Céreq Bref, n° 446, Novembre 2023, 4 p.

Métiers en tension : les jeunes peuvent-ils être une réponse ?

Publié le
29 Novembre 2023

Les tensions sur le marché du travail signalent des difficultés de recrutement souvent attribuées à un décalage, en quantité et en qualité, entre les compétences des candidats et les attentes des employeurs. Mais un tel décalage existe-t-il pour les jeunes en début de vie active ? Ont-ils besoin d'être formés aux métiers en tension pour y être recrutés ? Et pour les intégrer durablement ? S'appuyant sur les données de l'enquête Génération, ce Céreq Bref observe la place de trois familles de métiers en tension dans les premières années de vie professionnelle des jeunes sortis de formation en 2017.

Communiqué de presse

Sujet récurrent des politiques publiques, les métiers considérés comme en tension sont ceux pour lesquels les offres d’emploi émises sur le marché du travail sont supérieures aux demandes exprimées par les personnes cherchant un emploi. L’existence de métiers en tension est alors le signe d’un dysfonctionnement du marché du travail que les politiques publiques cherchent à pallier. Pour cela, l’origine des tensions doit être identifiée. Le décalage entre l’offre et la demande est souvent attribué à un manque de candidats, mais il peut également être de nature plus qualitative, si les profils des candidats ne correspondent pas aux attentes des employeurs, en termes de formation et/ou d’expérience. D’autres facteurs peuvent être identifiés, comme des conditions de travail difficiles rendant le métier peu attractif, une inadéquation territoriale empêchant la rencontre entre offre et demande ou encore l’intensité des embauches (cf. encadré 1).
Ce Céreq Bref s’intéresse au rôle que peuvent jouer les jeunes dans la régulation de ces tensions. Les jeunes débutants sont-ils des candidats potentiels pour exercer ces métiers ? S’ils s’y orientent en début de vie active, est-ce qu’ils y restent ? Et quel rôle joue leur formation initiale ? Ont-ils besoin qu’elle soit en adéquation avec le métier pour y être recrutés ? Et lorsqu’ils détiennent cette formation, s’inscrivent-ils durablement dans le métier ?
L’analyse proposée s’intéresse à trois familles de métiers : celles du BTP, de l’hôtellerie-restauration-alimentation (HRA) et de l’informatique. D’une part, elles sont considérées comme en forte, voire très forte tension par la Dares, et d’autre part, les origines des tensions y sont multiples et sensiblement différentes : manque de candidats, problématique de formation, de conditions de travail, etc. [2]. Ces familles de métiers ont également été choisies en raison de la place qu’elles occupent dans les parcours des débutants. Réalisée en 2020 auprès des jeunes ayant terminé leurs études en 2017 (Génération 2017), l’enquête du Céreq auprès de la Génération 2017 permet d'observer leur parcours professionnel, et notamment la succession des métiers occupés pendant leur trois premières années de vie active (cf. encadré 2).

BTP, HRA, informatique : des métiers en tension dans les parcours des jeunes

Les métiers du BTP sont présents dans les parcours des jeunes, qu’il s’agisse de métiers d’ouvriers peu qualifiés ou qualifiés dans le gros œuvre et travaux publics ou dans le second œuvre, de métiers de conducteurs d’engins de chantier, de métiers d’agents de maîtrise ou encore de cadres techniques et d’ingénieurs du BTP. Parmi les jeunes ayant terminé leurs études en 2017 et ayant travaillé au cours des trois années suivantes, 6,5 % ont exercé un métier du BTP, soit environ 43 000 jeunes. On observe une montée en charge tout au long de leurs trois premières années de vie active puisque ces métiers représentent 4,9 % des premiers emplois occupés par les jeunes et 5,4 % des emplois occupés au bout de trois ans, soit une hausse progressive de la part de ces métiers dans l’emploi des débutants, qui se rapproche de leur poids dans la population totale en emploi (6,6 %). Pour certains jeunes, ils peuvent ainsi constituer des métiers d’ancrage.

