Céreq Bref, n° 448, Décembre 2023, 4 p.

La transition écologique dans les métiers de la construction : l’encadrement de chantier en première ligne

Publié le
28 Décembre 2023

Le bâtiment est un secteur réputé polluant et fortement émetteur de gaz à effet de serre, en particulier lors de la réalisation de nouvelles constructions. À ce titre, il fait l’objet de nombreuses dispositions réglementaires, notamment celles de la loi « Climat et résilience » de 2021. À partir d'une enquête qualitative, les auteurs interrogent les effets de la transition écologique sur les métiers impliqués dans l'acte de construire. À ce jour, l’encadrement – chef de chantier et conducteur de travaux – semble être le principal acteur du verdissement sur le chantier. Mais les défis à venir du secteur posent la question d'une transformation de l'ensemble des métiers de la construction.

Communiqué de presse

Le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) est identifié comme l’un des plus consommateurs en énergie. Il représente 44 % de l’énergie consommée en France, devant le secteur des transports. Concerné au premier chef par les enjeux de la transition écologique, il est l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre : plus de 120 millions de tonnes de dioxyde de carbone chaque année, dont les trois quarts sont émis lors de la phase de construction. Il est aussi gros producteur de déchets et vecteur d’artificialisation des sols, dont la loi Climat & Résilience (2021) fixe aujourd’hui les limites. Du fait des nuisances qu’il génère, le domaine de la construction est fortement cadré en matière de normalisation et de labellisation, et il est particulièrement exposé aux évolutions législatives actuelles à visées environnementales. Il s’agit alors de voir dans quelle mesure les préoccupations et règlementations liées à la transition écologique, à la fois nombreuses, contraignantes et en évolution permanente, transforment certains métiers du bâtiment. Et, en particulier, en quoi l’organisation du travail, les activités et les pratiques professionnelles sur les chantiers de construction sont concernées. Pour observer et analyser les évolutions du travail et saisir dans quelle mesure celles-ci sont liées à la transition écologique, une enquête par démarche qualitative a été menée dans la branche Construction d’une grande entreprise « major » du bâtiment, comptant parmi les cinq principales du secteur en France. Des investigations empiriques par entretiens semi-directifs et par séquences d’observation du travail (voir détails dans l’encadré « C-TERRE ») ont spécifiquement été déployées sur un chantier de construction de bâtiments neufs. Ce chantier de logements sociaux, financé par un organisme public et situé dans le centre-ville d’une commune des Bouches-du-Rhône, a pour caractéristique un mode constructif novateur, en mix-matériaux béton–bois. Il est considéré comme écologique car utilisant un matériau biosourcé. Il réduit également les nuisances, sonores et poussiéreuses notamment, ce qui est supposé favorable à l’amélioration des conditions de travail et avantageux dans le contexte d’une construction en centre-ville sur un site résidentiel déjà occupé. Sur la base de l'enquête, une fois les contextes règlementaires et technologiques qui cadrent le secteur de la construction1  spécifiés, les évolutions du travail et des compétences constatées sur le chantier choisi seront exposées. Elles concernent au premier chef l’encadrement de proximité. En conclusion les tendances et les enjeux pour l’avenir seront questionnées.

  • 1Ces observations empiriques laissent de côté des segments tels que la rénovation ou les travaux publics, domaines également évolutifs au sein du secteur du BTP.

Des stratégies d’entreprises encadrées par un « filet normatif »

Le BTP est un secteur fortement cadré par la législation dans ses processus de production, qu’il s’agisse de construction neuve, de rénovation ou de travaux publics. On peut ainsi parler d’un « filet normatif » encadrant de longue date le secteur. Concernant l’écologie, la réglementation énergétique RE 2020, qui se substitue à la réglementation thermique RT 2012, impose la norme « bâtiment basse consommation » (BBC) aux constructions futures. Le décret « tertiaire » normalise par ailleurs les caractéristiques techniques des nouveaux immeubles de bureaux. Les pratiques constructives devront évoluer en conséquence : mise en œuvre de nouveaux matériaux, isolation par l’extérieur, pose de panneaux photovoltaïques, toits végétalisés, etc. Parmi les dernières en date, la loi « Climat et résilience », avec notamment le titre V « Se loger » incite le secteur à élever ses objectifs en imposant, par la nouvelle contrainte financière qui va peser sur les bailleurs, la rénovation performante des bâtiments pour améliorer leur efficacité énergétique. 

