Céreq Bref, n° 396, Octobre 2020, 4 p.

Reprises d’études en début de vie active : acquérir un diplôme reste le Graal

Publié le
21 Octobre 2020

Les reprises d’études en début de vie active sont de plus en plus fréquentes à tous les niveaux de diplômes avec une légère réduction des inégalités sociales d’accès. Les caractéristiques des jeunes les plus concernés évoluent peu au fil des générations : jeunes dont le plus haut niveau de diplôme est le baccalauréat et parmi eux, ceux engagés dans l’enseignement supérieur sans y avoir obtenu de diplôme et jeunes non diplômés de l’enseignement secondaire. Connaître des situations moins favorables sur le marché du travail accentue la reprise d’études.

La France est historiquement marquée par une forte valorisation de la formation initiale.  Les trajectoires de formation sont plutôt linéaires et dominées par l’enjeu de l’obtention du diplôme final, marquant l’entrée dans la période d’insertion professionnelle. Les reprises d’études n’apparaissent donc pas a priori comme une étape classique dans les parcours des jeunes. Toutefois, leur accroissement depuis une vingtaine d’années est clairement repéré par les enquêtes Génération. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet essor. En premier lieu, dans un contexte global d’élévation du niveau de formation et de compétition pour l’emploi, le diplôme apparait de plus en plus nécessaire pour s’insérer professionnellement, incitant plus qu’auparavant les jeunes à reprendre des études1 . En deuxième lieu, les politiques publiques (développement de l’alternance, lutte contre le décrochage scolaire, essor de la formation continue) favorisent les reprises d’études. En troisième lieu, les parcours de vie des jeunes eux-mêmes intègrent de plus en plus des coupures et des allers-retours avec la formation.

Les enquêtes Générations, parce qu’elles proposent un suivi longitudinal des jeunes interrogés, permettent de retracer à la fois l’évolution du phénomène de reprise d’études dans le temps et l’évolution du public concerné.

  • 1[1] « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée - Génération 2010 », D. Epiphane, Z. Mazari, M. Olaria, E. Sulzer, Céreq Bref, n° 382, octobre 2019.

Un phénomène en plein essor qui concerne surtout les jeunes de niveau baccalauréat

Depuis le début des années 2000, le nombre de jeunes qui reprennent des études « notables » (définition voir encadré 1) dans les sept années suivant la fin de leur formation initiale augmente. Il passe de 14 % pour les jeunes ayant fini leurs études en 1998 (dont 4 % en alternance) à 23 % pour les jeunes de la Génération 2010 (dont 7 % sous forme d’alternance). Cette propension croissante à reprendre des études au fil des Générations concerne l’ensemble des niveaux de diplômes et est confirmée lorsque l’on compare des jeunes ayant les mêmes caractéristiques à l’aide de modèles économétriques.

1. Qu'appelons nous ici "reprise d'études" ?
Dans cette publication, nous étudions le phénomène de reprises d’études à partir du suivi, pendant sept années de trois cohortes, représentatives au niveau national, de jeunes sortis de formation initiale respectivement en 1998, 2004 et 2010. Nous repérons les reprises d’études dans le parcours des jeunes grâce à un calendrier d’activité dans lequel ils déclarent mois par mois leur situation principale : emploi, chômage, inactivité, alternance, formation, reprise d’études. Parmi ces trois dernières catégories, nous comptabilisons uniquement le premier épisode de retour aux études « notable », c’est-à-dire d’une durée minimum de 6 mois. L’objectif est de se concentrer sur des reprises d’études suffisamment longues pour être diplômantes ou a minima certifiantes, c’est-à-dire les plus susceptibles d’être valorisables sur le marché du travail. De plus, nous excluons les reprises d’études qui commencent dans les six mois après la fin de la formation initiale, considérées plutôt comme des poursuites d’études initiales après une brève interruption.
Les reprises d’études présentent un coût important pour les jeunes, aussi bien comme charge mentale (cumul entre un emploi et des cours, conciliation avec la vie familiale etc.) que financière (frais d’inscription, baisse de revenus pendant cette période). C’est pourquoi les reprises d’études en alternance seront distinguées des autres (cf encadré 2) car elles permettent de ménager, parallèlement au diplôme, une forme d’intégration dans une entreprise et d’accès à l’emploi, modérant considérablement le coût de la reprise d’études et les conditions de ressources nécessaires pour l’entreprendre.