Les jeunes sont beaucoup plus nombreux à avoir exercé au cours des trois ans des métiers du domaine de l’HRA, qui regroupe les métiers de bouche (boucher, boulanger, etc.), le travail en cuisine et les métiers de l’hôtellerie et de la restauration (employés et agents de maîtrise, patrons et cadres d’hôtels, cafés, restaurants). C’est le cas de 13,7 % des jeunes ayant terminé leurs études en 2017, soit environ 90 000 jeunes. Mais alors que les métiers du BTP exercent un rôle d’ancrage pour une majorité des jeunes qui y entrent, ceux de l’HRA fonctionnent comme des points d’entrée sur le marché du travail pour beaucoup de jeunes débutants qui ne se destinent pas à s’y inscrire durablement. Ainsi, le poids de l’HRA dans l’ensemble des emplois occupés par les jeunes pendant leurs 3 premières années de vie active baisse sensiblement entre le premier et le dernier emploi observé, passant de 10,4 % à 8,8 %. S’il reste plus élevé que pour l’ensemble de la population en emploi (4,5 %), sa baisse continue observée à partir de la mi-2019 laisse présumer, au-delà des trois années observées, davantage de sorties que d’entrées dans ces métiers, et donc un poids qui continue à diminuer.
Les métiers de techniciens et d’ingénieurs de l’informatique concernent plus de 27 000 sortants de formation initiale de 2017, soit 4 % de ceux ayant travaillé lors de leurs 3 premières années de vie active. Ils apparaissent, pour leur part, largement ouverts aux jeunes [4]. En effet, on constate à la fois que le poids de ces métiers parmi les emplois occupés par les débutants ne cesse d’augmenter – passant de 3,2 % pour le premier emploi à 3,5 % pour le dernier –, et que ce poids est bien plus conséquent dans l’emploi des jeunes que dans la population totale en emploi (2,2 %).

Rester dans les métiers du BTP, le rôle déterminant des premières expériences

Pour les trois quarts des jeunes ayant exercé un métier du BTP au cours de leurs 3 premières années de vie active, il s’agissait de leur premier emploi. Et près de 8 sur 10 ont passé plus de la moitié de leur temps travaillé dans un emploi dans ce domaine de métiers ; phénomène encore plus marqué pour les cadres. Les jeunes qui démarrent leur vie active dans ce domaine professionnel peuvent donc s’y inscrire durablement, mais qui sont-ils ? Ce sont à la fois des jeunes formés à ces métiers (44 %) mais aussi des jeunes issus d’autres formations (56 %) (cf. encadré 3). Tous les jeunes travaillant dans le BTP n’y ont donc pas été formés, et de manière symétrique, tous les jeunes formés au BTP ne vont pas y travailler : 43 % d’entre eux s’en détournent.
Au-delà de la spécialité de formation, d’autres facteurs contribuent à distendre la relation entre formation et emploi pour les métiers du BTP. Par exemple, ils conservent socialement l’image de métiers d’hommes, ce qui joue dans leur attractivité différenciée selon le genre. Autre facteur : ces métiers privilégient des jeunes déjà acculturés au monde du travail, et à ce titre les jeunes issus de l’apprentissage y sont sur-représentés, même sans formation spécifique au BTP [5].
Parmi les métiers en tension, ceux du BTP se distinguent par une capacité à intégrer durablement certains jeunes. Cependant, tous n’y restent pas. Quels sont les facteurs qui facilitent l’ancrage, c’est-à-dire le fait d’avoir exercé un métier de ce domaine et d’en exercer encore un lors du dernier emploi occupé ? Le fait d’être formé au BTP semble jouer un rôle : 84 % des jeunes ayant eu au moins un emploi dans le BTP y restent lorsqu’ils sont formés à ces métiers (cf. encadré 4). Pour autant, même les jeunes formés à d’autres métiers restent fréquemment dans ces emplois (74 %), au cours des trois années observées.
La formation, en lien ou non avec le métier, n’est cependant pas le seul facteur en jeu, et les conditions du premier emploi occupé apparaissent plus déterminantes. Les jeunes démarrant en emploi à durée déterminée (EDD) et/ou avec un temps partiel subi quittent plus souvent que les autres ces métiers. Ainsi, parmi les jeunes formés à ces métiers, 80 % de ceux qui ont exercé un métier du BTP mais n’y sont pas restés ont démarré avec un EDD, contre 52 % des jeunes qui y sont restés. De même, 7 % des jeunes formés qui ont quitté cette famille de métiers ont démarré avec un temps partiel subi, contre 1 % pour ceux qui sont restés. Pour les jeunes ayant suivi d’autres formations, on retrouve également des proportions plus élevées de temps partiel subi et d’EDD parmi ceux qui quittent ces métiers.

