Céreq Bref, n° 413, Octobre 2021, 4 p.

Les jeunes en situation de NEET : le rôle des compétences de base

Publié le
5 Octobre 2021

 

Enjeu prioritaire des politiques publiques nationales et européennes, les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) connaissent un risque d’exclusion plus ou moins marqué selon les pays. Si le niveau d'éducation joue un rôle central dans ces situations, l’approche par les compétences de base permet d’affiner la focale. Les données internationales montrent en effet qu’un même niveau de diplôme ne certifie pas partout le même niveau de compétences. Comment s’expliquent ces écarts ? Dans quelle mesure ces compétences protègent-elles des situations de NEET indépendamment du diplôme

 

Historiquement, la catégorie de NEET (« not in employment, education or training ») vient de l'étiquette administrative originale « Status  Zer0 », que les chercheurs et les fonctionnaires du Royaume-Uni utilisaient au milieu des années 1990. Elle désignait les jeunes dont le statut sur le marché du travail ne correspondait à aucune des catégories existantes. Invisibles dans la statistique publique, ces jeunes étaient donc difficilement repérables. Du fait de sa connotation négative, le terme a été officiellement remplacé par celui de « NEET » en 1999, aujourd’hui largement utilisé par les gouvernements et les organisations internationales pour désigner les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation au moment où ils sont recensés.

Actuellement, cette catégorie regroupe une partie des jeunes inactifs (ceux n'étant pas en études ni en formation) et ceux au chômage. Leurs difficultés sont souvent associées à un manque de formation : si certains d’entre eux peuvent être diplômés, d'autres sont en effet en situation de décrochage ou d’échec scolaire. Par ailleurs, le fait d’être éloigné de la formation, des études et de toute expérience professionnelle ne leur donne pas la possibilité d’acquérir des compétences. 

La catégorie de NEET est hétérogène et agrège des situations individuelles très différentes [1]. Certaines relèvent d’une forte précarité, lorsque l’absence de ressources scolaires, sociales ou plus institutionnelles font basculer les jeunes vers des situations de vulnérabilité. D’autres correspondent à des moments de latence ou de transition durant la période d’insertion, et pèsent a priori moins sur la suite de la trajectoire professionnelle.

De nombreuses typologies existent pour caractériser les jeunes NEET, notamment en fonction des causes plus ou moins contraintes de leur inactivité [7]. Cependant, les frontières entre ces différentes sous-catégories sont parfois poreuses, l’analyse des trajectoires des jeunes montrant que différentes difficultés peuvent se cumuler [2][3]. Par ailleurs, les taux de NEET peuvent varier selon les pays, du fait notamment des divers niveaux d’intensité des crises économiques qu’ils traversent. Ces crises peuvent accentuer le risque de basculer ou de rester dans la situation de NEET, même si la recherche comparative internationale met en évidence le rôle important joué par les politiques publiques de l’emploi, éducatives, sociales et familiales ciblant les jeunes [6]. Ainsi, selon Eurostat, avant la crise sanitaire et ses conséquences, la proportion des jeunes de l'Union européenne en situation de NEET entre 20 et 34 ans en 2019 était de 16,4 %, mais variait de 7,3 % en Suède à 27,8 % en Italie, et représentait 17,1 % en France. La structure de cette population diffère également entre les pays : en Italie elle est beaucoup plus souvent composée de jeunes découragés ou au chômage depuis plus d’un an, alors qu’en Suède, la part des jeunes NEET en situation d’invalidité est plus élevée [6]. Au-delà de ces facteurs de risque, quel rôle joue le niveau d’éducation dans ces situations de NEET des jeunes européens ?

 

