Céreq Bref, n° 468, Mars 2025, 4 p .

L’alternance : un tremplin pour l’autonomie ? 

Publié le
27 Mars 2025

Parmi les jeunes sortis du système éducatif en 2017, près de la moitié ne vivaient plus chez leurs parents lors de leur dernière année de formation. Si la décohabitation intervient davantage lors des études supérieures, elle peut s’avérer plus précoce pour les jeunes inscrits en filières professionnelles, en particulier pour ceux qui choisissent l’alternance. S’appuyant sur l’enquête Génération 2017, ce Céreq Bref s’intéresse à l’influence de l’alternance sur l’autonomie résidentielle des jeunes, et met en lumière sa capacité à constituer un levier d’émancipation en début de vie active. 

Communiqué de presse

 

En Bref... Le podcast du Céreq

 

La France fait partie des pays de l’Union Européenne où l’âge moyen de départ des jeunes du domicile parental est parmi les plus bas : un peu moins de 24 ans contre plus de 26 ans pour les jeunes européens (Cf. données Eurostat). S’il reste supérieur à celui des pays nordiques, marqués par des politiques volontaristes d’autonomie des jeunes, il est plus faible que dans de nombreux pays qui se caractérisent comme la France par un soutien fort de la famille par rapport aux aides publiques. Pour les jeunes Français, cette décohabitation est cependant moins souvent associée à une indépendance économique [1]. Les allocations logement jouent un rôle majeur dans cette décohabitation plus rapide, au profit notamment des étudiants et des jeunes stabilisés en emploi. En effet, si les revenus du travail ne sont pas suffisants, la chute du niveau de vie associée à l’autonomie doit être compensée par des transferts familiaux, décisifs pour les jeunes en formation initiale majoritairement aidés par leurs proches [2], mais également porteurs de fortes inégalités [3]. 

Dans ce contexte, la difficulté d’accès à un logement peut constituer un obstacle à la réalisation des études. Si les médias soulignent à chaque rentrée scolaire les difficultés rencontrées par les étudiants de l’enseignement supérieur, la question peut aussi se poser pour les jeunes scolarisés dans les filières professionnelles de l’enseignement secondaire. Le départ du domicile familial peut devenir un impératif dès lors que le choix des études impose une mobilité géographique, pour accéder à un cycle supérieur ou suivre une spécialité de formation qui n’est pas proposée localement. Les enjeux du logement autonome des jeunes scolaires et étudiants peuvent revêtir une acuité renforcée dans le cas d’une formation en alternance. En effet, l’alternance impose un partage du temps de formation entre deux lieux géographiques distincts : le CFA et l’entreprise d’accueil, rajoutant à la complexité de l’équation du logement du jeune en formation lorsque ces lieux sont éloignés. L’accès au logement peut constituer un frein à la montée en puissance de l’apprentissage, au moins pour certains jeunes. 

Le module logement de l’enquête Génération 2017, réalisé en partenariat avec la DGESCO, la DHUP, le SDES-CGDD et l’INJEP (cf. encadré 1), permet de dresser un constat de la décohabitation du domicile familial en cours d’études, sur une sous-population de jeunes ayant suivi une classe de l’enseignement professionnel pour des diplômes du CAP à la licence professionnelle. Si cette décohabitation souvent précoce peut être vue comme une contrainte pour l’accès à une formation, elle peut aussi représenter une opportunité pour une jeunesse en devenir vers l’âge adulte, en permettant la construction de son autonomie. C’est de ce dernier point dont il est question ici. Dans quelle mesure la voie de formation, c’est-à-dire le fait d’être en alternance ou non, concourt-elle à un processus d’autonomisation en amont de la vie professionnelle ? Au-delà de cette question, les conditions de l’autonomie procurées par l’apprentissage (une rémunération permettant une contribution active du jeune à ses éventuels frais de logement) sont-elles susceptibles d’accélérer l’accès à une autonomie résidentielle plus pérenne une fois les études terminées ?

 

Sortants du secondaire : les alternants décohabitent plus, ou auraient souhaité le faire

Lors de leur dernière année de formation en 2017, plus d’un tiers (36 %) des jeunes sortant de l’enseignement professionnel avec au plus un bac+3 ont résidé hors du domicile familial pour suivre leurs études (cf. tableau encadré 2). En lien avec leur âge et l’offre de formation, ce phénomène de décohabitation concerne presque deux fois plus les sortants du supérieur (52 %) que ceux du secondaire (27 %). Au-delà de cet effet « niveau de diplôme », la voie de formation semble également influencer ces mobilités résidentielles. Pour les sortants du secondaire, avoir suivi une formation en alternance est associée à une décohabitation plus fréquente, celle-ci pouvant être à la fois contrainte par la localisation de la formation et de l’entreprise et rendue possible par la rémunération qu’offre le contrat de travail. Ainsi, parmi ces jeunes sortant du secondaire, 33 % de ceux formés en apprentissage ou en contrat de professionnalisation n’habitaient pas chez leurs parents lors de leur dernière année d’étude, mais seulement 23 % de ceux ayant suivi la voie scolaire. L’écart est encore plus prononcé pour les jeunes sortis après un bac professionnel, les alternants étant 39 % à avoir décohabité contre seulement 22 % des scolaires. 

