Céreq Bref, n° 387, Février 2020, 4 p.

Sous-traitance en chaîne : le maillon faible de la formation en entreprise

Publié le
25 Février 2020

Entre les différents maillons d'une chaîne de sous-traitance s'instaurent des relations de dépendance économique. Au plus une entreprise va se trouver « éloignée » du donneur d'ordres, au plus elle va en subir les effets. S'il est établi que les salariés des sous-traitants en bout de chaîne ont de moins bonnes conditions d'emploi et de salaire, il s'avère qu'en matière de formation, ils sont également moins bien lotis, qu'il s'agisse des opportunités fournies, des espaces d’expression alloués ou de la nature des formations à même d’être poursuivies.

Le recours à la sous-traitance n'est pas récent. Cependant, il s’est considérablement développé depuis les années 1970 essentiellement par la spécialisation du travail, la mondialisation et la complexification des produits qui ont amené les entreprises à se recentrer sur leur cœur de métier. Il s’accroît en France de façon significative, parallèlement à des stratégies de filiérisation, c’est-à-dire la création de filières regroupant un ensemble de sous-traitants, réunis autour d’un donneur d'ordres à l’activité duquel ils concourent. La physionomie des liens entre ces différents acteurs s'en trouve modifiée. Dans des cas de plus en plus fréquents de sous-traitance en cascade, une chaîne de dépendance s’établit, dans laquelle le sous-traitant de premier rang reporte une partie des risques liés à l’activité économique sur le sous-traitant de deuxième rang à l’égard duquel il est donneur d'ordres, et ainsi de suite.

S’il a été montré que les salariés des sous-traitants en bout de chaîne éprouvent le plus les effets de la dépendance économique et connaissent de moins bonnes conditions d’emploi et de salaire [1][2], l’effet de la sous-traitance sur la formation est jusqu’à présent demeuré dans l’ombre. Les enjeux de montée en compétences dans ces entreprises sont pourtant soulignés [3]. Que fait peser la position de sous-traitant sur la formation des salariés ? Le dispositif DEFIS offre pour la première fois l’occasion d’apporter des éléments de réponse. Il identifie plusieurs registres sur lesquels la position de l’employeur dans la chaîne de production semble influencer la formation : opportunités, processus d’accès et réalisations.

 

Donneurs d’ordres : des entreprises de plus grande taille qui emploient plus de cadres

Selon le volet « entreprise » du dispositif DEFIS, 16 % des entreprises d’au moins 10 salariés sont donneurs d’ordres de premier rang, 13 % sont à la fois donneurs d’ordres et sous-traitants (sous-traitants intermédiaires), 16 % sont en situation de sous-traitants de dernier rang et 55 % ne sont ni donneurs d’ordres, ni sous-traitants. Le donneur d’ordres est repéré dans l’enquête par l’externalisation d’une partie de son activité et le sous-traitant y est défini comme une entreprise dont la part la plus importante du chiffre d’affaire dépend d’un petit nombre de clients ou de donneurs d’ordres (cf. Encadré 1).

Les donneurs d’ordres de premier rang sont plus souvent des sociétés mères, têtes de groupe. Ce sont deux fois plus souvent des entreprises de 250 salariés ou plus qui emploient davantage de cadres et de professions intermédiaires, sur des contrats permanents.

De plus petite taille que les donneurs d'ordres, les sous-traitants intermédiaires et de dernier rang emploient plus d’ouvriers que les autres entreprises. Les sous-traitants intermédiaires sont majoritairement présents dans l’industrie et la construction tandis que ceux de dernier rang sont concentrés dans l’industrie et les services. Autre différence, les sous-traitants intermédiaires sont plus souvent, filiales d’un groupe que les sous-traitants de dernier rang.

Enfin, dans les entreprises ni donneurs d’ordres ni sous-traitants, plus petites, plus féminisées, rassemblant plus de jeunes, les salariés exercent plus souvent des métiers d’employés. Ces firmes sont les principales pourvoyeuses d'emplois temporaires et à temps partiel. Majoritairement présentes dans le commerce et les services, elles appartiennent moins souvent à un groupe.

