Céreq Bref, n° 423, Juin 2022, 4 p.

La transition écologique au travail : emploi et formation face au défi environnemental

Publié le
1 Juin 2022

Que sait-on de la façon dont la « transition écologique et énergétique », selon la terminologie en vigueur dans les politiques publiques françaises, transforme les activités et les emplois ? Alors que l’on peine encore à mesurer l’ampleur et la nature du verdissement des métiers, comment les acteurs de la formation et les entreprises se positionnent-ils pour favoriser l’écologisation des activités ? À partir d'un ensemble d’échanges et de travaux, ce Céreq Bref dresse un premier panorama de ces questions, entre enjeux systémiques et recompositions des compétences.

 

Communiqué de presse
 

La nécessité d’engager les pays dans une « transition énergétique et écologique » fait désormais consensus et s’inscrit à l’agenda des politiques publiques d’emploi et de formation. En France, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (2015) a marqué un tournant en ce sens. À la Programmation Pluriannuelle de l’Energie, fixant les objectifs de réduction de consommation d’énergie et de développement d’énergies renouvelables, elle associe en effet notamment le Plan de Programmation des Emplois et des Compétences (PPEC). Ce Plan est préfiguré dans le rapport Parisot (2019), chargé d’examiner « à quelles conditions les politiques d’emploi, de formation et d’évolution professionnelle pourraient être en cohérence et en synergie avec les objectifs fixés par la transition énergétique et écologique » [1]. Dans cette perspective, le rapport élargit la problématique d’une transition vue à l’aune des éco-activités et des métiers verts à une transformation globale de tous les métiers. À ce jour cependant, il n’existe toujours pas de PPEC opérationnel et élargi à l’ensemble des secteurs. Pour autant, plusieurs instruments de l’action publique sont déjà mobilisés, dont le Plan d’Investissement dans les Compétences 2018-2022, qui finance les efforts de transformation des compétences et de qualification de la main-d’œuvre en lien avec la transition écologique. De son côté, la loi « Climat et résilience » (août 2021) comporte un chapitre II intitulé « Adapter l’emploi à la transition écologique », qui promeut une évolution de la gouvernance de l’emploi à trois niveaux :

  • Niveau de le l’entreprise via les Comités sociaux et économique (CSE, art. 40-41),
  • Niveau des régions via les Comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation (CREFOP, art.42)
  • Niveau des branches via les opérateurs de compétences (OPCO, art.43).

 

Un travail d'analyse, à différentes échelles, reste néanmoins nécessaire. Au niveau global, il convient d'appréhender les transformations des systèmes d’emploi, les transferts et reconversions inter et intra-sectoriels. À un niveau plus fin, il s'agit de caractériser les compétences mises en œuvre dans le cours des activités de travail impactées par la transition écologique et énergétique. Suivant cette gradation des systèmes d'emploi aux compétences, ce Céreq Bref expose dans un premier temps les difficultés auxquelles se heurtent l'observation et l'anticipation de la transformation des emplois, puis s'intéresse aux initiatives déjà engagées par les acteurs de la formation comme du monde économique. Il s'interroge enfin sur la traduction des évolutions des métiers et des activités au niveau des compétences.

1. Les acteurs publics engagés dans l’observation des transformations des emplois et des formations
C’est au sein du comité de pilotage partenarial de l’Onemev, sous l’égide du CGDD, que s’échangent les expertises sur l’observation et la mesure des transformations des emplois et des compétences, selon une multiplicité de points de vue des producteurs de données sur l’économie, l’emploi et la formation (INSEE, DARES, DGEFP, Pôle Emploi, Céreq, France Stratégie, France Compétences, ADEME, CARIF OREF, AFPA...). La série de webinaires co-organisé par le Céreq, France Compétences et l’Onemev à l’automne 2020 sur le thème « Comment identifier et accompagner l’évolution des compétences en lien avec la transition écologique ? » a permis la mise en discussion des dernières avancées et des points de vue des acteurs économiques, OPCO et entreprises, sur l’accompagnement, notamment dans les systèmes de formation et au sein des territoires [2]. Après avoir produit des études sur les transformations dans certains des métiers des éco-activités (méthanisation, éolien marin, construction, réseaux électriques intelligents, cf. [3]), le Céreq poursuit un programme de recherche dans le cadre des appels à projets de recherche du Plan d’investissement dans les compétences de la DARES intitulé «  les besoins en compétences liés à la transition écologique : entre représentations et réalités ». Ce programme s’appuie sur une investigation multiniveau, qui mobilise les enquêtes Défis et Génération du Céreq, et développe une analyse des politiques des branches, des instruments de gestion des entreprises, et des pratiques professionnelles des salariés dans trois secteurs (ESS, Commerce, BTP).

