Céreq Bref, n° 432, Décembre 2022, 4 p.

Normes environnementales : quels effets sur le travail et les formations ?

Publié le
15 Décembre 2022

Ecolabel, HQE, ISO… derrière ces termes techniques se cachent l’ensemble des démarches, labels ou certifications visant à inciter les entreprises à produire sans détruire l’environnement. Ces normes relèvent en partie d’obligations légales, mais aussi largement de l’engagement volontaire des entreprises. Dès lors, qu’en est-il de leur diffusion effective au sein du système de production et d’emploi ? Pour l’évaluer, ce Céreq Bref propose une première approche statistique de leur poids dans l’activité de travail et la formation des salariés.

Communiqué de presse
 

Les préoccupations environnementales des entreprises apparaissent dans les travaux de prospective déployés par les branches professionnelles en concertation avec l’État, et devenus une obligation légale [1], ou encore dans les démarches RSE [2]. Leur engagement dans des pratiques écologiques peut aussi prendre la forme de démarches de certification, par un organisme indépendant, de ses produits ou processus de production, qui sont alors inscrits dans une procédure de normalisation (normes ISO par exemple). Qu’elle soit volontaire ou liée à une obligation légale, comment l’adoption de normes par les entreprises prend-elle corps dans le travail et la formation des salariés ? Le dispositif d’enquête sur les formations et itinéraires des salariés (Défis) du Céreq permet d’éclairer cette question par une approche statistique globale (voir encadré 1).

1. Le projet de recherche C>Terre et l'enquête Défis
Le projet de recherche C>Terre (compétences dans la transition écologique, représentations et réalités) vise à comprendre la nature des besoins en compétences liées à l’écologisation du travail et des activités. Il est conduit par le Céreq depuis janvier 2021 et soutenu par un financement du Plan d’investissement dans les compétences de la Dares.
Ce projet mobilise différentes échelles d’investigation et plusieurs types de matériaux, y compris l’exploitation d’enquêtes statistiques, afin de situer la façon dont les entreprises intègrent ces préoccupations.
Les résultats présentés ici sont issus d’une exploitation des données de l’enquête Défis (Dispositif d’enquête sur les formations et les Itinéraires des salariés) du Céreq, qui nous renseignent sur les salariés dont le travail est impacté par la prise en compte des normes environnementales, et sur les formations qui accompagnent l’intégration de ces normes.
L’enquête Défis, initiée par le Conseil national d’évaluations de la formation professionnelle (Cnefp) et financée par France compétences, a interrogé chaque année, entre 2014 et 2019, les salariés présents en entreprise en décembre 2013, qu’ils soient restés ou non dans leur entreprise par la suite. La cinquième vague de l’enquête réalisée en 2019 a la particularité d’introduire deux questions sur l’impact des normes environnementales dans la sphère de production :
(1) Les individus ayant connu au moins un emploi sur la période, déclarent si oui ou non, leur activité a été impactée par l’introduction de normes environnementales.
(2) les individus y déclarent les formations visant à la prise en compte de normes environnementales suivies depuis un an.
L’enquête est représentative de 10,6 millions de salariés et de 4,8 millions de sessions de formation suivies en 2019.

 

Les normes environnementales ont modifié l’activité de 11 % des salariés

La cinquième interrogation de l’enquête Défis réalisée en 2019 introduit deux nouvelles questions aux salariés. La première permet d’identifier ceux dont l’activité a été modifiée, au cours de l’année écoulée, par l’introduction d’une démarche de normalisation de type écolabel1 (NF environnement), haute qualité environnementale (HQE) ou encore respect de la norme ISO 140012 dans leur entreprise. Ils sont 11 % à déclarer être dans ce cas en 2019, alors que 30 % des salariés disent suivre des normes environnementales : au-delà d’un cadre règlementaire, ce sont les modifications concrètes du travail qui sont ici considérées. La seconde question porte sur les actions de formation mises en œuvre par les entreprises pour accompagner l’intégration de ces normes environnementales. Celles-ci concernent 16 % des séquences de formations suivies par les salariés sur l’année écoulée.
Ces chiffres donnent une indication sur la diffusion de ces normes dans les activités de travail ainsi qu’au sein des sessions de formation organisées par les entreprises. Cette approche de l’écologisation du travail pourrait indiquer une intégration accrue des préoccupations environnementales dans les entreprises, au regard du faible volume des métiers dits verts ou verdissants, qui occupaient respectivement 0,5 % et 14 % de la population active en 2018 [3].

