Recruter et former : un enjeu pour adapter et stabiliser les salariés dans l'entreprise ?
Les nouvelles recrues sont moins formées que les salariés plus anciens dans l'entreprise. La formation à l'entrée s'adresse moins souvent aux anciens chômeurs qu'aux personnes déjà en emploi avant d'être recrutées. Pour autant, avoir bénéficié d'une formation après l'embauche serait plutôt le gage d'une plus grande stabilité dans l'entreprise, surtout pour les anciens chômeurs. Cette formation permettrait ainsi d'améliorer la qualité des appariements ou la relation du salarié à son environnement de travail.
Même, et peut-être surtout, en période de chômage massif, tout recrutement est incertain. Un bon candidat fera-t-il un bon salarié ? S'intègrera-t-il correctement dans l'entreprise ? Les économistes ont proposé le concept d'appariement pour souligner qu'il n'existe pas de bons ou de mauvais travailleurs a priori (avant l'embauche), mais que c'est la relation entre un travailleur et un poste et plus généralement avec son environnement de travail qui se révèlera a posteriori (après l'embauche) une réussite ou un échec. Ainsi, selon ce que découvrent le salarié et son employeur, l'appariement peut se poursuivre ou se rompre à l'initiative de l'un ou de l'autre. Pour augmenter la qualité des appariements, plusieurs voies sont possibles. L'entreprise peut améliorer ses pratiques de recrutement, mais cette voie trouve vite ses limites car l'évaluation et la sélection restent toujours incertaines. Une autre voie semble plus aisée à emprunter par les entreprises : améliorer l'intégration des nouveaux salariés en usant en particulier du levier de la formation pour agir directement sur la qualité des nouveaux appariements.
Dans la lignée des travaux sur les pratiques de recrutement des entreprises menés au Centre d'études de l'emploi (CEE, devenu CEET) ou au Céreq, cette étude s'intéresse à la formation en entreprise des salariés qui viennent d'être recrutés. Le débat public et les travaux académiques accordent beaucoup de place aux efforts déployés par les individus pour s'adapter aux besoins des entreprises, augmenter leur employabilité et trouver un emploi. Mais la qualité du recrutement se joue aussi dans la durée et avec le concours des entreprises. Pour ces dernières, faire le choix de recruter et de former certains profils de salariés, c'est aussi miser, voire investir, dans la qualité de leur adaptation au poste en vue de leur stabilisation. Les données des enquêtes CVTS4 et Difes2 (cf. encadré) permettent ainsi d'approcher la question des liens entre formation à l'embauche et stabilité dans l'entreprise.
Les enquêtes (Continuing Vocational Training Survey, coordonnée par Eurostat) et Difes2 (Dispositif d’information sur la formation employeur-salarié) ont été menées par le Céreq, en collaboration avec la Dares et l’Insee. L’enquête CVTS-4, correspondant à la vague 2010 de l’enquête CVTS, a été conduite auprès de 5 360 entreprises de 10 salariés et plus du secteur privé et semi-public, hors agriculture, éducation et santé. Les entreprises sont interrogées sur les formations mises en place pour leur personnel pendant les heures de travail ou financées au moins en partie par elles, sur les politiques RH et l’organisation du travail. Le dispositif Difes2 interroge, au premier semestre 2012, 6 070 salariés présents en 2010 dans un sous-échantillon de 1 800 entreprises de l’enquête CVTS-4 (hors intérim). L’étude isole un échantillon composé de 566 « nouveaux entrants », c’est-à-dire la cohorte des individus ayant été recrutés, en CDD ou en CDI, par une des entreprises de l’enquête CVTS pour la première fois en 2010. Il ne s’agit donc pas de réembauches, pratique par ailleurs courante, où l’incertitude du recrutement est moindre.
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Une formation à l'entrée peu fréquente et inégalitaire
Le profil des nouveaux recrutés diffère sensiblement de celui des salariés plus anciens dans les mêmes entreprises. Ils sont logiquement plus jeunes et la proportion de femmes est plus importante parmi eux (cf. tableau 1). La part des individus non ou peu diplômés (titulaire au plus du diplôme national du brevet (ex-BEPC)) est plus faible, traduisant la hausse du niveau de diplôme des nouvelles générations. À l'inverse, la part des diplômés du supérieur dans le flux des recrutés est plus réduite que dans le stock des salariés avec une ancienneté un peu plus élevée. Ceux qui ne sont pas stabilisés dans l'emploi (puisqu'ils sont encore dans le flux des personnes recrutées sur le marché) sont donc moins diplômés que ceux qui ont déjà plus d'un an d'ancienneté dans leur entreprise.