Observer et mesurer la transformation des métiers et des emplois : un exercice encore périlleux

Quelle ampleur prend la transition écologique au sein des systèmes d’emploi, les logiques de mobilisation de la main-d'oeuvre et des compétences différant d'un secteur à l'autre ? L’ADEME, qui suit l’évolution des emplois dans les secteurs au cœur de la transition énergétique, comptait un peu moins de 360 000 emplois directs en 2019 dans ces secteurs, soit 1,3  % de l’emploi total (BTP 59  %, transports 23 %, énergies renouvelables 18 %). L’Onemev développe de son côté deux approches du verdissement de l’emploi. L'une s'intéresse aux « éco-activités » (cf. encadré 2), qui mobilisent près de 563 000 emplois en équivalent temps plein en 2018, soit 2,1 % de l’emploi intérieur total français [4]. Ce volume est en augmentation, porté par le dynamisme de l’agriculture biologique et du développement des énergies renouvelables. L'autre approche distingue les métiers verts et métiers verdissants (cf. encadré 2), au nombre de 140 000 pour les premiers (soit 0,5% des emplois en 2018) et comptant presque 3,8 millions pour les seconds (soit 14 % de l’emploi) [5]. L’évolution de ces métiers est contrastée et difficile à interpréter, avec une diminution du volume des métiers verts et une légère progression des métiers verdissants, dont la proportion au sein des emplois reste identique entre 2013 et 2018, alors que le volume d’emploi total augmente de 1,2%.

Quelle que soit l’approche retenue, les volumes d’emplois identifiés comme porteurs de la transition écologique sont faibles. La mesure de ces volumes reste néanmoins fragile, du fait des difficultés d'identification des métiers concernés : rapprochement de nomenclatures (PCS, FAP, ROME), prise en compte de l’ensemble des effectifs sans distinction des finalités environnementales des professions. À titre d’exemple, les métiers du second œuvre du bâtiment sont considérés comme verdissants, sans possibilité de dénombrer les professionnels qui participent effectivement aux dynamiques d’efficacité énergétique dans le secteur.

Stabiliser une cartographie des métiers et des compétences de la transition écologique apparaît comme l’un des enjeux pour constituer des repères et des incitations à l’action. Un tel travail est en cours au sein du comité de pilotage de l’Onemev, sur la base de dires d’experts associant acteurs professionnels et institutionnels, en lien notamment avec les révisions des nomenclatures PCS 2020 et du code Rome 4.0. Au niveau européen, il n’existe pas encore de nomenclature harmonisée, mais les descriptifs des emplois verts et des compétences associées sont en cours d’élaboration. En France, l’Onemev fait figure d’exception en tant qu’observatoire dédié [8]. De fait, la diffusion de la transition écologique au sein des systèmes d’emploi est une réalité difficile à saisir par des catégories établies. Au regard des projections macroéconomiques d’évolution des activités et des emplois, en lien avec les objectifs environnementaux (telles celles du récent exercice de prospective Métiers 2030 [6]), l'articulation avec les déclinaisons en termes de formations et compétences est encore à construire. Des travaux qualitatifs conduits par le Céreq [3] ont permis de cerner plus finement la nature des transformations à l’œuvre dans les activités de travail. Ces analyses n’ont pas dévoilé de nouveaux métiers en tant que tels, mais mis en évidence différentes formes de recomposition des compétences. Dans les secteurs prioritairement impactés par la transition écologique, certains métiers « experts » se constituent (chef de projet ENR, ingénieur d’étude hydrogène, conseiller info énergie...), des métiers plus «  traditionnels  » se complexifient (opérateurs du tri, techniciens de maintenance électrique, agriculteurs responsables d’une unité de méthanisation...), et de nouvelles figures professionnelles émergent dans des fonctions de « traducteurs » ou d’intermédiaires pour mettre en œuvre les transformations liées à l’écologisation des organisations. La prise en compte de normes environnementales induit des déplacements de pratiques professionnelles ; l’introduction de nouvelles techniques nécessite l’élaboration de dispositifs cognitifs collectifs, c’est-à-dire de règles d’organisation, de représentations et valeurs partagées autour de la façon dont le travail se fait. Les critères pour évaluer la qualité écologique d’un dispositif technique, organisationnel ou de mutations professionnelles font l’objet de débats et de controverses, y compris parmi les acteurs de la formation professionnelle [7]. C'est le cas par exemple de la filière de la méthanisation et des formations qui lui sont associées, qui se développe dans une approche plutôt industrielle de la transition écologique, malgré les controverses sanitaires et environnementales liées à ce type de projet [3].