1. Qu'est-ce que la sous-traitance et comment la mesure-t-on dans le volet entreprises de DEFIS ?
Les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants ne sont pas régies par un texte unique mais encadrées par différents textes qui ont évolué au fil du temps pour prendre en compte les mutations des relations de sous-traitance.
La loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 définit la sous-traitance comme « l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage ».
La définition proposée par l’Association française de normalisation (AFNOR) retient « toutes les opérations concourant pour un cycle de production déterminée à l’une ou plusieurs des opérations de conception, d’élaboration, de fabrication, de mise en œuvre ou de maintenance du produit en cause, dont une entreprise, dite donneur d’ordres, confie la réalisation à une entreprise dite sous-traitante ou preneur d’ordres, tenue de se conformer exactement aux directives ou spécifications techniques arrêtées en dernier ressort par le donneur d’ordres ».
Bien que le Code du commerce prohibe l’abus de dépendance économique par la sous-traitance, cette dernière est très souvent analysée sous l’angle d’une dépendance à l’égard du donneur d'ordres.
Selon le dernier rapport d’information1 , on parle de sous-traitance en cascade ou en chaîne lorsque l’entreprise sous-traitante décide à son tour de faire exécuter une partie de sa mission par une autre entreprise.
Dans DEFIS, on mesure la sous-traitance en chaîne de la façon suivante (les définitions s’approchant le plus possible de l’évolution du droit) :
• un donneur d'ordres est défini par le fait qu’il a externalisé une partie de ses activités. Il est repéré à partir de la question suivante : « L’activité de l’entreprise a-t-elle été en partie sous-traitée ? » oui/non ;
• un sous-traitant ou un preneur d’ordres est défini comme une entreprise dont la part la plus importante du chiffre d’affaires dépend d’un nombre restreint de gros clients. Il est repéré à partir des questions suivantes :
ii) « Quelle clientèle représente la part la plus importante du chiffre d’affaires de l’entreprise ? »  Particuliers grand public/ entreprises / administration ou organismes publics.
iii) Si ii ≠ particuliers ou grand public « Les ventes annuelles dépendent d›un petit nombre de clients ou de donneurs d‘ordres ? » oui/non.
Les réponses à ces questions peuvent permettre d'identifier 4 types d’entreprises :
1) Le donneur d'ordres de premier rang ou exclusif est une entreprise qui agit uniquement en tant donneur d'ordres et n’est pas elle-même sous-traitante. Il s’agit du niveau supérieur du réseau hiérarchisé de sous-traitance (16 %).
2) Le sous-traitant intermédiaire est une entreprise qui, bien que sous-traitante, est en même temps donneur d'ordres. Il s’agit du niveau intermédiaire du réseau hiérarchisé de sous-traitance (13 %).
3) Le sous-traitant de dernier rang ou sous-traitant exclusif est une entreprise qui n’agit qu’en tant que sous-traitant et n’est pas elle-même donneur d'ordres. Il s’agit du niveau inférieur du réseau hiérarchisé de sous-traitance (16 %).
4) Ces trois types d’entreprises sont étudiées à côté d’entreprises qui ne sont impliquées dans aucune relation de sous-traitance ; elles ne sont ni donneurs d’ordres ni sous-traitants (55 %).

 

  • 1Les relations entre les grands donneurs d’ordres et les sous-traitants dans les filières industrielles, D. Sommer, Rapport d’information n°2076 déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Commission des affaires économiques des affaires sociales, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 juin 2019.

Des opportunités de formation plus limitées chez les sous-traitants de dernier rang

Les opportunités de formation dépendent en grande partie des financements consentis par les entreprises. Or, les sous-traitants de dernier rang dépensent moins pour la formation de leurs salariés. Toutes choses égales par ailleurs et notamment à taille et secteur identiques, leur taux de participation financière est 1,7 fois plus souvent inférieur à 1 % de la masse salariale que celui des autres entreprises (cf. Tableau 2). La nécessité d’être le mieux-disant en termes de coûts ou de délais semble mettre une pression difficile à concilier avec des investissements dans la formation.

