« Prépas apprentissage » : Logiques d’action et effets pour les jeunes
Expérimenté pendant 5 ans, le dispositif « prépa apprentissage » s’inscrit dans la logique d’accompagnement à la formation du Plan d’investissement dans les compétences. Destinée aux jeunes les plus vulnérables, la prépa est conçue comme un temps de mise en condition et en situation. Selon les jeunes ciblés et les acteurs qui la portent, elle peut aller de la simple découverte de l’apprentissage à l’orientation vers un secteur ou un CFA particulier. Alors que cette expérimentation touche à sa fin, ce Céreq Bref présente les résultats d’une évaluation qualitative du dispositif, menée pour la Dares par les cabinets Orseu Recherche & études, Itinere Conseil, et le centre associé au Céreq de Lille.
Lancé en novembre 2018 par un appel à projets dans le cadre du Plan d’investissement dans les compétences (PIC), le dispositif « prépa apprentissage » vise à offrir aux jeunes les plus vulnérables un accompagnement personnalisé vers cette voie de formation, dans une logique de sas et de préparation en amont de l’entrée en formation [2]. Dans ce cadre, 144 projets de prépas ont été sélectionnés et ont démarré entre 2019 et 2021.
Leur objectif est à la fois de faciliter l’accès à l’apprentissage et de sécuriser le parcours des apprentis. Les enjeux sont d’éviter les ruptures de contrats et d’amplifier le développement de l’apprentissage, qui connait plusieurs bouleversements sur la période : d’abord avec l’entrée en vigueur d’une réforme en profondeur du cadre de l’apprentissage avec la Loi du 5 septembre 2018 ; ensuite, à partir de la mi-2020 dans le contexte du plan de relance « 1 jeune/1 solution », avec des incitations financières massives via l’aide exceptionnelle aux employeurs d’apprentis.
Le dispositif « prépa apprentissage » s’adresse aux jeunes de 16 à 29 ans révolus (sans limite d’âge pour les travailleurs handicapés). Il cible initialement 75 000 jeunes ni en emploi, ni en formation, de niveau infra-bac, résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou dans les zones rurales à revitaliser (ZRR), ainsi que les personnes en situation de handicap.
Prépas sectorielles vs généralistes : intégrer un CFA vs découvrir l’apprentissage
L’analyse statistique menée sur l’ensemble des projets retenus et les deux évaluations qualitatives réalisées [1] [6] (voir encadré 1) permettent de distinguer des prépas à visée « sectorielle » et d’autres à visée « généraliste ».
Une partie des prépas agissent comme des prépas « intégrées » ou « sectorielles ». Structurées autour de parcours de courte durée (souvent moins de 2 mois), elles ont pour objet de développer l’apprentissage dans un ou plusieurs secteurs, ou dans une filière professionnelle : l’industrie, le bâtiment, les métiers de bouche, le sport et l’animation, etc. Ces prépas sont conçues à l’échelle du CFA ou du réseau qui les porte. Dans un contexte de libéralisation du marché de l’apprentissage, elles prennent tout leur sens au regard des stratégies de recrutement des CFA. Ces derniers cherchent en effet à élargir leur sourcing vers de nouveaux profils de jeunes, plus éloignés des canaux habituels de recrutement. « On a tout intérêt à capter ces jeunes et les orienter vers notre CFA. La plus-value est de capitaliser sur un sourcing efficace. La prépa participe au développement de l’apprentissage [dans notre CFA], la prépa ça aide quand on a un groupe à monter pour l’année » (prépa F). « Cela nous permet d’élargir ce que l’on fait déjà en allant chercher des jeunes moins diplômés, qui ne sont pas au courant de notre existence » (CFA membre de la prépa E).