Plus de la moitié des nouvelles recrues sont en CDD alors que la proportion de CDI est de 88 % et au-delà pour les salariés avec davantage d'ancienneté. Ces chiffres confirment ce que l'on sait de la surreprésentation des CDD dans les flux d'embauches par rapport à leur poids dans le stock de l'emploi total. Enfin, avant d'entrer dans l'entreprise, les personnes recrutées en 2010 étaient plus souvent au chômage ou en inactivité que les salariés recrutés avant cette date et toujours présents. Les « anciens chômeurs » en majorité au chômage depuis moins d'un an regroupaient ainsi plus du quart des nouveaux entrants en 2010. Cette surreprésentation des chômeurs dans le flux des recrutés peut s'expliquer de deux manières. Elle peut refléter la conjoncture dégradée de la période 2009-2010 ; mais elle peut également être le résultat d'une plus grande mobilité, dans le passé, des salariés embauchés alors qu'ils étaient chômeurs ou inactifs. Les anciens occupés seraient alors les plus nombreux à rester dans l'entreprise.
En 2010, seuls 29 % des nouveaux recrutés ont été formés, pour 48 % des salariés ayant entre un et cinq ans d'ancienneté et plus de la moitié des salariés plus anciens. Il est possible d'y voir un effet de la crise, les entreprises diminuant leurs dépenses de formation en période de basse conjoncture. Il n'est pas possible de vérifier ici si un ajustement à la baisse s'est opéré plus particulièrement au détriment des entrants en 2010. Néanmoins il est clair que, cette année-là, la fréquence de la formation augmente avec l'ancienneté dans l'entreprise. La formation serait donc moins utilisée par les entreprises comme complément au recrutement de personnes externes, que comme politique orientée vers la main-d'œuvre stable. Par ailleurs, les nouveaux entrants sont plus nombreux que les autres salariés à avoir suivi des formations très courtes (jusqu'à 6 heures) et ils sont moins représentés dans les formations de plus de 30 heures. Les formations dispensées à l'entrée dans l'entreprise concernent plutôt des formations d'adaptation aux postes de travail et/ou d'intégration à des collectifs de travail.
Quels sont les profils des recrutés ayant toutefois bénéficié d'une formation en 2010 ? En premier lieu, les nouvelles recrues sont moins souvent formées lorsqu'elles travaillent dans des entreprises connaissant une baisse d'activité (cf. tableau 2). En sens inverse, la dimension qualitative du dialogue social semble jouer ; ainsi, la formation à l'entrée est plus vraisemblable pour des salariés embauchés dans des entreprises où les représentants du personnel s'impliquent dans le contenu des formations, et non pas seulement dans leur simple existence. Lorsque l'entreprise déclare recruter et former pour s'adapter aux futurs besoins en qualifications et en compétences, l'impact sur la formation des nouveaux recrutés n'est pas significatif.
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Le principal enseignement quant aux profils des recrutés est que la formation à l'entrée, comme la formation en général, est destinée aux personnes qui n'en ont peut-être pas le plus besoin. L'effet de la qualification du poste occupé tout d'abord est net ; les ouvriers ont une très faible probabilité d'être formés comparativement aux employés. Ensuite, les nouveaux entrants sont davantage formés dans l'entreprise s'ils étaient auparavant déjà en emploi et s'ils sont à temps plein dans leur nouvel emploi. Ainsi, les entreprises investiraient plus dans la formation de ceux qu'elles jugent susceptibles d'être immédiatement « rentables », parce qu'ils ont une expérience récente ou/et occupent leur emploi à temps plein.
Les individus au chômage avant d'être recrutés bénéficient donc moins souvent d'une formation à l'entrée. Pourtant, celle-ci leur est sans doute nécessaire, voire indispensable, dans la mesure où ils sont vraisemblablement plus éloignés de l'emploi. Leur adaptation au poste se ferait donc de manière totalement informelle et sur le tas, sans que l'entreprise ne supporte formellement des dépenses de formation pour eux. Les anciens inactifs sont également moins souvent formés mais, parmi eux, on peut penser que beaucoup sont d'anciens étudiants qui sortent justement de formation.
Compte-tenu de ces inégalités, le fait d'être moins formé est-il préjudiciable à la stabilité dans l'entreprise ?
De la formation à la stabilité dans l'entreprise ?