Un ancrage dans les métiers de l’HRA seulement pour les jeunes qui y sont formés

Lorsqu’ils exercent un métier de l’HRA, les jeunes le font souvent rapidement après la fin de leurs études. Pour les trois quarts d’entre eux, c’est même leur premier emploi. Mais ils ne s’inscrivent pas forcément durablement dans cette famille de métiers : 33 % d’entre eux y ont passé moins de la moitié de leur temps en emploi. Accueillant largement la population des jeunes débutants, les métiers de l’HRA ne font pas de la formation un prérequis ; globalement, ils recrutent 1,7 fois plus de jeunes que le nombre total de jeunes formés à ces métiers. Et, logiquement, on ne retrouve que 34 % de jeunes formés à ces métiers parmi ceux y ayant travaillé (cf. encadré 3).
Mais si les métiers de l’HRA constituent une voie d’accès privilégiée au marché du travail pour les jeunes en début de vie active, ils occupent en réalité une place très différente dans leur parcours selon leur formation. La majorité des jeunes formés à ces métiers s’y inscrivent et s’y maintiennent : seuls 32 % d’entre eux n’y ont jamais travaillé et, parmi ceux entrés dans ces métiers, 82 % y restent durablement sur les trois années observées (cf.encadrés 3 et 4).  
A contrario, si les jeunes non formés aux métiers de l’HRA sont nombreux à les exercer, ils les quittent plus souvent : c’est le cas de 45 % d’entre eux. De plus, ils sont davantage exposés à de moins bonnes conditions d’emploi lors de leur embauche. La pratique du temps partiel imposé est bien plus prégnante dans l’HRA que dans les autres métiers, mais touche ici en priorité les non-formés à ces métiers. Ainsi, seul un non-formé sur deux travaille à temps plein (contre quatre sur cinq parmi les formés), tandis que seulement un non-formé sur cinq travaille à temps partiel subi (contre un formé sur douze).
Ces résultats trouvent en partie leur explication dans l’hétérogénéité des métiers de l’HRA quant à leur positionnement par rapport au recrutement des jeunes. À ce titre, les métiers de bouche se démarquent des autres métiers du domaine, renvoyant à une logique de marchés professionnels. Pour ces métiers, la relation métier/formation est très forte : 83 % des jeunes ayant exercé un métier de bouche sortent d’une formation à ces métiers. Et l’ancrage se fait avant tout dans ce périmètre : 74 % des jeunes ayant eu au moins un emploi dans les métiers de bouche y restent lorsqu’ils sont formés à ces métiers.

Des métiers de l’informatique attractifs et sélectifs

Pour leur part, les métiers de l’informatique attirent une main-d’œuvre qualifiée avec un large spectre de recrutements, puisqu’ils se répartissent à parts égales entre sortants d’une formation à l’informatique et sortants d’autres spécialités. Les jeunes qui entament leur vie active par un de ces métiers y restent durablement, c’est le cas de 93 % de ceux qui sortent avec une formation en informatique et de 79 % des autres (cf. encadré 4). Formés ou non, ils démarrent leur carrière avec des conditions de première embauche proches, et parmi les meilleures observables parmi les jeunes arrivés sur le marché du travail en 2017, qu’il s’agisse de la proportion d’EDI (73 %), de temps plein (96 %) ou du niveau de salaire.
Métiers attractifs, ils sont paradoxalement confrontés à une proportion importante de jeunes qui, bien que formés à l’informatique, n’y travaillent pas : 43 % (cf. encadré 3). Plusieurs explications peuvent expliquer ces non-rencontres. La sélectivité des embauches conduit à exclure la majeure partie des jeunes formés mais n’ayant pas validé leur formation informatique : 80 % d’entre eux n’intègrent pas ces métiers (vs 31 % de ceux qui ont obtenu leur diplôme en informatique). La représentation genrée de ces métiers semble peser également puisque 53 % des femmes formées ne travaillent pas dans le domaine contre seulement 41 % des hommes. Enfin, ce qui pourrait apparaître comme un phénomène de « fuites » est à relativiser par le fait que certains jeunes formés en informatique vont exercer des métiers connexes mobilisant des compétences en informatique (techniciens et ingénieurs de recherche et développement, techniciens d’installation et de maintenance, etc.).

