Céreq Bref, n° 467, Mars 2025, 4 p.

Réorientations précoces : un jeune sur quatre souhaite changer de métier

Publié le
6 Mars 2025

Enquête 2023 auprès de la Génération 2017

Les réorientations en début de carrière sont loin d’être anecdotiques, comme le montre le suivi des six premières années de vie active des jeunes. Ainsi, selon l’enquête Génération du Céreq, un quart des sortant·es de formation initiale en 2017 a envisagé de changer de voie et engagé des démarches en ce sens entre 2020 et 2023. Ce phénomène touche particulièrement les jeunes en difficulté d’insertion, mais concerne des profils variés. Motivées par la quête de sens, de meilleures conditions de travail ou l’attrait pour un nouveau domaine, ces réorientations précoces s’avèrent positives lorsqu’elles ont pu être menées à terme.

Communiqué de presse

 

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Les indicateurs sur l'insertion professionnelle 3 et 6 ans après la sortie de formation initiale :

www.cereq.fr/datavisualisation

Se réorienter, surtout pour changer de métier

Nous considérons ici les réorientations déclarées par les individus entre mars 2020 et la date de l’enquête en 2023, et concrétisées par des démarches (voir encadré 1). La notion n’est pas univoque, elle peut concerner un changement d’univers professionnel au regard de la formation initiale ou au regard de l’emploi occupé. Pour autant, les aspirations à la réorientation professionnelle correspondent bien, pour les personnes interrogées, à un changement de métier. En effet, 93 % des jeunes ayant entrepris des démarches l’ont fait pour changer de métier, et 83 % pour évoluer vers un autre secteur d’activité. Ainsi, un même projet peut combiner plusieurs changements. La moitié souhaite également changer de statut (salarié vers indépendant ou inversement), et un tiers envisage de changer de lieu de vie en parallèle. 

Parmi les motifs de réorientation les plus fréquents, on retrouve en tête de liste l’attirance pour un autre domaine professionnel (84 %), suivie par la volonté de donner davantage de sens à son travail (77 %), de mieux concilier vies professionnelle et personnelle et d’améliorer ses conditions de travail (67 % dans les deux cas). Par ailleurs, 58 % des jeunes expriment aussi le désir d’augmenter leur rémunération.

 

Se réorienter après des difficultés d’insertion

Le souhait de se réorienter est également expliqué par des difficultés d’insertion, qui peuvent inciter les jeunes à revoir leur projet professionnel et à investir du temps pour en changer. 

Ainsi, les jeunes éloigné·es du marché du travail s’engagent plus fréquemment dans des démarches de réorientation professionnelle : celles et ceux confronté·es à une trajectoire de chômage persistant ou récurrent ou à une sortie de l’emploi vers le chômage sont respectivement 31 % et 34 % à entreprendre ces démarches, contre 24 % pour l’ensemble des jeunes (voir supplément numérique). Cette tendance est encore plus marquée chez les diplômé·es du supérieur ayant connu une trajectoire de chômage, avec une part de réorientation déclarée atteignant 40 %. Cependant, pour les jeunes en emploi en 2020, le type de contrat de travail, à durée indéterminée ou plus précaire, n’influence pas la décision de s’engager dans des démarches de réorientation. 

La probabilité de réorientation est influencée par les trajectoires professionnelles et le diplôme, mais aussi par des facteurs tels que l’état de santé, la situation familiale, l’origine sociale qui, toutes choses observées égales par ailleurs, jouent également un rôle important. 

Par exemple, le fait de déclarer un problème de santé durable ou un handicap augmente la probabilité de s’impliquer dans un projet de réorientation, en réponse à des contraintes spécifiques ou des obstacles rencontrés sur le marché du travail. Ainsi, toutes choses égales observées par ailleurs, les personnes confrontées à ce type de problème se réorientent 1,5 fois plus que les autres. Cet effet est encore plus marqué chez les diplômé·es du supérieur. 

