Céreq Bref, n° 380, Septembre 2019, 4 p.

Prévenir le décrochage : une comparaison entre lycées professionnels et CFA

Publié le
2 Septembre 2019

La prévention du décrochage occupe une place importante dans l'enseignement professionnel, lui-même fonctionnant comme une filière de « raccrochage » pour de nombreux collégiens en difficultés scolaires. Les CFA et les lycées professionnels, au-delà de leurs similitudes, n'ont cependant pas affaire aux mêmes types de ruptures de parcours.

Une enquête menée auprès des deux types d'établissements permet de différencier deux conceptions du décrochage, et d'identifier plus finement les leviers de prévention selon les voies de formation.

La catégorie « décrochage scolaire »1   tend à s’imposer en France depuis la fin des années 2000 pour désigner les sorties prématurées du système éducatif dans le secondaire (collège, lycée) et, par extension, dans l’enseignement supérieur. Simultanément, l’institutionnalisation de la lutte contre le décrochage consacre l’obtention d’un diplôme comme norme d’achèvement d’une scolarité normale [1]. Mais qu’en est-il de cette norme dans l’enseignement professionnel ? La question est d’autant plus cruciale que la majorité des décrocheurs sont issus des lycées professionnels (LP) et des centres de formation d’apprentis (CFA), lesquels ont en commun de constituer des filières de remédiation pour nombre de collégiens en rupture avec la forme scolaire académique. Au-delà de cette proximité des publics, les deux types d'établissements offrent cependant des parcours de formation différents, qui n'impliquent pas les mêmes formes de décrochage.

Une enquête sur la prévention du décrochage conduite dans deux LP et deux CFA de la métropole marseillaise fait ressortir une nette différence dans l'approche du phénomène selon ces deux filières de la formation professionnelle initiale. En LP, le décrochage s’apparente en effet en grande partie à l’échec scolaire [2] et sa prévention privilégie la lutte contre l’absentéisme.

En CFA, la question du décrochage apparaît avec les résiliations de contrats d'apprentissage, dès lors qu'elles entraînent l'arrêt du parcours de formation. Les actions de prévention privilégient de ce fait l'amélioration des relations du CFA avec les entreprises. Entre les deux filières de la formation professionnelle initiale, les différences de statut – scolaire pour les élèves de LP, salarié pour les apprentis – conditionnent tant la conception du décrochage que l’action collective en matière de prévention.

  • 1Selon le Code de l'éducation (art. L313.7), sont considérés comme décrocheurs les « jeunes sortant sans un diplôme national ou un titre professionnel enregistré et classé au répertoire national des certifications professionnelles du système de formation initiale ».

Le décrochage, plus qu'une question scolaire

Entre LP et CFA, les différences de statut entraînent deux régimes de responsabilité juridique à l’égard des jeunes sensiblement différents, et deux rapports distincts à l'alternance. Relevant du service public de l’Éducation nationale, les lycéens sont sous la responsabilité directe d’un établissement qui a pour mission de les préparer à obtenir un diplôme professionnel leur permettant de s’insérer dans la vie active et/ou de poursuivre leurs études. Cette responsabilité s’étend à l’ensemble de la scolarité, qu'il s'agisse des périodes d'enseigne-ment scolaire comme des périodes de formation en entreprise. Il en va différemment des CFA dans la mesure où l’apprentissage repose sur un régime de responsabilité fondé sur une logique contractuelle (contrat d’apprentissage). Dès lors, l’apprenti est placé dans un rapport de subordination particulier vis-à-vis de son employeur, lequel est responsable de sa formation tant dans l’entreprise qu’au CFA. L’importance du temps passé en entreprise, le plus souvent à raison de deux semaines de travail pour une semaine de cours, achève de donner à la qualité de vie – ou de formation – au travail une importance cruciale. Dans les LP, l’alternance occupe une place moindre dont témoigne la brièveté des périodes en entreprises (12 à 16 semaines sur deux ans pour les CAP et 22 semaines sur trois ans pour les bacs pro). De ce fait, au regard de la question du décrochage, ces stages ne sont considérés ni comme des périodes à risque, ni comme des leviers de prévention, sauf dans la mesure où ils permettent de confirmer ou d'infirmer les choix d’orientation des élèves.