Enfin, ces études soulignent l’émergence de nouveaux acteurs dans les systèmes productifs (conseillers experts, évaluateurs, militants, consommateurs, etc.), et l’importance de l’articulation entre différentes échelles. Celle-ci peut passer par la structuration de filières et la mise en réseau le long d’une chaîne de valeur (cas de l’agriculture bio et des circuits courts), ou par les territoires en lien avec les spécificités productives et les configurations institutionnelles, pouvant conduire à l’émergence de complexes territorialisés de compétences identifiés pour l’éolien marin par exemple [3].

2. Eco-activités, métiers verts, métiers verdissants : définitions 
Les éco-activités regroupent les activités qui produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion durable des ressources. (par exemple : agriculture biologique, gestion des déchets, protection et gestion de l'eau, maîtrise de l'énergie, récupération de matériaux de recyclage...). Un métier vert est un métier dont la finalité et/ou les compétences mises en œuvre contribuent à mesurer, prévenir, maîtriser, corriger les impacts négatifs et les dommages sur l’environnement (par exemple : agent d’entretien des espaces naturels, garde forestier, technicien chargé de la police de l’eau, agent de déchèterie...). Un métier verdissant est un métier dont la finalité n’est pas environnementale, mais qui intègre de nouvelles « briques de compétence » pour prendre en compte de façon significative et quantifiable la dimension environnementale dans le geste métier (par exemple  : architecte, poseur en isolation thermique, responsable logistique, jardinier...).

 

Source : Métiers verts et verdissants : près de 4 millions de professionnels en 2018, Sophie Margontier, SDES.

 

 

Source : Métiers verts et verdissants : près de 4 millions de professionnels en 2018, Sophie Margontier, SDES.

 

La mise en mouvement des acteurs du champ de la formation et de l’emploi

Au regard des difficultés d’observation de la transformation des emplois et des métiers mais aussi des constats désormais accumulés, le rôle des acteurs de la formation, et l’articulation de leurs actions et travaux avec l’activité des entreprises, sont directement interpelés. Comment ces acteurs élaborent-ils leurs stratégies et leurs marges de manœuvre  ? Quelles représentations de la TE repère-t-on dans leurs interventions ? Quelles avancées et/ou limites mettent-ils en avant ?

Pour les acteurs de la formation professionnelle, la TE ne pose pas seulement la question d’une montée en compétence, mais aussi de compétences à développer. Le ministère de l’agriculture et l’AFPA ont par exemple commencé, dès 2014, à remanier les diplômes et les titres professionnels, pour évaluer l’intégration des préoccupations environnementales dans les contenus des formations. Le ministère de l’éducation nationale l’a fait pour le secteur du bâtiment dès 2007. Par ailleurs, le rapport de la commission Jean Jouzel (février 2022) préconise de sensibiliser et former aux enjeux de la TE 100  % des étudiants de niveau bac+ 2 d’ici 5 ans. Des acteurs de la formation continue ont également lancé des enquêtes pour faire évoluer la formation des formateurs (CNFPT, FFP). Pôle emploi a créé un module pour former ses conseillers. Enfin, certains territoires régionaux ont revu leurs catalogues de formation pour qu’ils intègrent systématiquement les enjeux liés à la TE et favorisent ainsi le développement des métiers verts et/ou d’activités plus respectueuses de l’environnement, comme par exemple la Région Centre Val de Loire. La veille sur les besoins en formation de la TE est donc multi-canal, et les différentes approches montrent que la formation n’est pas seulement à considérer comme un appui de la transformation des compétences, mais aussi comme un moteur impulsant une meilleure prise de conscience des problématiques environnementales. C’est tout l’enjeu de l’éducation au développement durable, qui élargit les démarches pédagogiques et les contenus en y incluant les dimensions économiques, sociales et démocratiques, allant ainsi au-delà d’une conception uniquement environnementale de la crise climatique.

Dans un contexte de TE, les kits de bonnes pratiques, renvoyant à des démarches standardisées, montrent leurs limites face aux enjeux d’adaptation des outils à des territoires et leurs systèmes d’acteurs. En revanche, la sélection de « principes » communs, destinés à orienter les initiatives en matière de formation, paraît plus appropriée aux problèmes posés par cette question « socialement vive » [3]. Selon les premiers retours d’expérience, l’entrée par les secteurs et les marchés s’avère plus pertinente que l’entrée par la formation pour entraîner les acteurs du monde économique. Les entreprises doivent en effet intégrer des préoccupations environnementales dans des modèles économiques rentables, ce qui ne va pas de soi. D’une part, les impacts écologiques représentent des externalités dont la prise en compte modifie les positions sur des marchés concurrentiels. Ces logiques entraînent ainsi une forme d’inertie des systèmes productifs. De plus, alors que la crise écologique nécessite des transformations durables et globales, les acteurs économiques privilégient des stratégies adaptatives de court terme et inscrites dans des sentiers de dépendance technologique. Le rôle des entreprises et leur capacité à aborder la question de l’évolution des compétences sont ainsi au cœur de la dynamique de transformation écologique. Celle-ci doit pouvoir prendre appui sur des régulations collectives, légitimées par l'ensemble des acteurs, dans un objectif de soutenabilité.