  • 1Un écolabel est un label officiel délivré aux produits présentant des avantages environnementaux (Marque NF Environnement en France ou Écolabel européen), sur la base d’un éco-bilan et d’une analyse du cycle de vie du produit.
  • 2La norme ISO 14001 repose sur le principe d’amélioration continue de la performance environnementale par la maîtrise des impacts liés à l’activité de l’entreprise (cf. www.iso14001.fr).

Des effets sur le travail plus forts dans l’industrie et le transport

Les 11 % de salariés déclarant une modification d’activité liée à l’introduction de nouvelles normes environnementales sont plus présents dans les entreprises de plus de 250 salariés. Ainsi, 45 % d’entre eux travaillent dans une entreprise de 1 000 salariés ou plus, contre 34 % de l’ensemble des salariés enquêtés. Les secteurs d’activité les plus concernés par l’effet des normes sont les industries, le transport, mais aussi l’hébergement restauration. Dans le secteur des industries extractives et des activités de dépollution (énergie, eau, gestion des déchets), au sein duquel plus de 50 % des salariés suivent déjà des normes environnementales, un salarié sur trois déclare que son travail a été modifié par l’introduction de telles normes. Dans l’industrie et le transport, l’impact déclaré sur l’activité concerne 8 à 10 % des salariés, alors que plus de 40 % des salariés de ces secteurs appliquent déjà des normes environnementales. Dans l’hôtellerie restauration, l’immobilier et le bâtiment, un tiers des salariés suivent des normes environnementales, et ils sont un peu moins de 10 % dans le secteur de la construction à déclarer que leur travail a été impacté par ces normes.
Au sein des catégories socio-professionnelles, les agents de maîtrise et les ouvriers qualifiés déclarent plus fréquemment avoir vu leur activité modifiée sous l’effet de nouvelles normes environnementales, alors qu’ils suivent déjà plus souvent de telles normes que les cadres et ingénieurs notamment. Enfin, les fonctions liées à la production et au chantier, à la réparation-maintenance, au nettoyage et au transport-logistique sont les plus concernées par des modifications d’activité sous l’effet de normes environnementales.
Du fait des spécificités de ces emplois dans la sphère de production, les hommes titulaires d’un diplôme de niveau inférieur ou égal au baccalauréat y sont, sans surprise, surreprésentés.

Les entreprises plus formatrices sont plus ouvertes aux normes environnementales

Des enquêtes sociologiques en entreprise ont montré comment la prise en compte de préoccupations environnementales peut modifier les activités, les organisations et les métiers [4]. Toutefois, il existe des contextes où se diffusent plus fréquemment les normes environnementales. Pour les salariés stables dans leur entreprise depuis 5 ans, une approche statistique « toutes choses égales par ailleurs » établit que des dimensions liées au contexte organisationnel, et à l’activité de travail, ont plus d’influence que l’appartenance sectorielle sur la probabilité de voir son activité modifiée par l’introduction d’une norme (voir encadré 2). Il apparaît que l’activité des salariés a été plus souvent modifiée par l’introduction de normes environnementales dans les entreprises plus engagées en matière de formation. Cet engagement plus fréquent peut se refléter dans la qualité de la politique de formation (entretiens professionnels, échanges avec les instances consultatives), ou dans la diversité des modalités de formation déployées (formations réglementaires, apprentissage, formations en situation de travail). Les normes environnementales viennent donc s’inscrire dans des contextes organisationnels déjà plus outillés que d’autres en matière de gestion des compétences, par des dispositifs favorisant les retours réflexifs et les échanges de pratiques autour du travail.
Au-delà du contexte organisationnel, dans quelles activités de travail se diffusent plus fréquemment les normes environnementales ? Celles pratiquées dans des collectifs propices aux échanges, et celles plus fréquemment encadrées par des procédures et des consignes sont les plus concernées. Plus de la moitié des salariés déclarent être soumis à au moins deux types de normes dans leur travail, et cette proportion dépasse 80 % pour ceux dont l’activité a été modifiée par des normes environnementales. À l’inverse, 18 % de l’ensemble des salariés déclarent ne suivre aucune norme ou procédure dans le cadre de leur activité, qu’elle soit de qualité, d’habilitation, de certification, ou bien des normes de sécurité, des textes réglementaires ou juridiques (voir graphique en 3).
Les salariés concernés par l’introduction de nouvelles normes environnementales affirment par ailleurs connaître plus souvent un changement dans les techniques et les procédures utilisées : ils représentent les deux tiers des salariés ayant connu de tels changements. Les transformations perçues par ces salariés concernent également d’autres dimensions de l’activité telles le niveau de responsabilité, l’intérêt du travail et les perspectives de promotion. Plus de la moitié des salariés dont le travail a été modifié par de nouvelles normes environnementales estiment que leur niveau de responsabilité s’est accru, contre moins d’un tiers de l’ensemble des salariés. Ils considèrent dans les mêmes proportions que leur travail est plus intéressant, et qu’ils ont appris des choses utiles pour accéder à de nouvelles fonctions ou un nouveau poste. Pour 29 % d’entre eux, leurs chances de promotions sont très probables, alors que cet optimisme ne concerne que 18 % des salariés dans leur ensemble.
Le fait est qu’au cours de l’année écoulée, ces salariés ont un taux d’accès à la formation plus élevé que les salariés sans modification d’activité : respectivement 47 % contre 39 %. Et parmi les formations reçues, il s’agissait dans un cas sur trois d’une formation en lien avec les normes environnementales.