Les apprentis face au décrochage, quand l'emploi joue contre le diplôme

L'enquête à laquelle a été associé le Céreq montre que les équipes de formateurs des CFA n'utilisent pas la notion de décrochage, sauf lorsque le contrat d’apprentissage est résilié « sans suite », c'est-à-dire sans conclusion d'un nouveau contrat. Les actions de prévention conduites par les CFA concernent donc le suivi de ces résiliations, spécialité par spécialité, en distinguant taux bruts et taux nets (ruptures de contrats d’apprentissage vs ruptures de parcours d’apprentissage par résiliation « sans suite contractuelle », rapportés à l'ensemble des contrats en cours). Ce suivi permet d'identifier les causes des résiliations, d’abord liées à la qualité des relations entre apprentis et employeurs, et au décalage qui peut exister entre les conditions réelles du travail en entreprise et les représentations que s’en faisait le jeune a priori. Ce décalage explique les ruptures précoces qui interviennent souvent en période d’essai. Il est aggravé dans les secteurs d'activité marqués par un déficit d’attractivité et de mauvaises conditions d’emploi, qui engendrent démotivation et problèmes de comportement chez les apprentis (retards, absences, manque d’implication dans le travail). La tension qui en résulte dans les rapports avec les employeurs incite nombre d'entre eux à résilier leur contrat, d’autant plus quand le marché du travail de leur spécialité de formation ménage des opportunités contractuelles, a fortiori la perspective d’intégrer le marché interne d’une entreprise. Au-delà de cette approche par les résiliations de contrat, une autre conception, minoritaire, s'intéresse aux apprentis qui n'obtiennent pas le diplôme préparé. Dans le CFA interprofessionnel par exemple, les taux de réussite sont très élevés, sauf dans certaines spécialités pour lesquelles le travail peut concurrencer la formation, certains employeurs cédant à la tentation, en cours de cursus, d’embaucher à temps plein un apprenti qu’ils souhaitent fidéliser. Ici la certification est sacrifiée à la conclusion immédiate d'un contrat de travail ordinaire.

En lycée professionnel, des sorties « sans solutions » aux diplômés sans emploi

En lycée professionnel, si les décrocheurs sont bien définis comme les élèves sortants sans diplôme, leur suivi convoque généralement d'autres définitions. Pour le LP labellisé « lycée des métiers » et situé hors REP, sont considérés comme décrocheurs les élèves sortis sans certification et sans orientation vers une formation. Pour le LP situé en REP+, seuls sont considérés comme décrocheurs les élèves sortis « sans solution » en matière d’éducation, de formation ou d’emploi au cours de l’été suivant l’année scolaire. Cette définition du décrocheur a été adoptée par la communauté éducative au fil des ans en raison de son caractère opérationnel. Elle est proche de celle du NEET, jeune ni en emploi ni en formation, bien que ce dernier puisse théoriquement être un jeune diplômé, contrairement au décrocheur. Dans chaque établissement, l’échec scolaire étant identifié comme cause principale du décrochage, les actions de repérage et de prévention portent sur les absences, la discipline (sanctions et punitions), les ruptures de scolarité (abandons, exclusions par le conseil de discipline) et les réorientations en cours d’année.

Dans les deux cas, l’expression de la responsabilité de l’établissement vis-à-vis des élèves dépasse le cadre juridique des missions et obligations dévolues à tout lycée professionnel, et fonde la mobilisation de la communauté éducative dans la lutte contre le décrochage. Ainsi, par exemple, en accord avec les enseignants concernés, la direction du LP situé en REP+ a fait le choix de restructurer son CAP commerce, que tous les élèves réussissent parce que c’est l’un des plus accessibles, mais sans trouver de travail ensuite. L’expérimentation mise en place consiste à recentrer la première année du CAP sur les enseignements relatifs à l’apprentissage du métier lui-même, et à consacrer la seconde année à un travail sur l’employabilité des élèves, en partenariat avec les entreprises du bassin d’emploi et les acteurs du service public local de l’emploi (Pôle Emploi, Mission locale).