Le moment du premier retour notable en formation évolue peu au fil des Générations : il reste concentré sur les premières années consécutives à la primo-sortie du système éducatif. Les reprises d’études ayant lieu dans les sept premières années de vie active interviennent dans plus de la moitié des cas dans les 18 mois qui suivent la fin de la formation initiale. Celles qui ont lieu plus de trois ans après sont plus rares (un quart seulement).

La durée des reprises d’études est restée stable pour celles réalisées en alternance mais s’est sensiblement allongée hors alternance, passant d’une durée médiane de 13 mois pour la Génération 1998 à 20 mois pour la Génération 2010.

Les sortants dont le plus haut niveau de diplôme est un baccalauréat sont ceux qui reprennent le plus leurs études. Parmi eux, ceux qui ont poursuivi dans l’enseignement supérieur sans y décrocher de diplôme, souvent des bacheliers technologiques ou généraux, ont vu leur part de reprise d’études passer de 6 % à 12 % en alternance et de 17 % à 30 % hors alternance entre les Générations 1998 et 2010. À caractéristiques égales (parcours sur le marché du travail et caractéristiques sociodémographiques) et toutes Générations confondues, les sortants sans diplôme du supérieur ont ainsi environ 5 fois plus de chances de reprendre des études que les diplômés de niveau bac+5 et plus. La part de jeunes non diplômés du secondaire qui reprennent des études est également élevée, passant de 20 % pour la Génération 1998 à 31 % pour la Génération 2010.

Une fois considérée l’évolution globale du phénomène de reprises d’études en début de vie active, cette publication s’intéresse en priorité aux reprises effectuées hors alternance, qui concernent les effectifs les plus nombreux, et traitera des reprises d’études en alternance dans un encadré spécifique (encadré 2).

2. Le cas des reprises d'études en alternance
A la Génération 2010, la part de l’alternance parmi les reprises d’études est plus importante pour les non-diplômés du secondaire, les diplômés de CAP, les bacheliers professionnels et les diplômés de BTS (entre 33 et 39 % des reprises d’études) suivi par les non-diplômés du supérieur, les DUT et les Master  2 (entre 23 % et 28 %) puis les bacheliers technologiques et généraux et les licences professionnelles (20 %) et enfin les licences générales et les grandes écoles (entre 12 et 16 %).
Globalement, les constats effectués sur les reprises d’études hors alternance se retrouvent pour les reprises en alternance. Quelques exceptions sont cependant à noter. Ainsi, alors que les femmes sont plus souvent concernées par les reprises hors alternance, elles reprennent moins souvent en alternance que les hommes. Pour les sortants de l’enseignement supérieur, cet écart se réduit jusqu’à n’être plus significatif pour la Génération 2010. De plus, si on observe un effet croissant du niveau de rémunération des emplois à durée déterminée sur la probabilité de reprendre des études pour les reprises hors alternance, pour celles en alternance cet effet est stable dans le temps pour les sortants de l’enseignement secondaire et il n’y a pas d’effet quelle que soit la Génération pour les sortants de l’enseignement supérieur. Enfin, quelle que soit la Génération étudiée, l’origine sociale ne semble pas avoir d’effet significatif sur la probabilité de reprendre des études en alternance.

Des reprises d’études pour achever ou compléter la formation initiale

Si l’on s’intéresse plus particulièrement à la Génération 2010, la part de reprises d’études hors alternance (figure 4) est supérieure pour les jeunes dont la fin de formation initiale est associée à un échec au diplômé visé (cas des non-diplômés de l’enseignement secondaire et supérieur) ou à un diplôme de spécialité technologique ou générale qui a de plus en plus le statut de diplôme intermédiaire avant l’obtention d’un diplôme de niveau supérieur (baccalauréat général ou technologique, DUT, licence générale ou bac+4). Cela peut s’expliquer d’une part, par le fait que ces diplômes sont moins directement adaptés aux attentes des recruteurs sur le marché du travail, entrainant souvent une insertion professionnelle moins favorable, que pour les diplômes professionnels. D’autre part, l’engagement de ces jeunes dans des formations dont l’objectif est souvent de les amener à un niveau de diplôme supérieur suggère une plus grande appétence et préparation de ces jeunes pour les reprises d’études.

