Les entretiens professionnels, un appui aux carrières internes ou à la sécurisation des parcours ?
La diffusion des entretiens professionnels, rendus obligatoires par la loi de mars 2014, reste modeste. Plus répandus dans les grandes entreprises, celles outillées sur le plan RH, formatrices et gérant la mobilité de leurs salariés, ils prennent souvent la suite d'entretiens annuels existants. Ils peuvent alors servir de cadre pour l'expression des souhaits - et parfois la mise en place d'actions - de formation et de carrière en interne. En revanche, la question de l'évolution sur le marché du travail, qui relève des objectifs de la loi, est encore peu abordée.
Depuis les années 2000, les Accords nationaux interprofessionnels (ANI), et leur transcription plus ou moins complète dans la loi, ont introduit des dispositifs qui visent tout à la fois à responsabiliser les salariés vis-à-vis de leur évolution professionnelle et à impliquer les employeurs dans ce processus. Des entretiens professionnels sont progressivement introduits entre 2003 et 2009 pour certaines situations ou catégories de salariés. Avec l’ANI de 2013 et la loi portant sur la réforme de la formation professionnelle de 2014, ces entretiens sont réunis au sein d’un entretien professionnel unique et généralisés à l’ensemble des salariés. À compter d’avril 2014, tout employeur est tenu d’organiser un tel entretien tous les deux ans, quels que soient sa taille et son secteur d’activité, et pour tous les salariés, quel que soit le contrat. Toutefois, compte tenu de la périodicité des entretiens, les salariés sous CDD ou intérimaires sont dans les faits peu concernés. L’entretien professionnel vise à favoriser le dialogue dans l’entreprise autour des perspectives d’évolution professionnelle du salarié et des objectifs de formation. Selon la loi, il doit être réalisé de manière distincte de l’entretien d’évaluation, et formalisé sur un document écrit dont une copie est remise au salarié. La loi ne précise cependant pas le contenu de l’entretien en dehors du fait que l’employeur doit informer le salarié sur la validation des acquis de l’expérience professionnelle (VAE). Tous les six ans de présence du salarié dans l’entreprise, l’entretien professionnel intègre également un état des lieux récapitulatif de son parcours professionnel. Le défaut de mise en œuvre de l’entretien n’est pas sanctionné en tant que tel. En revanche, selon la loi de 2014, l’employeur d’une entreprise de plus de 50 salariés sera pénalisé si, au cours de la période de six ans, ces entretiens n’ont pas été menés et si le salarié n’a pas bénéficié d’au moins deux des trois mesures suivantes : formation professionnelle, certification ou qualification, évolution professionnelle ou salariale. Ce dernier point pourrait cependant évoluer avec la loi en cours de préparation. La sanction prévue pour l’instant consiste en un abondement supplémentaire du compte personnel de formation (CPF). Mise à jour :
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Des entretiens annuels entre les salariés et leur hiérarchie sont organisés depuis des années dans nombre d'entreprises. Ces entretiens, prenant place dans un ensemble d'outils de gestion des ressources humaines, visent surtout à évaluer le travail et gérer la carrière de catégories de salariés prioritaires pour l'entreprise, principalement les cadres. Mais depuis la loi de 2014, les entreprises sont tenues d'organiser des entretiens professionnels abordant les perspectives d'évolution professionnelle et les projets de formations avec chacun de leurs salariés (cf. encadré ci-dessus).
L'entretien professionnel : de l'outil de management à la "responsabilité sociale" des entreprises
Ce faisant, cet entretien s'inscrit, à l'instar des politiques de formation continue, dans un objectif de sécurisation des parcours professionnels. Ainsi, d'un outil de management interne présent de longue date dans les grandes entreprises, l'entretien professionnel deviendrait un instrument au service de l'emploi. Comment cette évolution inscrite dans la loi se traduit-elle dans les entreprises ? Dans quelle mesure celles-ci ont-elles intégré cette nouvelle dimension qui renforce leur « responsabilité sociale » ?
Afin d'apprécier la manière dont ces entretiens professionnels s'implantent dans les entreprises, des questions ont été introduites à partir de la deuxième vague d'enquête auprès des salariés du dispositif Defis, conduite à l'automne 2016 (cf. encadré final).
Dans les grandes entreprises, le nouveau dispositif prolonge les entretiens annuels d'évaluation
À l'automne 2016, 57 % des salariés présents dans la même entreprise depuis plus de deux ans ont déclaré avoir participé à un entretien professionnel en 2015 ou en 2016. Plus l'entreprise est grande, plus elle s'approche de la réalisation de l'objectif prévu par la loi : les trois-quarts des salariés des entreprises de 250 salariés et plus déclarent avoir participé à un entretien. En revanche, seul un quart des salariés des très petites entreprises (TPE) et moins de la moitié de ceux des entreprises de 10 à 49 salariés sont dans ce cas (cf. graphique encadré 2). La faible diffusion des entretiens professionnels dans les petites entreprises interroge ainsi leur capacité à intégrer des dispositifs inspirés de préoccupations et de pratiques de grandes entreprises, plus avancées dans l'outillage gestionnaire.