La décohabitation pendant les études est à la fois plus fréquente chez les alternants du secondaire que chez les scolaires, mais aussi plus souvent souhaitée, sans succès. Ainsi, 17 % des alternants non-décohabitants auraient souhaité quitter le domicile parental pendant leur dernière année d’étude contre 11 % des jeunes de la voie scolaire, l’écart se retrouvant aussi bien parmi les sortants de niveau CAP (4 points) que parmi ceux de niveau bac (7 points).

Sortants du supérieur court : la décohabitation augmente avec le niveau de diplôme

Le phénomène de décohabitation pendant les études augmente considérablement avec le niveau de diplôme, atteignant 44 % pour les jeunes de niveau BTS-DUT et 68 % pour ceux sortis diplômés après une licence professionnelle. Mais si l’alternance semble favoriser la décohabitation pour les jeunes ayant au mieux un bac, cela n’est plus le cas pour les sortants du supérieur. Aucune différence n’est à noter parmi les sortants de BTS-DUT et, pour les sortants de licence professionnelle, la différence est plutôt inverse : 73 % des jeunes sortis par la voie scolaire n’étaient plus chez leurs parents lors de leur dernière année de formation, soit 10 points de plus que ceux ayant suivi la même formation en alternance. Ce résultat peut s’expliquer par une offre plus rare des licences professionnelles par la voie scolaire que par apprentissage (moins de la moitié des sortants). Par ailleurs, si les souhaits non concrétisés de décohabitation sont également en hausse dans le supérieur par rapport au secondaire, ils n’apparaissent plus vraiment différenciés entre jeunes passés par l’alternance ou par la voie scolaire. 
 

Un processus d’autonomisation caractérisé par le type d’habitat

Ces expériences de vie en autonomie pendant les études se révèlent hétérogènes et plus ou moins transitoires. Le type d’habitat et sa localisation – à proximité ou non du domicile parental – distinguent les décohabitants accédant à une autonomie marquée, des « semi-décohabitants » qui effectuent un retour hebdomadaire dans le logement familial. Parmi les jeunes sortant du secondaire, seuls 32 % ont occupé un logement seul ou en couple, ce qui caractérise une autonomisation marquée. Les autres décohabitent de façon plus transitoire pour vivre à l’internat (53 % des cas), dans un foyer ou une autre forme d’habitat collectif (15 % des cas). Les alternants sortant du secondaire ont plus souvent occupé un logement seul ou en couple que les scolaires (38 % contre 22 %), se retrouvant bien moins souvent en internat (cf. graphique encadré 3). Pour les jeunes décohabitants en étude dans le supérieur, cette expérience s’est matérialisée soit par l’occupation d’un logement seul ou en couple (60 %), la vie en colocation (14 %) ou une résidence en cité universitaire (14 %). Comme pour les sortants du secondaire, les alternants ont davantage occupé un logement seul ou en couple (63 % vs 58 %) et moins fréquemment une résidence en cité universitaire (9 % vs 16 %). 

D’après ces constats, l’effet de l’alternance apparait manifeste dans ce processus d’autonomisation pendant les études. Les ressources financières procurées par le statut d’alternant semblent permettre aux jeunes d’élargir leurs possibilités d’hébergement et de faire plus souvent l’expérience d’un logement occupé seul ou en couple. Ce résultat est d’autant plus marquant qu’il se dissocie d’une question de distance entre le foyer parental et le ou les lieux de formation. En effet, si la majorité des logements occupés par les jeunes décohabitants sont situés dans le même territoire de vie (zone d’emploi) que celui de leur famille (61 % des cas), l’alternance ne produit pas de différenciation sur ce registre.

 

L’alternance : un signal d’autonomisation durable

La fin des études et l’entrée dans la vie active signalent paradoxalement un recul de l’autonomie résidentielle des jeunes. En effet, si 36 % des jeunes sortis d’une formation professionnelle avaient décohabité au cours de leur dernière année d’études, ils ne sont plus que 26 % à occuper un logement autonome au cours de leurs trois premiers mois de vie active. Comme pour la décohabitation pendant les études, l’autonomie résidentielle en tout début de vie active est moins fréquente parmi les jeunes sortant du secondaire que parmi les sortants du supérieur (18 % vs 39 %). Elle concerne également davantage les anciens alternants (33 %) que les sortants de la voie scolaire (23 %), et est nettement plus fréquente pour les bacheliers professionnels ayant terminé leur formation par alternance que pour ceux issus de la voie scolaire (30 % contre 13 %). 