2. Le poids des contextes organisationnels
Un modèle économétrique, intégrant les différentes variables descriptives des emplois, permet de mesurer l’influence des dimensions organisationnelles et des activités de travail pour une population de salariés stables, en emploi depuis 2013 dans la même entreprise (et qui représente 75 % des salariés enquêtés), pour laquelle les données des pratiques managériales sont renseignées.
Le fait de travailler dans des contextes propices aux apprentissages, et sur des activités propices aux échanges, est positivement corrélé à la probabilité que l’introduction de normes environnementales ait impacté son travail. Cet impact n’est par ailleurs pas lié au secteur d’activité d'appartenance de l'emploi, sauf en ce qui concerne le secteur du BTP (négativement corrélé au fait de connaître une modification).
La position professionnelle et la fonction sont des variables ayant un effet notable sur cette probabilité. Ainsi, par rapport aux emplois de direction, d’encadrement et d’ingénieurs, la probabilité de voir son activité de travail modifiée par l’introduction de normes environnementales est forte et positive pour les salariés qui occupent des emplois d’agent de maîtrise, et forte et négative pour les emplois de manœuvre et ouvrier spécialisé.

Des formations aux normes environnementales proches des formations obligatoires

L’enquête Défis montre également que ces formations affichent des caractéristiques communes avec les formations obligatoires, de type habilitations ou autres certifications réglementaires transversales aux métiers et aux activités de travail. Ainsi, 59 % des formations aux normes environnementales sont de type obligatoire ou réglementaire, quand ce ne sont que 34 % de l’ensemble des formations. Elles sont également plus souvent évaluées à leur issue et débouchent dès lors plus fréquemment sur la délivrance d’une habilitation, d’un diplôme ou d’un titre (voir tableau en 4).
L’écologisation des formations, au sens de leur prise en compte de normes environnementales, a un spectre beaucoup plus large que celui des formations en lien direct avec la préservation de la nature ou les éco-activités (de type « taille de haie et fruitier », « impact environnemental », « panneau solaire », « biodiversité » par exemple), qui représentent seulement 4 % des formations suivies en 2019. La mise en conformité avec des normes environnementales concerne ainsi 38 % des formations au CACES1 et permis, 55 % des formations à l’hygiène alimentaire, 51 % des habilitations autres qu’électriques et 66 % des formations hygiène.

4. Évaluations et certificats acquis à l'issue des formations aux normes environnementales
Tableau 4

 

Lecture : 67 % des formations aux normes environnementales suivies sont évaluées à leur issue.
Champ : Ensemble des formations suivies sur l'année précédent l'interrogation.
Source : Enquête Defis vague 5 interrogation de septembre à décembre 2019, Céreq.

