Céreq Bref, n° 419, Mars 2022, 4 p.

Quels freins limitent encore le recours au congé de paternité chez les jeunes pères ?

Publié le
7 Mars 2022

Le congé de paternité instauré en 2002 et réformé en 2021 se présente comme une mesure favorable à l’égalité femmes-hommes. Alors que la majorité des pères recourent au dispositif, environ 3 sur 10 n’exercent pas leur droit.  Quels facteurs peuvent limiter la prise du congé de paternité ? Dans quelle mesure ce non-recours est-il lié à leur degré d’implication dans la sphère familiale ? Ce Céreq Bref mobilise la dernière vague de l'enquête Génération 2010 pour explorer les déterminants du recours au congé de paternité chez les jeunes devenus pères entre 2010 et 2017.

 

Communiqué de presse
Supplément numérique

 

Avant sa réforme en juillet 2021, le congé de paternité et d’accueil de l’enfant se composait de 11 jours consécutifs à utiliser dans les quatre premiers mois de l’enfant, en complément des 3 jours de congés pris en charge par l’employeur au moment de la naissance. La très large majorité des pères y sont éligibles, aussi bien les salariés (en CDI, en CDD, en contrat temporaire ou saisonnier), les travailleurs indépendants, les agriculteurs que les demandeurs d’emploi indemnisés.

Depuis sa mise en place en 2002, le taux de recours aux 11 jours de congé de paternité est resté stable [1]. Environ sept pères éligibles sur dix se saisissent du dispositif, la majorité du temps dans sa totalité. Par contraste, seule une minorité de pères (0,8 %) recourt à l’allocation de congé parental (PreParE) [2], dispositif faiblement indemnisé qui permet de mettre en pause partiellement ou pleinement son activité professionnelle pendant plusieurs mois à l’arrivée d’un enfant1 .

La comparaison avec les autres pays européens suggère que la popularité du congé de paternité en France tient d’abord à sa durée courte et son taux indemnisation élevé [1]. Chez les salariés du secteur privé, la rémunération perçue pendant le congé correspond au salaire journalier de base, dans la limite d’un plafond (84,90 €) lui-même calculé à partir de celui de la Sécurité sociale. Quelques accords de branches ou conventions collectives complètent la rémunération au-dessus de ce seuil maximal. Les fonctionnaires conservent le maintien intégral de leur salaire. Les indépendants reçoivent une indemnité journalière forfaitaire (53,74 € en 2017). Ainsi, le salaire des pères est intégralement maintenu dans la majorité des cas, hormis pour les 20 % des pères les mieux rémunérés du secteur privé et pour les travailleurs indépendants. Ces jours de congé constituant un droit individuel qui ne peut être partagé avec l’autre parent (à la différence du congé parental), les pères sont par ailleurs incités à les utiliser plutôt que de les perdre.

Toutefois, la stabilité du taux de recours au congé au cours de ces vingt dernières années interroge, dans un contexte où les normes égalitaires ont progressé et où la spécialisation des rôles s’est atténuée, tout particulièrement chez les jeunes couples  [4]. Comment expliquer ce non-recours résiduel  ? Les pères qui n’exercent pas leur droit sont-ils particulièrement réticents à s’investir dans la sphère familiale ?

  • 1L’allocation peut être perçue pour chaque parent jusqu’à 6 mois dans la première an - née de l’enfant pour une pre- mière naissance, puis jusqu’à deux ans au cours des trois premières années de l’enfant pour les naissances ultérieures.

Les situations d’emploi précaire limitent le recours au congé

Il existe de grandes disparités dans le recours au congé selon la situation professionnelle des pères au moment de la naissance (Cf. Encadré 2). L’instabilité de l’emploi et des revenus apparaît comme un facteur central d’inégalités dans la prise du congé de paternité. Lorsqu’ils sont en contrat de travail à durée indéterminée au moment de la naissance, la très large majorité des pères (87 %) recourent au moins partiellement au congé de paternité. Par contraste, seul un quart (24 %) des pères qui étaient demandeurs d’emploi indemnisés à la naissance de leur dernier enfant ont utilisé tout ou partie des 11 jours, même si le congé leur permet de reporter d’autant la durée de leur droit au chômage. Le congé n’a pas beaucoup plus de succès chez les indépendants, qui recourent au dispositif dans seulement un tiers des cas. Le recours est également moins fréquent chez les pères en contrats courts et discontinus (contrat à durée déterminée, intérimaires, vacataires, emplois aidés, etc.), dont 65 % ont exercé leur droit au congé.

