La qualité du travail, au cœur des aspirations professionnelles des jeunes salariés
Que veulent les jeunes salariés ? Les données du dispositif Defis permettent de dessiner un panorama, fortement contrasté, de leurs aspirations professionnelles. Qu’ils envisagent de progresser en interne, de regagner du temps pour leur vie personnelle ou encore de ne rien changer, tous rendent compte de la place déterminante de la qualité du travail dans les souhaits professionnels qu’ils formulent. Si ces souhaits tiennent pour partie aux conditions d’emploi, ils répondent surtout aux appréciations que les jeunes portent sur leur travail et sur les articulations qu’il permet avec les sphères extra-professionnelles.
Les premières années de la vie professionnelle déterminent, dans une large mesure, les parcours ultérieurs et suscitent à ce titre un intérêt majeur. Elles sont abondamment documentées par des indicateurs tels que le temps d’accès à l’emploi, la durée de chômage cumulée, le temps de travail et la rémunération, le plus souvent différenciés selon le niveau de diplôme. En revanche, les aspirations professionnelles qui contribuent à orienter les itinéraires restent largement à mettre en lumière. Que souhaitent professionnellement les jeunes salariés ? Jusqu’où leurs rêves peuvent-ils aller ?
S’agissant de leur avenir professionnel, les jeunes salariés évoquent une pluralité de souhaits laissant présager leur itinéraire futur. Selon les données du dispositif Defis en 2015 (cf. champ en encadré 2), «prendre davantage de responsabilités » (73 %) et « faire évoluer le contenu de leur travail » (79 %), sont les réponses partagées le plus largement à la question « Que souhaitez-vous pour les cinq ans à venir ? ». Plus de la moitié des jeunes souhaite également « trouver un autre emploi » ou « changer d’entreprise », et 43 % d’entre eux voudraient « changer de métier ou de profession ». Ils sont près du tiers à souhaiter « entrer dans la fonction publique » et un quart à vouloir se lancer dans la « création d’entreprise ». À quoi tiennent donc les aspirations professionnelles des jeunes ?
Un souhait professionnel s’élabore en fonction de la représentation que chacun a de ses atouts, et des perspectives qui se présentent et qui définissent un avenir possible. Au-delà des caractéristiques des jeunes salariés et de leur entreprise, les conditions de travail et d’emploi, actuelles et espérées, sont déterminantes dans la construction et l’expression d’un projet professionnel. À ce titre, le dispositif Defis est riche d’informations sur la sécurité de l’emploi, les perspectives d’évolution professionnelle, les conditions de travail et la perception de la qualité du travail (cf. encadré 2).
Quelles dimensions les jeunes privilégient-ils lors-qu’ils décrivent leur travail ? Quelle place souhaitent-ils lui accorder ? S’agit-il de sécuriser l’emploi, d’évoluer professionnellement, de donner la priorité à un travail qu’ils estiment de qualité ou à des conditions de travail favorables ? Sans s’exclure les unes des autres, ces dimensions sont pondérées différemment selon les jeunes. Répondre à ces questions permet de situer les jeunes salariés selon leur rapport au travail, et d’examiner comment leurs appréciations se combinent avec leurs souhaits professionnels.
