Mobilités et territoires

Conférence de Yaëlle Amsellem-Mainguy - JDL 2023

38.46

Conférence introductive des XXVIIIèmes Journées du Longitudinal 2023 :

« Elle je ne l’ai pas vue venir ». Quand les premiers emplois révèlent les solidarités et concurrences entre filles dans les espaces ruraux

  • Par Yaëlle Amsellem-Mainguy, Professeure de Géographie, Université Rennes 2.

La mobilité est considérée – en particulier par les adultes des classes sociales supérieures et les institutions – comme un impératif, une obligation, notamment dans une logique d’ascension sociale. Les grandes villes offriraient des formations plus diversifiées et permettraient d’aspirer à de meilleures conditions professionnelles, ressources indisponibles sur les territoires ruraux. Pourtant, une partie des jeunes s’inscrit en faux par rapport à cette norme des mobilités inter-territoriales qui serait a priori caractéristique des jeunes générations (temps des études et des premiers emplois). C’est le cas des filles du coin, ces jeunes femmes des milieux populaires vivant dans les espaces ruraux, dont les parcours scolaires sont plus courts qu’ailleurs et plus souvent orientés vers la voie professionnelle ou technologique (Orange et Renard, 2022), et qui disent bien souvent qu’elles « ne bougent pas » ou « n’ont pas bougé », reprenant à leur compte la norme sociale de la mobilité sans avoir les ressources pour la déconstruire. Pourtant, au moment de l’entrée dans l’âge adulte, l’importance donnée à la formation n’entre pas toujours en cohérence avec les besoins d’une partie des jeunes de gagner leur vie et de « remplir [leur] CV ».

Conscientes des difficultés dans les premiers temps de l’insertion professionnelle rencontrées par les jeunes en France dans un contexte de crise industrielle, d’extension du chômage et de forte précarité (Amsellem-Mainguy et Lardeux, 2022 ; Dubar et Nicourd, 2017), leur entrée sur le marché du travail est marquée par le poids de l’incertitude sur les parcours de vie (Couronné, 2022). Croisant les enjeux de territoires et d’emploi, cette contribution propose de revenir sur la manière récurrente dont les jeunes femmes sont mises à l’épreuve dès qu’elles se confrontent aux emplois locaux, devant faire la preuve qu’elles sont « prêtes à tout pour travailler », dans un contexte d’interconnaissance fort qui favorise leur entrée dans l’emploi mais précarise en même temps leurs conditions de travail.