Ce faible recours des demandeurs d’emploi indemnisés, des indépendants et, dans une moindre mesure, des pères en contrats courts peut s’expliquer en premier lieu par une méconnaissance du droit. Au regard de leur statut, qui s’accompagne habituellement de restrictions concernant leur droit aux congés rémunérés, ces pères peuvent se croire inéligibles au dispositif. Par ailleurs, pour les pères au chômage, demander des congés au cours d’une période de non-emploi peut apparaître contradictoire. Le recours au congé de paternité est alors un impensé.

D’autres facteurs peuvent expliquer l’absence de recours, y compris lorsque l’éligibilité est connue de l’ayant droit. Chez les intérimaires et les pères en contrat à durée déterminée, la prise du congé doit avoir lieu au cours d’un contrat (pendant que le père est salarié), sans en décaler la date de fin. Le non-recours peut alors s’expliquer par un sentiment d’illégitimité ou par la difficulté d’anticiper les périodes d’emploi et de non-emploi. Chez les indépendants, le montant des indemnités journalières forfaitaires (53,74 € en 2017), plus bas que le plafond des salariés du secteur privé, conduit à une perte financière pour les revenus mensuels nets supérieurs à environ 1 600 € entre 2010 et 2017, pouvant également décourager le recours au dispositif.

Par ailleurs, les pères intérimaires, indépendants et sans emploi disposent pour certains d’une autonomie temporelle permettant d’autres arrangements informels plus flexibles au moment d’une naissance, telle que la mise en pause de la recherche de missions ou d’emploi. Ces alternatives peuvent apparaître à la fois plus ancrées dans les habitudes de ces pères et moins lourdes d’un point de vue administratif, bien qu’elles s’avèrent moins intéressantes financièrement puisqu’elles n’entraînent pas d’indemnisation.

L’appréhension de conséquences négatives sur la carrière pourrait également être derrière le plus faible recours (59  %) des pères qui travaillaient depuis moins d’un an dans leur entreprise au moment de la naissance, bien que le droit au congé de paternité soit ouvert sans condition d’ancienneté [Cf. Supplément numérique]. Y compris à caractéristiques observables comparables (type de contrat de travail, niveau de diplôme, niveau de revenu, ...), le recours au congé de paternité est 3 fois plus faible chez les pères ayant moins d’un an d’ancienneté par rapport à ceux qui occupent leur poste depuis 2 ans ou plus.

Un recours plus faible aux deux extrémités de la distribution des revenus

Dans une moindre mesure, la prise du congé peut également être influencée par les caractéristiques de l’entreprise, la catégorie socioprofessionnelle, le statut et la rémunération de l’emploi et l’environnement de travail (Cf. Supplément numérique). Chez les pères en emploi au moment de la naissance, les comportements varient selon la taille de l’entreprise1 . Les pères prennent légèrement plus souvent leur congé de paternité au sein des entreprises de plus de 200 employé·es, avec un taux de recours s’élevant à 88 % contre 79 % dans les entreprises de 10 à 49 salarié·es. Cette différence se vérifie à caractéristiques observables comparables : les premiers ont 83 % plus de chances de recourir au congé que les seconds. La possibilité de bénéficier d’accords d’entreprise permettant une meilleure indemnisation du congé et d’une plus grande représentation syndicale pourraient expliquer ce recours plus élevé au sein des grandes entreprises. Parallèlement, les pères pourraient plus souvent renoncer au dispositif au sein des petites entreprises, du fait de difficultés plus grandes à se faire remplacer ou à pouvoir répartir la charge de travail liée à une absence.

Toujours chez les pères en emploi, les différences entre catégories socioprofessionnelles se révèlent également modérées. Les professions intermédiaires et les ouvriers recourent un peu moins au dispositif (respectivement 77 % et 79 %) par rapport aux cadres et professions intellectuelles supérieures et aux employés (respectivement 83 % et 87 %). Par comparaison, le type de contrat joue donc bien davantage dans le non-recours que la position professionnelle occupée.

