Céreq Bref, n° 375, Avril 2019, 4 p.

Le tutorat en baccalauréat professionnel : objectif qualité

Publié le
15 Avril 2019

Le tutorat en baccalauréat professionnel préparé sous statut scolaire consiste à accueillir et à encadrer un jeune dans une entreprise ou un autre type d’organisation pour une période de formation en milieu professionnel (PFMP). Trouver des structures suffisamment formatrices, rendre effectives les formations en milieu de travail, s’accorder entre tuteurs et enseignants pour co-former et co-évaluer, constituent les principaux défis à relever pour assurer un tutorat de meilleure qualité, et répondre ainsi aux prérogatives actuelles des politiques publiques.

Le tutorat en baccalauréat professionnel préparé sous statut scolaire se définit par l’accueil et l’encadrement d’un jeune durant une période de formation en milieu professionnel (PFMP), dans une entreprise ou autre type de structure. L’objectif est de lui faire découvrir le monde professionnel, de lui transmettre et de valider des compétences définies
dans le diplôme et ne pouvant être obtenues qu’au contact de la réalité professionnelle. Dans ce cadre, toute action de tutorat naît des interactions entre trois acteurs clés : un enseignant référent de lycée professionnel, un jeune en PFMP et un salarié désigné comme tuteur administratif, auquel peuvent se joindre un ou plusieurs tuteurs pratiques.
Les élèves doivent réaliser 22 semaines de PFMP, réparties sur leurs trois années de formation en trois ou cinq périodes selon les lycées, donnant chacune lieu à une action de tutorat. Les 18 000 élèves inscrits en 2017 en terminale dans trois bacs pros1 étudiés par le Céreq sous l’angle des actions de tutorat (cf. encadré page 4) ont généré à eux seuls au moins
54 000 actions de ce type durant leur cursus. Mettre en place à temps et en quantité suffisante de telles actions constitue ainsi un défi pour la réussite de ces formations. Mais pour autant ces actions sont-elles toujours de qualité ? Cette question devient majeure à l’heure où les appels à l’amélioration de la qualité des formations en alternance se font pressants du côté des politiques publiques. L’éclairage apporté ici identifie les principaux défis à relever pour assurer la qualité du tutorat en bac pro.

La convention de PFMP : un cadre pour le tutorat

L’action de tutorat est encadrée par une convention de PFMP. Elle est signée par le proviseur du lycée, le dirigeant de la structure d’accueil, l’enseignant référent, le tuteur désigné comme tel au sein de la structure d’accueil et l’élève s’il est majeur ou son représentant légal s’il est mineur.
Cette convention comporte quatre annexes, dont une « annexe pédagogique » qui a vocation à décrire les activités qui seront exercées par l’élève pendant la PFMP. Ces activités sont en principe déterminées d’emblée par l’enseignant et le tuteur de l’organisme d’accueil, en fonction de l’année de formation, de la période où se déroule la PFMP, des objectifs de formation poursuivis par rapport au diplôme préparé et des activités de cet organisme.
La convention de PFMP inclut aussi, à présent, un document appelé à être rempli par l’élève à l’issue de sa PFMP pour évaluer la qualité de son accueil au sein de l’organisme l’ayant reçu.

Source : organisation et accompagnement des périodes de formation en milieu professionnel, circulaire n°2016-053 du 29 mars 2016 (BOEN du 31 mars 2016) & Convention type pour les élèves de lycée professionnel et annexes de la circulaire n°2016-053 du 29 mars 2016.
  • 1Précisément, 16 138 en bac pro accompagnement, soins et services à la personne option B « en structure », 306 en bac pro aéronautique option systèmes et 1 786 en bac pro métiers de la sécurité. Source : base Reflet, www.cereq.fr.

Trouver et fidéliser des structures d’accueil en capacité de former

Le tutorat débute par la recherche de structures d’accueil par les établissements scolaires et les jeunes. Cette recherche ressemble à une « quête du Graal » car il n’est pas aisé de trouver suffisamment et selon les temporalités des formations, des structures enclines à former des jeunes préparant un bac pro. Ceci constitue une source d’inquiétude pour les enseignants et leurs élèves.

Les structures doivent présenter des critères qui ne vont pas de soi. Il faut d’abord qu’elles fassent partie du champ d’activité visé par le diplôme, ce qui n’est pas toujours vérifié. Par exemple, dans l’aéronautique, en raison du nombre limité d’entreprises acceptant des stagiaires et d’une concurrence avec d’autres lycées, d’autres types de bac pro et une formation par l’apprentissage sur le plan local, on constate que des élèves de bac pro  aéronautique d’un lycée doivent parfois s’orienter vers des garages automobiles pour trouver des lieux de PFMP. Ensuite, les structures doivent offrir au jeune la possibilité de réaliser des tâches lui permettant de valider les compétences attendues dans le référentiel de formation. Là encore, l’accès à de telles structures est loin d’être garanti. Pour nombre de professionnels sollicités, il n’est pas simple d’épouser d’emblée la logique et le contenu du référentiel. Enfin, les structures doivent désigner au  minimum l’un de leurs salariés pour être tuteur et encadrer le jeune au quotidien.

