Céreq Bref, n° 382, Octobre 2019, 4 p.

Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée - Génération 2010

Publié le
24 Octobre 2019

Les premiers apports du suivi sur 7 ans de la Génération 2010

Que sont devenus les jeunes sortis du système scolaire en 2010, à tous les niveaux de formation, avec ou sans diplôme ? Que nous apprennent leurs 7 premières années de vie active sur les transformations structurelles du marché du travail ? Comment la conjoncture difficile a-t-elle pesé sur leurs trajectoires ? Les derniers résultats de l’enquête Génération 2010 du Céreq offrent l’occasion d’un regard inédit sur l’intégration professionnelle d’une jeunesse toujours plus diplômée, et qui voit se creuser les écarts entre niveaux de diplômes.

 

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Observer l’intégration dans le système d’emploi et les débuts de carrière des sortant·es de formation initiale constitue un enjeu primordial dans le pilotage des politiques publiques d’emploi et de formation. Catégorie de main d’œuvre singulière de par sa jeunesse, sa faible ancienneté sur le marché du travail, mais aussi par le renouvellement des qualifications dont elle est porteuse, chaque génération de sortant·es se trouve particulièrement exposée au contexte économique du moment comme aux transformations plus structurelles affectant le marché du travail. Les enquêtes Génération ont largement contribué à mettre en évidence les différentes dimensions de cette intégration, mais aussi souligné la question du temps que celle-ci nécessite – variable selon les individus et les périodes. De ce point de vue, les 7 années d’observation des jeunes sortis de formation initiale  en 2010, qui complètent celles des Générations antérieures (1998 et 2004), nous permettent de pointer les évolutions majeures des 20 dernières années.

Des parcours plus difficiles pour la Génération 2010 dans un contexte de conjoncture dégradée

La Génération 2010 apparaît peu favorisée par le contexte économique qui a présidé à ses premières années dans la vie active. Confrontée dès 2012 à la crise des dettes souveraines, elle a dû faire face à une dégradation conjoncturelle durable, suivie d’une légère reprise qui n’a pas permis un rattrapage des niveaux d’avant la  crise financière de 2008 et n’a pas redynamisé l’emploi. Ce contexte a pesé sur les possibilités et le rythme d’accès à l’emploi des jeunes de la Génération 2010, ralentissant leur intégration professionnelle et les exposant davantage au chômage en début de vie active que leurs aîné·es des Génération 2004 et, plus encore, 1998. La trace de la crise de 2012 est ainsi particulièrement nette dans la remontée brutale du niveau de chômage qu’elle induit à partir du mois de juillet, à un moment où le processus d’insertion de la cohorte dans son ensemble n’a pas encore atteint son terme (cf. graphique 1). Après une année de pause, le mouvement de décrue du chômage reprend et une convergence s’observe entre les Générations au terme des 7 premières années de vie professionnelle. La mauvaise conjoncture en début de carrière aura donc davantage retardé que mis à mal durablement le processus d’accès à l’emploi de la Génération 2010. Si celle-ci n’apparaît pas subir les effets à moyen terme d’un « stigmate initial » lié à ses difficultés d’accès à l’emploi [1], certaines conséquences sur les parcours sont à souligner. La première concerne la réduction du temps passé en emploi, et donc de l’expérience professionnelle accumulée : 61 mois en moyenne, équivalant à 73 % du temps d’observation, contre 67 mois (80 % du temps, cf. tableau 2) pour la Génération 1998. La seconde concerne la part des jeunes dont la trajectoire est marquée par un certain éloignement de l’emploi ; 17 % des jeunes de 2010 (contre 11 % de ceux de 1998, cf. tableau 3) ont une trajectoire passée dominée soit par du chômage persistant ou récurrent (13 % contre 7 %), soit par des situations d’inactivité durable (4 % pour les deux Générations). Ils sont par ailleurs davantage à avoir repris des études ou une formation longue (9 % contre 5 %).

Évolution du taux de chômage sur les 7 premières années de vie active pour les trois Générations de sortant·es

Une génération au cœur de transformations structurelles du marché du travail

Au-delà d'une conjoncture défavorable en début de vie active, la Génération 2010 a également dû composer avec des transformations plus structurelles du marché du travail. En premier lieu, elle est, plus encore que ses aînées, exposée aux évolutions des pratiques de recrutements, dont les modalités d’embauches privilégient toujours plus les différentes formes de contrats à durée limitée [5]. Or, cette nouvelle « norme » de recrutement n’est pas sans effets sur les possibilités effectives de stabilisation à moyen terme des jeunes dans l’emploi. Elle peut constituer pour certain·es un tremplin vers une carrière, mais pour d’autres une trappe à précarité [1]. Le déclin des trajectoires dominées par l’emploi entre les Générations 1998 et 2010 (de 84 % à 74 %, cf. tableau 3) pointe cette ambivalence : les trajectoires de stabilisation en emploi à durée indéterminée sont moins nombreuses (de 66 % à 55 %), et ne sont pas compensées par les parcours enchaînant les emplois à durée limitée, dont la part reste stable (18 % contre 19 %). Au bout du compte, la part de jeunes en emploi à durée indéterminée 7 ans après la sortie est en baisse d’une Génération à l’autre (86 % contre 80 %, cf. tableau 2 ci-dessous).