Une typologie des aspirations professionnelles, réalisée sur la base des souhaits formulés et de l’appréciation portée sur le travail, met en évidence la diversité des attentes des jeunes à l’égard du travail. Cinq types d’aspiration se dégagent ainsi de l’exploration statistique (cf. encadrés 3 et 4)
- Progresser en interne en s’épanouissant dans le travail
- Créer son emploi pour gagner en autonomie et en responsabilité
- Trouver un travail à la hauteur de sa qualification
- Face à un travail contraignant, regagner du temps pour sa vie personnelle
- Ne rien changer à un travail jugé satisfaisant
- Conclusion
- Pour en savoir plus
Progresser en interne en s’épanouissant dans le travail
Près d’un tiers des jeunes salariés (31 %) mettent en avant un souhait de progresser dans leur entreprise, porté par une confiance marquée dans l’avenir et un risque de perdre leur emploi qu’ils perçoivent comme très faible. Leur objectif de gagner en responsabilité est encouragé par la possibilité qu’ils ont de discuter avec leur responsable des questions de mobilité, de salaire et d’organisation du travail. S’agissant de la qualité de leur travail, tous les voyants sont au vert : ils sont satisfaits de leur situation professionnelle dont ils jugent les conditions de travail confortables, et parfaitement conciliables avec leur vie familiale. Ils sont les plus nombreux à estimer leur travail intéressant et correspondant à leur qualification. À la faveur d’une organisation du travail prenant appui sur les échanges et l’autonomie des salariés, ils sont 86 % à déclarer que leur travail implique d’apprendre des choses nouvelles, et 73 % à estimer pouvoir utiliser pleinement leurs compétences. En outre, au sein de leur entreprise, ils bénéficient de marges de manœuvre importantes pour suivre les formations qu’ils estiment nécessaires à leur parcours. En témoigne la part de jeunes formulant une demande de formation auprès de leur employeur : 41 % contre 35 % dans l’ensemble.
Dans cette classe, femmes et hommes sont représentés conformément à la partition générale (42 % et 58 %). Plus souvent diplômés de l’enseignement supérieur que les autres (59 % contre 51 % en moyenne), ces jeunes occupent sans surprise des emplois plus qualifiés. Ils ne sont pas plus souvent que les autres en CDI (78 % contre 79 % en moyenne), mais affichent une ancienneté dans l’entreprise supérieure à la moyenne, et travaillent beaucoup moins souvent à temps partiel (6 % contre 12 % en moyenne). Salariés plus souvent que les autres dans de grandes entreprises (plus de mille salariés), ils bénéficient d’un espace de mobilité laissant espérer un avenir professionnel ponctué de promotions.
Créer son emploi pour gagner en autonomie et en responsabilité
Une autre classe rassemble les jeunes salariés visant avant tout à gagner en autonomie, et envisageant dans cette perspective de créer leur propre entreprise (16 %). Cette orientation concerne massivement des jeunes hommes travaillant plus souvent dans de petites entreprises du commerce ou de la réparation automobile.
Bien que jugeant leur travail actuel intéressant, les jeunes concernés mettent en avant un fort souhait d’évolution professionnelle assorti d’une montée en responsabilité. Ils sont en effet plus nombreux à estimer que leur travail n’est « pas assez payé » et à déclarer un important risque de perte d’emploi. D’ailleurs, la réalité leur donne raison puisqu’en 2015, ils sont plus nombreux à se déclarer en recherche d’emploi comparés aux salariés des autres classes. Ils sont en outre les plus nombreux à estimer que des compétences leur manquent pour bien faire leur travail (59 % contre 49 % dans l’ensemble), d’où un vif souhait de se former (89 %).
Trouver un travail à la hauteur de sa qualification
Un troisième sous-ensemble regroupe les jeunes salariés (16 %) visant un meilleur ajustement entre leur qualification (qu’ils définissent le plus souvent, à cet âge, à partir du diplôme détenu) et le poste occupé, ce qui implique l’accès à un nouvel emploi. Ces jeunes se déclarent massivement insatisfaits du travail exercé, jugé inintéressant, non conforme à leur qualification (telle qu’ils la déclarent), pénible, mal rémunéré, ennuyeux, marqué par des horaires décalés et des gestes répétitifs. S’ajoutent à ces conditions de travail pénibles de sombres perspectives professionnelles : en 2015 (soit 18 mois après la situation décrite) ils sont 22 % à être sans emploi (contre 12 % dans l’ensemble).
