Quelle certification des compétences transversales en France ?
Depuis la loi du 23 avril 2005, les programmes de l'enseignement obligatoire sont définis à partir d’un « socle commun de connaissances et de compétences ». Renouvelé et enrichi par la loi de 2013, ce socle est la traduction française des recommandations européennes en matière de compétences transversales. A l’occasion du projet européen Track-Vet, une équipe du Céreq s’est penchée sur la façon dont ces compétences sont spécifiées et validées dans le cadre de l'enseignement et de la formation professionnels français.
Depuis le milieu des années 1990 environ, des travaux circulent au niveau européen soulignant le rôle des compétences transversales dans l’insertion, le maintien dans l’emploi et plus largement la construction de la citoyenneté. Issus d'organismes internationaux (notamment l’OCDE), ils inspirent des recommandations européennes en 2006 et 2018 (cf. Encadré 2), qui définissent les compétences transversales comme « celles nécessaires à tout individu pour l'épanouissement et le développement personnels, la citoyenneté active, l'intégration sociale et l'emploi ». Les systèmes de formation nationaux sont invités à les développer, les formaliser, les évaluer et les valider pour permettre leur reconnaissance dans l’espace européen et ainsi favoriser l’accès de tous à une « formation tout au long de la vie ».
Dans le cadre de sa participation au projet Track-Vet (Transversal key skills - Vocational education and training - Cf. Encadré 1), le Céreq a étudié la certification, dans la formation professionnelle française (initiale et continue, hors enseignement supérieur), de quatre des huit compétences transversales définies par la recommandation européenne (Cf. Encadré 2). Certifier une compétence signifie en premier lieu l'énoncer sous forme de résultats à atteindre (ou d'acquis d'apprentissage, nommés au niveau européen learning outcomes). L'approche privilégiée par le projet se focalise davantage sur la formulation, dans les référentiels et les programmes, des compétences à acquérir, et sur les conditions de leur évaluation et de leur validation, que sur les contenus effectivement enseignés.
Ce Céreq Bref distinguera les enseignements généraux, les enseignements professionnels, et les dispositifs ou certifications spécifiques, chacun de ces registres formulant différemment les compétences transversales. Dans les matières générales ou communes aux différentes filières professionnelles* , les programmes ne sont pas encore totalement écrits en compétences, celles-ci étant plutôt mentionnées dans le cadre des savoirs disciplinaires. Dans le domaine professionnel, les référentiels formulent clairement ces compétences, mais leur attribuent une place connexe par rapport aux compétences techniques. En revanche, certaines certifications recensées au répertoire spécifique** , et certaines expérimentations ou dispositifs pédagogiques transdisciplinaires mis en œuvre dans l’enseignement secondaire (Cf. Encadré 4) sont exclusivement dédiés aux compétences transversales.
- * Arts appliqués et cultures artistiques, Français, Enseignement moral et civique, Prévention Santé Environnement, économie-droit pour les spécialités tertiaires et Économie-gestion pour les spécialités industrielles.
- **Répertoire spécifique : certifications et habilitations correspondant à des compétences complémentaires exercées en situation professionnelle (habilitations sécurité, certifications professionnalisantes, compétences transversales).
Des compétences transversales intégrées aux savoirs disciplinaires
Depuis la rentrée 2005, tout élève ayant achevé sa scolarité obligatoire est supposé avoir acquis les compétences transversales listées dans le socle commun de connaissances et de compétences (Cf. Encadré). Les programmes de chaque discipline sont désormais élaborés sur la base de ce socle [1], qui constitue en France la forme la plus manifeste de prise en compte des compétences transversales.