Les difficultés sont amplifiées pour les petites structures. Celles-ci tendent à se montrer moins demandeuses et moins à l’aise avec la logique et le langage de l’approche par les compétences des référentiels. Ceci est d’autant plus vérifié quand elles sont novices dans l’accueil de jeunes. Et au vu de leur faible effectif, cet accueil se révèle plus ardu pour elles. Mais selon les professionnels et les enseignants, quand elles acceptent d’accueillir un jeune, elles le font avec des motivations plutôt favorables à la formation. Elles le font surtout pour lui rendre service ou le recruter à terme et, plus rarement, pour bénéficier d’une main-d’œuvre peu onéreuse.
Les enseignants des matières professionnelles sont en première ligne pour rechercher des structures en mesure d’être formatrices. Dans cette prospection, ils ont à expliciter le référentiel de formation aux professionnels et négocier avec eux les modalités de mise en place des PFMP dans leur contexte. Cela passe par une mise en relation des référentiels avec les caractéristiques des milieux de travail, via une réinterprétation de certains contenus.
Ce travail chronophage et engagé parfois jusqu’à un an avant l’arrivée des jeunes dans les structures, se révèle exigeant, d’autant plus que les enseignants n’ont pas de temps spécifique pour l’accomplir, et qu’ils peinent à trouver assez de structures conformes à leurs attentes pour « placer » tous leurs élèves en PFMP. De plus, les démarches des jeunes pour rechercher de façon autonome une structure, valorisées sur le plan pédagogique et requises en fin de cursus, se recouvrent parfois avec celles réalisées par les enseignants, ce qui dénote certains problèmes d’échanges d’informations.
Dans ce contexte, la mobilisation d’un ancien réseau professionnel est un atout pour les enseignants. Fidéliser des structures qui s’avèrent formatrices dans le cadre de partenariats est aussi un avantage car la pertinence des structures n’est plus alors à étudier a priori.

Former et apprendre en situation de travail

Le tutorat vise à concourir à la formation des jeunes sur les lieux de travail qui les accueillent. Cela implique une activité de coopération entre les tuteurs et les jeunes, et plus largement un processus analysé ici en plusieurs étapes.

Schéma sur les processus de formation en structure d'accueil

D’abord, les tuteurs ont à intégrer dans leur structure des jeunes encore scolarisés, pas ou très peu expérimentés sur le plan professionnel et souvent intimidés. Ainsi, les premiers jours d’une PFMP sont des journées d’« apprivoisement » pour le jeune et le tuteur. Tout se passe alors au mieux quand le tuteur lui fait découvrir l’espace de travail et les acteurs qui le composent (autres professionnels, résidents…) pour qu’il se repère et soit bien identifié dans cet espace.
Ensuite, les tuteurs ont à confier aux jeunes des tâches utiles à la structure et au diplôme visé. Partant des connaissances et expériences déjà acquises par les jeunes, ils leur font découvrir des situations de travail en les priant d’observer leur propre activité et en donnant des explications. Ils les mettent ensuite en situation pour effectuer une tâche avec eux, puis les invitent à la réaliser de façon autonome, sous leur contrôle ou en s’appuyant sur des points réguliers où les jeunes questionnent leur pratique. Ce cycle observation/mise en situation/autonomisation est reproduit quand le tuteur confie au jeune une nouvelle tâche. Deux types de progression sont ainsi en jeu : maîtriser progressivement une tâche et passer à d’autres tâches plus complexes. La gestion de ces progressions est parfois difficile à assurer. Par exemple, selon les tuteurs, la nécessaire prise en compte de la réglementation horaire des PFMP peut empêcher le jeune de prendre part à des activités qui se pratiquent plutôt la nuit ou les week-ends, comme cela arrive dans les métiers de la sécurité.
Par ailleurs, le processus de formation n’est pas toujours sans aléa. Parfois, les jeunes sont confrontés à des évènements difficiles ou traumatisants, comme en EHPAD quand survient une chute ou le décès d’un résident. Il importe alors pour le tuteur d’accompagner le jeune dans l’épreuve.
En outre, l’efficacité du tutorat dépend aussi de la propension des acteurs à s’impliquer. Si les tuteurs se disent satisfaits de la majorité des jeunes encadrés, plusieurs indiquent rencontrer des difficultés avec certains d’entre eux : manque d’attention au travail, problèmes de ponctualité ou de discipline, absentéisme… Ces aléas poussent les tuteurs à contrôler plus le jeune et à procéder à des « recadrages » ou rappels à l’ordre. Cela peut se traduire par des ruptures de PFMP et conduire à dissuader la structure d’accueillir à nouveau un jeune. De leur côté, les jeunes ne sont pas assurés de bénéficier partout d’un tutorat de qualité. Selon les enseignants, certains seraient mis de côté par leur tuteur et cantonnés à des tâches périphériques. L’absence de reconnaissance d’un temps dédié au tutorat dans la plupart des structures explique que certains tuteurs se limitent à mettre les jeunes en position d’observateurs plutôt qu’en situation de faire, et ce malgré la signature en amont par ces structures d’une convention de stage décrivant normalement les tâches à leur confier. C’est le cas dans les structures où règnent une suractivité liée à un sous-effectif ou une croissance
interne forte, comme on en voit dans le secteur aéronautique. Absorbés par leur principale fonction, les tuteurs n’ont pas alors assez de temps pour former et accompagner au mieux des jeunes.