La prévention, un enjeu de construction collective

Dans les deux filières de formation, le décrochage fait l'objet d'une réflexion collective qui guide les actions de prévention, mais tous les membres des communautés éducatives n'y participent pas à parts égales. Au sein des LP, cette réflexion se construit notamment dans le cadre opérationnel des groupes de prévention du décrochage scolaire (GPDS), chargés de suivre la situation des élèves pris dans des processus d’absentéisme et de décrochage. Dans les CFA, elle est engagée à la fois par la direction à travers sa stratégie managériale, et par la Région et/ou les branches professionnelles dans le cadre des référentiels de qualité qu'elles promeuvent. Dans les deux cas cependant, les interlocuteurs rencontrés pointent le déficit de capitalisation et de mutualisation des savoirs expérientiels des diverses parties prenantes, qui limite cette réflexion collective. Ce défaut de capitalisation est particulièrement évoqué par les enseignants, qu’ils soient demandeurs d’échanges et se sentent parfois livrés à eux-mêmes, ou qu’ils s’opposent au contraire à toute intrusion de leur direction.

En LP, où le décrochage est majoritairement conçu comme l'aboutissement d'un processus d'absentéisme, l’action de prévention accorde une place centrale au repérage, à la gestion et au suivi des absences, la priorité absolue étant de garder les élèves au sein des établissements. Dans cette perspective, les deux LP enquêtés mettent en œuvre une approche systémique visant les causes du décrochage, par l'articulation de deux modalités de prévention, primaire et secondaire, qui permettent d'agir à différentes échelles.

La prévention primaire regroupe les actions déployées à la triple échelle, des classes, des établissements et du bassin de formation. Dans les classes, nombre d’enseignants considèrent de leur responsabilité d’anticiper les situations de démotivation des élèves, de rendre leurs enseignements plus attractifs et moins académiques, ou encore d’occuper la fonction de professeur principal, décisive pour la coordination du suivi des élèves en difficulté. Au niveau des établissements, différents types d’actions sont engagés sous la houlette des proviseurs pour améliorer la scolarité des lycéens et renforcer l’attractivité des études : suivi quotidien de la scolarité des élèves par un quatuor référent (professeur principal, CPE, assistant d’éducation, proviseur) ; accompagnement personnalisé par les enseignants ; soutien scolaire par les assistants d’éducation ; sécurisation des espaces et pacification du climat scolaire (agents d’accueil, assistants d’éducation, CPE) ; organisation de projets interdisciplinaires innovants. Les équipes péri-enseignement (direction, administration, vie scolaire, pôle santé-social-orientation) sont très étoffées, particulièrement en REP. À l’échelle du bassin de formation, l’objectif est de réduire l’orientation subie (massive chez les élèves de LP), et de favoriser, le cas échéant, les réorientations (actions d’information dans les collèges environnants, journées portes ouvertes au sein des établissements, entretiens préalables aux inscriptions administratives, stages passerelles). Autant d'actions visant à corriger les dysfonctionnements des mécanismes d'orientation post-collège, affectant les élèves en difficulté en fonction des possibilités de filières et de niveaux offertes localement, au détriment de leur intérêt pour la formation.

La prévention secondaire porte sur les situations individuelles des élèves. Elle regroupe les actions de suivi des absences par les CPE et assistants d'éducation (contrôle des entrées et sorties, suivi des absences en temps réel, relations étroites avec les familles), et le suivi rapproché des décrocheurs par le groupe de prévention du décrochage scolaire. L'objectif est alors d'éviter que des élèves se retrouvent sans solution en matière de formation ou d’emploi (orientation sur l’apprentissage, la Mission locale ou Pôle emploi), et que les situations de décrochage ne conduisent à des ruptures de scolarité.

Dans les CFA, l’encadrement institutionnel de la prévention du « décrochage » ne relève pas du rectorat mais du conseil régional et les équipes péri-enseignement sont réduites. La priorité étant donnée à la prévention des résiliations « sans suite », les « développeurs » – en charge du démarchage des employeurs en vue de conclure des contrats d’apprentissage – sont en première ligne. Leur action préventive, alimentée par les visites d’entreprises et les données relatives aux résiliations, débouche sur le repérage d’entreprises susceptibles de concentrer davantage de ruptures contractuelles afin d'éviter d'y envoyer les jeunes.