En second lieu, la valorisation de l’expérience acquise apparaît plus faible parmi les jeunes de la Génération 2010. Les évolutions professionnelles favorables, tant en matière de rémunérations que de positions professionnelles, sont d’ampleur plus modérée. Ainsi, alors que le niveau de salaire médian à la première embauche est en hausse de 16 % par rapport à celui de la Génération 1998, il progresse seulement de 19 % en 7 ans, contre une hausse de 38 % pour leurs aîné·es (cf. tableau 4). Ces moindres progressions salariales s’expliquent en partie par un frein dans les dynamiques promotionnelles : seuls 27 % des jeunes de la Génération 2010, contre 31 % de ceux de la Génération 1998, ont connu une progression dans la hiérarchie des catégories socioprofessionnelles entre la première embauche et le dernier emploi occupé, alors que, parallèlement, 13 % ont vécu une régression dans cette hiérarchie (contre 11 % de leur aîné·es).

 

 

Reste que ces comparaisons d’ensemble entre Générations masquent des évolutions très contrastées des parcours professionnels selon le niveau de diplôme atteint en formation initiale. La précédente enquête Génération 2004 montrait déjà que, dans un contexte conjoncturel marqué alors par la crise de 2008, le rôle protecteur du diplôme s'était renforcé. De même, au sein de la Génération 2010, les variations en fonction du diplôme se sont creusées. Ainsi, les chances de connaître une trajectoire de stabilisation en EDI étaient 6 fois moins élevées pour un·e sortant·e sans diplôme que pour un·e diplômé·e de l’enseignement supérieur au sein de la Génération 1998 ; c’est désormais 9 fois moins dans celle de 2010.

Des parcours plus heurtés pour les moins qualifié·es

Dans l’ensemble, ce sont les non-diplômé·es qui ont vu leur situation se dégrader le plus fortement. La part de temps qu’ils et elles ont passé en emploi sur les 7 années chute de 65 % à 46 %. Cette « raréfaction » de l’emploi vient bouleverser les trajectoires-types qui caractérisent leurs parcours professionnels. Ainsi, les trajectoires marquées par un éloignement de l’emploi - du fait d’un chômage récurent ou persistant (34 %) ou d’une inactivité durable (11 %) - sont désormais aussi fréquentes que celles dominées par l’emploi, alors qu’elles ne représentaient que 28 % des trajectoires de leurs aîné·es non diplômé·es (cf. tableau 3). De plus, parmi les parcours dominés par l’emploi, on constate la très forte érosion des trajectoires de stabilisation en EDI (21 % contre 41 % pour la Génération 1998), désormais dépassées par celles caractérisées par un enchaînement durable d’EDD (24 %). Au bout du compte, l’EDI apparait de moins en moins accessible pour les non-diplômé·es, puisque seul·es 56 % de ceux en emploi 7 ans après la fin de leur scolarité en bénéficient (contre 72 % pour la Génération 1998, cf. tableau 2).

Cependant, pour ceux qui accèdent à l’emploi, les possibilités de progression dans l’échelle des catégories socioprofessionnelles entre la première embauche et le dernier emploi occupé, comme les risques de régression, restent comparables par rapport à leurs aîné·es. De plus, seule véritable éclaircie, le niveau des salaires perçus a progressé par rapport à ceux de leurs homologues de 1998, davantage sur les premiers emplois que sur les derniers, sous l’effet protecteur des revalorisations successives du SMIC.

Les jeunes diplômé·es de l’enseignement secondaire sont également affecté·es par un accès à l’emploi, et en particulier à l’EDI, plus difficile pour la Génération 2010. Pour autant, les trajectoires dominantes restent celles marquées par l’emploi et la stabilisation en EDI (49 %, contre 61 % pour leurs aîné·es). Pour ces diplômé·es, se manifeste également une tendance croissante à la reprise d’études (cf. tableau 3), notamment des sortant·es au niveau IV.

Ces constats traduisent des risques croissants de mise à l’écart de l’emploi des moins qualifié·es, et particulièrement de ceux·celles dépourvu·es de diplôme au sein d’une population de plus en plus diplômée. Mais dans le même temps, le marché du travail évolue et les conditions d’emploi offertes aux  diplômé·es du supérieur se détériorent également à leur façon.

Typologie de trajectoires à 7 ans par niveaux de diplôme agrégés des Générations 1998 et 2010
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Des diplômes qui « payent » moins pour les autres

À la différence des sortant·es de l’enseignement secondaire, les trajectoires d’accès à l’emploi des jeunes diplômé·es de l’enseignement supérieur ont été peu affectées par la conjoncture. La stabilisation en EDI demeure la norme et concerne les trois quarts d’entre eux. L’expérience en emploi accumulée lors des 7 premières années reste massive, et comparable à celle accumulée par leurs homologues de la Génération 1998. Cependant, pour ces jeunes, cette expérience est devenue moins rémunératrice sur le marché du travail. L’accroissement du salaire médian entre la première embauche et le dernier emploi occupé, qui oscillait entre 44 % et 54 % selon le type de diplôme entre 1998 et 2005, plafonne au mieux à 31 % entre 2010 et 2017 (pour les bac+5 et plus). Au point que les derniers salaires perçus, après environ 6 ans d’expérience accumulée, sont inférieurs, en euros constants, aux salaires perçus par leurs homologues de 1998 [3].

