussi, ces salariés n’évoluent pas dans des situations favorables aux apprentissages informels, et seuls 37 % d’entre eux déclarent apprendre par eux-mêmes des choses utiles pour leur travail, contre 59 % pour l’ensemble.

Ces constats mettent en évidence que les salariés dont les métiers ou les secteurs ne sont pas encore transformés par les TIC ne se préparent pas à l’introduction, pourtant souvent inéluctable, de ces nouvelles technologies. Or, pas moins de la moitié des emplois seraient amenés à évoluer de façon importante du fait de la numérisation, selon un des derniers rapports en date du Conseil d’orientation pour l’emploi [3]. Parmi les emplois les plus concernés par une reconfiguration de leur contenu et des outils de travail associés du fait de l’automatisation, on retrouve en première ligne ceux des agents d’entretien, des conducteurs de véhicule, des employés d’hôtellerie, des ouvriers qualifiés des industries de process ou du bâtiment. Ces métiers recouvrent notamment ceux exercés par les salariés « distants » et « non connectés », par ailleurs les plus éloignés de la formation. 

Ces résultats conduisent à encourager l’accès de ces salariés à des formations visant l’acquisition de compétences numériques de base, via des dispositifs tels que le CléA6 numérique ou l’accès à des formations aux métiers du numérique, à l’instar des engagements du Plan d’investissement dans les compétences en faveur des jeunes et des demandeurs d’emploi peu qualifiés.
 

  • 5 formations obligatoires : formations à l’hygiène, la sécurité ou réglementaires pour l’exercice du métier.
  • 6CléA : certificat unique et interprofessionnel qui garantit l’acquisition d’un socle de connaissances et de compétences applicable à tous les publics et à tous les secteurs d’activité. Depuis le 11/09/2018 (décret), il est complété par un module visant à maîtriser les usages fondamentaux du numérique au sein d’un environnement de travail.
Encadré 1 - Source et méthode
Initié par le Conseil national d’évaluations de la formation professionnelle (CNEFP) et financé par France compétences, le Dispositif d’enquêtes sur les formations et itinéraires des salariés (Defis) est réalisé par le Céreq. Grâce au suivi d’un panel de 16 000 salariés pendant 5 ans, cette enquête vise à mieux connaître les liens entre parcours professionnels et formations.
6 741 salariés ont répondu à l’enquête en 2017. Il s’agit pour la plupart de leur 3ème interrogation dans le cadre de ce dispositif, pour lequel ils ont répondu pour la première fois en 2015. Toutes ces personnes sont représentatives des salariés employés en décembre 2013 dans les entreprises de 3 salariés et plus du secteur marchand (hors agriculture). Pour les salariés des entreprises de 3 à 9 salariés, l’enquête ne porte pas sur tous les secteurs d’activité. Les secteurs couverts : industries alimentaires,  construction de bâtiments, travaux de construction spécialisés, commerce et réparation automobile, commerce de gros, commerce de détail, hébergement et restauration, activités immobilières, activités juridiques et comptables, activités d’architecture et d’ingénierie, de contrôle et analyse technique.
En 2017, 84 % des salariés utilisent au moins une fois par mois dans un but professionnel, un ou plusieurs outils connectés à un réseau interne ou externe tels que le mail, intranet, la gestion documentaire partagée, des services dématérialisés, des sites Internet, les réseaux sociaux, une messagerie instantanée, des blogs ou des forums. Afin de réaliser une typologie des utilisateurs de technologies de l’information et de la communication, les réponses à ces questions ont été confrontées aux raisons invoquées pour leur utilisation : trouver une solution à un problème ou une réponse à une question, se documenter, communiquer avec ses collègues, gérer la relation avec les clients, communiquer sur l’entreprise, agrandir le réseau professionnel, travailler en dehors des locaux ou rechercher un emploi. 

 

Citer cette publication

Lambert Marion, La formation des salariés 2.0 : l’effet levier des TIC, Céreq Bref, n° 376, 2019, 4 p. https://www.cereq.fr/la-formation-des-salaries-20-leffet-levier-des-tic