Lors de l'étude, le surcoût que représentent les solutions écologiques a été souligné. Les personnes interrogées insistent en conséquence sur l’enjeu de la solvabilisation via des incitations financières, pour stimuler la demande. Tous les segments de marchés sont concernés : clients particuliers, syndics recherchant le moins-disant financier, collectivités locales aux moyens en diminution, etc.

Au sein de la grande entreprise étudiée, la stratégie mentionne des objectifs explicites de prise en compte de l’impact environnemental. Notamment, afin de favoriser les matériaux biosourcés, une PME de charpente et de construction de préfabriqués en bois a été rachetée et filialisée dans le groupe. Au siège, dans le comité de direction, le directeur du développement durable (interviewé dans l'étude) déploie une mission de veille, promotion et mise en œuvre de toutes les actions qui seraient favorables à l’environnement. La politique de communication de l’organisation valorise fortement les volets environnementaux, lesquels représentent des enjeux médiatiques (réputation et image de l’entreprise) ainsi que des enjeux de GRH, la « marque employeur » étant supposée cruciale pour attirer des candidats au recrutement dans des emplois de chantier à réputation parfois négative.

 

Innovations techniques et organisationnelles

Dans le secteur du BTP, les changements constatés du fait de la prise en compte des préoccupations environnementales apparaissent d’abord liés à des facteurs exogènes. D’une part les règlementations sont nombreuses, en rapide évolution, et contraignent fortement les méthodes de construction. D’autre part, les changements technologiques et la transformation des modes constructifs se recomposent dans l’optique de se conformer aux nouvelles contraintes. 


Une grande entreprise comme celle étudiée a les moyens budgétaires et techniques de développer des procédés prenant en compte les enjeux écologiques à tous les stades de l’acte constructif. Elle investit en Recherche & Développement en vue de développer des propositions de « variants bas carbone » lors des réponses aux appels d’offre. Elle développe « l’éco-conception » pour la construction de bâtiments à énergie positive ou la construction d’éco-quartiers. On trouve aussi des pratiques de production visant le réemploi des matériaux ou la limitation des flux de transport – ces deux démarches pouvant être conjointement mises en œuvre.
 

Globalement, les différentes branches de l’entreprise enquêtée développent des innovations favorables à l’environnement. Concernant le domaine de la construction neuve, l’utilisation de béton bas carbone et l’introduction de matériaux alternatifs (biosourcés par exemple) font partie des nouveautés. D’autres sont mises en œuvre ou testées dans le groupe, telle la revalorisation des déchets dans une démarche d’économie circulaire, ou encore les revêtements routiers d’origine végétale pour le domaine des travaux publics.
 

Si on resserre la focale sur le chantier de construction neuve étudié, il apparaît que la manière de prendre en charge la transition écologique dans les procédés est largement conçue et programmée par les fonctions supports du siège ou de l’agence régionale. Le mode constructif adopté sur le chantier a été élaboré par plusieurs équipes en études et ingénierie en amont du chantier, utilisant de plus en plus la maquette numérique BIM. Plus précisément, dans le mode constructif en mix matériaux béton-bois, le recours à des éléments préfabriqués plutôt qu’au procédé classique du « coulé sur place » en béton, modifie le sourcing des matériaux, l’approvisionnement, les méthodes de travail et l’ordonnancement du chantier.
 

