Redonner du sens au parcours des jeunes NEET à l'heure de la transition écologique
Les approches traditionnelles de l'orientation et de l'insertion s'avèrent souvent insuffisantes pour aider les jeunes en situation de NEET, c'est-à-dire ni en emploi, ni en études, ni en formation, à trouver leur voie. Pour expérimenter d'autres approches, le programme d'accompagnement « 100% transition » voit dans la transition écologique l'occasion, pour les jeunes comme pour les accompagnateur·trices, d'apprendre à se projeter au-delà du seul horizon professionnel. Chargé d'évaluer les impacts sociétaux de ce projet sur les participant·es, le Céreq livre ici ses résultats après trois sessions de cette expérimentation originale.
Les jeunes en rupture de parcours sont accompagnés par plusieurs structures (Missions locales, Mission de lutte contre le décrochage scolaire, écoles de la deuxième chance, etc.), qui ont pour objectif de les aider à élaborer un projet de formation et/ou professionnel pour ensuite accéder à un emploi. S’il s’adresse au même type de public, le programme « 100 % Transition » (cf. Encadré 1) se distingue de l’approche habituelle par le fait d'intégrer les projets d’emploi et/ou de formation dans la notion plus large de projet de vie, et d'inscrire celui-ci dans le cadre global du projet de transformation sociétale porté par la transition écologique.
L’originalité du dispositif tient à sa façon d’investir la transition écologique comme pivot d’un changement systémique, susceptible à la fois d’ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles à ces jeunes et de transformer les pratiques d’accompagnement elles-mêmes. La transition écologique est ainsi vue non seulement comme porteuse de nouveaux métiers et de nouvelles compétences, mais aussi de nouveaux critères de réussite professionnelle : avoir une activité qui a du sens plutôt qu’un salaire important par exemple. L’accompagnement peut alors consister à aider les jeunes à identifier ce qui a du sens et de l’importance pour eux, à l’inverse des logiques qui ont prévalu dans leur parcours scolaire et/ou d'insertion antérieur. En cela, il implique un changement de regard, de représentations et des pratiques d'orientation des professionnels de la formation et de l’emploi impliqués dans l’expérimentation.
Déployé sur 4 régions (Nouvelle Aquitaine, Auvergne Rhône-Alpes, Bretagne et Guyane), et sur 8 sites urbains et ruraux (Bordeaux, Entre-Deux-Mers, Oloron-Sainte-Marie ; Lyon, Pays de l’Arbresle ; Redon, Guémené-Penfao ; Cayenne) lors de 3 sessions entre 2020 et 2023, ce programme a accompagné 306 jeunes peu ou pas qualifiés, dont certain·es en situation de handicap (6 %), vivant en quartiers prioritaires de la ville (12 %) ou en zone de revitalisation rurale (30 %).
Publication réalisée avec la participation de Audrey MAURY (Osons Ici et Maintenant), Ursula DUCHEIN et Laura ORTIZ-ROUZÉ (Ellyx).
La mission d'évaluation à l’origine de cette publication s'inscrit dans le Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC) « 100 % Inclusion - La Fabrique de la Remobilisation »
- Initier un changement d'état d'esprit
- Le projet de vie du jeune, clé de voute du dispositif
- Le service civique d’initiative : sensibiliser à l’écologie et valoriser des compétences
- La sortie du programme : réussites et limites
- Une mobilisation des professionnels inégale selon les territoires
- Conclusion
- Pour en savoir plus
Initier un changement d'état d'esprit
L’entrée dans le dispositif se fait par le biais d’une offre de service civique diffusée sur internet, ciblant délibérément les jeunes de 16 à 25 ans en rupture de parcours, et proposée par la Mission locale ou repérée par le bouche-à-oreille. Norbert* (21 ans) : « J’ai vu la proposition de Osons Ici et Maintenant qui basiquement disait “vous ne savez pas quoi faire ? Vous ne trouvez pas de travail ?”, des choses dans lesquelles je me suis retrouvé. J’ai eu l’impression qu’ils avaient pris ma photo et en avait dit une description directement et j’ai fait “bon bah, jusqu’à présent ça a été une perte de temps pour moi mais peut-être que…” comme ils le disent, à Osons, essayez, au pire ça marche ».
