Céreq Bref, n° 452, Mai 2024, 4 p.

Origine sociale, diplôme et insertion : la force des liens

Publié le
14 Mai 2024

Alors que les jeunes générations accèdent massivement au bac et aux études supérieures, quelle influence ont aujourd'hui les origines sociales sur les parcours scolaires et professionnels ? S’appuyant sur l’observation en 2020 des trajectoires des jeunes sorti·es de formation trois ans plus tôt, ce Céreq Bref fournit des éléments de réponse. Il montre ainsi que les inégalités sociales observées au moment de l’insertion professionnelle s’expliquent avant tout par l’effet déterminant du milieu d’origine sur le niveau de diplôme atteint. Mais cet effet persiste sur les chances d’accéder au statut cadre.

Communiqué de presse

L’étude à l’origine de cette publication a bénéficié d’un financement de France Stratégie. Ce Céreq Bref s'appuie sur la contribution du Céreq au rapport de France Stratégie pour l'Assemblée Nationale, sur les politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes.

Loin des images stéréotypées d’une Génération X, Y ou Z, la jeunesse est multiple et hétérogène. Les inégalités sociales se reproduisent avec une telle force, qu’aujourd’hui encore les expériences des jeunes divergent fortement selon leurs origines sociales, culturelles et/ou migratoires. Depuis les années 1960, l’effet de l’origine sociale sur les parcours scolaires et les niveaux de diplômes atteints est un des faits sociaux les plus documentés en sociologie. Particulièrement vif dans les années 1970, le débat sur la dimension méritocratique de l’école est toujours d’actualité.

Dans son dernier rapport, l’OCDE indique que la France reste l’un des pays où le lien entre le statut socio-économique des élèves et la performance qu’ils obtiennent aux tests du Pisa est le plus fort [1]. La montée en charge vers l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, et la massification de l’enseignement supérieur répondant à celui de 50 % de diplômé·es du supérieur, ne se sont pas accompagnées d’une réduction notable des inégalités. Si l’accès au bac s’est démocratisé, cette évolution est principalement due à la filière professionnelle, et l’écart entre milieux sociaux a en réalité peu diminué. Ainsi, chez les élèves d’origine favorisée, la grande majorité des bachelier·es sont issu·es de la série générale, alors que ce n’est toujours le cas que d’une minorité des élèves d’origine défavorisée. Et plus on affine l’observation, plus les inégalités sociales entre élèves s’avèrent fortes : entre la fin des années 1960 et le début des années 2000, si plus d’un tiers des élèves d’origine favorisée obtiennent un bac scientifique, cette proportion ne dépasse jamais un douzième pour les élèves d’origine modeste [2]. En conséquence, les filières les plus prestigieuses de l’enseignement supérieur restent le bastion des enfants d’origine sociale élevée : en 2023, les étudiant·es en 3e cycle universitaire comptent 41 % d’enfants de cadres et 8 % d’enfants d’ouvrier·es. Parmi les élèves en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), iels sont respectivement 54 % et 7 %. De même, seul·es 2 % des étudiant·es de Normale Sup. sont enfants d’ouvrier·es (versus 63 % d’enfants de cadres) [3].

Le système scolaire français n’offre donc toujours pas à tous les jeunes les mêmes chances de réussir, d’acquérir les mêmes diplômes et, en conséquence, d’avoir les mêmes armes et bagages pour entrer sur le marché du travail. 

Pour mesurer quels sont aujourd’hui les effets de l’origine sociale sur les parcours scolaires et, plus tard, sur les trajectoires d’insertion professionnelle, ce Céreq Bref s’intéresse à une cohorte de jeunes sorti·es de formation initiale en 2017 (cf. Encadré 1). Il s’agira de montrer comment ces effets s’articulent et, éventuellement, se cumulent.  

 

L’implacable effet de l’origine sociale sur le parcours scolaire et l’accès aux diplômes

La force des inégalités sociales pénalisant les jeunes d’origine modeste dans leur cursus s’observe dès les premières années d’école, et se poursuit à toutes les étapes de la scolarité. L’origine sociale impacte les résultats scolaires mais également les choix d’orientation. 

Le palier de fin de troisième détermine l’orientation dans la filière professionnelle ou générale, et conduit à départager les jeunes destiné·es aux carrières d’exécution de celles et ceux qui poursuivront des études. 59 % des jeunes issu·es de ménages à dominante ouvrière vont ainsi rejoindre la filière professionnelle dès la fin de la classe de troisième1 (contre 16 % des enfants de deux cadres). Les premier·es vont également plus souvent subir leur orientation, celle-ci ne correspondant pas à leur premier vœu dans 21 % des cas (contre 10 % pour les second·es). 