 

La spécialité de formation a également son importance au sein des diplômes professionnels. Par exemple, les jeunes issus de spécialités tertiaires reprennent plus souvent que ceux issus des spécialités industrielles, avec des écarts comparables au niveau BTS et bac professionnel (respectivement pour la Génération 2010, 11 % contre 8 % et 13 % contre 9 %). Cette plus forte proportion s’explique par une insertion professionnelle moins favorable qu’à l’issue des spécialités industrielles pour ces deux diplômes (exemple du taux d’emploi pour les baccalauréats professionnels de la Génération 2010 après trois ans de vie active : 70 % pour les spécialités tertiaires et 78 % pour les industrielles).

Les reprises d’études peuvent être vues comme un moyen de compléter le parcours scolaire initial, et d’obtenir un autre diplôme qui permettra de trouver plus facilement un emploi. C’est le cas des diplômes d’accès aux études universitaires, diplômes emblématiques des logiques de seconde chance pour les non-bacheliers, et des licences, passages obligés vers des études supérieures longues pour les non-diplômés du supérieur en formation initiale. Mais elles peuvent également correspondre à une logique de développement professionnel continu de salariés stables et qualifiés ou à une fonction de promotion sociale, comme c’est de plus en plus souvent le cas des reprises d’études en master2 .

Les résultats obtenus par Robert & Mora (2017), à partir de l’enquête Génération 2010 à 5 ans3 , montrent que dans la majorité des cas les reprises d’études effectuées lors des cinq premières années de vie active visent à compléter le parcours scolaire initial avec un nouveau diplôme situé à l’échelon directement supérieur dans la hiérarchie. Les titulaires de CAP ou BEP de 2010 se distinguent par une propension importante (autour de 60 %) à obtenir un nouveau diplôme de niveau équivalent, ainsi que les diplômés de niveau bac+5 et plus, qui sont de plus en plus nombreux à se doter d’un second diplôme de même niveau, un autre master, par exemple4 . On retrouve ces constats à travers la durée des reprises d’études : la durée médiane la plus longue (autour de 2 ans) correspond aux jeunes bacheliers, aux non-diplômés du supérieur et aux diplômés de niveau bac+3 hors santé-social, temps nécessaire pour atteindre le pallier de diplôme suivant.

 

  • 2[2] « La transformation des fonctions de la formation continue universitaire », I. Borras in Enseignement supérieur : nouveaux parcours, nouveaux publics, sous la direction de P. Lemistre, Céreq Essentiels n° 2, à paraître.
  • 3[3] « Retours précoces sur la voie des diplômes : vers une formation "tout au long du début de la vie" ? », V. Mora & A. Robert, Céreq Bref, n° 360, décembre 2017.
  • 4[4] Professionnalisation des publics et des parcours à l'université. Groupe de travail sur l'enseignement supérieur, V. Mora & P. Lemistre, Céreq Echanges, n° 3, 2016.

Le niveau de rémunération compte de plus en plus pour reprendre des études

Pour chacune des Générations, les jeunes qui occupent une situation favorable sur le marché du travail durant leur première année de vie active sont significativement moins nombreux à reprendre leurs études. A contrario, ceux qui ont été majoritairement au chômage ou en inactivité cette année-là (NEET), ou qui étaient majoritairement en emploi à durée déterminée (EDD) retournent plus souvent sur les bancs de l’école.

Au statut d’emploi s’ajoute le salaire qui voit son incidence s’accroître au fil des Générations, sauf pour les reprises des sortants de l’enseignement secondaire. En effet, pour les sortants de l’enseignement supérieur, si les jeunes de la Génération 1998 ne voient pas leur reprise d’études varier avec la rémunération des EDD, ceux de la Génération 2004 ont en moyenne 1,7 fois plus de chances de reprendre leurs études lorsqu’ils occupent un EDD avec un salaire faible (en-dessous de la médiane) que lorsqu’ils sont bien rémunérés. Pour la Génération 2010, les chances sont multipliées par deux. Notons que, pour la Génération 1998, les EDD étaient moins fréquents que dans les Générations les plus récentes où la succession de contrats à durée limitée tend à apparaître comme une « nouvelle norme » en début de carrière, si bien que la décision de reprendre des études pour les jeunes de l’enseignement supérieur semble désormais reposer non plus sur le statut d’emploi en lui-même mais également sur la rémunération associée.