Les prépas à visée plus « généraliste » s’effectuent sur des durées de parcours plus longues (de 3 mois à un an), parfois prolongées pour assurer le suivi du contrat d’apprentissage en entreprise. Ces prépas sont portées par des acteurs de l’insertion ou de l’apprentissage ayant davantage vocation à développer cette voie de formation en général, plutôt que dans un métier et (a fortiori) dans un CFA particulier. L’accent est mis sur la découverte de métiers, la définition d’un projet professionnel qui pourra être confirmé dans le cadre d’immersions et de stages en entreprise. La prépa A, portée par l’Éducation nationale et différents centres (Greta, CFA agricole, CFA privés, consulaires), se conçoit comme un « éveil des publics aux opportunités de l’apprentissage ». Elle implique différents CFA qui peuvent accueillir les jeunes en fonction de leurs projets et intérêts. La prépa H, à destination exclusive de jeunes travailleurs handicapés, joue le rôle de tiers facilitateur, sur une échelle très locale, entre de jeunes collégiens scolarisés en classes ULIS, des CFA et des entreprises prospectées et accompagnées.
Un rôle d’intermédiation avec les entreprises
Pour les CFA, la prépa a permis de développer leurs relations avec les entreprises, qui ont pu être intéressées par ce dispositif d’accompagnement avant l’embauche en contrat d’apprentissage, en complément des aides financières gouvernementales aux employeurs d’apprentis. « Ce ne sont pas les offres d’apprentissage qui manquent, mais les candidats. On trouvera toujours une entreprise aux participants » (responsable d’un CFA industriel, prépa I). L’enjeu des rencontres avec les employeurs du territoire, via des ateliers ou job datings, peut ainsi aller de la découverte de métiers – certains secteurs cherchant à travailler sur leur attractivité – à des démarches de validation d’un projet rendant parfois possible la transformation d’un stage, étape de pré-recrutement, en un contrat d’apprentissage. Dans cette perspective, les CFA mettent en œuvre des stratégies d’intermédiation entre offre et demande. Comme le dit une chargée de relations entreprises d’un CFA d’une grande ville intervenant sur plusieurs domaines, « l’intérêt c’est d’avoir la double casquette, de représenter les intérêts des jeunes ou des entreprises » (prépa F). Des prépas se placent ainsi dans une offre de service au recrutement : « mon rôle c’est de promouvoir la prépa auprès des entreprises, de démarcher les entreprises en mettant en avant ce que la prépa peut apporter, c’est-à-dire un jeune prêt pour l’apprentissage, un jeune avec un projet professionnel validé et prêt à entrer en apprentissage, avec des soft skills OK. Le plus de la prépa c’est d’apporter un jeune sur-mesure pour signer un contrat d’apprentissage » (prépa F). Outre cet aspect de pré-recrutement, le CFA peut également apporter un appui administratif et financier, ainsi qu’un suivi dans l’emploi. La prépa H, portée par un CFA hors les murs, réalise ainsi une intermédiation hyper-individualisée du collège jusqu’à l’entrée en entreprise sur un petit volume de bénéficiaires en situation de handicap. Dans le contexte d’évolution du marché de l’apprentissage, les prépas ont ainsi été un outil de positionnement des CFA, entre repérage de nouveaux candidats et offre de solutions aux entreprises.
Des prépas ancrées localement mais en concurrence avec d’autres dispositifs
Les différentes prépas apprentissage ont été sélectionnées dans le cadre de plusieurs appels à projets nationaux, qui laissaient une grande latitude aux acteurs impliqués pour développer leur propre méthodologie d’accompagnement et de formation. Une analyse transversale et comparative des modalités pédagogiques retenues et des parcours [6] laisse apparaitre de grandes séquences types : une phase d’intégration et de travail sur le projet personnel et professionnel ; une phase d’accompagnement du projet par des immersions en plateau technique et en entreprise, intégrant des ateliers individuels et collectifs de nature variable (remise à niveau, ateliers « soft skills », techniques de recherche d’un contrat, etc.) ; une phase d’intermédiation avec des entreprises pour certains jeunes ou, pour d’autres, une phase organisant la suite du parcours vers d’autres acteurs.
Mais au-delà de ces séquences communes, chaque prépa s’ancre dans son territoire et les porteurs du projet s’appuient sur leurs partenaires locaux. Ainsi, la prépa C est à l’échelle départementale et mobilise la plupart des CFA présents. La prépa I est d’envergure nationale mais s’organise in situ, dans les antennes locales du réseau de CFA. Différentes prépas développent des partenariats avec des orienteurs, principalement les Missions locales (par endroits, les Écoles de la 2e chance), pour « sourcer » les publics correspondant au ciblage.
