Céreq Bref, n° 374, Mars 2019, 4 p.

La formation en entreprise accompagne les promotions mais fait défaut aux plus fragiles

Publié le
20 Mars 2019

Les salariés promus dans leur entreprise sont aussi ceux les plus formés. Cependant la promotion ne reflète qu’une facette des évolutions possibles pour les salariés. Qu’en est-il alors de la formation quand il s’agit de réorienter un parcours, débloquer une carrière ou éviter un déclassement ?

Le suivi des salariés interrogés dans le cadre du Dispositif d’enquêtes sur les formations et itinéraires des salariés (Defis, cf. encadré) offre un aperçu de la variété des parcours des salariés qui n’ont pas changé d’entreprise entre 2014 et 2017. Loin d’être toujours synonymes d’amélioration, les évolutions de la situation professionnelle des salariés ne répondent pas nécessairement à leurs aspirations et dépendent du contexte et des pratiques des entreprises. Certains salariés connaissent une stabilité professionnelle conforme à leurs aspirations. D’autres, confrontés à un déclassement ou bloqués sur des emplois peu qualifiés, se trouvent professionnellement fragilisés. Si la plupart des salariés expriment le souhait de se former et d’évoluer, de fortes disparités d’accès à la formation sont observées selon les types de parcours au sein de leur entreprise.

Cinq types de parcours dans l’entreprise

Les salariés n’ayant pas changé d’entreprise entre 2014 et 2017 sont plus souvent des hommes, sont plus âgés et ont plus d’ancienneté que ceux qui l’ont quittée. Un tiers d’entre eux a connu au moins un changement de fonction durant les quatre années de suivi. Plus d’un sur cinq a déclaré au moins un changement de poste, et 15 % ont changé d’unité ou d’établissement. Globalement, ils déclarent plus souvent des évolutions positives en matière de salaire, de responsabilité ou d’autonomie. Mais si les conditions de travail se sont améliorées pour un salarié sur cinq, un sur trois déclare au contraire une dégradation.

Cette vue d’ensemble est à nuancer car les évolutions professionnelles perçues par les salariés sont très différentes selon le contexte dans lequel ils évoluent, ou selon leur position dans l’entreprise. Une typologie construite à partir d’une analyse statistique permet de rendre compte de cette diversité. Cinq types de parcours en ressortent : deux types de parcours ascendants, un descendant et deux autres caractérisés par une absence de changement. Ces parcours reflètent pour partie le cycle de la vie professionnelle : la promotion intervient le plus souvent en début ou en milieu de carrière, la stabilité plutôt en deuxième partie. Le parcours descendant, quant à lui, apparaît étroitement lié à des changements organisationnels ou technologiques dans l’entreprise.

Quand formation rime avec promotion

Les parcours ascendants sont marqués par des hausses cumulées de salaire, de responsabilité, d’autonomie ou encore d’intérêt du travail. Ici, deux types de parcours se distinguent. Le premier, qualifié de promotion fonctionnelle, regroupe les salariés qui ont tous connu un changement soit de fonction, soit de poste, ou, moins souvent, d’établissement. Plus jeunes – la moitié avait moins de 40 ans en 2013 –, employés majoritairement par des grandes entreprises de 500 salariés et plus (53 %), ils occupent fréquemment des postes de cadre et exercent des fonctions de supervision. Leur profil se distingue par un niveau de diplôme et de qualification particulièrement élevé. Plus de 80 % ont accédé à une formation dans le cadre du travail entre 2014 et 2017. Ce sont eux qui, à profils de salariés et caractéristiques d’entreprises équivalents, ont le plus de chances d’être formés par leur entreprise.

Le second type de parcours ascendant renvoie à une promotion non formalisée. Il concerne des salariés ayant également déclaré des évolutions positives sur plusieurs registres, sans avoir changé de fonction, de poste, d’établissement ou d’unité. Plus âgés que les salariés ayant connu une promotion fonctionnelle, moins diplômés, ils travaillent majoritairement dans des petites et moyennes entreprises, dans lesquelles prédomine la polyvalence, et dont l’organisation présente moins d’opportunités de mobilité interne que celle des plus grandes. La promotion sans changement de fonction ou de poste semble ainsi intervenir dans une logique de valorisation ou de fidélisation des salariés. Ces salariés accèdent également largement à la formation (70 %), mais moins souvent que les précédents.

Dans ces deux types de parcours, les salariés ont majoritairement bénéficié de formations liées à la prise de nouvelles responsabilités. On retrouve ici les pratiques des entreprises de sélection et de formation des salariés qu’elles souhaitent promouvoir. Ces parcours ascendants concernent une moitié des salariés qui n’ont pas quitté leur entreprise depuis 2013. Qu’en est-il de la situation des autres ?