Ce groupe est aussi celui où l’on constate le plus grand écart entre la structure des diplômes et celle des emplois. Ainsi, 49 % de ces jeunes salariés sont diplômés du supérieur (contre 51 % dans l’ensemble) mais 47 % en emploi non qualifié (28 % dans l’ensemble). Plus souvent aussi à temps partiel (22 % contre 12 % en moyenne), moins souvent en CDI (75 % contre 79 %), ces jeunes sont massivement salariés dans des entreprises de taille moyenne (250 à 499 salariés), et dans les secteurs des « activités de services administratifs et de soutien » (21 % sont employés administra-tifs contre 8 % dans l’ensemble). Les femmes sont également sur-représentées dans cette catégorie. Pour ces jeunes salariés plus souvent à temps partiel et confrontés à un risque de perte d’emploi plus élevé que les autres, le souhait d’un nouvel emploi s’impose, qu’accompagne une volonté de se former légèrement supérieure à la moyenne : 81 %. Ce résultat témoigne de leur forte volonté de changer de situation, alors même que leurs contextes professionnels sont peu propices à l’expression de besoins en matière de formation.
Face à un travail contraignant, regagner du temps pour sa vie personnelle
Un quatrième sous-ensemble regroupe les jeunes salariés envisageant en priorité une meilleure conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle et familiale (22 %). Celle-ci suppose un desserrement des contraintes qui conditionnent les emplois du temps. Surprise : les femmes n’y sont que très légèrement sur-représentées (44 % contre 42 % en moyenne), alors qu’elles sont toujours en première ligne quant aux responsabilités domestiques. Une précision s’impose : il s’agit bien ici de concilier « vie professionnelle et vie familiale et personnelle », et cette dernière se déploie bien au-delà de la famille.
Ces jeunes font, plus que les autres, état de conditions de travail pénibles, sont obligés de se «dépêcher», souffrent d’horaires décalés et chargés (plus de 45 heures). En dépit de l’intérêt qu’ils déclarent porter à leur travail, ils dénoncent des contraintes à l’origine d’une frustration, qui se traduit par le sentiment de n’être pas assez payés pour le travail effectué. Pour faire face aux difficultés rencontrées, ils envisagent d’étendre le temps de vie personnelle. Cet objectif pourrait être sou-tenu par la formation : 91% des salariés de cette classe déclarent souhaiter se former. Ils évoluent à ce titre dans des environnements plus favorables à l’expression de besoins de formation (45 % en ont fait la demande contre 35 % dans l’ensemble). La formation peut revêtir ici des formes variées : leur entreprise a plus souvent recours aux formations en situation de travail, et l’entraide dans le travail est une pratique plus courante (ils sont plus nombreux à déclarer avoir appris de leurs collègues quelque chose d’utile pour leur travail : 46 % contre 34 %).
Ne rien changer à un travail jugé satisfaisant
Un cinquième sous-ensemble regroupe les jeunes salariés déclarant ne pas envisager de change-ment professionnel (15%). Seuls 9 % d’entre eux souhaitent faire évoluer le contenu de leur activité (contre 79 % dans l’ensemble) : cette aspiration au non-changement accompagne une relative satis-faction vis-à-vis du travail, estimé intéressant, suffisamment rémunéré et peu contraignant, appelant des compétences dont ils disposent. Cette classe se caractérise par une structure des diplômes plus modeste que la moyenne. Elle compte de nombreux ouvriers (un quart sont ouvriers non qualifiés), dont une large part travaille dans les trans-ports (15 % sont conducteurs de véhicules contre 7 % dans l’ensemble) et l’hôtellerie-restauration.
Ces jeunes ne souhaitant ni évoluer, ni changer d’emploi, ni se former travaillent au sein d’entre-prises où les marges de manœuvre sont étroites et les perspectives d’évolution salariale minces. Probablement ont-ils intériorisé les limites de leur situation professionnelle, caractérisée par ailleurs par un faible risque de période sans emploi. S’ajoute à cela un contexte peu propice au développement professionnel, marqué par moins d’échanges dans le travail et moins d’autonomie. De surcroît, seuls 57 % d’entre eux ont participé à un entretien professionnel (contre 69 %), ce qui limite leurs possibilités d’exprimer leurs besoins de formation (32 % déclarent souhaiter se former contre 77 % dans l’ensemble). Si avoir un travail satisfaisant est un élément important, leur carrière et leur possible évolution professionnelle passent au second plan, le plus souvent faute de perspectives. Cette posture ne les conduit pas à exprimer des souhaits de changements pour l’avenir.