Méthodologie

Ce Bref fait suite à un partenariat de recherche avec la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l’Éducation nationale, sur le tutorat pratiqué dans trois bac pro (accompagnement, soins et services à la personne option B « en structure » ; aéronautique option systèmes ; métiers de la sécurité). Il s’appuie sur la réalisation de 15 entretiens avec des enseignants, 9 avec des jeunes en période de formation en milieu professionnel (PFMP) et 14 avec des tuteurs de structures de petite taille (moins de 250 salariés) renvoyant à ces trois spécialités. Il se fonde aussi sur des observations de situations de travail impliquant jeunes et tuteurs et de visites faites par des enseignants dans les structures pour procéder avec des tuteurs à l’évaluation de PFMP. Ces observations ont été réalisées lors des investigations menées dans les structures pour compléter les discours recueillis en entretien. Ce Bref repose sur une analyse sociologique de ces discours et observations, visant à identifier les défis auxquels les acteurs (tuteurs, élèves en PFMP, enseignants) se confrontent. Elle cherche à repérer leurs représentations mais aussi les contraintes et difficultés qu’ils rencontrent, de même que les pratiques qu’ils mettent en œuvre pour tenter de les surmonter et de tendre ainsi vers des actions de qualité. Elle pose pour hypothèse que ces actions dépendent en fin de compte de leur possibilité de se coordonner à propos des dimensions en jeu (recherche de structures en capacité de former, modalités de formation et d’accompagnement en situation, évaluation), ainsi que de se construire une expérience en la matière au fil du temps. Enfin, ce Bref ne traite pas des spécificités du tutorat propres aux trois spécialités étudiées, liées par exemple aux caractéristiques socio-économiques des secteurs concernés ou aux effets de genre caractérisant les métiers ciblés. De même il n’aborde pas ce qui est à présent demandé au jeune concernant l’évaluation de la qualité de son accueil en PFMP, les enquêtes ayant été réalisées peu de temps après l’édiction de cette disposition en 2016.

 

S’accorder pour co-former et co-évaluer

Les tuteurs et les enseignants ont en principe à s’accorder en amont, lors de l’élaboration des conventions de PFMP, sur les tâches à confier aux jeunes pour leur permettre d’acquérir et de valider des compétences liées au référentiel de diplôme. Mais souvent cette codétermination des tâches est encore à préciser et à finaliser en cours de PFMP, faute de temps mais aussi en raison de la difficulté de la prévoir en totalité en amont. De plus, confrontés à une pénurie d’offres de PFMP, les enseignants peuvent avoir tendance à être d’abord moins exigeants envers les professionnels qu’ils sollicitent lors de la recherche des structures d’accueil, afin de garantir à leurs élèves un accès à des PFMP. Par ailleurs, cette codétermination bute sur la difficulté des tuteurs à « sortir » de leur cadre de travail et à adhérer au contenu du référentiel. Ils perçoivent souvent la grille de compétences qui lui est associée comme peu lisible, peu compréhensible ou peu légitime au vu de leur vécu professionnel. Les enseignants sont tentés pour leur part de donner la primauté au référentiel, alors que les tuteurs ont souvent plus de choses à dire sur le travail confié aux jeunes et sur les compétences requises.