Pourtant, cette dynamique locale a été fragilisée pour plusieurs raisons. D’abord, les projets lauréats ont été sélectionnés et pilotés au niveau national (par le ministère du Travail et la Caisse des dépôts et consignations), sans véritable réflexion sur leur coordination locale. De fait, des effets de concurrence ont été manifestes, notamment sur la dimension de sourcing, ce qui vient interroger la cohérence du dispositif. Sur certains territoires (notamment dans les grandes villes), plusieurs prépas pouvaient coexister, posant des soucis de lisibilité pour les acteurs de l’insertion des jeunes. D’autres dispositifs publics, tels que la Garantie jeunes (généralisée en 2017 et remplacée en 2022 par le Contrat d’engagement jeune) portée par les Missions locales, visaient globalement les mêmes profils de jeunes, avec des conditions de rémunération plus favorables**.
Ces effets de mise en concurrence n’ont pu être circonscrits, faute de mise en place, au niveau du territoire, d’une politique de régulation et de pilotage pouvant contribuer à créer une cohérence locale entre acteurs. Les prépas n’ont ainsi pas été discutées dans les services publics locaux de l’emploi. Les Régions qui mettent en œuvre également des dispositifs préparatoires (dont certains dans le cadre du PIC ou des PRIC) n’ont pas non plus été sollicitées lors de l’instruction des projets ni dans le suivi de leur déploiement. Les collaborations avec les réseaux scolaires se sont faites sur des segments spécialisés, par exemple l’orientation de collégiens en situation de handicap ou dans l’enseignement agricole. Hormis les cas où elle était directement engagée dans la conduite d’une prépa via les CFA académiques ou les Greta, l’Éducation nationale a été peu impliquée dans ces réseaux locaux. Des interlocuteurs ont ainsi déploré le manque de relations avec les Missions de lutte contre le décrochage scolaire.
Des effets à différents niveaux pour les participants
Entre 2019 à 2022, les prépas apprentissage ont comptabilisé 61 000 bénéficiaires, jeunes mineurs dans un cas sur deux, et majoritairement dans la cible (plus de 8 bénéficiaires sur 10 avec un niveau bac non validé) [5]. Le sourcing des jeunes a été rendu complexe par la crise sanitaire et la fermeture des centres en 2020, peu de temps après le lancement des prépas.
Sur l’ensemble des jeunes qui ont quitté le dispositif sur cette période, malgré les limites des données de suivi (part importante de situations inconnues ou non renseignées), 43 % sont entrés en contrat d’apprentissage et 1 % en contrat de professionnalisation. Sur les 10 projets étudiés, et pour des données sur la période 2019-2021***, le taux de sortie en contrat d’apprentissage s’inscrit dans un intervalle de 17 à 46 % et le taux de sorties positives (toute formation ou toute forme d’emploi) oscille entre 25 % et 100 %.
Dans le contexte actuel marqué par une croissance inédite des signatures de contrats d’apprentissage, mais aussi par une hausse des taux de ruptures de contrats [4], l’expérience des prépas apprentissage est riche d’enseignements. Les CFA plaident pour bien « verrouiller » l’entrée en apprentissage [3]. Les aides au recrutement, à partir de 2020, encouragent les formes d’intermédiation. Les prépas sont donc un acteur du marché transitionnel de l’apprentissage et cherchent à combler certaines insuffisances du système d’orientation. Elles répondent à une diversité de besoins des jeunes. Pour certains, la prépa permet de confirmer le projet personnel ou professionnel. Cette logique de « dernière marche » sécurise l’entrée dans l’apprentissage. Certes, les résultats statistiques bruts doivent être lus avec prudence. Certains « bons » résultats ne témoignent pas forcément d’une plus-value de la prépa (le jeune aurait trouvé un contrat d’apprentissage ou de travail sans cela) ; inversement de moins bons taux de sortie peuvent aller de pair avec des impacts qualitatifs sur le long terme (notamment sur des jeunes très en difficulté qui ont trouvé un projet ou se sont remobilisés). Les formats de prépa « intégrées » favorisent ces parcours sans rupture : des durées courtes, une première expérience rassurante dans les futurs locaux de formation, des calendriers qui se calent sur les entrées en formation. La transition vers l’apprentissage est outillée (aide personnalisée sur les démarches administratives, le choix de l’entreprise, l’inscription en CFA, le conventionnement…).
