Céreq Bref, n° 397, Novembre 2020, 4 p.

Professions intermédiaires des entreprises : les raisons d’une envolée des diplômes

Publié le
26 Novembre 2020

Agents de maîtrise, techniciens, commerciaux, administratifs et gestionnaires : les professions intermédiaires des entreprises connaissent une élévation sensible de leurs niveaux de diplôme au cours des 25 dernières années. Ce mouvement traduit la dynamique propre de l’offre de certifications, reflet de la hausse généralisée des niveaux d’éducation, mais il s’explique également par les transformations de l’emploi et des métiers exercés par les professions intermédiaires des entreprises.

Dans sa nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), l'INSEE situe les professions intermédiaires entre les cadres et les ouvriers ou employés. Ces professions constituent une catégorie aussi importante en termes d’emplois (7 millions en 2018, soit 26 % de l’emploi total) qu’hétérogène en termes de métiers, avec pas moins de sept catégories différentes (voir graphique 1). Trois d’entre elles regroupent les professions intermédiaires des entreprises, qui concernent 4,5 millions d’emplois (56 % de la catégorie) et font l’objet de ce Céreq Bref : les contremaîtres et agents de maîtrise, les techniciens, et les professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises (PIACE).

Les professions intermédiaires dans leur ensemble se caractérisent par un niveau de diplôme relativement élevé : en 2018, 62 % ont un diplôme du supérieur (de niveau bac + 2 ou plus), en raison notamment du poids des professions réglementées parmi les professions intermédiaires de l’enseignement, de la santé et du travail social[1]. Si l’on s’intéresse aux professions intermédiaires des entreprises sur la période 1994 – 2017, la part des diplômés du supérieur est moindre (48,5 % en 2017) mais elle augmente sensiblement au fil du temps, particulièrement pour les jeunes, au regard de ce que l’on observe pour la totalité des salariés (voir graphique 2). Cette élévation résulte, certes, de la hausse généralisée du niveau d’éducation et de la dynamique propre à l’offre de certifications, mais elle tient également aux évolutions qui affectent tant l’emploi (tertiarisation, féminisation, démographie) que le travail au sein de ces professions (complexification des métiers, polyvalence des emplois, poly-compétence des salariés).

Une offre de certifications professionnelles tirée vers le haut

Au cours des années 1960-1980, la caractéristique commune aux différentes catégories de professions intermédiaires est le niveau de formation théoriquement requis pour y accéder : les diplômes de l’enseignement supérieur professionnel court (bac + 2), qui correspondent au niveau 5 de la nouvelle nomenclature des niveaux de formation (NNF*). La création du brevet de technicien supérieur (BTS) et du diplôme universitaire de technologie (DUT) au début des années 1960 répondait à la nécessité de pallier le déficit de techniciens par la création d’un « corps intermédiaire de salariés, placés entre l’ouvrier-exécutant-producteur et l’ingénieur-cadre-concepteur » [2]. La création de filières professionnelles courtes poursuivait également deux autres objectifs : permettre aux bacheliers technologiques d’accéder à l’enseignement supérieur, et offrir aux bacheliers généraux une alternative aux études longues. Le premier de ces objectifs sera au final loin d’être pleinement atteint, en partie du fait de la réalisation du second, les filières courtes étant massivement investies par les bacheliers généraux.

La création des licences professionnelles (LP), en 1999, s’inscrit simultanément dans la mise en œuvre de l’architecture européenne de l’enseignement supérieur, le LMD (licence-master-doctorat), et dans le processus de professionnalisation de l’enseignement supérieur français. Les licences professionnelles ont connu une expansion rapide (près de 3 000 ouvertures depuis 1999) ; on dénombre 1 523 LP actives en 2017. L’installation des licences professionnelles dans le paysage des certifications a plusieurs conséquences : elle étend au niveau 6 (bac + 3) l’offre de diplômes professionnels ciblée sur les professions intermédiaires, et ce faisant, incite les titulaires de DUT et de BTS à la poursuite d’études, ce qui limite les sorties directes vers le marché du travail au niveau 5 (bac + 2). Elle provoque également une tendance à l’alignement des diplômes de l’enseignement professionnel supérieur court (niveau 5) sur le niveau licence (niveau 6), ce dont témoigne la création récente du diplôme de bachelor universitaire de technologie (BUT), positionné au niveau 6 (bac + 3) dans le prolongement des DUT.