Chiffre clé80 % des salariés interrogés signalent qu'une partie de l'entretien a été consacrée à l'évaluation de leur travail
Dans les grandes entreprises, la majorité des salariés a bénéficié d'entretiens professionnels deux années consécutives, en 2015 et en 2016. De plus, presque tous participaient déjà, les années précédentes, à des entretiens annuels avec leur hiérarchie au cours desquels étaient évoquées les questions de formation et de perspectives de carrière. Les entretiens professionnels ont alors été instaurés dans la continuité de ceux mis en place bien avant la réforme, qui relevaient avant tout d'un objectif de gestion interne à l'entreprise.
Aux yeux des salariés, la confusion entre l'entretien professionnel et l'entretien d'évaluation est fréquente.
Cependant, la loi de 2014 entend introduire une rupture par rapport aux pratiques antérieures. En effet, le législateur précise que l'entretien professionnel porte sur « les perspectives d'évolution professionnelle [du salarié], notamment en termes de qualification et d'emploi » et non sur l'évaluation du travail par rapport aux exigences du poste (cf. encadré). Pourtant, 80 % des salariés interrogés dans Defis signalent qu'une partie de l'entretien a été consacrée à l'évaluation de leur travail ; la confusion entre entretien professionnel et entretien d'évaluation semble fréquente, au moins aux yeux des salariés.
Une diffusion limitée dans les petites entreprises
Si les entretiens professionnels sont encore minoritaires dans les entreprises de moins de 50 salariés, c'est dans celles-ci qu'ils semblent se diffuser le plus. Sur l'ensemble des entreprises, on peut estimer à 15 % la part des entretiens professionnels réalisés en 2015 ou 2016 qui n'ont pas été précédés d'entretiens avec la hiérarchie les années précédentes. Ils ont probablement été mis en place pour se conformer à la loi.
L'entretien professionnel reste presque deux fois plus accessible aux cadres, mais les ouvriers et moins diplômés voient leur participation augmenter depuis la loi.
Les salariés des petites entreprises sont particulièrement représentés parmi ces « nouveaux bénéficiaires » du dispositif : ils sont 25 % dans les entreprises de 10 à 49 salariés, contre 8 % dans les plus grandes. En outre, dans les petites entreprises, les entretiens comportent moins souvent une partie consacrée à l'évaluation du travail, ce qui confirmerait l'hypothèse d'une application plus stricte de la loi. La taille des entreprises est ainsi première pour expliquer les différences de participation des salariés aux entretiens professionnels. Mais les hiérarchies professionnelles persistent : « toutes choses égales par ailleurs », un cadre a presque deux fois plus de chance qu'un ouvrier d'y participer.
Pourtant, là aussi, on observe, grâce à une analyse statistique portant cette fois sur les nouveaux bénéficiaires, que lorsque les entretiens professionnels ont été mis en place après la promulgation de la loi, ce sont les ouvriers et les moins diplômés qui y ont le plus accédé (cf. tableau n°4 du supplément numérique). La loi pousse en effet à la généralisation d'un outil de gestion des carrières auparavant surtout réservé aux cadres. Si cet objectif est loin d'être pleinement atteint, on observe bien une évolution dans ce sens.
Des entretiens plus fréquents dans les entreprises outillées en GRH
En instaurant un rendez-vous régulier avec chaque salarié, les partenaires sociaux et le législateur entendaient encourager l'employeur à mieux penser le lien entre la stratégie économique de l'entreprise et les aspirations et potentiels des salariés, voire à initier une démarche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
On retrouve le lien entre stratégie économique tournée vers la qualité et l'innovation, et attention aux aspirations et potentiels des salariés
Les salariés qui ont participé à un entretien professionnel ont en effet une plus grande probabilité « toutes choses égales par ailleurs » d'appartenir à des entreprises particulièrement outillées dans le domaine de la gestion des ressources humaines (GRH), et qui font de ces questions un sujet de discussion avec les représentants du personnel. Ces entreprises sont aussi celles qui se positionnent sur des processus et marchés les plus innovants. On retrouve là les caractéristiques des entreprises qui forment le plus leur personnel, mettant une fois de plus en évidence ce lien entre une stratégie économique misant sur la qualité et l'innovation et une gestion du personnel attentive au développement des compétences et aux carrières.
Une ressource pour les salariés « acteurs de leur parcours professionnel » ?
Mais au-delà de la gestion interne aux entreprises, l'entretien professionnel a aussi été conçu comme une nouvelle ressource pour les salariés. Il doit les aider à identifier leurs besoins de formation et à se projeter dans leur parcours professionnel.
Chiffre clé1/3 au moins des entretiens professionnels déboucheraient finalement sur une formation
Dans huit cas sur dix, les besoins de formation et les perspectives de carrière sont en effet abordés au cours de l'entretien professionnel. Ces questions sont d'autant plus traitées que les salariés ont, par ailleurs, exprimé le souhait de se former ou de faire évoluer leur activité au cours des cinq prochaines années. Mais, à l'inverse, lorsqu'ils ont déclaré souhaiter changer de métier ou d'entreprise, la probabilité d'aborder des projets de formation ou perspectives de carrière baisse sensiblement (cf. graphique).