Conclusion

À partir de ces trois exemples, quelles relations peuvent être dégagées entre le parcours des jeunes débutants et les tensions sur le marché du travail ? Les jeunes exercent dans leurs premières années de vie active des métiers repérés en tension. Ils sont même surreprésentés par rapport aux autres classes d’âge dans deux des trois exemples retenus, l’HRA et l’informatique. Pour autant, l’observation de l’insertion professionnelle des jeunes par famille de métiers ne permet pas d’apporter de réponse simple et monovalente à la problématique des métiers en tension.
La réponse par la formation en particulier n’est pas évidente et renvoie à la complexité du lien entre formation suivie et métier exercé [3]. Plusieurs dimensions de cette relation doivent en effet être prises en compte. Tout d’abord, tous les individus ne souhaitent pas systématiquement travailler dans les métiers auxquels ils ont été formés ; cela peut être lié aux conditions d’emploi et/ou de travail difficiles qu’offrent ces métiers, découler d’orientations scolaires plus subies que choisies, relever de choix personnels des jeunes ou d'autres motifs. Ensuite, certains des emplois observés sont des emplois peu qualifiés qui ne requièrent donc pas a priori de formation qualifiante spécifique. Dans cette logique, à titre d’exemple, seuls 33 % des jeunes ayant exercé comme ouvrier peu qualifié du BTP ont suivi une formation spécifique. Ces métiers, à l’instar de ceux de l’informatique, accueillent, acculturent et intègrent des jeunes qui n’y sont pas formés : la formation ne semble donc pas être la seule dimension en jeu. C’est plutôt la qualité des conditions d’emploi à l’embauche qui se révèle cruciale dans les métiers du BTP pour à la fois garder les jeunes non formés et capter ceux qui y ont été formés.
La question de l’insuffisance ou non du volume de jeunes formés est donc complexe à trancher. Ainsi, dans l’HRA, le nombre de formés est largement moins élevé que le nombre de jeunes ayant exercé un de ces métiers, traduisant la fonction d’accueil de débutants que jouent ces métiers depuis longtemps. En tant que tels, on peut faire l’hypothèse que c’est avant tout la faiblesse des coûts de la main-d’œuvre qui importe. Pour autant, la problématique de la formation n’est pas absente ; une partie des jeunes formés à ces métiers ont vocation à s’y inscrire durablement au sein d’établissements prêts à mettre en place une relation pérenne, faisant de la formation initiale un enjeu, comme dans le cas emblématique des métiers de bouche. De son côté, l’observation des métiers de l’informatique révèle que, dans ce domaine professionnel en forte demande de main-d’œuvre qualifiée, l’obtention du diplôme est aussi un enjeu, puisque les jeunes ayant échoué à valider leur diplôme en informatique n’accèdent pas à ces métiers, l’essentiel des recrutements privilégiant les diplômés, qu’ils soient formés ou non aux métiers.
Au total, il ressort de l’analyse de ces trois cas d’espèce que pour pouvoir préconiser des réponses aux métiers en tension en termes de formation initiale, celle-ci doit être mise en regard des parcours professionnels des jeunes, d’une part, et des conditions de recrutement par les entreprises, de l’autre.

Citer cette publication

Couppié Thomas, Gasquet Céline, Métiers en tension : les jeunes peuvent-ils être une réponse ?, Céreq Bref, n° 446, 2023, 4 p. https://www.cereq.fr/les%20jeunes-dans-metiers-en-tension