Le développement de l’offre de certifications ciblée sur les professions intermédiaires au niveau 6 (bac + 3) constitue la manifestation, dans le champ de l’enseignement professionnel, du mouvement plus général de hausse des niveaux d’éducation engagé en France à partir des années 1960 (augmentation des taux de scolarisation, allongement des durées d’études, massification de l’enseignement supérieur). Ce mouvement, qui reflète la centralité du diplôme en France, est une conséquence des choix opérés par les gouvernements successifs en matière de politique éducative au cours des années 1980-1990 (80 % d’une classe d’âge au niveau du bac, 60 % d’une génération dans le supérieur), relayés au cours des années 2000 par des réformes communautaires comme le LMD. Cette hausse des niveaux d’éducation relève d’une logique propre au système éducatif, faiblement articulée à l’évolution de l’économie. « L’inflation scolaire » [3] qui en résulte, source de déclassement en cascade [4], ne suffit cependant pas à rendre compte de l’élévation des niveaux de diplômes des professions intermédiaires des entreprises, laquelle s’explique également par les transformations de l’emploi et des métiers.

Des emplois de plus en plus tertiaires et féminins

Porté par la tertiarisation de l’économie, le dynamisme des professions intermédiaires des entreprises se vérifie tout particulièrement pour les PIACE et les techniciens. En 25 ans (1994-2017), les PIACE connaissent une forte augmentation (+ 61 %), pour l’essentiel dans les services. Les techniciens connaissent également une forte croissance (+ 59 %). Historiquement présents dans l’industrie et la construction, ils se développent dans le tertiaire, au point d’en faire le premier secteur pourvoyeur d’emplois de techniciens en 2017, devant l’industrie. Cette hausse des effectifs des PIACE et des techniciens est largement supérieure à celle observée pour l’ensemble de l’emploi salarié au cours de la même période (+ 35 %). Toutefois, le développement des services profite également aux agents de maîtrise, dont les effectifs, pour leur part, se maintiennent (+ 9 %), mais avec une répartition désormais à peu près équivalente entre industrie et services. Alors que l’emploi diminue dans l’industrie pour l’ensemble des catégories de professions intermédiaires des entreprises, la tertiarisation de l’économie fait ainsi plus que compenser ce déclin et explique le dynamisme de cette catégorie sur la durée.

Au plan sociodémographique, la tertiarisation des professions intermédiaires des entreprises se traduit par deux évolutions marquantes qui les distinguent des salariés dans leur ensemble [5]. La féminisation de ces professions s’opère à un rythme plus rapide que pour les autres catégories socioprofessionnelles, portée par l’augmentation de la part des femmes parmi les PIACE (de 48 % en 1994 à 57,2 % en 2017). Mais la féminisation gagne également les autres catégories de professions intermédiaires des entreprises : après avoir longtemps stagné autour de 10 %, la part des femmes parmi les techniciens et agents de maîtrise est en augmentation (respectivement 14,4 % et 14,3 % en 2017) en raison de la progression du secteur tertiaire, plus accessible aux femmes que l’industrie et la construction. La seconde évolution concerne le vieillissement, qui touche moins directement les professions intermédiaires des entreprises que les salariés du secteur privé dans leur ensemble. La part des jeunes (moins de 30 ans) reste stable (20,4 % en 1994 pour 19,3 % en 2017). Sur la même période, la part des jeunes parmi l’ensemble des salariés diminuait sensiblement (de 25 % à 19,7 %). De même, alors que les seniors (50 ans et plus) sont de plus en plus nombreux parmi les salariés du secteur privé (de 15 % en 1994 à 29 % en 2017), l’augmentation de leur part parmi les professions intermédiaires des entreprises est moindre (+ 9 points sur la même période).

La tertiarisation, la féminisation et la démographie ne sont pas sans incidences sur les niveaux de diplôme. En effet, les jeunes étant plus diplômés que les seniors et les filles à la fois plus diplômées que les garçons et plus nombreuses dans les services, l’évolution sociodémographique des professions intermédiaires des entreprises contribue à expliquer l’élévation des niveaux de diplômes, accentuant ainsi le risque de déclassement auquel sont confrontées de longue date les jeunes femmes en particulier [6].

Une complexification et une diversification des compétences

L’enquête sur les professions intermédiaires des entreprises (EPIE, voir encadré 3) a mis en évidence une complexité des métiers qui renvoie à deux caractéristiques communes à ces professions :
- L’interpénétration, plus ou moins marquée selon les métiers, des dimensions managériale, technique, commerciale, administrative et gestionnaire qui accroît la tendance à la polyvalence fonctionnelle des emplois et requiert une forme de poly-compétence de la part des salariés,
- La position d’interface des professions intermédiaires au sein des organisations, entre conception et exécution, entre management et opérateurs, entre entreprises, fournisseurs et clients, qui nécessite des compétences et qualités professionnelles spécifiques.