Ce recul de l’autonomie résidentielle dans la cohorte, au moment de la transition entre formation initiale et emploi, souligne la fragilité ou le caractère transitoire de l’occupation d’un logement autonome pendant les études. Ainsi, 48 % des jeunes qui avaient quitté le domicile parental y retournent à cette occasion. Cependant, au-delà de ces mouvements de recohabitation, de nouvelles expériences de décohabitation voient également le jour. Ainsi, 12 % des jeunes qui n’avaient pas quitté le domicile parental pendant leurs études le font au cours de leurs premiers mois de vie active, et les anciens apprentis se lancent davantage que les anciens de la voie scolaire (15 % vs 10 %). Parmi ceux qui avaient décohabité pendant leurs études, les alternants ont été moins enclins que les scolaires à revenir au domicile familial lors du passage à la vie active (39 % contre 52 %). Ce résultat s’observe dans le secondaire comme dans le supérieur. Avec le temps, la part de jeunes occupant un logement distinct du domicile parental augmente, atteignant 51 % des sortants d’une formation professionnelle trois ans après la fin des études. Le clivage selon le niveau d’étude atteint demeure : quatre jeunes sur dix sortis du secondaire font cette expérience contre près de sept jeunes sur dix issus du supérieur. À cette date, un écart entre les alternants et les scolaires persiste en faveur des premiers, atteignant 11 points parmi les sortants du secondaire, 5 points parmi ceux du supérieur. L’effet de la voie de formation joue fortement pour les sortants des formations de niveau 3 et 4 : 54 % des alternants contre 36 % des scolaires de niveau 4 vivent hors du logement familial (46 % contre 39 % du niveau 3). 

Si la décohabitation pendant les études renforce l’autonomisation trois ans après la fin des études pour les jeunes issus de la voie scolaire (70 % contre 37 %), les proportions sont respectivement de 73 % et 46 % pour les alternants, soulignant le rôle amplificateur de l’alternance sur l’autonomisation résidentielle, particulièrement pour les bacheliers professionnels. En définitive, en plus de favoriser l’accès à l’emploi, avoir suivi une formation en alternance augmente les chances d’accéder à une vie résidentielle autonome trois ans après la fin des études. Cet effet de l’alternance reste positif et significatif dans une analyse « toutes choses égales par ailleurs » par modélisation. D’autre part, une analyse restreinte aux seuls jeunes en emploi montre que, si l’effet net de l’alternance apparait marginal pour les sortants du supérieur (+3 points), il apparait encore conséquent pour les formés du secondaire (+11 points).

 

Conclusion

L’évolution de l’alternance est l’objet de nombreux débats, notamment sur le rapport entre les coûts de ses financements publics et sa valeur ajoutée pour l’insertion professionnelle des jeunes concernés. Ce travail ouvre une nouvelle perspective en s’intéressant à ses effets sur l’autonomisation des jeunes. De manière indirecte, les résultats présentés indiquent que l’alternance participe à la construction de la vie d’adulte en accélérant la prise d’un logement autonome, l’effet étant nettement supérieur pour les sortants de l’enseignement secondaire, qui ont moins l’occasion – ou la possibilité – de décohabiter que les étudiants entrés dans l’enseignement supérieur. En plus d’un mode particulier de formation à visée professionnelle, l’alternance peut être perçue plus largement comme un facteur d’émancipation pour les jeunes entrant dans la vie active. L’accès à l’autonomie, par l’intermédiaire de l’apprentissage, ou d’autres moyens, est essentiel pour la confiance en l’avenir des jeunes et leur niveau de satisfaction par rapport à leur vie |4]. Si de nombreux dispositifs d’aide pour l’accès au logement existent pour les jeunes, un des enjeux majeurs est de développer leur coordination et leur cohérence en s’ajustant aux besoins dans chaque territoire [5].

Supplément numérique

En savoir plus

[1] T.Chevalier, « Jeunesse et familialisme en France et en Allemagne », Agora débats/jeunesse n°70, 2/2015. https://doi. org/10.3917/agora.070.0021 

[2] J.Solard, R.Coppoletta, « La décohabitation, privilège des jeunes qui réussissent ? », Économie et Statistique, n°469- 470, 2014. 

[3] A.R.Menard, V.Vergnat, « Les décisions des jeunes dans la transition vers la vie adulte en France : l’influence de facteurs familiaux », Économie et Statistique, n°514-515-516, 2020. 

[4] C. Millot, S. N. Calvet, A. Charruault, État d’esprit et engagement des jeunes en 2024, Notes & rapports, Injep, 2024. 

[5] Cour des comptes, Rapport public annuel sur les politiques publiques en faveur des jeunes, 2025.

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