Pour d’autres jeunes, les prépas se sont davantage placées dans une offre d’orientation et de découverte des métiers. Dans cette configuration « première marche », les indicateurs sont contrastés. La prépa peut offrir un espace favorable à l’élaboration d’un projet ou à une « prise de conscience », grâce à la combinaison de pédagogies individualisées et de mises en situation concrète. Dans de nombreux cas, malgré ces effets de découverte de métiers, de possible remobilisation, de gain de confiance en soi, le jeune retourne dans un parcours d’insertion. La présence de problématiques sociales importantes chez les jeunes a été un frein majeur. Les CFA qui ont touché un « nouveau » public insistent sur la nécessité d’intégrer une dimension socioéducative dans l’ingénierie de parcours. « Il manquait une étape. Un temps pour vraiment faire de l’éducation : se lever, faire son lit… passer par le sport pourquoi pas… le plus difficile ça été de susciter leur intérêt, pas de sens, pas d’objectif… Leur situation personnelle prend trop le dessus. Des jeunes sont perdus dans leurs objectifs. C’était des profils qui n’arrivaient même pas à se lever le matin pour certains » (ingénieure pédagogique prépa J). Dans ces cas de figure, le risque d’abandon reste marqué. Les jeunes ne perçoivent pas d’effets du passage dans la prépa. C’est ici une difficulté spécifique d’une approche généraliste, comme première marche vers l’apprentissage et le monde du travail.
Conclusion
Le dispositif « prépa apprentissage », qui s’arrête au 31 décembre 2024, date de fin des derniers accompagnements, a montré son intérêt et sa pertinence. Pour les jeunes, il a favorisé l’entrée dans des parcours de remédiation, de ré-orientation sécurisée. Pour les acteurs de l’insertion, il a généré l’opportunité d’un travail en réseau d’accompagnement vers la formation ainsi que vers l’emploi. Pour les entreprises, les prépas ont pu contribuer à un élargissement du public cible pour des recrutements en apprentissage. Il reste que, mobilisé et déployé de différentes manières, le dispositif prépa apprentissage pâtit d’un point aveugle : l’absence d’un pilotage territorialisé qui aurait permis un positionnement optimal par rapport aux capacités et besoins des territoires.
En savoir plus
[1] T. Capelier (coord.), groupe Amnyos, Évaluation du dispositif « Prépa apprentissage » : Rapport transversal des monographies de projets – Lots 1 et 2, Rapport d’études, Dares, n° 51, 2023.
[2] N. Farvaque, « Préparer les demandeurs d’emploi à la formation : Les logiques des dispositifs «Prépa» au cœur du PIC », Éducation Permanente, 232, 2022.
[3] N. Farvaque (coord.), J. Pelletier, M.-H. Toutin, E. Crovella, L. Mokkedem, B. Cart, Étude sur les ruptures de contrats dans l’apprentissage en Île-de-France, Rapport pour l’Institut Paris Région et la Drieets Île-de-France, 2024.
[4] A. Fauchon, « Ruptures des contrats d’apprentissage : quelles évolutions depuis la réforme de 2018 ? », Dares Analyses, n° 43, juillet 2024.
[5] L. Lima, M. Morel, « L’appel à projets Prépa-apprentissage : quel bilan ? », note de la Dares, Pôle évaluation du Plan d’investissement dans les compétences, 2023.
[6] N. Farvaque (Orseu) coord., E. Crovella (Itinere Conseil) coord., M.H. Toutin (centre associé au Céreq de Lille), Évaluation du dispositif « Prépa apprentissage » : Rapport transversal des monographies de projets – Lots 3 et 4, Rapport d’études Dares, n° 52, 2023.