La complexité de la professionnalité de ces salariés tient au fait qu’elle repose sur un triptyque : un socle de « compétences-métier » qui fonde leur expertise technique ; un ensemble de « compétences transversales », notamment relationnelles, qui déterminent leur capacité à exercer des fonctions d’encadrement de proximité ou de conduite de projet, à gérer la relation de service avec les clients ou encore à jouer un rôle de relais de la direction dans la transmission de l’information et la conduite du changement ; un ensemble de « qualités professionnelles » qui déterminent leur capacité à faire preuve d’autonomie, d’initiative et de responsabilité dans la conduite de leur activité et la gestion des interfaces.

Ces trois registres de professionnalité tendent à se complexifier. Les compétences-métier évoluent à un rythme plus ou moins rapide en fonction de la diversification, de la transformation et de la numérisation des activités de travail. Quant aux compétences transversales et aux qualités professionnelles, elles revêtent une importance d’autant plus grande que les entreprises sont engagées dans des processus de changement quasi permanents dont les professions intermédiaires sont tout à la fois les destinataires et les relais du fait de leur position d’interface entre management et opérateurs.

Des jeunes recrutés majoritairement à bac+3 et plus

Les entreprises font face à l’évolution des compétences en accordant notamment une part accrue au diplôme dans leur stratégie d’alimentation des emplois. Le recours au marché interne, via des mobilités promotionnelles d’ouvriers et d’employés ou des changements d’emploi au sein de la catégorie, reste de loin le principal mode d’alimentation des professions intermédiaires des entreprises. De ce fait, l’accès des sortants du système éducatif à ces professions demeure limité (entre 20 % et 50 % selon les métiers) [7].

L’enquête EPIE a permis d’observer que le recours au marché interne fait une place centrale au niveau de formation des salariés, ce dont témoignent en particulier les mobilités de « rattrapage » de jeunes « déclassés » au moment de leur recrutement, à l’image des jeunes techniciens supérieurs titulaires d’un BTS ou d’un DUT et embauchés initialement comme ouvriers ou employés. Au sein des grandes entreprises, notamment industrielles, ces mobilités promotionnelles s’accompagnent parfois de la mise en place de parcours de formation diplômants ou certifiants. L’appel au marché externe se traduit, quant à lui, par des recrutements à des niveaux de diplômes plus ou moins élevés en fonction des compétences requises (du bac au master) et des choix opérés en interne en matière de formation continue et de professionnalisation. Alors que la norme théorique d’accès aux professions intermédiaires se situe historiquement au niveau 5 (BTS, DUT), les recrutements de jeunes débutants se font désormais majoritairement au niveau 6 (licence professionnelle) et 7 (master).

L’inclination des entreprises pour les diplômes de l’enseignement supérieur long s’explique avant tout par leur « effet de signal ». Que le poste à pourvoir soit ouvert à la mobilité interne ou à un recrutement externe, le fait que les candidats soient diplômés de niveau 6 ou 7 constitue une forme d'assurance pour l’entreprise qu’ils détiennent les compétences transversales et qualités professionnelles requises par la spécificité des emplois relevant des professions intermédiaires. Les évolutions technologiques et organisationnelles jouent pour beaucoup dans cette représentation, dans la mesure où elles constituent des facteurs de transformation permanente des métiers nécessitant tout à la fois des compétences techniques précises et des capacités plus générales d’adaptation, d’apprentissage et d’évolution. Recruter des jeunes a priori surqualifiés illustre parfaitement ce parti pris. Les employeurs tendent à privilégier les compétences transversales et les qualités professionnelles dont le « niveau » (bac + 3, bac + 5) est réputé témoigner, et confient à la politique de formation et de professionnalisation de l’entreprise le soin de transmettre les compétences-métier requises par les postes. Une autre explication, complémentaire, a trait à la gestion des parcours professionnels sur les marchés internes des entreprises, pour lesquelles le recrutement de jeunes surdiplômés vise parfois à constituer un vivier de « potentiels » dans une perspective d’évolution de carrière (passage au statut de cadre). Ainsi le fait que certaines entreprises, notamment les plus grandes, mettent en œuvre des stratégies de gestion des carrières fondées sur la mobilité interne contribue à favoriser les recrutements à des niveaux de diplômes plus élevés que ceux requis par les postes.