Chaque responsable de programme rencontre les jeunes pour leur expliquer l’intention et le déroulé de l’accompagnement, et les invite à participer pendant 3 jours à la Fabrik à Talents, qui est le reflet de ce qu’ils vont vivre tout au long du programme. Les jeunes viennent sans engagement, pour tester et se rendre compte concrètement de l’état d’esprit et de l’engagement qui va leur être demandé. Pour celles et ceux interrogés 6 à 8 mois après leur entrée dans le dispositif, ces 3 jours restent fondateurs d’un changement d’état d’esprit : Baptiste (21 ans) « On n’avait pas la même histoire, ni le même parcours mais on en était tous au même point : qu’est-ce qu’on fait ? On est tous différents, ce sont des gens [les autres jeunes] formidables et qui méritent de l’aide ». Sidonie (18 ans) : « La rencontre avec le groupe, j’ai trouvé ça bien, c’était comme une semaine d’intégration, ça nous permet de faire connaissance avant et de créer une ambiance de groupe avant les 6 mois ».
Le parcours d’accompagnement de 6 à 9 mois est articulé autour d’un service civique d’initiative, d’ateliers collectifs thématiques (découverte de soi, compétences transversales, levée des freins internes et externes, projection professionnelle, chantiers collectifs et immersions dans la transition écologique et sociale), et d’un accompagnement personnalisé) [1].
Assuré par un binôme (accompagnateur-trices OIM et formateur·trices) préalablement formé aux méthodes utilisées dans l’expérimentation, ce parcours se décompose en une phase de mobilisation des jeunes et de sécurisation du parcours par le repérage des freins périphériques tels l'accès à un logement, la mobilité, la santé, etc. (1 mois avec l’appui d’autres professionnels si nécessaire), une phase d’exploration personnelle et professionnelle autour d’un service civique (6 mois), et une phase d’envol et de mise en œuvre du projet (2 mois).
Le projet de vie du jeune, clé de voute du dispositif
L’insertion professionnelle est abordée à travers le concept plus englobant de « projet de vie », présenté comme « la direction qu’une personne prend pour sa propre existence » [5]. Il est exploré à partir de 10 facettes (voir encadré 2), destinées à élargir le questionnement au-delà des dimensions strictement professionnelles, à aider les jeunes à définir « un futur en accord avec leur personnalité » [2], et à identifier ce qui peut les motiver à agir. Léa (25 ans) : « J’ai un peu pris conscience que j’avais des questions mais que je n’avais pas verbalisées et puis surtout, des questions qu’on m’avait pas forcément laissée poser, à part “qu’est-ce que tu veux faire de ta vie ?”, parce que ça, c’est la question qu’on pose dès la troisième, mais j’ai jamais trop su répondre ».
Deux jours par semaine, l’accompagnement s’emploie à créer un cadre « bienveillant », c’est-à-dire à la fois convivial, aidant et désinstitutionnalisé (pas de jugement normatif, écoute de la parole du jeune), permettant d’aborder tous les sujets en confiance, de reconnaitre et valoriser les savoir-faire tirés de l’expérience, de positionner les échanges autour et sur le projet de vie. Plusieurs approches pédagogiques sont convoquées : développement du pouvoir d’agir des personnes et collectivités, éducation populaire, intelligence collective, design thinking, théorie en U, coaching, psychologie positive… L’intention est de relier projet de vie des jeunes et transition écologique en partant de leurs appétences et points de force [3]. Lola (19 ans) : « J’ai vraiment bien aimé le fait qu’il y ait toujours nos séances à plusieurs, ça m’a vraiment plu d’avoir ce groupe-là, à côté de ma mission de service civique où j’ai le groupe avec OIM et où c’est… je sais pas, du coup c’est plus trop professionnel et on est plus un groupe avec des relations plus personnelles quoi ! et pour autant, on est un peu tous dans le même bateau et on se voit chacun avancer et ça, j’ai très bien vécu ça. Ça faisait du bien en fait ».
Le service civique d’initiative : sensibiliser à l’écologie et valoriser des compétences
Pendant 6 mois, 3 jours par semaine se passent en service civique, ce qui permet d’assurer un revenu aux participant·es et de tester leur projet professionnel. Réalisé dans une structure de l’économie sociale et solidaire ou dans une collectivité territoriale, il vise à identifier ce que le jeune aime faire, ses compétences et celles à développer. Cette mission est co-construite entre le jeune, le/la tuteur·trice de la structure et le/la responsable de programme OIM. Le site est choisi en partant du souhait du jeune : soit les accompagnateur·trices se mettent en quête d’un site correspondant à sa demande, soit le jeune le choisit parmi les propositions qui lui sont faites. Les jeunes sont libres d’explorer ce qui les intéresse, sans que cela soit nécessairement lié à la transition écologique, comme en témoigne cette tutrice dans une radio libre : « On n’a pas de mission préconçue, (…) ils choisissent la mission en fonction de ce qu’ils veulent faire. Nous on met en avant les métiers et les rôles qu’on a à la radio et les salariés qui peuvent être ressource pour eux. Ensuite sur la partie projet pro je vais surtout être sur des compétences et comme on peut aller chercher les compétences qu’ils veulent atteindre à travers d’autres chemins. Il y a cette idée qu’il n’y a pas de hiérarchie dans leur prise d’initiative. Ils prennent des places, on a eu de la technique, de l'animation, du journalisme, de la com., ils prennent la place qu’ils veulent prendre ».