 

  • 1CACES : certificat d’aptitude à la conduite d’engins en sécurité

Les agents de maîtrise particulièrement concernés

Parmi les salariés stables en entreprise, le déploiement des formations aux normes environnementales concerne davantage les ouvriers et les agents de maîtrise et se diffuse prioritairement auprès des salariés occupant des fonctions d’exécution. À l’inverse, elles sont moins suivies par des ingénieurs ou des cadres (21 % des formations aux normes environnementales), alors que ces catégories socio-professionnelles sont les plus concernées par les actions de formation en entreprise (39 % de l’ensemble des formations). Une possible explication serait que les formations « métiers » au sein de ces professions intègrent déjà pour une large part les normes et procédures de production, y compris la prise en compte des normes environnementales.
Les formations à ces normes sont principalement suivies par les salariés des entreprises de l’agroalimentaire, de la gestion des ressources environnementales, du transport et du bâtiment. Il n’apparaît pas de spécificité selon la taille de l’entreprise, ce qui rejoint un constat établi pour les formations obligatoires, mises en œuvre de façon prioritaire et parfois exclusive par les plus petites entreprises ayant des pratiques de formation peu développées [5].

Working Paper 13
D. Béraud, A. Delanoë, N. Moncel, Dynamiques de travail et de formation au prisme de la transition écologique. Que font les normes environnementales au travail et à la formation des salariés ? Working Paper no13, Céreq, 2022

 

Des évolutions rapides à observer et à accompagner

Les données de l’enquête Défis procurent une photographie à un instant T de la façon dont les normes environnementales prennent place dans les activités de travail et à travers les actions de formation. En 2019, ce sont plus d’un salarié sur 10 et d’une action de formation sur 6 qui sont concernés par l’intégration de telles réglementations. Cette réalité est sans aucun doute très évolutive et différenciée en fonction des pratiques des entreprises, et de leurs stratégies d’arbitrage entre contraintes normatives et contraintes économiques, selon leur position concurrentielle. L’enquête Formation Employeur (EFE) en cours de réalisation par le Céreq, avec l’appui de la Dares et de France compétences, fournira une nouvelle mesure de la prise en compte des préoccupations écologiques par les entreprises, à partir des interrogations sur les besoins en compétences, leur nature et la priorisation des actions de formation.

Conclusion

Accompagner les entreprises face à ces enjeux de formation et d’emploi est le rôle des opérateurs de compétences, amené à s’amplifier avec la nouvelle mission qui leur est confiée dans le cadre de la loi Climat et Résilience (loi no 2021-1104 du 22 août 2021). Cette loi prévoit également, pour les entreprises d’au moins 50 salariés, l’intervention du comité social et économique (CSE) en matière environnementale. La question écologique va ainsi devenir un objet central du dialogue social. Dans l’ensemble des consultations conduites au sein de l’instance paritaire, sont désormais à prendre en compte les conséquences environnementales des décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. Relever les défis de la transition écologique mobilise donc l’ensemble des acteurs de l’emploi, organisations syndicales comprises, et au premier rang desquels les salariés, qui sont déjà pour partie à pied d’œuvre dans cette mutation du travail.

Pour en savoir plus

[1] A. Valette-Wursthen, « Transition écologique : l’État peut-il orienter l’action des secteurs professionnels ? »,
Céreq Bref no 429, 2022.
[2] E. Sulzer, « La responsabilité sociétale des entreprises face à la transition écologique »,
Céreq Bref no 430, 2022.
[3] L. Baghioni, N. Moncel, « La transition écologique au travail : emploi et formation face au défi environnemental », Céreq Bref no 423, 2022.
[4] F. Drouilleau-Gay, A. Legardez (coord.), Travail, formation et éducation au temps des transitions écologiques, Octarès-Céreq, 2020.
[5] D. Béraud, « La formation dans les petites entreprises, reflet de leurs orientations stratégiques », Céreq Bref no 369, 2018.

Citer cette publication

Delanoë Anne, Moncel Nathalie, Normes environnementales : quels effets sur le travail et les formations ?, Céreq Bref, n° 432, 2022, 4 p. https://www.cereq.fr/normes-environnementales-quels-effets-sur-le-travail-et-les-formations