L’action préventive peut être facilitée par l’inscription du CFA dans un espace sectoriel. Ainsi, le CFA de branche bénéficie des ressources diversifiées des instances professionnelles. Celles-ci peuvent être de nature financière (aides aux apprentis en matière de transport et de logement), mais aussi d’ordre relationnel (telle une coopération d’acteurs partenaires sur le territoire, qui favorise la coordination avec les employeurs). Ces ressources peuvent enfin être d'ordre cognitif, tels des outils de liaison avec les maitres d’apprentissage, la mutualisation d’expériences relatives à la formation en situation de travail, des statistiques comparatives sur les résiliations permettant à chaque établissement de se situer régulièrement dans son espace sectoriel de référence. À l’inverse, le CFA interprofessionnel enquêté se trouve relativement isolé et soumis à la concurrence « déloyale » d’autres dispositifs de formation, moins coûteux pour l’employeur qu’un contrat d’apprentissage, comme les stages diplômants financés par la Région. Une situation qui conduit la direction du CFA interprofessionnel à se rapprocher d’une branche, et à développer une stratégie de labellisation fondée sur l’adoption du référentiel qualité RE.S.E.A.U (Responsabilité Sociale et Environnementale pour l’Apprenant-Usager) promu par la Région. Ce référentiel définit des normes concernant les services rendus aux apprentis en matière d’accueil, de suivi-accompagnement et donc de relations avec les employeurs. Ainsi, par exemple, une procédure de pré-inscription par internet ouvre la possibilité de renforcer sensiblement l’information des candidats à l’apprentissage sur la réalité des métiers visés en vue de prévenir les résiliations précoces. Ces normes se doublent de l'impulsion de démarches qualité dans les CFA, qui s'appuient sur une ingénierie pédagogique renouvelée en vue d’un suivi plus individualisé et d’une recomposition des compétences des formateurs, notamment pour les matières générales.

 

Au regard des récentes réformes de l’apprentissage (loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel) et de l’enseignement professionnel (loi pour une École de la confiance), quelles perspectives en matière d’action publique peuvent être dégagées de ces résultats ? Le fait que la responsabilité de l’apprentissage incombe désormais principalement aux branches professionnelles, et donc aux employeurs, plaide en faveur de la mise en place de règles garantissant une formation en entreprise de qualité, via une vigoureuse prévention de certaines pratiques déviantes des entreprises, et une plus grande implication des employeurs dans le conseil d’administration et le conseil de perfectionnement des CFA. Certaines branches montrent la voie en ce sens, d’autres en restent très éloignées. En outre, l’idée d’un rapprochement des deux voies de formation au sein des lycées professionnels invite à faire en sorte que, quels que soient leurs statuts et leurs établissements, les jeunes bénéficient de services d’accompagnement répondant à des normes de qualité fondées sur un suivi individualisé. De même, il importe manifestement de jouer à plein des marges de manœuvre ouvertes par les nouveaux référentiels de diplôme en vue de renforcer l'interaction des matières générales avec les enseignements professionnels. Enfin, la concentration en LP et en CFA des situations d'orientation par défaut, sources majeures du désengagement et de la démotivation qui conduisent au décrochage, invite à renforcer les actions en faveur de l'orientation choisie.

Pour en savoir plus

[1] Le décrochage scolaire, P.- Y. Bernard, PUF, collection QSJ, 2011.

[2] « Qui décroche? », C. Afsa, Éducation et formations, n°84, 2013.

[3] Entre approche systémique et tentation panoptique : la prévention du décrochage scolaire dans un lycée professionnel des Quartiers nord de Marseille, C. Guitton, monographie d’établissement, Céreq-Lest, 2018.

[4] « Tous mobilisés contre le décrochage scolaire. Variations autour d’un mot d’ordre national », D. Maillard, F. Merlin, M. Olaria et al., Céreq Bref n°354, 2016.

[5] « La catégorie de « prévention » du décrochage scolaire dans trois systèmes éducatifs différenciés. De la question de l’élève à la gestion des personnels », D. Maillard, Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 51, n° 3, p.11-36, 2018.

[6] « Sur fond d’inconséquences institutionnelles et politiques, quels régimes d’action territoriale contre le décrochage scolaire ? », E. Verdier, Formation Emploi n°144, p. 117-131, 2018.

Citer cette publication

Guitton Christophe, Kornig Cathel, Verdier Eric, Prévenir le décrochage : une comparaison entre lycées professionnels et CFA, Céreq Bref, n° 380, 2019, 4 p. https://www.cereq.fr/prevenir-le-decrochage-une-comparaison-entre-lycees-professionnels-et-cfa