Si certains jeunes étaient au fait des questions de transition écologique avant d’entrer dans le dispositif, la majorité d’entre eux ne savaient pas à quoi cela renvoyait. Les ateliers proposés et/ou les expériences en service civique ont contribué à une prise de conscience chez de nombreux jeunes.
Samia (18 ans), mère d’un enfant de 3 ans et avec un niveau de Première, s’est inscrite au CFA de Cayenne pour préparer un CAP d’esthétique mais après 2 mois chez un employeur a arrêté sa formation. Elle apprécie l’accompagnement qui lui est proposé : « Ils nous parlent du projet de vie, de ce qu’on veut faire plus tard, si on a des projets ils peuvent nous aider, ou des difficultés au niveau des démarches. Ils nous aident pour que rien ne nous bloque, c’est bien ». Si elle n’a aucune connaissance sur les questions de transition écologique, c’est en service civique dans une association de protection de l’environnement et du traitement de l’eau que se passe sa découverte : « J’aime bien ici. Ça me plaît énormément, j’habite loin mais tous les jours j’ai envie de venir ». Elle apprend à faire des animations auprès d’enfants, et parvient à repérer de nouvelles compétences : « Je ne connaissais pas beaucoup de choses sur la nature, ça m’intéressait pas mais là, ça m’intéresse et ça me motive à en savoir plus. Quoi d’autre encore ? Être sociable, parce que j’étais pas trop sociable, j’étais renfermée ». Elle ajoute : « Si vous pensez que c’est un petit programme, pour moi c’est un grand programme. La Guyane mérite plus de programme comme ça pour plus de jeunes parce que ça m’a appris beaucoup de choses et ça m’a réveillée dans ce que je veux pour plus tard (…), ils nous ont motivé à penser à ce qu’on veut vraiment pour plus tard, et c’est pour nous ».
L’outil RECTEC (Reconnaitre les compétences transversales en lien avec l'employabilité et les certifications)** utilisé par les jeunes, les tuteur·trices de service civique et les formateur·trices permet aux jeunes d’identifier et valoriser les compétences acquises entre le début et la fin de leur mission. Les expériences vécues sont reprises pour être analysées et permettre au jeune de prendre conscience de ses apprentissages et de visualiser ses progrès. L’évaluation ayant repéré, lors de la première session, des difficultés d’appropriation de cet outil par les professionnels, une formation a été conçue pour eux avant la seconde session.
Barbara (18 ans) a choisi de faire son service civique dans une association qui sensibilise à la réduction de déchets à la source et a acquis des compétences : « Présenter l’association par exemple devant un public. Ça, ç’a été hyper compliqué, j’ai réussi un peu et j’étais assez fière de moi d’avoir pu poser des mots sur ce que je pouvais faire et sur ce que j’ai appris durant les speechs qu’ils faisaient. Ça m’a beaucoup entrainée à parler et interagir avec les autres ». Elle parvient à mesurer ses progrès avec l’outil RECTEC : « Je me dis qu’en un certain nombre de temps, il y a beaucoup de choses qui se sont passées ou sur lesquelles j’ai évolué et je ne m’en rends pas forcément compte moi. Du coup, c’est assez cool [cet outil RECTEC] ».
La sortie du programme : réussites et limites
À l’issue de leur accompagnement, 76 % des 306 jeunes ayant participé au programme sont en situation de reprise d’études, en formation ou en emploi. Les abandons sont majoritairement dus à des raisons personnelles ou à l'intégration d'une formation ou d'un emploi. La sensibilisation aux problématiques de la transition écologique se traduit par des projets de formation ou d’insertion en lien avec elles pour 54 % des répondant·es en fin de parcours. Ils sont 45 % à avoir repris une formation qualifiante (42 %) ou non qualifiante (3 %), 21 % à avoir une activité professionnelle (4 % en CDI, 3 % en CDD de + de 6 mois, 6 % en CDD de – de 6 mois, 1 % en création d’entreprise et 7 % en intérim), et 26 % ont une activité professionnelle 3 mois après la fin du programme, dont 14 % dans les métiers de la transition écologique et sociale (source Ellyx).