Le baccalauréat, et a fortiori le bac général, n’est donc pas donné à tout le monde. Ainsi, 33 % des enfants de famille à dominante ouvrière ne sont pas bachelier·es (contre 5 % des enfants de deux cadres) et 24 % sont titulaires du baccalauréat général (vs 79 %). Parmi les bacs généraux, le bac S, nécessaire pour accéder aux filières les plus prestigieuses et sélectives, est particulièrement clivant : près de la moitié des enfants de deux cadres en sont titulaires, contre seulement un dixième des enfants d’ouvriers. 

À l’issue du parcours scolaire, les écarts en matière de diplômes atteints sont éloquents : si 55 % des enfants de deux parents cadres sont diplômé·es de l’enseignement supérieur long (bac+5 et plus), c’est le cas de seulement 11 % des enfants de familles à dominante ouvrière (cf. Encadré 2). Moins nombreuses et nombreux à suivre la voie générale, à décrocher le baccalauréat et à accéder à l’enseignement supérieur, les jeunes les moins favorisé·es y connaissent aussi plus souvent l’échec : entre un quart et un tiers des jeunes d’origine modeste (contre seulement 13 % des enfants de cadres) n’y obtiennent aucun diplôme. Ces sorties de l’enseignement supérieur sans diplôme résultent en partie du manque de soutien économique et/ou culturel de l’entourage pour accompagner ces enfants dans un enseignement supérieur dont il ne connait, et a fortiori ne maîtrise pas les codes. Mais ces sorties résultent aussi d’obstacles plus fréquemment rencontrés. Ainsi, près de la moitié des jeunes d’origine sociale modeste déclarent avoir arrêté leurs études pour des motifs extrascolaires (difficultés financières, personnelles ou familiales, distance trop importante entre le domicile et la formation souhaitée ou problèmes d’accès à un logement), contre un quart des jeunes issu·es de ménages à dominante cadre et un tiers d’enfants de ménages intermédiaires. 

  • 1

    Parmi les jeunes diplômé·es au plus d’un bac+3.

Un effet plus nuancé sur le marché du travail

Moins diplômé·es, les jeunes d’origine sociale modeste connaissent donc des débuts dans la vie active plus difficiles que les autres, et ce, quel que soit l’indicateur observé. Dans les trois premières années après la sortie des études, les trajectoires1 [5] de maintien aux marges de l’emploi concernent ainsi 7 % des enfants de cadres contre 17 % des enfants de familles à dominante ouvrière, leur part ne cessant d’augmenter à mesure que l’on descend dans la hiérarchie sociale (cf. Encadré 3). À l’inverse, les trajectoires d’accès à l’emploi, et notamment d’accès rapide et durable à l’EDI2, deviennent moins fréquentes (de 39 % à 20 %). Ces écarts s’expliquent en grande partie par les différences de capital scolaire détenu par les un·es et les autres. En effet, à niveau de diplôme équivalent, les trajectoires sont proches : qu’iels soient enfants de cadres ou de familles à dominante ouvrière, 7 % des jeunes diplômé·es de l’enseignement supérieur court connaissent une trajectoire marquée par un maintien aux marges de l’emploi. De même, iels sont, dans les deux cas, environ un tiers à connaître une trajectoire d’accès rapide et durable à l’EDI (cf. Encadré 3).  

Après trois ans de vie active, la situation relative ne s’est pas améliorée pour les plus modestes. En octobre 2020, les écarts de taux d’emploi entre les extrêmes de la hiérarchie sociale dépassent les 20 points de pourcentage. Quand ces jeunes sont en emploi, c’est davantage en contrat à durée déterminée et/ou à temps partiel, lui-même plus fréquemment subi. Le niveau de diplôme explique largement ces différences : cette dimension prise en compte, les écarts selon l’origine sociale s’estompent fortement (cf. Encadré 4). À niveau de formation équivalent, les taux d’emploi et les parts d’EDI varient peu selon l’origine, à l’exception des jeunes des milieux les plus modestes (ménages monoactifs d’un·e employé·e ou d’un·e ouvrier·e et ménages à dominante inactive). Les écarts sont encore plus faibles au sein des diplômé·es du supérieur. 

 

  • 1

    Une analyse des situations mensuelles de chaque jeune permet de dégager des trajectoires-types qui reflètent les conditions d'insertion sur les trois premières années [5].

  • 2

    EDI : emploi à durée indéterminée, salarié (CDI, fonctionnaires) ou non salarié.