1. L'enquête PIAAC
L’enquête PIAAC, « Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes », réalisée sous l’égide de l'OCDE, évalue la compétence des adultes (16 à 65 ans) selon trois registres : la littératie (capacité à comprendre et à savoir utiliser l’information écrite dans la vie courante), la numératie (capacité à utiliser et interpréter des notions mathématiques) et « la capacité à résoudre des problèmes dans des environnements à forte composante technologique ». L'enquête permet de définir 5 niveaux de compétences, le niveau 3 étant considéré « comme un minimum convenable pour composer avec les exigences de la vie quotidienne et du travail dans une société complexe et évoluée » alors que les adultes en dessous du niveau 1 sont supposés uniquement capables « de lire des textes courts sur des sujets familiers ».
Vingt-quatre pays et entités sous-nationales, dont 22 pays membres de l'OCDE, ont été concernés par la première enquête menée en 2011 et 2012. Le deuxième cycle de données a porté sur neuf pays et régions supplémentaires en 2014 et 2015.
Sont retenues dans cette analyse, les données du PIAAC de 29 pays : Allemagne, Autriche, Belgique (Flandres), Canada, Chili, Corée du Sud, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Israël, Italie, Japon, Lituanie, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Slovénie, Suède, République Tchèque, Slovaquie, Royaume-Uni (Angleterre et Irlande du Nord), Turquie. Du fait de la taille très élevée de l'échantillon pour le Canada, un échantillon aléatoire de 35 % a été extrait des données originales. L’analyse se concentre sur les jeunes âgés de 20 à 34 ans. 
Nous comparons trois niveaux de formation dans nos analyses : 
1) le premier cycle de l'enseignement secondaire ou moins (niveaux 1, 2 et 3c courts de la Classification internationale type d’éducation ou CITE) ; 
2) le deuxième cycle de l'enseignement secondaire (niveaux 3a, 3b et 3c longs de la CITE) ;
3) les diplômes post-secondaires et les diplômes de l’enseignement supérieur (niveaux 4a, 4b, 4c, 5a, 5b et 6 de la CITE). 

Un déficit d’éducation et de compétences de base

Parmi les différents facteurs susceptibles d’expliquer le risque d’être NEET, le niveau d’éducation occupe un rôle central. En 2019, 36,9 % des jeunes européens de 20 à 34 ans peu ou pas diplômés (Classification internationale type d’éducation 1 ou 2, cf. Encadré 1) se retrouvent en situation de NEET, contre 14,3 % des jeunes ayant atteint l’enseignement secondaire supérieur et 9,6 % de ceux ayant atteint l’enseignement supérieur. Même si le taux de NEET varie sensiblement entre les pays européens, un faible niveau de formation initiale accroît systématiquement le risque de se trouver en situation de NEET. Ainsi, en Italie, 46,8 % des jeunes peu ou pas diplômés sont dans cette situation contre 18 % des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. Pour la Suède, même si le taux de NEET est plus faible, l’écart entre ces deux niveaux de formation (respectivement de 21,6 % et 3,7 %) est également très élevé, de même que pour la France (respectivement 46,3 % et 8,6 %).

Une focalisation sur les compétences de base permet d’aborder plus en détail les difficultés d’une partie des jeunes en situation de NEET. Parmi celles-ci, la littératie ou la numératie occupent une place centrale, car elles sont souvent nécessaires pour accéder à d’autres compétences et facilitent l’accès à la formation tout au long de la vie. Des enquêtes comme l’enquête IVQ (Information et Vie Quotidienne) de l’INSEE et l’enquête PIAAC de l’OCDE  permettent de mesurer ces compétences pour les adultes (Cf. Encadré 1). 

Les données issues de l’enquête PIAAC montrent que les niveaux de compétences de base sont en général moins élevés pour les jeunes NEET. Le graphique de l'encadré ci-dessous permet de visualiser pour chaque pays la corrélation entre le taux de NEET parmi les 20-34 ans et la part des jeunes ayant, au plus, le niveau 1 en littératie. Le taux de NEET est d’autant plus élevé que la part des jeunes ayant des difficultés en littératie est importante. Cet effet est en partie lié au niveau de formation : les jeunes de 20-34 ans en poursuite d’études, n'étant par définition pas NEET, ont un risque relativement faible d’avoir au plus le niveau 1 de compétences. Cependant, il se vérifie également si l’on se focalise sur les jeunes sortis du système éducatif : pour l’ensemble des pays et au sein de chacun d'entre eux, un niveau minimal de compétences protège contre le risque d’être NEET. Dans quelle mesure la protection offerte par ce niveau de compétences est-elle liée à un niveau de diplôme ?

Á niveau de diplôme égal, un moindre niveau de compétences pour les jeunes NEET

Les enquêtes PIAAC permettent également d'observer l’hétérogénéité des compétences par niveau de diplôme. Le tableau ci-dessous  donne un aperçu, pour l’ensemble des 29 pays de l’enquête, du score moyen obtenu en littératie et numératie par niveau de diplôme, et des variations de score au sein d'un même niveau. Dans chaque pays, le score a été réparti en trois catégories d’effectifs égaux, indépendamment du niveau de diplôme. On constate que niveaux de diplôme et niveaux de compétences ne se recoupent pas exactement, même si le tableau montre de manière attendue que le niveau moyen de compétences augmente avec le niveau de diplôme, indépendamment de la situation sur le marché du travail. La part de jeunes dans le premier tercile*** (le plus bas niveau de compétences, cf. Note de lecture de l'encadré 2) est majoritaire chez les jeunes peu ou pas diplômés de l’enseignement secondaire ; il représente plus d’un tiers des diplômés du secondaire long, et concerne également près d’un jeune diplômé de l’enseignement post-secondaire et supérieur sur cinq.