Les compétences énoncées dans le socle commun sont donc presque intégralement reprises dans les préambules des programmes des enseignements communs du lycée professionnel. Dans le contenu des programmes, elles sont formulées de manière à chaque fois singulière et parfois redondante. Elles peuvent être cependant difficiles à repérer, car elles apparaissent liées les unes aux autres et sous des catégories diverses : capacités, attitudes, compétences ou bien encore connaissances. A la seule lecture du programme, il est difficile de déterminer les compétences transversales qui feront l’objet d’un enseignement. Les inspecteurs généraux impliqués dans la rédaction de ces programmes notent également la difficulté à formuler ces compétences en tant que telles, du fait de l’importance accordée dans l'enseignement français aux savoirs disciplinaires. Une compétence peut ainsi être exclusivement prise en charge par un seul enseignement, son caractère transversal s'en trouvant alors relativisé. C’est le cas de « l’esprit d’entreprendre » au sens strict, totalement intégré aux programmes d’économie-gestion et économie-droit. Néanmoins, la formulation plus ou moins explicite de ces compétences dans les programmes ne dit pas tout de la manière dont on cherche à les développer dans le cadre scolaire. Les projets, les exposés, le travail en groupe, les débats, les réalisations ou encore le travail à partir de situations concrètes de la vie sociale et professionnelle (dans le cadre de l’enseignement de Prévention-Santé-Environnement par exemple), sont en effet autant de formes pédagogiques particulières mises en œuvre pour les développer (Encadré 4).
L'évaluation, dans les enseignements généraux des diplômes professionnels, des quatre compétences transversales évoquées ici posent également question. Ces enseignements (Eco-gestion, Histoire - Géographie - Enseignement civique et moral) sont en effet évalués le plus souvent par l’écrit qui, s'il se prête à l’évaluation de questions de cours ou de la pratique écrite de la langue, semble moins adapté à ce type de compétences. Quant aux évaluations orales de ces enseignements, les critères énoncés sont généralement relatifs à l’expression orale ou dans un champ disciplinaire donné, dont il faut maîtriser les savoirs et le vocabulaire. Les épreuves d'évaluation orale d’Histoire - Géographie - Enseignement civique et moral sont définies par une fiche comportant les critères suivants : « utiliser un vocabulaire historique ou géographique », « mobiliser des connaissances disciplinaires », « montrer sa compréhension de la situation historique ». Peu de références apparentes donc à des compétences civiques, comme le souligne une Inspectrice d’histoire-géographie. Certes, le programme de l’enseignement moral et civique dans sa version de 2015 formalise davantage ces compétences. Pourtant, de la formation du citoyen au développement et à l'évaluation des « compétences civiques », il y a un pas qui n’est pas nécessairement franchi.
1. Le projet européen TRACK-VET et l'enquêteLe projet européen Track-Vet (2017-2020) a rassemblé la Warsaw school of Economics (Pologne), l’Austrian Institute for Research on Vocational Training (Autriche), l’Institute for Labour and Social Research (Norvège), le Centre d'études et de Recherche sur les Qualifications (France), le National Institute for Certified Educational measurements (Slovaquie), la Matej Bel University Banska Bystrica (Slovaquie) et le National Centre for Education (Lettonie). Son objectif était de décrire, dans différents contextes nationaux, la manière dont les compétences transversales (nommées aussi compétences clés au niveau européen) sont formalisées, évaluées et validées dans l'enseignement professionnel secondaire et la formation continue. Pour la France, l’analyse a porté sur des certifications de nature très différentes, représentatives de celles reconnues par l’Etat (les diplômes, et les certifications inscrites au répertoire spécifique, dont CléA [3]) ; mais aussi sur des dispositifs pluridisciplinaires développés en marge des programmes scolaires. Dans ce cadre, ont été étudiés et analysés les initiatives pédagogiques, les cursus, les programmes et les référentiels de l’enseignement professionnel secondaire qui font référence à ces compétences. De plus, 25 entretiens ont été conduits auprès des acteurs du champ, institutionnels, chercheurs, enseignants, formateurs et partenaires sociaux.
|
Des compétences transversales au service des compétences « métiers »
Dans le cadre des enseignements professionnels, « les compétences entrepreneuriales » et les « compétences personnelles et sociales » sont fréquemment énoncées dans les référentiels. La formulation des compétences entrepreneuriales, envisagées au sens large de prise d’initiative, dépend en France du niveau de diplôme. En effet, l’espace de responsabilité et la part d’initiative augmentent avec le niveau visé. Ainsi le titulaire du CAP (niveau 3) est un « exécutant », « il applique, respecte les consignes, agit sous la responsabilité de... » et peut, au mieux, proposer des solutions ou aider à la décision. Cette compétence est plus souvent mentionnée dans les diplômes de niveau 4 (BP ou bac pro). Dans son sens le plus strict de capacité à entreprendre, elle apparaît également dans le cadre des diplômes visant par exemple l’exercice ou la reprise d’une activité artisanale (BP Boulanger, Coiffeur…), ou encore la gestion d’une unité de production. Elle demeure alors étroitement liée à la nature de l’activité professionnelle visée à l’issue du diplôme. Par ailleurs, l'épreuve écrite de gestion appliquée, censée permettre d'évaluer cette compétence, porte essentiellement sur des savoirs relatifs à l’environnement économique, juridique et sur des notions de management.