Un arrangement est possible quand les enseignants arrivent à mettre davantage en relation les référentiels
avec les situations de travail par de nouvelles interprétations de leurs contenus. Par exemple, en bac pro ASSP, les enseignants sont souvent amenés à redéfinir la tâche du référentiel de « gestion des stocks » pour la rendre compréhensible aux yeux des tuteurs. En effet, ceux-ci affirment que cette tâche relève de l’encadrement et non d’un agent de service hospitalier, et a fortiori d’un jeune en formation. Pour « traduire » cet élément du référentiel, les enseignants leur indiquent alors que cette gestion se limite à une vérification du matériel nécessaire (par exemple, des
serviettes propres en nombre suffisant).

Les tuteurs et les enseignants ont aussi à procéder à des évaluations conjointes alors qu’ils n’ont pas les mêmes représentations et expériences en la matière. Les tuteurs évaluent formellement les compétences des jeunes dans le cadre d’une grille dédiée et concourent à leur notation. Cela ne va pas de soi pour beaucoup, estimant qu’ils n’ont ni la légitimité, ni la compétence, ni la formation. L’accord avec les enseignants est là encore facilité quand ces derniers réussissent à accompagner les tuteurs dans l’acte d’évaluer sans se substituer à eux. Ils les sensibilisent aux subtilités de l’évaluation : par exemple, être cohérent entre appréciations opérées tâche par tâche et attribution de la note finale. L’évaluation conjointe est aussi favorisée quand les tuteurs ont pu se construire une expérience en ce domaine avec l’accueil répété de jeunes.
Enfin, tuteurs et enseignants sont soumis à des organisations du travail qui leur octroient une plus ou moins grande disponibilité pour se coordonner. En principe, leurs contacts ont lieu lors des visites des enseignants dans les structures d’accueil : une pour le suivi au démarrage de la PFMP, et une autre pour l’évaluation quand la PFMP prend fin. Or, il est parfois impossible de faire certaines visites. Des tuteurs peinent à dégager du temps pour recevoir les enseignants, en plus de celui dédié à la formation du jeune. Côté enseignants, on admet avoir des difficultés pour effectuer toutes les visites qui leur échoient. Bien qu’elles soient comptabilisées dans leur service horaire, ils en ont plusieurs à faire sur une période courte et parfois sur un territoire étendu, sans avoir des marges de manœuvre pour libérer du temps supplémentaire compte tenu de leurs autres tâches simultanées (cours auprès d’autres élèves, recherche de structures pour de prochaines PFMP, tâches administratives…), et sans compter les visites qu’ils ont à faire quand les tuteurs ou les jeunes rencontrent d’importants problèmes. Certains enseignants remplacent ainsi leurs visites de suivi par des appels téléphoniques. De fait, la coordination est plus développée quand les structures et les lycées s’efforcent de dégager du temps pour la mettre en œuvre.
Au total, les défis à relever pour assurer la qualité du tutorat montrent l’existence d’une forte inégalité d’une action à l’autre. Ceci interroge la manière de les surmonter plus efficacement. Pour ce faire, les acteurs-clés doivent s’impliquer et coopérer via une action commune qui fait sens pour chacun d’eux et l’acquisition d’une expérience spécifique au fil du temps. Mais ils doivent pouvoir faire émerger ce sens partagé, et faire appuyer et reconnaître cette expérience. Cela implique notamment la conception de référentiels plus lisibles et plus malléables dans leurs usages. Cela peut passer aussi, pour les tuteurs, par un accompagnement et une reconnaissance accrus de leur contribution. Enfin, les acteurs doivent pouvoir bénéficier des marges de manœuvre nécessaires pour agir, le facteur temps étant un élément primordial. Le constat d’une forte inégalité de qualité interroge aussi la capacité à mieux penser et réguler en amont le tutorat. Représentant les structures d’accueil, les branches professionnelles pourraient être ainsi associées plus étroitement à la conception et à la mise en œuvre de cette pratique en lien avec le système éducatif, à l’heure où elles sont appelées à concourir davantage à l’élaboration des diplômes dans une logique de co-construction2 . Ce serait en effet une façon de mieux assurer la qualité du tutorat en bac pro sous statut scolaire, dans un contexte où le monde du travail est d’ailleurs de plus en plus sollicité tout azimut, notamment dans le cadre des autres formations en alternance (apprentissage, contrats de professionnalisation…).

 

  • 2Décret n° 2018-1230 du 24 décembre 2018 relatif aux commissions professionnelles consultatives chargées d'examiner les projets de création, de révision ou de suppression de diplômes et titres à finalité professionnelle.

Citer cette publication

Cadet Jean-Paul, Gosseaume Valérie, Mahlaoui Samira, Le tutorat en baccalauréat professionnel : objectif qualité, Céreq Bref, n° 375, 2019, 4 p. https://www.cereq.fr/node/9447/printable/print

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