D’autres facteurs, à l’inverse, constituent un frein à la réorientation : les jeunes issu·es d’un ménage à dominante ouvrière sont ainsi moins enclin·es à engager des démarches que celles et ceux dont les deux parents sont cadres. Un soutien social et économique favoriserait la mise en œuvre de démarches de réorientation, possiblement coûteuses. De même, vivre chez ses parents trois ans après la sortie des études, marqueur de difficultés non mesurées dans l’enquête (absence d’autonomie financière par exemple), diminue la probabilité de se réorienter, et ce d’autant plus pour les jeunes connaissant des trajectoires marquées par le chômage. Par ailleurs, la présence d’un enfant à charge diminue la probabilité de réorientation professionnelle, les responsabilités familiales pouvant contrarier l’organisation d’un projet de reconversion.

 
 

Se réorienter pour échapper à l’insatisfaction

La perception négative de l’emploi est un autre facteur explicatif de la décision de se réorienter : trois ans après la sortie des études, les personnes qui considèrent que leur emploi ne correspond pas à leur formation sont deux fois plus enclines à envisager une réorientation que celles dont l’emploi est en adéquation avec leur formation (30 % versus 15 %). De même, les personnes qui déclarent ne pas se réaliser dans leur emploi sont plus souvent engagées dans des démarches de réorientation (32 % versus 13 %). 

Parmi les jeunes en emploi trois ans après la fin des études, celles et ceux qui cumulent ces deux ressentis – le fait de ne pas se réaliser dans leur travail et d’occuper un emploi jugé non conforme à leur formation initiale – sont, avec un taux de 42 %, les plus enclin·es à se réorienter (voir encadré 2). Les non-diplômé·es, et celles et ceux titulaires uniquement d’un bac général ou professionnel sont les plus nombreux·ses à partager ces deux ressentis et à envisager une réorientation. En revanche, bien que moins concernés par ces perceptions, les diplômé·es de l’enseignement supérieur sont les plus nombreux·ses à souhaiter se réorienter (48 %) lorsque c’est le cas. 

Les jeunes qui cumulent non-adéquation, insatisfaction et volonté de changement se retrouvent particulièrement dans trois domaines d’activité : l’hôtellerie – restauration – alimentation, le commerce et l’électricité – électronique. À l’inverse, les secteurs de la maintenance et de l’informatique se distinguent par une plus grande proportion de jeunes épanoui·es et en adéquation avec leur formation, ce qui réduit leur intention de réorientation. 

Les jeunes en emploi après trois ans de vie active qui occupent des postes d’employé·es peu qualifié·es sont les plus nombreux·ses à estimer que leur emploi ne correspond pas à leur formation, à ne pas se réaliser professionnellement et à entreprendre des démarches de réorientation professionnelle : 28 % envisagent une réorientation, contre 21 % de l’ensemble des jeunes en emploi en 2020. Au contraire, les jeunes cadres, quasiment absent·es du groupe « non-réalisation/non-correspondance », manifestent moins fréquemment ce désir de réorientation (16 %).

Se réorienter même quand on se plait dans son emploi

Une partie des jeunes connait des conditions d’insertion favorables, déclare être satisfait·e de son emploi et engage néanmoins des démarches de réorientation. C’est le cas de 19 % des individus qui ont connu une trajectoire d’accès rapide et durable à l’emploi à durée indéterminée (EDI), ou de 15 % de celles et ceux qui se réalisent dans un emploi en adéquation avec leur formation initiale (voir supplément numérique). Les femmes sont alors plus nombreuses que les hommes dans ce cas. Au-delà de facteurs individuels ou d’évènements biographiques qui peuvent conduire à changer de métier (rencontres, mobilités géographiques, opportunités…), le contexte de l’emploi influe également. Ainsi, les jeunes qui se réalisent dans un emploi en adéquation avec leur formation ont une probabilité de réorientation plus élevée lorsque le Covid-19 a entrainé une dégradation de leurs conditions de travail ou une augmentation de leur charge de travail. 