Mode constructif écologique et évolutions du travail sur le chantier

Sur le chantier, l’encadrement doit s’assurer de la présence des moyens matériels et humains nécessaires à la réalisation de la construction telle que conçue par les fonctions supports. Dans l’entreprise enquêtée, il s’appuie sur les ingénieurs de l’agence régionale et sur la fonction RH. Celle-ci procède à l’affectation des ouvriers sur les chantiers d’un territoire donné ainsi qu’au recrutement des intérimaires, auxquels le secteur recourt structurellement de façon importante. Le conducteur de travaux (possédant un diplôme d’ingénieur) et le chef de chantier (moins qualifié et davantage mobilisé sur le chantier que dans les bureaux de la base-vie1 ) forment ainsi un binôme prenant en charge la mise en musique du chantier, avec des activités d’organisation du travail et de phasage cruciales dans l’atteinte des objectifs. Dans le bâtiment, cela signifie au premier chef le respect des prévisions en matière de coûts et de délais. Les exigences environnementales amènent aussi à rechercher une diminution du bilan carbone du bâti. 


Un nouveau mode constructif tel que le mix-matériaux béton - bois concourt à ces objectifs mais modifie également l’organisation du chantier et le travail. Il devient nécessaire de prendre en compte les caractéristiques des matériaux en bois, exigeant par exemple de prendre des précautions particulières vis-à-vis de l’humidité ou requérant des gestes professionnels spécifiques pour l’assemblage béton – bois. L’utilisation d’éléments préfabriqués hors du site du chantier crée de surcroît une dépendance amont-aval qui exige un séquençage très rigoureux (l’organisation des livraisons puis l’ordonnancement à réception) reposant sur le conducteur de travaux. Quant au chef de chantier, il va piloter des actions d’assemblage se substituant à la construction sur place. Il doit superviser des ouvriers pour qui l’assemblage ou l’introduction de nouveaux matériaux supposent des savoir-faire nouveaux à acquérir. 


L’ensemble de ces évolutions questionnent tant l’organisation du travail que les compétences à acquérir. Celles-ci sont à la fois techniques, de coordination au sein de l’équipe et liées à de nouveaux gestes professionnels. Qu’en est-il sur le chantier étudié ? Dans quelle mesure l’organisation du travail permet-elle ces apprentissages ? 


En premier lieu, les planificateurs ont fait le choix de confier l’encadrement des équipes à un binôme de charpentiers qualifiés (conducteur de travaux et chef de chantier) lors de la phase « bois », en aval de la phase « gros œuvre béton ». Ce choix implique qu’une option a été écartée : celle de former les encadrants « gros œuvre » aux savoirs et savoir-faire nécessaires en phase bois. Les acteurs interrogés expliquent que ce choix a été écarté étant donné les temporalités très serrées de déploiement du chantier. Par conséquent le transfert de compétences entre encadrants n’est pas complètement pris en charge sur le chantier. Il ne l'est que partiellement à travers des retours d'expérience successifs, au fil de la livraison des différentes tranches du chantier (environ une par an). Ces retours d'expériences ont été mis en place entre encadrants « gros œuvre » et encadrants charpentiers, avec l’aide de l’agence régionale (bureau d’étude, bureau des méthodes, directeurs des travaux). Cela assure une certaine capitalisation des expériences mais les connaissances et les savoir-faire restent à consolider pour la suite de la construction. 


En second lieu, l'organisation en mix-matériaux béton-bois  se caractérise par le recours à des encadrants qualifiés en charpente pour superviser les ouvriers non qualifiés sur la partie « phase bois ». Cela pallie le manque de savoir-faire des équipes ouvrières « gros œuvre ». Celles-ci sont-elles alors formées sur le tas à la partie construction bois ? Les cadres interrogés évoquent une formation somme toute limitée. Les personnels peu qualifiés et non expérimentés en matière de construction bois sont effectivement supervisés directement et alloués à des tâches simples et répétitives, définies et montrées par le binôme des charpentiers. Cela revient à un type de management fortement prescriptif, considéré comme nécessaire étant donné les objectifs de la construction et le déficit de compétences spécifiques des ouvriers, mais également peu habituel pour les charpentiers. Si les besoins du chantier justifient cette manière de faire, les professionnels interrogés soulignent la supériorité organisationnelle du travail en équipe de charpentiers qualifiés et autonomes, dont la supervision se fait de manière indirecte.