Une carrière établie suscite moins de besoins en formation

Le troisième type de parcours observé renvoie aux carrières établies, pour lesquelles on note une absence de changements professionnels et peu d’évolutions, à la baisse comme à la hausse. Cette stabilité va de pair avec l’expression par les salariés d’une satisfaction particulièrement élevée dans leur emploi. Celui-ci est perçu comme correspondant à leur qualification et à leurs compétences, permettant par ailleurs de concilier vie privée et vie professionnelle. Cette catégorie concerne les salariés les plus âgés et regroupe relativement peu de salariés diplômés à bac+5 ou exerçant une fonction d’encadrement. En revanche, les contrats à temps partiel y sont davantage présents. Les salariés ont plus de chances d’être dans ce type de situation lorsqu’ils travaillent dans une petite entreprise, et quand leur environnement de travail n’est pas affecté par des transformations, qu’il s’agisse de restructurations ou d’autres changements organisationnels ou technologiques.

Ces salariés à la carrière établie expriment moins souvent que les autres le souhait de se former : 57 % contre 68 % en moyenne. Plutôt satisfaits de leur situation professionnelle, peu affectés par des transformations dans leur entreprise, ils cherchent moins que les autres à faire évoluer leur travail, prendre davantage de responsabilité ou changer de métier. Peut-être en raison d’un fort attachement à leur métier, « faire carrière » n’a pas nécessairement de sens .

S’ils accèdent moins que les salariés promus à la formation dans le cadre du travail, c’est néanmoins le cas d’une majorité d’entre eux (59 %). Quant aux salariés non formés, ils déclarent nettement moins souvent que  les autres un manque de formation (27 % contre 43 % de tous les non-formés).

L’absence d’évolutions décrite ci-dessus renvoie à des situations de stabilité professionnelle perçues comme satisfaisantes. Toutefois, pour d’autres salariés, elle peut aussi s’apparenter à une « trappe à précarité ».

Peu de formation pour les salariés bloqués dans leurs parcours

Contrairement au précèdent, un quatrième type de parcours professionnel, qualifié de bloqué, regroupe des salariés pour qui le statu quo va de pair avec une faible satisfaction dans l’emploi et une perception très défavorable des conditions de travail.

Huit de ces salariés sur dix ont déclaré un travail pénible ou répétitif ; ils sont tout autant à juger leur travail insuffisamment rémunéré. De manière très significative, cette catégorie se distingue par des emplois peu qualifiés, les ouvriers et employés de commerce constituant plus de la moitié des effectifs. Par exemple, un salarié bloqué sur cinq est un ouvrier non qualifié, alors que ces derniers ne représentent que 9 % de l’ensemble. C’est aussi parmi les salariés bloqués que l’on retrouve massivement les personnes les moins diplômées. La part des salariés déclarant un problème de santé ou de handicap les empêchant d’effectuer certaines tâches au travail y est plus élevée qu’en moyenne. Les risques de connaître un parcours bloqué augmentent fortement dans les entreprises frappées par un plan de licenciement. A contrario, ils diminuent lorsque des pratiques favorables à la formation ou au dialogue social sont implantées dans l’entreprise.

Pour ces salariés, le taux d’accès effectif à la formation s’écarte le plus fortement de leur souhait exprimé de se former. En effet, moins de la moitié d’entre eux ont accédé à une formation dans le cadre de leur travail en 2014-2017, et seulement un tiers en excluant les formations règlementaires. De plus, parmi ceux n’ayant pas suivi de formation, une majorité déclare en ressentir le manque (60 % contre 43 % en moyenne). Occupant des emplois peu qualifiés, déclarant des conditions de travail plus défavorables, ils expriment majoritairement le souhait de faire évoluer le contenu de leur activité. Ils sont aussi particulièrement nombreux à souhaiter changer de métier ou trouver un autre emploi. Plus que pour d’autres salariés, se pose la question de l’accès à la formation qualifiante pour ces personnes bloquées dans leurs parcours professionnels.

Une typologie des parcours élaborée à partir de quatre dimensions
Une typologie des parcours élaborée à partir de quatre dimensions

Quand la formation ne protège pas du déclassement

Un dernier type de parcours renvoie à des situations de fragilisation de salariés plus qualifiés, souvent en lien avec des changements organisationnels ou technologiques survenus dans leur entreprise. Qualifié de  parcours heurté, il concerne les salariés ayant connu plusieurs évolutions professionnelles descendantes. Ici, près de huit salariés sur dix ont déclaré des baisses d’autonomie, d’intérêt ou une dégradation des conditions de travail, mais les baisses de responsabilité et de salaire y sont aussi beaucoup plus fréquentes. Près de neuf salariés sur dix ont connu au moins trois types d’évolutions négatives, souvent associées à un changement de poste, de fonction ou d’établissement.