Les compétences dites sociales : « communiquer dans l’équipe de travail », « communiquer avec le client ou l’usager » sont plus souvent mentionnées. Dans les diplômes des « métiers de la relation », elles figurent au sein d’unités de certification comprenant également les gestes techniques de la coiffure ou de l’aide à domicile par exemple. Souvent associées à des compétences plus techniques, elles sont destinées à être évaluées de manière contextualisée (parfois à l’issue des périodes de formation en milieu professionnel), et au sein d’épreuves qui réservent la part belle aux compétences techniques. Certaines spécialités industrielles présentent un autre cas de figure : ces compétences sociales sont listées à part, sous le terme « d’attitudes professionnelles », et ne sont pas destinées à être évaluées, même si l'on reconnaît qu’elles sont nécessairement mobilisées en cours d’épreuve. Plus généralement, dans le cadre des référentiels professionnels, ces compétences sont formalisées différemment selon les spécialités (et parfois le niveau du diplôme) mais rarement de manière autonome, et peu évaluées. Elles sont en effet complètement mêlées à des compétences plus techniques et spécialisées, relatives aux métiers et aux emplois visés par le diplôme, et relèveraient davantage de ce fait de « postures professionnelles » [5].
2. Les compétences transversales et leur définition européenneEn 2006, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté une recommandation qui « a constitué un document de référence pour le développement d’une éducation, d’une formation et d’un apprentissage axés sur les compétences ». Révisée en 2018, elle définit huit compétences transversales nécessaires à l’éducation et la formation tout au long de la vie : compétences en lecture et écriture, compétences multilingues, compétences mathématiques et en sciences, technologie et ingénierie, compétence numérique, compétences personnelles et sociales et capacité d’apprendre à apprendre, compétences citoyennes, compétences entrepreneuriales, compétences relatives à la sensibilité et à l’expression culturelles. Le projet Track VET s’est centré uniquement sur les quatre dernières compétences, définies ainsi dans la recommandation :
|
Dispositifs et certifications spécifiquement dédiés aux compétences transversales
Tout comme les dispositifs transdisciplinaires développés en marge des programmes scolaires (Cf. Encadré 4), certaines certifications recensées au répertoire spécifique visent explicitement, et quasi exclusivement, l’acquisition et la mobilisation des compétences transversales ciblées par cette étude.
Les partenaires sociaux se sont inspirés des divers socles existants (socle commun, première recommandation européenne sur les compétences clés...) pour élaborer le socle de compétences et de connaissances professionnelles (ou certificat Clé). Cette certification vise plutôt les compétences considérées comme les plus utiles à la vie professionnelle, au premier rang desquelles figure « l’apprendre à apprendre », à l’exception de celles considérées comme relevant de la responsabilité du système éducatif (conscience culturelle, compétences civiques par exemple). Les compétences transversales y sont donc formulées sans équivoque, explicitement et sans lien avec une liste de savoirs ou de compétences techniques. Comme le socle commun du système scolaire, le CléA regroupe ces compétences en domaines, dont quatre d’entre eux sont relatifs aux compétences ciblées par l’étude : travailler selon les règles édictées par une équipe de travail ; travailler de manière autonome et atteindre son objectif individuel ; apprendre à apprendre tout au long de la vie ; travailler de manière ergonomique et respecter les règles d’hygiène, de sécurité et d’environnement.