Enfin, le recours au congé de paternité est plus faible aux deux extrêmes de la distribution des revenus professionnels des pères (Cf. Encadré 3). Ainsi, il est au plus bas chez les 20 % des pères les plus modestes (environ 67 %), atteint un pic chez ceux dont le revenu est compris entre 2 500 € et 2 899 € (98 %) et redescend chez les 10 % des pères les mieux rémunérés (73  %). Ces différences sont significatives une fois contrôlées les caractéristiques professionnelles et familiales observables (Cf. Supplément numérique). On peut expliquer ce moindre recours dans le haut et le bas de la distribution des revenus par des logiques différentes. D’une part, les pères en situation de précarité financière ne se trouvent pas dans une position favorable pour négocier le recours au congé auprès de leur employeur, ou pourraient davantage redouter l’impact du dispositif sur leur carrière professionnelle. D’autre part, les pères les mieux rémunérés sont susceptibles de valoriser leur investissement dans leur emploi ou de ressentir une injonction à la disponibilité plus forte, par exemple s’ils exercent un poste de direction. Par ailleurs, le montant maximal des indemnités journalières (84,90  € en 2017) peut entraîner une perte de revenu chez les salariés du secteur privé aux salaires les plus élevés.

L’analyse du taux de recours à la totalité des 11 jours permet d’explorer de manière plus fine les caractéristiques professionnelles influant sur les arrangements des pères pour articuler vies familiale et professionnelle à l'arrivée d'une naissance. Ainsi dans le secteur de la construction, le taux de recours à la totalité du congé n'est que de 65 % , ce qui pourrait tenir en partie à des normes organisationnelles peu favorables à l’articulation entre sphères familiale et professionnelle, dans un milieu extrêmement peu féminisé (Cf. Supplément numérique). Quelques rares conventions collectives prévoient un complément de salaire au-delà du plafonnement de l’indemnité. C’est notamment le cas des conventions collectives des banques et des bureaux d’études techniques Syntec, qui regroupent respectivement le secteur des activités financières et d'assurance et celui de l’information et de la communication, où les taux de recours à la totalité des 11 jours de congé sont les plus hauts du secteur privé (respectivement 88 % et 81 %).

  • 1Les analyses suivantes portent uniquement sur les pères salariés et les travailleurs indépendants

Le recours s'accompagne d'une meilleure répartition de certaines tâches

En dehors des facteurs liés à la profession, les différentes pratiques peuvent aussi révéler des divergences dans les représentations sociales. Le recours au dispositif augmente avec les années d’étude des pères (Cf. Supplément numérique). À caractéristiques professionnelles observables comparables, les pères titulaires d’un bac+3 ou plus ont 2,5 fois plus de chance de recourir au congé de paternité que ceux titulaires d’un baccalauréat. Ces écarts peuvent traduire une adhésion plus forte aux normes égalitaires de partage des tâches parentales chez les plus diplômés. Lorsque l’on croise les niveaux de diplôme des deux parents, c’est au sein des couples en situation d’hypogamie féminine que le recours au congé de paternité apparaît le plus fréquent. En effet, lorsque leur conjointe est plus diplômée qu’eux, les pères ont plus de deux fois plus de chance de prendre le congé que lorsqu’elle est moins ou aussi diplômée qu’eux. Ce constat peut refléter la position avantageuse de ces femmes dans les négociations conjugales.

Dans la pratique cependant, les pères ayant pris le congé de paternité à la naissance du dernier enfant n’apparaîssent que légèrement plus impliqués dans la répartition des tâches parentales et certaines tâches domestiques en 2017 (Cf. Encadré 4). Lorsque le congé a été pris, il est un peu plus courant que le père prenne en charge les courses ou aille chercher les enfants (respective - ment +7 et +8 points de pourcentage). En revanche, quasiment aucune différence n’est observable concernant le ménage et la préparation des repas. Du point de vue de la répartition des tâches parentales et domestiques, la différence entre la majorité des pères qui recourent aux 11 jours et la minorité de ceux qui n’exercent pas leur droit est donc assez faible et concerne d’abord les activités qui s’effectuent en dehors du domicile et celle la plus directement liée aux enfants.

Dit autrement, le tiers des pères qui n’ont pas recouru au congé de paternité se démarquent moins par leur faible implication dans la sphère familiale que par leur situation par rapport à l’emploi. La réforme de juillet 2021 met en place une obligation partielle du congé de paternité, dans l’objectif de garantir l’exercice de leur droit à l’ensemble des pères. Néanmoins, l’universalité du congé étant réduite à une semaine sur les quatre disponibles, des disparités risquent de se retrouver dans le plein recours au congé.