On y trouve plus de seniors, de femmes et une part relativement plus importante de professions intermédiaires, d’employés administratifs, mais aussi de cadres. Plus de la moitié des salariés au parcours heurté est diplômée de l’enseignement supérieur, avec toutefois une sous-représentation de diplômés à bac+5. Plus d’un tiers travaille au sein de très grandes entreprises (contre un quart pour l’ensemble). Toutefois, au-delà de la taille, certaines  transformations au sein des entreprises telles qu’une restructuration, un plan de licenciement ou d’autres changements organisationnels ou techniques, accroissent le risque de connaître ce type de parcours.

Exprimant le plus souvent le souhait de se former (77 % contre 68 % en moyenne), ces salariés se trouvent réduits à suivre des formations d’adaptation au poste. Entre 2014 et 2017, seuls 25 % d’entre eux ont accédé à une formation correspondant à leur souhait de progression. Peut-être en raison des changements perçus comme dommageables, ces salariés, bien qu’enclins à évoluer au sein de leur entreprise – plus de la moitié en exprime le souhait – déclarent aussi plus souvent que ceux ayant un parcours établi ou ascendant, vouloir changer de métier ou trouver un autre emploi.

Parcours professionnel et pratiques de formation des salariés dans l’entreprise entre 2014 et 2017
 

Ainsi, les aspirations à se former et à évoluer des salariés fragilisés dans leur entreprise, en particulier bloqués dans leur parcours ou déclassés, sont toujours les moins prises en compte. Dans le même temps, on observe pour ces salariés une moindre participation aux entretiens professionnels portant sur les perspectives de carrière et de formation. Aspirant bien souvent à évoluer en dehors de l’entreprise ou à changer de métier, ces salariés pourraient ainsi constituer un public à privilégier pour un conseil en évolution professionnelle (CEP), afin de leur permettre d’élaborer un projet de réorientation.

En 2017, la plupart des salariés aux parcours fragilisés déclarent ne pas connaître le dispositif du CEP créé en 2014. Parmi les salariés bloqués dans leur évolution professionnelle, seul un sur cinq dit en être informé ; cette part est encore moins importante pour les salariés aux parcours heurtés. Toutefois, lorsqu’ils en ont connaissance, ces derniers rencontrent plus souvent un conseiller. Favoriser l’information et le contact de ces salariés avec le CEP, prenant en compte leurs problématiques spécifiques, parait ainsi être une priorité.

Au-delà de l’accès au conseil, l’un des enjeux majeurs de la loi du 5 septembre 2018 réside dans la mobilisation d’un dispositif tel que le compte personnel de formation (CPF) de transition, afin de répondre aux besoins et aux aspirations des salariés fragilisés dans leur entreprise.

 

L’enquête, le champ d’étude et les méthodes

Présentation de l’enquête Defis
Initié par le Conseil national d’évaluations de la formation professionnelle (CNEFP) et financé par France Compétences, le Dispositif d’enquêtes sur les formations et itinéraires des salariés (Defis) est réalisé par le Céreq. Ce dispositif associe le suivi d’une cohorte de salariés sur 5 ans et l’interrogation des entreprises qui les employaient en 2013. L’échantillon est représentatif de l’ensemble des salariés qui travaillaient en décembre 2013 dans les entreprises du secteur marchand (hors agriculture) de dix salariés et plus en France métropolitaine.

Le champ des salariés qui, depuis 2013, sont toujours dans l’entreprise
L’étude porte sur les salariés interrogés lors des trois premières vagues de l’enquête (en 2015, 2016 et 2017) et qui étaient toujours dans l’entreprise fin 2017. Parmi les salariés qui travaillaient dans l’entreprise répondante en 2013, six sur dix y travaillent toujours en 2017 : ce sous-ensemble constitue le champ de l’étude. Les salariés âgés de plus de 65 ans en 2013 ont été exclus de l’analyse. L’échantillon sur lequel porte cette étude comporte environ 4750 salariés.

Une typologie multidimensionnelle des parcours en entreprise
La typologie des parcours a été élaborée via une méthode usuelle de Classification Ascendante Hiérarchique à partir d’indicateurs des quatre dimensions d’analyse (cf. graphique typologie). Elle synthétise la manière dont les différentes dimensions se combinent, et permet de regrouper des parcours individuels semblables dans un nombre réduit de parcours types.

Télécharger le supplément du Bref pour accéder à des données plus exhaustives

Citer cette publication

Melnik-Olive Ekaterina, Stephanus Camille, La formation en entreprise accompagne les promotions mais fait défaut aux plus fragiles, Céreq Bref, n° 374, 2019, 4 p. https://www.cereq.fr/la-formation-en-entreprise-accompagne-les-promotions-mais-fait-defaut-aux-plus-fragiles