 

Une tendance à la baisse des inégalités sociales d’accès aux reprises d’études

À caractéristiques égales (niveau de diplôme, marché du travail et caractéristiques sociodémographiques), les femmes ont 1,4 fois plus de chances que les hommes de reprendre des études. Cette différence est stable pour les trois Générations. Par exemple, pour la Génération 2010, cela concernait 21 % des femmes contre 15 % des hommes parmi les sortants de l’enseignement secondaire et 15 % des femmes contre 13 % des hommes dans le supérieur.

Toutes choses égales par ailleurs, les jeunes issus des milieux favorisés ont, dès la Génération 1998, plus de chances d’effectuer une reprise d’études que ceux issus des classes moyennes, et davantage encore que ceux des classes populaires (Figure 5). Pour ces derniers, plusieurs facteurs peuvent jouer en leur défaveur : auto-censure, effets de report dans le temps (notamment pour réussir à économiser assez d’argent), plus grandes difficultés à bénéficier d’un soutien de la famille pour financer un retour aux études « classiques », réticence plus grande à retourner à temps plein sur les bancs de l’école à cause de mauvaises expériences scolaires, etc. Par ailleurs, les jeunes d’origines modestes pourraient privilégier un retour aux études sous forme de formations de quelques heures par semaine ou via une validation des acquis dans leur emploi, rendant ce retour invisible dans nos enquêtes Génération. Mais, avec la montée en charge sensible du volume des reprises d’études (Figure 3), cet écart se réduit, jusqu’à ne plus être significatif entre les jeunes d’origines favorisée et moyenne pour la Génération 2010.

 

En conclusion, la comparaison des trois enquêtes a mis en évidence l’essor du phénomène de reprise d’études. Ce dernier est visible pour l’ensemble des niveaux de diplôme, même si les bacheliers restent les plus concernés. La recherche d’un diplôme plus élevé et l’accès à un emploi plus stable ou mieux rémunéré restent les moteurs principaux de cette reprise d’études. Cette augmentation s’accompagne en revanche d’un tassement des inégalités selon l’origine sociale en fin de période d’observation, traduisant une forme de massification de ces comportements au fil des Générations.

Cette étude pointe également un effet positif possible des politiques publiques de lutte contre le décrochage scolaire au vu du nombre important de non-diplômés du secondaire et du supérieur qui reprennent des études. Même si les données mobilisées ne permettent pas de connaître les taux de réussite aux diplômes des jeunes en reprises d’études, la notion d’échec dans l’enseignement secondaire et supérieur devrait être relativisée et nécessite d’être mesurée à distance de la première sortie de formation initiale.   

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, promulguée en septembre 2018, pourrait alimenter cette tendance à l’augmentation des reprises d’études en début de vie active à travers l’apprentissage et la formation professionnelle, moyennant leur soutien face à la crise économique.  De façon plus large, l’essor des reprises d’études en début de vie active semble s’inscrire dans une porosité croissante entre formation initiale et formation continue et préfigure l’amorce de la formation tout au long de la vie.

Pour en savoir plus

[1] « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée - Génération 2010 », D. Epiphane, Z. Mazari, M. Olaria, E. Sulzer, Céreq Bref, n° 382, octobre 2019.

[2] « La transformation des fonctions de la formation continue universitaire », I. Borras in Enseignement supérieur : nouveaux parcours, nouveaux publics, sous la direction de P. Lemistre, Céreq Essentiels n° 2, à paraître.

[3] « Retours précoces sur la voie des diplômes : vers une formation "tout au long du début de la vie" ? », V. Mora & A. Robert, Céreq Bref, n° 360, décembre 2017.

[4] Professionnalisation des publics et des parcours à l'université. Groupe de travail sur l'enseignement supérieur, V. Mora & P. Lemistre, Céreq Echanges, n° 3, 2016.

 

Citer cette publication

Robert Alexie, Reprises d’études en début de vie active : acquérir un diplôme reste le Graal, Céreq Bref, n° 396, 2020, 4 p. https://www.cereq.fr/node/9972/printable/print

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