Cependant, il est difficile de savoir comment le CléA, dispositif à la fois de formation et d’évaluation, est mis en œuvre. La formation comme l’évaluation dépendent en effet de chaque organisme habilité, lequel ne livre pas facilement ses méthodes pédagogiques ni d’évaluation. Dans certains organismes, l’évaluation semble réalisée au moyen de l’élaboration d’un dossier de preuves suivi d’un entretien, et de mises en situation simulées. Ces situations sont considérées a priori comme typiques de la vie quotidienne ou professionnelle (créer un événement festif pour un collègue de travail par exemple, ou organiser un voyage pour évaluer notamment le travail collectif). Le référentiel, quant à lui, ne précise jamais les situations dans lesquelles ces compétences peuvent être mobilisées ni évaluées, et reste axé sur les conduites à tenir au travail. En témoignent les critères d’évaluation énoncés, tantôt normatifs (les règles de politesse sont respectées, les horaires sont respectés, etc.), ou dans le registre de la performance et de l’efficacité (les problèmes sont identifiés et résolus, des améliorations sont apportées…).
Le CléA développe donc une conception de la compétence transversale sans référence à un ancrage disciplinaire ou professionnel. Pour autant, la description dans les référentiels des situations propices au développement des compétences semble incontournable. En effet, les situations sont parfois « si contraignantes dans le développement de ces compétences qu’elles imposent leur prise en compte dans les situations d’apprentissages autant que dans les situations évaluatives » [5]. Pour certains chercheurs, cette contrainte invaliderait même la réalité et la vraisemblance des compétences transversales [4]. D’autres ont cherché à définir des familles de situations auxquelles les rapporter. Les acteurs de la formation professionnelle des adultes impliqués dans le projet « Reconnaître les compétences transversales en situation professionnelle », financé dans le cadre de programmes Erasmus +, ont en effet défini des classes de situation et des niveaux de maîtrise pour chacune des 12 compétences transversales identifiées. Ils ont également proposé une réflexion sur les modes d'évaluation les plus adaptés, dont l’auto-évaluation par exemple [2].
Conclusion
Les compétences transversales sont, dans les programmes des matières générales de l’enseignement professionnel, à la fois omniprésentes et inégalement formalisées. Ainsi, elles n’y figurent pas toujours en tant que telles, comme objet d’acquisition, de développement et d’évaluation explicite. C’est ce qui fait l’originalité de la France par rapport à d’autres pays européens comme la Pologne par exemple, où ces compétences sont parfois dissociées des savoirs. En France, le mode le plus autonome de leur formalisation est celui du socle, où elles définissent avant tout un minimum requis pour construire un parcours d’éducation, de formation ou d'emploi, indépendamment des disciplines ou des compétences plus techniques. Le risque est alors grand de s’affranchir également de l’identification des situations nécessaires au développement et à l’évaluation de ces compétences. Les acteurs interrogés ont également souligné la complexité soulevée par la mise en place d’une évaluation de ces compétences transversales, qu'elles soient formulées de manière autonome ou non dans les programmes et référentiels. De ce point de vue, des difficultés similaires ont été constatées par l’ensemble des partenaires européens du projet, qui n'ont pas tranché sur la nécessité de noter ces compétence dans le cadre de l'attribution des diplômes. Néanmoins, il faut souligner l’expérimentation, ici ou là, de modalités d’évaluation nouvelles qui semblent plus adaptées à ces compétences. En France, c'est le cas de méthodes d’auto-évaluation fondées sur des livrets, dossiers personnels, portfolios élaborés par les candidats, leur permettant de prendre conscience de leurs acquis et de les rendre visibles. La mise en œuvre d’une pédagogie par projets peut être également évoquée pour la France et l’Autriche. Réalisés parfois en milieu professionnel, les projets constituent en effet un matériau riche pour l’évaluation de compétences diverses.
Pour en savoir plus
[1] Les programmes de français et l’enseignement de la littérature : ruptures et continuité depuis 1995, P. Clément, Le français aujourd’hui, n° 3, 2018.
[2] Compétences transversales en contexte professionnel : objectiver, graduer, évaluer, M. De Ferrari, Rapport de synthèse du comité opérationnel 4, AEFA, Agence Erasmus+, 2014.
[3] Developing, assessing and validating transversal key competences in the formal initial and continuing VET (Track-vet), French country report, Céreq, C. Galli, J. Paddeu, P. Veneau, 2019.
[4] Les compétences transversales en question, B. REY, Paris, ESF Editeur, 1996.
[5] De la nature des compétences transversales jusqu’à leur évaluation : une course à obstacles souvent infranchissables, J. Tardif, B. Dubois, Revue française de linguistique appliquée, n°1, 2013.