La proportion de salariés restés dans l'entreprise entre 2010 et 2012 augmente avec leur ancienneté en 2010, qu'ils soient formés ou non. Par ailleurs, formation et stabilité dans l'entreprise semblent liées ; les salariés formés sont plus stables que ceux qui ne sont pas formés (cf. graphique 3). Mais l'enjeu de la formation pour stabiliser les salariés semble décroître avec le temps puisque le gain en stabilité, apparemment lié à la formation, diminue avec l'ancienneté. Bien sûr, il est impossible de savoir si les salariés se forment parce qu'ils sont stables ou s'ils sont stables parce qu'ils ont reçu une formation. De même, parmi les recrutés en 2010, il est impossible de savoir si les salariés sont formés par l'entreprise parce qu'elle souhaite les conserver ou s'ils sont stables parce que la qualité de leur appariement au poste en particulier et à l'entreprise en général s'est améliorée grâce à la formation. Une régression logistique, non reproduite ici, montre qu'à profil identique de salarié (caractéristiques individuelles, type de contrats, qualification du poste, secteur, taille d'entreprise en 2010, etc.), le fait d'avoir été formé à l'entrée s'accompagne d'une plus grande probabilité d'être stable dans l'entreprise (y être toujours salarié en 2012).
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Ces résultats invitent à regarder plus en détail les différentiels de stabilité en fonction du statut avant l'embauche en 2010. Ce statut (être en emploi, inactif ou au chômage) est en effet un des signaux de la qualité des candidats utilisés par les recruteurs pour les évaluer. On sait par ailleurs que les statuts vis-à-vis de l'emploi ont tendance à se répéter dans les parcours professionnels. Enfin, on a vu que la formation à l'entrée était diversement dispensée selon les statuts d'anciens occupés, chômeurs et inactifs. Avec ou sans formation à l'embauche, les personnes recrutées alors qu'elles étaient déjà en emploi sont les plus stables. Avoir ou non été formé à l'entrée ne change pas vraiment le pourcentage de stables parmi les anciens occupés : entre 50 % et 58 % resteront. L'appariement avec une personne déjà en emploi semble donc réserver moins de « mauvaise surprise » que les autres. Paradoxalement, ces profils sont plutôt plus formés que les autres, mais cela ne déterminerait pas leur stabilité dans l'entreprise. Les anciens inactifs sont plus instables, sans doute parce qu'il s'agit d'étudiants recrutés avec un CDD.
Le différentiel de stabilité lié à la formation est en revanche particulièrement marqué pour les anciens chômeurs ; la part d'entre eux restant dans l'entreprise étant bien plus importante que celle des anciens chômeurs, non formés, restés dans l'entreprise (le différentiel étant plus élevé pour les chômeurs de longue durée). Dit autrement, pour les chômeurs recrutés, deux horizons existent dans l'entreprise : y rester ou ne faire qu'y passer, ce qui semble aller de pair avec le suivi ou non d'une formation, même très courte, l'année du recrutement. Les résultats ne permettent pas de conclure sur l'effet qui l'emporte, entre un effet de sélection (ils ont été formés parce que l'entreprise souhaitait les fidéliser) et l'effet bénéfique de la formation sur la qualité de l'appariement. Des modèles logistiques effectués par ailleurs sur les trois populations séparées confirment ce résultat. Parmi les anciens chômeurs, la stabilité dans l'entreprise est positivement et significativement corrélée avec le fait d'avoir été formé, résultat que l'on ne retrouve pas pour les deux autres populations, c'est-à-dire les personnes en emploi ou inactives avant d'être recrutées.
Cette étude, centrée sur la qualité des appariements et les comportements de formation à l'embauche des salariés, vient compléter des résultats déjà connus sur la formation des salariés en général. Le recours à la formation lors des recrutements reste marqué du sceau de l'inégalité de traitement. Il est plus systématique pour les salariés à temps plein et pour ceux qui auparavant étaient déjà en emploi. Lorsque l'on est un ancien chômeur, la probabilité de bénéficier d'une formation à l'embauche est réduite. Et pourtant, sans que l'on puisse déterminer le sens de la causalité, il y a bien pour les chômeurs un lien entre le fait de bénéficier d'une action de formation à l'embauche et la possibilité qu'ils ont à se stabiliser dans l'emploi.
C'est un constat important qui met également en lumière le rôle que peuvent jouer les représentants des salariés pour s'impliquer dans l'entreprise dans le contenu des plans de formation mais également à l'extérieur, dans le cadre des dispositifs nationaux, issus de la négociation interprofessionnelle, qui lient l'embauche de chômeurs à leur formation au travail.