A niveau de diplôme comparable, les jeunes en situation de NEET se caractérisent par des niveaux moyens de compétences sensiblement plus faibles que les jeunes en emploi, ce qui suggère un lien entre déficit de compétences de base et situation de NEET. Le rapport interdécile* (cf. Note de lecture du tableau) apporte une information complémentaire, en détaillant l'écart entre les plus hauts et les plus bas niveaux de compétences au sein d’un même diplôme. Plus ce rapport est élevé, plus la population présente des niveaux de compétences hétérogènes. Ce rapport est très proche de 2 pour les jeunes pas ou peu diplômés en situation de NEET, mais baisse pour les jeunes plus diplômés et en emploi. Il est également plus marqué en numératie qu’en littératie. Autrement dit, l’augmentation du niveau d’études et les processus de sélection qui y sont associés ont tendance à homogénéiser le niveau de compétences de base des jeunes.

Comment expliquer ces écarts au sein d'un même niveau de diplôme ?

Du point de vue des caractéristiques individuelles, le fait que les compétences de base s’acquièrent aussi hors du cadre scolaire, au sein de la famille mais également dans la vie professionnelle, peut expliquer en partie les écarts de niveau de compétences de base au sein d’un même niveau d’éducation.

Les analyses sur les jeunes de 20 à 34 ans à partir des données PIAAC montrent qu’une autre langue maternelle que celle du pays de résidence apparaît particulièrement pénalisante pour les peu ou pas diplômés. Un faible niveau d’éducation des parents représente également un handicap dans l’acquisition de compétences, notamment pour les sortants du secondaire. De même, une expérience professionnelle réduite se traduit par un niveau plus faible de compétences de base. Difficile cependant de savoir si le déficit de compétences est une conséquence ou une cause de l’absence d’expérience professionnelle, celle-ci permettant justement l’acquisition de celles-là.

Au niveau d’un pays, les recherches comparatives, essentiellement en sociologie de l’éducation (voir par exemple [4]) expliquent ces variations par une caractéristique structurelle d’un système éducatif : son degré de stratification. Cette caractéristique renvoie à la façon dont est organisée l'orientation des élèves d’un même âge dans différents niveaux d’études, différents parcours ou différents établissements. Sélectionnés sur la base de leurs compétences, ils pourront ensuite plus ou moins les développer selon leur position dans le système. Si la stratification est élevée (système sélectif), le diplôme du secondaire sanctionne un niveau précis de compétences de base : les élèves les plus faibles n’obtiennent pas le diplôme, et ceux qui l'obtiennent présentent un niveau de compétences de base relativement homogène. Inversement, dans un système scolaire peu stratifié, les niveaux de compétences de base des diplômés du secondaire sont plus hétérogènes et plus proches de ceux des non-diplômés. Une explication en partie complémentaire est liée à la nature de la formation professionnelle dans certains pays. Par exemple, dans les pays où le système dual est développé, les jeunes sortant de formations école-entreprise présentent un niveau plus homogène de compétences de base, même s’il peut être plus proche de celui des moins diplômés. Cela s’explique par le fait que le niveau minimal de compétences de base auquel ils sont sélectionnés est souvent élevé à l'entrée en formation, mais reste relativement stable ensuite, car ces compétences sont moins développées que d’autres liées à une profession.

Un déficit pénalisant sur le marché du travail, y compris pour les diplômés du supérieur