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Aussi, l’élévation des niveaux de diplômes des professions intermédiaires des entreprises n’est-elle pas seulement la conséquence mécanique de la hausse du niveau d’éducation et de la dynamique de l’offre de certifications. Elle ne peut se comprendre qu’à la lumière des évolutions structurelles qui affectent l’emploi et le travail de ces professions, ainsi que la gestion des ressources humaines des entreprises. Ce qui pose à nouveau la question de la reconnaissance sociale de ces professions, en termes de rémunérations et de perspectives de carrière. Un enjeu récurrent pour les salariés et leurs organisations syndicales.

 

3. L’Enquête sur les Professions Intermédiaires en Entreprises (EPIE)
Le programme EPIE, piloté par le Céreq entre 2010 et 2012, avait pour objectif d’appréhender les transformations du travail et du management en entreprise au prisme des professions intermédiaires, catégorie en position névralgique d’interface au sein des organisations. Combinant données statistiques, revues de littérature et enquêtes en entreprises, le programme a permis d’étudier une soixantaine de métiers dans une trentaine d’entreprises : chef d’atelier de la construction automobile, manager de la restauration rapide, technicien logistique dans l’industrie aéronautique, technicien-développeur au sein d’une société de services informatiques, conseiller commercial dans une concession automobile… Depuis la parution d’un ouvrage collectif [1], l’enquête EPIE a donné lieu à plusieurs approfondissements sur des thématiques comme le rôle de l’entreprise dans la professionnalisation des salariés [2], les tensions inhérentes à la position d’interface des professions intermédiaires au sein des organisations [3], les régimes d’alimentation des emplois et de professionnalisation des salariés [4] ou encore l’accès promotionnel à la catégorie spécifique des agents de maîtrise.
[1] Les professions intermédiaires. Des métiers d’interface au cœur des entreprises, Cadet J.-P. et Guitton C. (dir.), Armand Colin, coll.Recherches, 2013.
[2] « Le rôle des entreprises dans la professionnalisation des salariés : la situation des professions intermédiaires », Guitton C., in « Les synergies travail-formation », Education Permanente, Hors série AFPA, p. 28-37, 2014.
[3] « Les professions intermédiaires en butte à d’importantes transformations et tensions au travail », Cadet J.-P., Conjard P., Gillet A. et Guitton C., Cahiers de recherche sur l’éducation et les savoirs, Hors-série, n°6, 2016.
[4] « Normes de qualification et conventions de professionnalisation. De la mesure de la relation formation-emploi à l’observation des relations formation-emploi-travail », Guitton C. et Molinari M. , in Sélections : du système éducatif au marché du travail, Actes des 26è Journées du longitudinal, Céreq Echanges n°16 (à paraître).

Pour en savoir plus

[1] « Les professions intermédiaires », V. Forment et J. Vidalenc, Insee Focus, n°185, février 2020.
[2] « Le positionnement du BTS au regard des évolutions de l’emploi et des transformations de l’enseignement supérieur », Panazol J-M., CPC Infos, n°48, 2009.

[3] L’inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, M. Durut-Bellat, Paris, Seuil, coll. La République des idées, 2006.

[4] « Le déclassement, un phénomène enraciné », Di Paola S. et Moullet S. in Vingt ans d’insertion professionnelle des jeunes : entre permanence et évolutions, T. Couppié, A. Dupray, D. Epiphane et V. Mora (dir.), Céreq Essentiels, n°1, 2018.

[5] « Les professions intermédiaires des entreprises : une catégorie dynamique, en prise directe avec les transformations du travail et du management », J.-P. Cadet, A. Delanoë et C Guitton, Revue Regards, n°55, 2019.

[6] « Diplôme et insertion sur le marché du travail : approches socioprofessionnelle et salariale du déclassement », E. Nauze-Fichet et M. Tomasini, Economie et Statistique, n°354, 2002.

[7] « Insertion des sortants de formation initiale et alimentation des professions intermédiaires », C. Guitton et M. Molinari, in Les professions intermédiaires. Des métiers d’interface au cœur des entreprises, J.-P. Cadet et C. Guitton (dir.) Armand Colin, coll. Recherches, 2013.

Citer cette publication

Delanoë Anne, Cadet Jean-Paul, Guitton Christophe, Professions intermédiaires des entreprises : les raisons d’une envolée des diplômes, Céreq Bref, n° 397, 2020, 4 p. https://www.cereq.fr/professions-intermediaires-des-entreprises-les-raisons-dune-envolee-des-diplomes