Néanmoins, pour certains jeunes, quitter le programme revient à retrouver les cadres initiaux et impasses dans lesquels ils évoluaient auparavant. Les bénéfices qu’ils ont acquis (confiance en soi, compétences comportementales…) sont fragilisés à leur sortie, ils se retrouvent à nouveau en situation de vulnérabilité [4]. Cette dissonance met en évidence les limites du programme dont l’efficacité reposerait sur une transformation de la société, comme en témoigne le porteur de l’expérimentation : « C’est comme si nous ne pouvions pleinement activer la capacité transformante du programme 100 % Transition, car une fois terminé, les jeunes [qui ont évolué] se retrouvent confrontés à un système qui lui n’a pas changé » [3].
Si l’ambition systémique de cette expérimentation n’a pas totalement réussi, la majorité des jeunes ayant participé ont vécu une transformation. Lors des entretiens, les expressions qui reviennent le plus souvent pour résumer leur expérience sont : « je me sens revivre » ; « de la joie » ; « de l’espoir ». Baptiste (21 ans), interrogé sur ce qu’il retient de son parcours : « Quelque chose que j’avais perdu depuis très longtemps : de l’espoir que je puisse me sortir du – excusez mon langage – merdier dans lequel je m’étais fourré ». Marina (17 ans) : « Ils m’ont appris à être plus à fond quand je veux quelque chose, plus audacieuse, c’est leur terme. À essayer, même si ça met plait pas, d’essayer et ils m’apprennent à persévérer quand ça ne me plait pas parce que dans un travail, tout ne va pas forcément nous plaire donc il faut persévérer quand ça plait moins ».
Une mobilisation des professionnels inégale selon les territoires
Une autre limite du programme a été son implantation sur des territoires où l’association OIM et sa philosophie d’action n’étaient pas connues. Mobiliser des partenaires, eux-mêmes déjà impliqués dans des dispositifs d’accompagnement de jeunes s’est révélé difficile. Sur 3 des 8 territoires, les équipes des Missions locales, Maisons de l'emploi, etc. sont restées repliées sur les collaborations déjà existantes, et le programme a rencontré des difficultés à s’implanter et à se déployer. Pour autant, sur les 5 autres territoires, plusieurs acteurs ont reconnu l’intérêt de ce programme, comme en témoigne cette directrice d'une Maison de l'emploi : « (...) Par le biais d’ateliers ou d’animations effectivement on arrive à sortir des choses (...) qui sont transférables dans le professionnel. Et (...) je pense que ça c’est leur force, ce mode d’animation et d’approche au niveau des jeunes. (...) Ce qui m’a étonnée c’est que les jeunes n’étaient jamais absents (...). Je trouve que c’est révélateur d’un bon fonctionnement et aussi, moi ce que je trouve appréciable c’est cette mixité, cette entente, ils arrivent à rassembler (...) des jeunes que moi, je connais, qui ont des parcours totalement différents (…) Et eux, ils arrivent à faire ça ». Dans ce cas, les acteurs ont mis en place des collaborations avec les porteurs du projet (orientation des jeunes vers le dispositif, accueil de sessions du programme) , et permis de mobiliser des aides afin de lever les freins périphériques, prérequis à l’accomplissement du programme qui fait partie intégrante de l’accompagnement individuel.
Conclusion
Du point de vue des jeunes, l’accompagnement a ainsi pleinement rempli ses objectifs. Mais du point de vue des pratiques des professionnels, le regard sur l’orientation initié par le programme « 100 % Transition » reste en décalage avec celui qui prévaut en dehors, et auquel les jeunes sont à nouveau confrontés à leur sortie. Tous les professionnels n’ont pas répondu présent à La « Fabrik à déclik » organisée à la fin du programme pour initier un « déclic » chez ceux qui sont en charge de l’orientation. « Comment assurer le succès réel d’un programme comme 100 % Transition si rien [d’autre] ne change ? », regrette ainsi le porteur du projet, pointant ce qui fait à la fois la force et la limite du programme : sa capacité à entraîner un changement qui le dépasse.
Pour en savoir plus
[1] Remobiliser les décrocheurs de l'emploi et de la formation - Plan d'Investissement dans les compétences - Guide de capitalisation n° 2. Ministère du Travail, 2022.
[2] Osons Ici et Maintenant et Ellyx, Rapport final d’activité et d’apprentissages, Plan d’Investissement dans les Compétences, (à paraître).
[3] « Le pouvoir d’agir à la rescousse », Entretien avec Yann Le Bossé, Propos recueillis par A. Chaillou, A. de Mullenheim, Revue Projet, n° 363, 2018/2.
[4] T. Berthet, M.E. Longo (coord.), C. Bidart, J. Alfonsi, M. Noël, « Les rapports au travail des jeunes en situation de vulnérabilité. Dynamiques sociales, action publique et expériences individuelles en France et au Québec », Notes & rapports/Rapport d’étude, INJEP, 2021.
[5] Ellyx & Osons Ici et Maintenant, « Comment lier projet de vie et projet de société », Note de labo n° 1, 2022.