Il semble en effet logique qu'un salarié ne cherche pas à discuter de ses projets de carrière professionnelle dans une entreprise qu'il souhaite quitter. Et une entreprise qui n'offre pas des perspectives de carrière va, aussi logiquement, moins fréquemment traiter de cette question au cours de l'entretien. Ainsi, l'entretien professionnel paraît bien être un cadre pour élaborer des projets de formation et de carrière au sein de l'entreprise, mais guère lorsque les perspectives d'évolution se situent en dehors de celle-ci.
Au-delà du dialogue autour de ces questions, les projets de formation et, dans une moindre mesure, d'évolution au sein de l'entreprise, semblent bien se concrétiser dans un nombre non négligeable de cas : un peu plus d'un tiers des entretiens professionnels déboucheraient finalement sur une formation, 11 % sur une promotion et 12 % sur un changement de poste ou de fonction.
Le CEP, un appui encore peu connu pour évoluer hors de l'entreprise
L'ANI de décembre 2013, repris dans la loi de mars 2014, a instauré le conseil en évolution professionnelle (CEP), dispositif proposé à toute personne souhaitant faire le point sur sa situation et établir un projet d'évolution professionnelle (reconversion, création d'entreprise...). Un salarié peut solliciter gratuitement un conseiller dans un organisme habilité sans demander l'accord de son employeur. Un salarié cherchant un appui pour évoluer en dehors de son entreprise saisirait a priori ce dispositif.
L'entretien professionnel pourrait réduire les inégalités d'accès à l'information sur le CEP ou sur le compte personnel de formation (CPF).
L'employeur peut s'emparer de l'entretien professionnel pour informer ses salariés sur la possibilité de recourir au CEP. Aujourd'hui, ce n'est pas une obligation et cette information est peu dispensée dans ce cadre. Seul un salarié sur quatre déclare connaître l'existence du CEP, et parmi ceux-ci la moitié en a été informée au cours d'un entretien professionnel. Ce vecteur est surtout utilisé pour informer les employés et ouvriers (66 % et 64 %), catégories davantage soumises aux reconversions professionnelles que les cadres (33 %). Ces derniers participent plus souvent à des réunions formelles ou informelles et peuvent obtenir cette information par ailleurs. S'adressant à tous les salariés, l'entretien professionnel pourrait réduire les inégalités devant l'information sur le CEP, ou sur d'autres dispositifs comme le compte personnel de formation (CPF), d'autant que ces deux dispositifs devraient être renforcés et renouvelés dans le cadre de la loi en préparation.
En 2016, l'entretien professionnel concerne une minorité de salariés des petites entreprises. Dans les plus grandes, surtout les plus outillées sur le plan RH, les plus formatrices ou celles qui gèrent le plus la mobilité de leurs salariés, le dispositif prend plus aisément la suite des entretiens annuels d'évaluation. C'est aussi dans celles-ci que les entretiens professionnels semblent davantage servir de cadre à l'expression des souhaits des salariés en matière de formation, et, dans une moindre mesure, de carrière interne.
Mettre l'entretien professionnel au service des parcours des salariés, dans mais aussi hors de l'entreprise, sera un des enjeux pour les années à venir.
Cependant, quelle que soit la taille des entreprises, l'entretien professionnel reste essentiellement un outil de management au sein de celles-ci. D'où l'intérêt de faciliter l'accès au CEP pour organiser des parcours professionnels franchissant les frontières de l'entreprise, notamment par une large information dans le cadre de cet entretien. Le nouveau cadre législatif ne devrait pas faire évoluer sensiblement les obligations des entreprises en la matière. La généralisation des entretiens professionnels et l'évolution de leur contenu pour en faire un réel outil au service des parcours dans et hors de l'entreprise restent encore un enjeu pour les années à venir.
Le dispositif d’enquêtes sur les formations et les itinéraires des salariés (Defis) met en relation les pratiques des entreprises avec les parcours professionnels de leurs salariés, ainsi que les formations qu’ils ont suivies.
Le dispositif a été conduit en deux temps :
L’étude présentée ici s’appuie sur les données de la deuxième vague de l’enquête conduite en 2016. Le champ est circonscrit aux salariés toujours présents dans la même entreprise depuis au moins décembre 2013, décrite de façon détaillée dans le volet Entreprises. La question suivante a été posée aux individus : « Nous allons maintenant parler de l’entretien professionnel qui a pour but d’aborder vos perspectives professionnelles. Attention : il ne s’agit ici ni de l’entretien d’évaluation, ni de l’entretien d’embauche. Au cours de l’année 2015 ou 2016, avez-vous participé à un tel entretien professionnel ? ». Malgré cette formulation reprenant la définition de l’entretien professionnel issue de la loi de 2014, les salariés répondants peuvent avoir une perception floue de celui-ci, voire le confondre avec un entretien annuel d’évaluation.
Defis est initié par le Conseil national d’évaluations de la formation professionnelle (CNEFP), financé par le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), conçu par le Céreq et copiloté par le CNEFP et le Céreq.
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