D’autres éléments d’explication sont à rechercher du côté des motifs d’arrêt des études. Les non-diplômé·es et les jeunes titulaires uniquement d’un bac général ou d’un bac pro tertiaire sont plus nombreux·ses à vouloir se réorienter même lorsque leur emploi leur convient. Ils déclarent en effet ne pas avoir atteint le niveau d’études souhaité, ce qui peut nourrir un désir de réorientation en dépit de leur degré de satisfaction dans l’emploi.

Un processus qui crée de l’instabilité

La réorientation professionnelle est un processus complexe, long, qui implique des efforts personnels et financiers. Que ce soit pour suivre une formation, créer son entreprise ou se reconvertir dans un autre secteur, ces démarches engendrent souvent une instabilité temporaire, marquée par des périodes d’éloignement de l’emploi. Ainsi, entre mars 2020 et 2023, les jeunes en réorientation ont passé 66 % de leur temps en emploi, contre 79 % pour les autres. Elles et ils ont aussi plus fréquemment connu au moins une période de chômage (60 % contre 37 %). Ces transitions sont aussi source (ou conséquences) d’instabilité au sein même de l’emploi. Plus de la moitié des réorienté·es ont quitté une situation d’emploi stable (EDI), contre un quart des jeunes n’ayant pas engagé de démarche. 

De manière plus globale, les personnes qui ont engagé des démarches de réorientation ont connu une plus grande mobilité professionnelle que celles qui n’ont pas changé de cap. En 2023, 88 % des jeunes ayant entrepris une réorientation ont quitté l’emploi qu’ils et elles occupaient trois ans après la fin de leurs études, que ce soit après une démission, une fin de contrat ou pour d’autres raisons. À titre de comparaison, 53 % des jeunes n’ayant pas de projet de réorientation ont quitté leur poste pendant cette même période.

 

Des conséquences positives pour les démarches menées à terme

En 2023, au moment de l’enquête, 18 % des jeunes ayant activement cherché à se réorienter considèrent que leurs démarches ont abouti, et 23 % les ont suspendues ou abandonnées. Si l’absence d’information sur la période pendant laquelle ont été entamées les démarches ne permet pas de tirer des conclusions sur ces proportions (certaines ont pu être amorcées juste avant l’interrogation), les effets de la réorientation sont positifs pour les jeunes ayant vu leur projet aboutir. La quasi-totalité est en emploi au moment de l’enquête six ans après la fin des études (92 %), soit une proportion plus élevée que parmi celles et ceux qui n’ont pas souhaité se réorienter ou dont les démarches ont été abandonnées (respectivement 82 % et 70 %). Elles et ils semblent en outre être pleinement satisfait·es : 95 % disent se réaliser dans leur emploi en 2023 alors qu’ils n’étaient que 71 % en 2020.

Conclusion

Le souhait de changer de métier n’attend pas le milieu de carrière : un quart de la Génération 2017 a engagé une réorientation professionnelle entre 2020 et 2023, soit moins de six ans après leur sortie du système éducatif. Le processus qui y conduit est complexe, et fait intervenir un ensemble de facteurs imbriqués liés à l’emploi et à des évènements biographiques. Quel que soit son profil, un·e jeune peut être tenté·e par la réorientation. Pour autant, les plus concerné·es demeurent assez logiquement les jeunes insatisfait·es de leur emploi, mais surtout celles et ceux ayant rencontré des difficultés d’insertion, les bachelier·ères et les employé·es non qualifié·es, caractéristiques souvent cumulatives. Ces résultats invitent à ne pas négliger les jeunes au sein des dispositifs accompagnant la reconversion des adultes (financement de projets de transition professionnelle, accompagnement dans le cadre d’un CEP par exemple), en particulier les plus exposé·es aux difficultés sur le marché du travail.

Citer cette publication

Dabet Gaëlle, Lercari Lola, Personnaz Elsa, Réorientations précoces : un jeune sur quatre souhaite changer de métier, Céreq Bref, n° 467, 2025, 4 p. https://www.cereq.fr/reorientation-reconversion-precoce-jeune