Métiers, entreprises et développement des compétences

Point sur : L'alimentation des emplois

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Ou comment et par qui sont pourvus les emplois dans les entreprises et les organisations ?

L'analyse des liens entre la formation reçue et les emplois occupés est au cœur des travaux du Céreq. L'objectif est de mieux saisir la complexité de la relation formation-emploi-travail et de contribuer ainsi à modifier certaines représentations. Au premier rang de celles-ci la vision « adéquationniste » du fonctionnement du marché du travail sur le modèle d'une équivalence stricte entre les formations et les emplois.

L'exploitation des enquêtes « Génération »  a depuis longtemps démontré que la « correspondance » entre formation initiale et emplois occupés, tant en termes de niveaux que de spécialités de diplôme, est loin d'être la règle, y compris pour les formations professionnelles (1). La question qui constitue l'arrière-plan de tous ces travaux est celle de la « performance » du système d'éducation et de formation, c'est-à-dire de sa capacité à alimenter les entreprises en main d'œuvre juvénile qualifiée mais également de s'adapter aux transformations des métiers et aux évolutions de l'économie. Au cours des dernières années, une question a émergé à propos de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences : si les emplois ne sont que partiellement pourvus par les jeunes sortants des formations qui préparent aux métiers correspondant à ces emplois, par qui sont-ils pourvus ? Par d'autres jeunes débutants ? Par des recrutements externes ? Des promotions internes ?

Différents travaux du Céreq ont permis une approche comparée de l'emploi, des qualifications et de la gestion des ressources humaines par grands secteurs d'activité, notamment grâce la réalisation d'une typologie sectorielle des modes de gestion de la main d'œuvre (2). Sur la période (1994-2008), un travail d'analyse intersectoriel avait déjà permis de montrer que les emplois étaient alimentés par des diplômés de niveau toujours plus élevé (3). Cette modification des normes des qualifications (4) a pour origine d’une part, des normes de qualification datant des années 1960-1980 qui postulent une relation d’équivalence entre niveaux de formation des actifs et niveaux de qualification des emplois, critiquées en raison de leur visée adéquationniste. Un travail récent réalisé à partir de l’enquête emploi sur les 25 dernières années pose la question de savoir si les normes de qualification, en recul au plan statistique, ne sont pas en réalité obsolètes au regard de l’évolution des pratiques RH des entreprises (5). D’autre part, la domination croissante de l’enseignement supérieur long s’accompagne d’une certaine fongibilité des qualifications au sens où les différentes catégories socioprofessionnelles (ouvriers, employés, professions intermédiaires, ingénieurs et cadres) sont alimentées, dans des proportions variables, par l’ensemble des niveaux de formation.

Au plan microéconomique, ce « brouillage » des qualifications reflète le changement de paradigme en cours dans la gestion des ressources humaines des entreprises (qualification vs compétence). Le diplôme ne suffit pas à garantir les différents registres de compétences requis par les emplois : relativisé en ce qui concerne les compétences-métier (dans la mesure où leur acquisition se joue dans les interactions entre formation initiale, formation continue et professionnalisation en situation de travail), il est survalorisé en ce qui concerne les compétences transversales et qualités professionnelles (effet de signal).

Une lecture « inversée » des enquêtes Génération permet également d'étudier la question de l'alimentation des emplois par secteurs d’activité. Il est ainsi possible de connaître les choix de recrutement des employeurs par niveaux, spécialités ou filière de formation (6). Mais ces enquêtes permettent également d'inverser la perspective en s'intéressant aux emplois et en regardant qui sont les jeunes qui les occupent (7). Cette approche correspond généralement assez bien aux préoccupations des branches soucieuses des problématiques de renouvellement de la main-d'œuvre dans leur secteur. A ce titre, une étude réalisée à la demande de l'observatoire des métiers de l'hôtellerie restauration (8) a permis de constater que près de deux emplois sur trois du secteur sont occupés par des jeunes n'ayant pas reçu de formation initiale dans la spécialité, ce qui interroge la branche sur les priorités à établir entre formation initiale et formation continue. Une autre étude, réalisée cette fois pour le compte de la DGESCO sur deux bacs pro industriels (carrosserie ; équipements et installations électriques) visait, à regarder l'origine des jeunes qui occupent les emplois ciblés a priori par chacun des deux diplômes et à élucider les choix des employeurs en matière de recrutement (9).

Deux autres études, l'une portant sur le niveau V dans les champs du sport et de l'animation a permis de s'interroger sur la place qu'occupe ce niveau de qualification dans l'accès au métier d'animateur, et sur les parcours de formation (10). La seconde étude portait sur l'évolution des métiers et l'alimentation des emplois non cadres dans les entreprises des industries chimiques (11).

Cette thématique de l'alimentation des emplois est une composante des travaux du département Travail, Emploi, Professionnalisation (DTEP).

 

Bibliographie

(1) Des formations pour quels emplois ?
 Jean-François Giret, Alberto Lopez, José Rose. Paris : La Découverte, 389 p. (Recherches)

(2) Typologie sectorielle des modes de gestion de la main-d'œuvre
D'Agostino, Alexandra. Net.Doc n° 157, 2016, 50 p.

(3) Panorama sectoriel de la relation formation-emploi. Une exploitation des portraits statistiques de branche
 Dominique Fournié, Christophe Guitton, Nef n° 31, juillet 2008. p 60

(4) Des emplois plus qualifiés, des générations plus diplômées : vers une modification des normes de qualification
 Dominique Fournié. Christophe Guitton. Bref n° 252, mai 2008.

(5) "Normes de qualification et conventions de professionnalisation. De la mesure de la relation formation-emploi à l’observation des relations formation-emploi-travail". in  Sélections, du système éducatif au marché du travail
Christophe Guitton, Mickaële Molinari, Actes des 26ème JDL. Céreq Echanges, n° 16, février 2021, 788 p.

(6) Regard sectoriel sur l'insertion professionnelle des jeunes. Source : enquête génération 92.
Desgoutte Jean-Pierre, Giret Jean-François. Collection Documents n° 153, série Observatoire, 2000, Marseille : Céreq, 197 p.

(7) Modes de recours à la main-d'oeuvre juvénile et filières de stabilisation des débutants dans les IAA.
Lamanthe Annie. Notes de travail Génération 92 ; n° 15- 2001. Marseille : Céreq. 30 p.

(8) L'insertion des jeunes dans l'hôtellerie-restauration
Mickaële Molinari. Net-doc n° 73. Octobre 2010, 47 p.

(9) « Les baccalauréats professionnels de l'industrie à la veille de la réforme ». Focus sur l'électrotechnique et la réparation des carrosseries Paris : Ministère de l'Education nationale, 2 tomes - (CPC études n° 2) .

(10) Etude sur le niveau V dans les champs du sport et de l'animation
Molinari-Perrier, Mickaële. Net.Doc n° 147, 2016, 94 p.

(11) Evolution des métiers et alimentation des emplois non-cadres dans les entreprises des industries chimiques. Résultats d'une enquête par questionnaire sur les besoins actuels et futurs de recrutement

Séchaud, Frédéric (dir.), Marseille, Céreq, 2015. 68 p.

 

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