Quelle traduction en termes de compétences ?

Des travaux en cours au Céreq montrent que, de façon générale, le fait de traiter et d’analyser les impacts de la transition écologique sur les métiers et les organisations productives n’est pas une demande spontanée des branches. De fait, côté entreprises, hormis certains secteurs traditionnellement rattachés aux problématiques écologiques (celui des déchets ou certaines activités de l’ESS par exemple), ou des secteurs en évolution du fait de la règlementation (comme c’est le cas du BTP), ou encore de quelques transformations ciblées ou concentrées sur des marchés de niche, l’approche de la TE se catalyse autour de la sensibilisation, notamment au travers de la promotion d’écogestes citoyens, sans que les gestes professionnels et les organisations productives soient questionnés. Ces deux dimensions sont pourtant incontournables pour saisir les compétences, qui sont toujours contextuelles, évolutives, à la fois individuelles et collectives, et qui sont objectivées par des dispositifs d’évaluation. De fait, pour estimer leurs besoins en compétences vertes – celles-ci n’étant pas vertes «par nature» –, les entreprises doivent interroger leurs façons de produire et les chaînes de valeurs dans lesquelles elles s’inscrivent. Les entreprises sont également face à un défi complexe : réintégrer la pensée systémique au cœur des métiers et des spécialisations par des processus itératifs, qui se construisent chemin faisant sur le terrain, dans l’activité de travail en train de se faire comme l’illustre le cas du BTP. Intégrer les préoccupations environnementales dans des chantiers demande à certains postes d’avoir une appréhension globale du mode de construction. Transformer l’acte constructif vers des procédés plus verts requiert ainsi de diversifier les savoirs et les savoir-faire et de favoriser les modes de coopération entre différents corps de métiers. C’est par ce chemin que les besoins en compétences peuvent être identifiés et innerver les modalités de formations professionnelles.

Conclusion

L’agencement de nouvelles compétences – liées à l’hybridation de métiers existants plus qu’à l’émergence de nouveaux métiers – dans l’ensemble des secteurs est l’un des grands constats des travaux mentionnés jusqu’ici quant à la transition écologique et énergétique annoncée. Celle-ci devrait ainsi conduire à une « écologisation » globale des activités professionnelles, c’est-à-dire à l’intégration systématique et systémique des préoccupations environnementales dans les activités de travail. Dans cette perspective, identifier les compétences nécessite une analyse fine des situations de travail, des gestes et techniques professionnels afin de comprendre les conditions qui permettent et favorisent cette écologisation. Pour accompagner la TE, une logique purement adéquationniste des politiques d’emploi et de formation peut ainsi échouer à appréhender les dynamiques de transformation.

En savoir plus

[1] Plan de programmation des emplois et des compétences, Rapport de la mission de préparation confiée à Mme Laurence Parisot, Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, 2019.

[2] Identifier et accompagner les compétences de la transition écologique, synthèse du cycle 2020 de webconférences, co-éd. France Stratégie, Céreq, ADEME, Ministère de la transition écologique et solidaire, 2021.

[3] Travail, formation et éducation au temps des transitions écologiques, F. Drouilleau-Gay, A. Legardez (Coord.), co-éd.Céreq Octarès, 2020

[4] Les éco-activités et l’emploi environnemental en 2018, F. Nauroy, Datalab. Essentiel, n°224, Ministère de la transition écologique et solidaire, CGDD/SDES, 2020.

[5] Métiers verts et verdissants  : près de 4 millions de professionnels en 2018, S. Margontier, Minis- tère de la transition écologique et solidaire, SDES, 2021.

[6] Les métiers en 2030, Rapport du groupe Prospective des métiers et des qualifications, France Stratégie, Dares, 2022.

[7] « Les organismes de formation comme relais des savoirs officiels et scientifiques liés à la transition écologique, une approche par la cartographie des controverses », Bargues E., Landivar D. , Formation Emploi, n°135, 2016.

[8] Skills for green jobs: 2018 update, European synthesis report, Cedefop reference series 109, Luxembourg, 2019.

Citer cette publication

Baghioni Liza, Moncel Nathalie, La transition écologique au travail : emploi et formation face au défi environnemental, Céreq Bref, n° 423, 2022, 4 p. https://www.cereq.fr/la-transition-ecologique-au-travail-emploi-et-formation-face-au-defi-environnemental