Comment le niveau de compétences influe-t-il sur l’accès des jeunes au marché du travail ? L’enquête PIAAC permet de calculer directement un taux de NEET par niveau de diplôme et de compétences. Le tableau ci-dessus (Cf. Encadré 4) confirme qu’un double déficit de diplômes et de compétences de base en littératie comme en numératie augmente le risque de se trouver en situation de NEET, même si le diplôme occupe toujours un rôle déterminant. Le taux de NEET pour le tiers des jeunes les plus faibles en littératie dans leur pays est de 19,4 %, alors qu’il est de 7,3 % pour le tiers des jeunes au score le plus élevé. Au sein de chaque niveau de diplôme, un déficit de compétences augmente systématiquement le risque d’être NEET. La hiérarchie des niveaux de diplôme peut même être parfois fragilisée si l’on compare les différents terciles de compétences entre deux niveaux de diplôme : le taux de NEET des diplômés de l’enseignement secondaire long avec un haut niveau de compétences est inférieur à celui des diplômés de l’enseignement post-secondaire avec un bas niveau de compétences (7,3 % contre 9,8 % par exemple en numératie). Différentes analyses statistiques menées à partir de l’enquête PIAAC montrent que le niveau de compétences, plus ou moins indépendamment du niveau de diplôme, influence le risque d’être NEET dans tous les pays de l’OCDE, mais la pénalité relative liée à l’absence de compétences de base varie selon les pays [5]. Au Canada par exemple, les jeunes appartenant au premier tercile de littératie ont un taux de NEET six fois plus élevé que les jeunes du dernier tercile.

Ces variations nationales peuvent être liées à l’organisation des systèmes éducatifs comme cela a été vu précédemment. Moins un diplôme garantira un niveau précis de compétences de base, plus son rôle dans l’accès à l’emploi risque d’être faible. Remarquons cependant que si un système éducatif très stratifié permet de différencier les niveaux de compétences de base, c’est au risque parfois d’inégalités sociales plus fortes. Par ailleurs, les exigences en termes de niveaux de diplômes et de compétences dépendent également du type d’emplois disponibles sur chaque marché du travail : certains emplois nécessiteront peu de diplômes et de compétences de base, mais d’autres sont susceptibles de développer les compétences des jeunes peu ou pas diplômés. En France par exemple, les structures d’insertion par l’activité économique (IAE) peuvent proposer des actions spécifiques pour développer ces compétences de base. Enfin, dans différents pays, des certifications existent pour attester d’un niveau de compétences de base et orienter ceux qui le souhaitent vers des parcours permettant de les renforcer. L’enjeu est de parvenir à cibler les jeunes qui manquent le plus de ces compétences, et à leur proposer des formations adaptées à leur situation.

Conclusion

L’acquisition de diplômes et de compétences de base sont donc souvent des conditions nécessaires pour éviter des situations de NEET dans les pays de l’OCDE, même si elles ne sont pas suffisantes. Dans ce cadre,  une réduction du nombre de sortants sans diplôme du système éducatif, comme c'est le cas en France depuis plusieurs décennies, protège en partie les jeunes. La manière dont un système éducatif organise son enseignement secondaire est également importante : le niveau de diplôme ne certifie pas partout le même niveau de compétences de base. Celles-ci peuvent donc protéger les jeunes, plus ou moins indépendamment du diplôme dans certains pays. En revanche, dans tous les pays, l’absence d’un niveau minimal de compétences de base est toujours très pénalisante.

En savoir plus

[1] Risque d’exclusion sociale et ressources des jeunes NEET, C. Bonnard, J-F. Giret, Y. Kossi, Economie et Statistique,  514-515-516, 2020.
[2]  Les jeunes NEET : résistances et évolutions sur vingt ans, M. Danner, C. Guégnard, O. Joseph, Formation-Emploi, 149, 2020.
[3] School-to-work transition in France: The role of education in escaping long-term NEET trajectories, J-F. Giret, C. Guégnard, O.Joseph, International Journal of Lifelong Education, 39(5-6), 2020.
[4] Secondary education systems and the general skills of less-and intermediate-educated adults: A comparison of 18 countries, J-P. Heisig, H. Solga, Sociology of Education, 88(3), 2015.
[5] Untangling the roles of low skill and education in predicting youth NEET statuses: Negative signalling effects in comparative perspective, J. Jongbloed, J-F. Giret, Compare: A Journal of Comparative and International Education, 2021.
[6] Mapping Young NEETs Across Europe: Exploring the Institutional Configurations Promoting Youth Disengagement from Education and Employment, M.L. Assmann, S. Broschinski, JAYS 4, 2021.
[7] Quality of life of NEET youth in comparative perspective: subjective well-being during the transition to adulthood, J. Jongbloed & J-F. Giret, Journal of Youth Studies, 2021.

Citer cette publication

Giret Jean-François, Jongbloed Janine, Les jeunes en situation de NEET : le rôle des compétences de base, Céreq Bref, n° 413, 2021, 4 p. https://www.cereq.fr/les-jeunes-en-situation-de-neet-le-role-des-competences-de-base