La force de la reproduction sociale

Côté profession, la reproduction sociale est toujours à l’œuvre. Si 51 % des jeunes dont les deux parents sont cadres deviennent cadres, c’est seulement le cas de 10 % des enfants des familles ouvrières (cf. Encadré 5). Autrement dit, les premier·es ont 5 fois plus de chances d’occuper un emploi de cadre trois ans après la fin des études que les second·es. L’accès à cette catégorie est bien sûr conditionné par le niveau de diplôme : 86 % des jeunes sur ces postes trois ans après leur entrée sur le marché du travail détiennent un diplôme du supérieur long. Mais, contrairement à ce qui est observé pour l’accès au marché du travail (cf. supra ), l’origine sociale a un effet propre. Les jeunes diplômé·es de bac+5 et plus avec deux parents cadres sont 78 % à être cadres eux-mêmes, contre seulement 60 % de celles et ceux issu·es de familles à dominante ouvrière. Derrière ces variations se cachent, au sein de l’enseignement supérieur long, des formations très hétérogènes (filières scientifiques vs littéraires et tertiaires, universités vs grandes écoles…) qui ne mènent pas toutes, dans les mêmes proportions, aux emplois de cadres. Pour autant, une fois ces éléments pris en compte, les différences selon l’origine sociale s’estompent mais ne disparaissent toujours pas. Toutes choses observées égales par ailleurs, et notamment à diplôme et domaine de formation identiques, une personne issue d’une famille de cadres a encore 2 fois plus de chances d’être cadre elle-même que celle issue d’une famille ouvrière (cf. Modèles en supplément numérique).

Ainsi, les salaires des diplômé·es du supérieur long s’en trouvent différenciés. Par exemple, le salaire médian des enfants de cadres, trois ans après la sortie des études, s’élève à 2 400 euros versus 2 100 pour les jeunes issu·es de familles à dominante ouvrière. Les écarts de salaires sont moins élevés pour les autres niveaux de diplômes, même si les jeunes de deux parents cadres sont toujours mieux rémunéré·es.

Conclusion

Si les conditions d’accès au marché du travail diffèrent fortement selon le milieu social d’origine, cela s’explique essentiellement par les destinées scolaires des un·es et des autres. L’origine sociale, à niveau de diplôme équivalent, joue relativement peu sur l’accès à l’emploi. En revanche, elle accentue le mécanisme de reproduction sociale déjà enclenché à l’école : trois ans après la sortie de formation, l’origine reste clivante quant à la qualification des emplois obtenus, et ce, même à diplôme et filière équivalents. Ainsi, l’accès aux emplois les plus valorisés socialement et financièrement reste l’apanage des enfants de familles de cadres. 

Identifié de longue date, l’effet de l’origine sociale sur les destinées scolaires est toujours aussi flagrant, avec ses conséquences sur le marché du travail au regard de l’importance du diplôme sur l’insertion. Certaines mesures ont été mises en œuvre pour tenter de contrecarrer cet effet, à l’instar des quotas d’élèves boursiers mis en place à l’entrée d’écoles prestigieuses (Instituts d’études politiques par exemple), ou instaurés dans le processus de sélection de Parcoursup. Celles-ci pourraient, à terme, avoir un impact positif et gagneraient à être complétées par d’autres mesures intervenant bien plus tôt dans les parcours scolaires. En effet, des travaux montrent que la mixité sociale dans le système éducatif produit des effets positifs non seulement sur la réussite scolaire mais aussi, plus tard, sur l’insertion professionnelle, et plaideraient donc pour une réduction de la ségrégation sociale sur les bancs de l’école, du collège et du lycée [6]

En savoir plus

  OCDE, Résultats du PISA 2022 (Vol. I). Apprentissage et équité dans l’éducation, 2023.https://www.oecd.org/pisa-fr/OECD_PISA_2022_Resume-Volume-I_FR.pdf
  M. Ichou, Évolution des inégalités au lycée : origine sociale et filières, Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), 2016.
 Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) et Sous-direction des systèmes d'information et des études statistiques (SIES), Repères et références statistiques, 2023.
 G. Dabet, D. Epiphane, et E. Personnaz, Parcours scolaires et insertion professionnelle : l’implacable effet de l’origine sociale. Enquête 2020 auprès de la Génération 2017. Céreq, coll. « Céreq Etudes », n°51, 2023.
 F. Le Bayon, G. Dabet, O. Joseph, M. Olaria (coord.), Quand l'école est finie. Premiers pas dans la vie active de la Génération 2017. Céreq, coll. « Céreq Enquête » n°3, 2022.
 P. Charousset, M. Monnet et Y. Souidi, Ségrégation sociale en milieu scolaire : appréhender ses causes et déterminer ses effets, Conseil d'évaluation de l'École, Document de travail n°23-02, 2023.
 [6][5][4][3][2][1]

 

Citer cette publication

Dabet Gaëlle, Epiphane Dominique, Personnaz Elsa, Origine sociale, diplôme et insertion : la force des liens, Céreq Bref, n° 452, 2024, 4 p. https://www.cereq.fr/origine-sociale-diplome-et-insertion-la-force-des-liens