En définitive, les entretiens et observations montrent des limites à la formation sur le chantier et, en corollaire, aux évolutions des compétences, tandis que les modes constructifs se transforment. Le changement semble surtout concerner la coordination entre encadrants de deux spécialités différentes, ainsi que l’« activité organisatrice »  [3] qu’ils opèrent sur le chantier. La construction en mix matériaux biosourcés s’accompagne ainsi d’un travail d’organisation singulier où le binôme d’encadrement joue un rôle crucial. Cela corrobore ce que montrait déjà Caroline Datchary au sujet de l’anticipation des aléas sur le chantier : « La planification centralisée ne suffit plus, elle doit être étayée par une prise en compte accrue du terrain et de ses aléas, d’où le rôle de plus en plus décisif des acteurs intermédiaires comme le conducteur de travaux » [4]. Pour autant, ce rôle décisif laisse dans l'ombre la formation d'autres catégories de personnels.
 

  • 1Base-vie : construction modulaire éphémère qui sert à accueillir et protéger toutes les personnes durant la période du chantier.

Conclusion

Le cas du bâtiment est emblématique de l’importance donnée à l’amont, donc aux fournisseurs, qu’ils proposent des matériaux biosourcés, du béton bas carbone, ou encore des produits de traitement plus écologiques. La question de l’aval, c’est-à-dire du tri et du retraitement des déchets, est également mise en avant par les entreprises qui le sous-traitent à des opérateurs spécialisés et en assument le surcoût. En d’autres termes, il faut garder à l’esprit qu’une entreprise donnée ne peut prétendre à des pratiques vertueuses au plan écologique que lorsqu’elle est insérée dans une filière qui le lui permet, tant pour ses intrants que pour ses extrants. De surcroît, l’étude réalisée sur le chantier montre que la prise en compte de l’impact environnemental est une finalité des professionnels mais que son effectivité est somme toute modeste. À ce jour, la transition écologique semble avoir eu peu d’impacts sur les compétences et savoir-faire des personnels d’exécution du chantier.


Avec la loi “Climat et résilience”, il est clair que dans les prochaines années, les besoins de rénovation énergétique ainsi que de construction BBC vont s’accroître, avec l’objectif de disposer à l’horizon 2050 d’un parc de bâtiments sobres en énergie et faiblement émetteurs de gaz à effet de serre. Dans l'hypothèse d'une accélération de la demande de bâti vert impulsée par des obligations réglementaires ou des incitations fiscales,  devront se poser plus clairement les questions de formation et de transformation des métiers incluant la requalification des ouvriers de chantiers. De nouvelles questions se posent aujourd’hui, comme celle de la formation et du recrutement des nombreux professionnels nécessaires à la mise en œuvre d’une politique globale de rénovation énergétique. Le défi est de taille eu égard à l’ampleur des besoins prévisibles, estimés entre 170 000 et 250 000 emplois d’après les travaux publiés par France Stratégie (2023), d’autant que les incitations à rénover devraient s’accroître sous l’impulsion du nouveau Secrétariat général à la planification écologique.
 

En savoir plus

[1] F. Drouilleau-Gay et A. Legardez (dir.), Travail, formation et éducation au temps des transitions écologiques, Marseille, Céreq/Octares, 2020. 

[2] A. Meliva et C. Gauthier, Les différents visages des formations continues à visée écologique, Céreq Bref n° 363, 2018. 

[3] G. de Terssac (dir.), La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud, Paris, La Découverte, 2003. 

[4] C. Datchary, La dispersion au travail, Toulouse, Octarès, 2011.

Citer cette publication

Foli Olivia, Sulzer Emmanuel, La transition écologique dans les métiers de la construction : l’encadrement de chantier en première ligne, Céreq Bref, n° 448, 2023, 4 p. https://www.cereq.fr/la-transition-ecologique-metiers-construction-btp