Conclusion

En doublant la durée du congé de paternité, la réforme donne la possibilité aux hommes de s’arrêter près d’un mois pour s’occuper de leur nouveau-né et aider la conjointe à récupérer de l’accouchement. Cette politique reste toutefois modérée par rapport aux dispositifs en vigueur dans les pays voisins. D’un côté l’Italie, la Belgique ou la Suisse accordent aux pères entre 10 et 15 jours indemnisés, de l’autre le Portugal, l’Allemagne ou encore l’Espagne réservent aux pères respectivement un, deux et quatre mois de congés bien rémunérés. En Finlande, sur les 54 jours du congé de paternité, 36  doivent être utilisés en dehors du congé de la mère. La littérature internationale indique que les congés les plus propices à favoriser l’investissement des hommes dans les tâches parentales et domestiques sont ceux rémunérés, réservés aux pères, de plusieurs mois et utilisés en partie en dehors du congé de la mère. La réforme française suffira-t-elle pour atteindre l’objectif d’égalité qu’elle se fixe ?

 

1. Méthodologie
Taux de recours au congé de paternité selon la situation professionnelle du père à la naissance du dernier enfant 2 Lecture : Parmi les pères qui avaient le statut de travailleurs indépendants à la naissance de leur dernier enfant, 18 % ont pris la totalité des 11 jours de congé de paternité, 15 % ont utilisé une partie des 11 jours de congé de paternité et 67 % n’ont pas recouru au congé de paternité. Source : Enquêtes Génération 2010 à 7 ans, Céreq. Données pondérées. Champ : Hommes devenus père d’un enfant dans les 7 années suivant la fin des études. Effectifs (non pondérés) : 1030. La totalité du congé Une partie du congé Aucun congé La dernière vague de l’enquête Génération 2010 permet d’explorer les déterminants du recours au congé de paternité chez les jeunes hommes sortis du système éducatif en 2010 et devenus pères dans les sept années qui ont suivi. Les résultats présentés s'appuient sur une régression logistique. La plupart renouvellent et confirment les observations déjà réalisées à partir d’enquêtes en population générale en 2004 [5] et 2013 [1], et permettent d’explorer de manière plus fine les liens entre le recours au congé et les caractéristiques professionnelles des pères au moment de la naissance. En parallèle, des entretiens répétés auprès de 32 pères, avant et après la naissance de leur dernier enfant, ont été réalisés entre 2019 et 2022. Ces entretiens ont porté, entre autres, sur les manières dont les hommes se saisissent ou non des politiques publiques pour articuler vies familiale et professionnelle au moment d’une naissance. Issus de catégories socio-professionnelles diversifiées, près d’un tiers de ces pères (10) n’étaient pas en contrat de travail à durée indéterminée au moment de la naissance. Au total, sept n’ont pas recouru au congé de paternité. Si ce matériau qualitatif n'est pas directement apparent dans ce format Céreq Bref, son analyse éclaire les résultats obtenus à partir des données Génération 2010 et constitue le principal appui à leur interprétation.

 

Pour en savoir plus

[1] « Le congé de paternité : un droit exercé par sept pères sur dix », E. Legendre et B. Lhommeau, Etudes et Résultats, n°0957, DREES, 2016.

[2] « Cinq ans après la réforme du congé parental (PreParE), les objectifs sont-ils atteints ? », H. Périvier et G. Verdugo, Policy Brief, OFCE, n°88, 2021.

[3] « Labour Market Effects of Parental Leave Policies in OECD Countries », O. Thévenon et A. Solaz, Documents de travail de l'OCDE sur les questions sociales, l'emploi et les migrations, n° 141, Éd. OCDE, 2013.

[4] « Emploi, enfant et aspirateur : quelles évolutions chez les jeunes couples depuis 2005 ? », T. Couppié et D. Epiphane, Céreq Bref n°403, 2021. « Évolutions des calendriers d’entrée dans la vie adulte et répartition des tâches entre conjoints », A. Pailhé et D. Remillon, Céreq Essentiels n°4, à paraître.

[5] « Le congé de paternité », D. Bauer et S. Penet, Études et Résultats, n°442, DREES, 2005

Citer cette publication

Sponton Alix, Quels freins limitent encore le recours au congé de paternité chez les jeunes pères ?, Céreq Bref, n° 419, 2022, 4 p. https://www.cereq.fr/quels-freins-limitent-encore-le-recours-au-conge-de-paternite-chez-les-jeunes-peres