Evolution du salaire médian1 sur les 7 premières années de vie active des Générations 1998 et 2010
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Cette modération de la progression salariale chez les diplômé·es du supérieur se conjugue à une baisse marquée des évolutions de carrière ascendantes entre les deux Générations, qui concernent seulement 23 % des diplômé·es de 2010 contre 30 % de ceux de 1998. Cela se traduit par un accès plus lent et moins fréquent  aux postes de cadres pour les jeunes diplômé·es de l’enseignement supérieur après 7 ans sur le marché du travail. Ils et elles ont, dans leur dernier emploi observé « toutes choses égales par ailleurs », 1,8 fois moins de chances d’être classé·es cadre et 1,4 fois plus de chances d’être classé·es en profession intermédiaire que leur·s aîné·es (cf. supplément numérique). Ainsi, les opportunités offertes par les entreprises ne sont pas à la mesure de l’augmentation du nombre de diplômé·es de l’enseignement supérieur long (niveaux M et D), qui passe de 11 % à 16 % entre les deux Générations. Le marché du travail et les entreprises ne font donc pas écho, en termes salariaux, à la hausse du niveau de qualification de leurs jeunes salarié·es ; la montée de l’offre de diplômé·es ayant été plus rapide que la demande d’emplois qualifiés, ou en tout cas, que leur reconnaissance et leur rétribution en tant que tels. Plus diplômées, les femmes ont été moins touchées par cette dégradation : si les probabilités d’être cadre au dernier emploi occupé sur les 7 années d’observation sont très proches pour les jeunes femmes diplômées de l’enseignement supérieur long en 2010 et en 1998, leurs homologues masculins ont en revanche près de deux fois moins de chances de l’être que leurs aînés. Les écarts femmes-hommes se réduisent donc dans l’accès à ce statut entre les deux Générations, même si, « toutes choses égales par ailleurs », les femmes ont toujours moins de chances d’accéder à ces postes [2].

Contraints à vivre des débuts de vie active dans une conjoncture difficile, où le diplôme semble de plus en plus nécessaire mais de moins en moins valorisé, les jeunes sans diplôme et diplômé·es du secondaire de la Génération 2010 se voient toujours plus exclu·es de l’emploi, et plus exposé·es au chômage et à la précarité. Dans le même temps, les jeunes diplômé·es de l’enseignement supérieur, de plus en plus nombreux·ses, voient baisser leurs chances d’accéder au statut de cadre et de bénéficier d’une rémunération que leur niveau d’étude semblait justifier pour les Générations précédentes. Ces données recueillies à 7 ans confirment celles observées deux ans auparavant par V. Mora [1] : « les parcours d’accès rapide aux emplois à durée indéterminée se sont réduits tandis que ceux de maintien en emploi sur des contrats à durée limitée [font] de la résistance ». Face à cet état de fait, les jeunes n’en demeurent pas moins positifs [1], puisqu’ils et elles sont 79 % à se déclarer optimistes pour leur avenir professionnel, soit sensiblement autant que la Génération 1998 (77 %) portée par un contexte conjoncturel nettement plus favorable. Tout se passe comme si les jeunes intégraient les transformations de la norme d’emploi et ajustaient  leurs attentes en conséquence.

Pour en savoir plus

[1] 20 ans d’insertion professionnelle des jeunes, entre permanences et évolutions, coord. T.Couppié, A.Dupray, D.Epiphane, V.Mora, Céreq Essentiels n°1, avril 2018, p.33-40 ; p85-94 ; p51-59.
[2] « Et les femmes devinrent plus diplômées que les hommes... », T.Couppié, D.Epiphane, Céreq Bref n°373, mars 2019.
[3] « Que gagne-t-on à se former ? Zoom sur 20 ans d’évolution des salaires en début de vie active », C. Barret, A. Dupray, Céreq Bref n°372, février 2019.
[4] « Les contrats à durée limitée : trappes à précarité ou tremplins pour une carrière ? », O. Bonnet, S.Georges‑Kot, P. Pora, Insee Références – chômage, emploi, revenus du travail, 2019, p47-60.
[5] « CDD, CDI : comment évoluent les embauches et les ruptures depuis 25 ans ? »,
K. Milin, DARES analyses n°026, juin 2018.  
[6] « Les travailleurs non qualifiés : une nouvelle classe sociale ? », T. Amossé, O. Chardon, Économie et statistique n°393-394, 2006.

Citer cette publication

Epiphane Dominique, Mazari Zora, Olaria Manon, Sulzer Emmanuel, Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée - Génération 2010, Céreq Bref, n° 382, 2019, 4 p. https://www.cereq.fr/des-debuts-de-carriere-plus-chaotiques-pour-une-generation-plus-diplomee-generation-2010