Conclusion
Ce panorama rend compte de la place déterminante, voire prédominante, de la qualité du travail pour les jeunes. Ces résultats attestent clairement que les multiples dimensions de l’activité de travail et de son contexte organisationnel (constitutives de la qualité du travail) imprègnent tant les appréciations que les jeunes portent sur leur situation actuelle, que les aspirations qu’ils mettent en avant. S’il n’exclut pas que la question du salaire soit une de leurs préoccupations, ce constat vient souligner que la dimension économique de l’emploi n’est pas considérée pour elle-même, indépendamment du rapport au travail et de toutes les dimensions constitutives de sa qualité. Au demeurant, les multiples aspirations formulées par les jeunes, saisies au moment de l’enquête (2015), pourraient évoluer sous le coup de la crise sanitaire et économique. Par exemple, pour ceux qui espéraient trouver un emploi à la hauteur de leur diplôme, la partie s’annonce plus difficile : peu de créations d’emploi et une file d’attente qui s’allonge avec l’arrivée sur le marché du travail des sortants de l’appareil éducatif. Quant à ceux qui souhaitaient ne rien changer à leur situation professionnelle, ils devront faire face aux conséquences de la crise dans les secteurs où ils sont légion : hôtellerie-restauration, tourisme, transports, culture... Plus généralement, la crise actuelle et ses effets sur l’emploi des jeunes pour-raient venir bousculer le rapport au travail de ces derniers et impulser une redéfinition de leurs as-pirations individuelles, à l’aube de leur vie professionnelle.
3. Construction de la typologieUne typologie réalisée selon une classification ascendante hiérarchique (CAH) a été obtenue en combinant d’une part des variables rendant compte des appré-ciations que les jeunes portent sur leur travail, et d’autre part sur les souhaits qu’ils évoquent quant à leur avenir professionnel. La classification ascendante hié-rarchique est une technique statistique visant à partitionner une population en différentes classes ou sous-groupes. On cherche à ce que les individus regroupés au sein d’une même classe (homogénéité intra-classes) soient le plus semblables possibles selon les variables prises en compte, tandis que les classes soient le plus dissemblables entre elles (hétérogénéité inter-classes).Les variables prises en compte dans la typologie (variables actives) :Sur les aspirations professionnelles des jeunes :• Souhaite prendre davantage de responsabilité• Souhaite faire évoluer le contenu de son activité• Souhaite changer de métier ou de profession• Souhaite un autre emploi, changer d’entreprise, intégrer la Fonction publique• Souhaite créer une entreprise• Souhaite se laisser plus de temps pour sa vie personnelle ou familiale• Souhaite se formerSur les appréciations que portent les jeunes sur leur travail :• Estime que son travail est intéressant• Estime que son travail correspond à ses qualifications• Estime que compte tenu du travail réalisé, il est assez payé• Estime que ses conditions de travail sont pénibles• A du mal à concilier sa vie personnelle et familiale avec sa vie professionnelleUne fois la typologie produite, elle peut être enrichie par le profil socio-démographique des salariés relevant de chacune des classes, les caractéristiques de leur entreprise ainsi que des variables permettant de caractériser leur rapport au travail. |
Pour en savoir plus
[1] « À quoi rêvent les jeunes salariés ? Qualité du travail, aspirations professionnelles et souhaits de mobilité des moins de 30 ans », C. Fournier, M. Lambert et I. Marion-Vernoux, Economie et
statistique, n°514-515-516, 2020.
[2] Apprendre en début de vie active, C. Fournier , O. Joseph, M. Lambert et I. Marion-Vernoux, Rapport pour l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire INJEPR/10, août 2018.
[3] Le(s) rapport(s) des jeunes au travail. Revue de littérature (2006-2016), M. Loriol, Rapport d’étude, INJEPR/02, février 2017.