La position dans la chaîne de sous-traitance influence aussi la qualité des opportunités de formation. Contrairement à ce qui est observé chez les donneurs d’ordres de premier rang, les opportunités proposées aux salariés des sous-traitants sont plus orientées vers l’hygiène et la sécurité. La probabilité qu’un sous-traitant de dernier rang organise ce genre de formation est multipliée par 2,2 et celle d’un sous-traitant intermédiaire est multipliée par 1,7 par rapport à une entreprise ni donneur d’ordres ni sous-traitant de caractéristiques comparables. En matière de sécurité, l’impulsion viendrait souvent des donneurs d’ordres en raison des dispositifs juridiques qui engagent leur responsabilité civile et pénale en cas d'accident du travail, en situation de co-activité2 .

Au-delà des finalités d’hygiène et de sécurité qui sont des formations obligatoires, les sous-traitants  assignent moins souvent d’autres objectifs à la formation. Ils préparent moins fréquemment un plan de formation que les donneurs d’ordres de premier rang. Petits pour la plupart, pas toujours bien structurés, les sous-traitants de dernier rang offrent moins souvent à leurs salariés la possibilité d’acquérir de nouveaux savoirs ou de préparer une mobilité. La situation est en pratique moins différenciée chez les sous-traitants intermédiaires. Si les opportunités de formations relèvent des exigences réglementaires, elles ne s’y limitent pas, selon les déclarations des employeurs. Elles viseraient aussi à favoriser les mobilités internes horizontales. De ce point de vue, des pratiques contrastées s’observent entre sous-traitants intermédiaires et sous-traitants de dernier rang. Mais un clivage apparaît avant tout avec les donneurs d’ordres exclusifs. Ces derniers disent 5,4 fois plus souvent assigner à la formation un objectif de mobilité interne et 3,6 fois plus souvent une visée de mobilité externe. Cette double orientation est un facteur de distinction majeur.

Les inégalités sont aussi réelles au regard des modalités de formation. Travailler chez un donneur d’ordres de premier rang favorise l’opportunité de se former de diverses manières : en stage, en formation en situation de travail (FEST), en rotation sur poste ou en séminaire, etc. Toutes choses égales par ailleurs, les donneurs d'ordres de premier rang sont deux fois plus nombreux que les autres à déclarer organiser au moins trois types de formation distincts.

  • 2Les décrets du 20 février 1992 et du 26 décembre 1994 du Code du travail traitent spécialement de la coordination en matière d'hygiène et de sécurité. En cas d'accident du travail, la responsabilité civile et pénale de l'entreprise donneur d'ordres peut être engagée.

Plus on descend dans la chaîne, plus les processus d’accès à la formation sont altérés

Créer les conditions de l’expression et de l’écoute des besoins de formation suppose le déploiement d’un processus participatif. D’un côté, la participation individuelle, assise sur la relation de face à face entre un salarié et son supérieur hiérarchique, notamment dans le cadre de l’entretien professionnel. De l’autre, la représentation collective fondée sur la participation par délégation, appuyée sur un système électif.

Reste avant cela à organiser le partage des informations sur la formation. Or, plus on descend dans la chaîne de sous-traitance, moins les employeurs informent leurs salariés. Sous-traitants intermédiaires et de dernier rang sont presque deux fois plus nombreux que les donneurs d’ordres de premier rang à déclarer ne diffuser aucune information. Cependant, parmi les sous-traitants intermédiaires qui informent leurs salariés, l’encadrement intermédiaire est plus souvent la courroie de transmission que chez les sous-traitants de dernier rang où prime plus qu’ailleurs la nécessité de s'informer par soi-même (cf. Graphiques 3).

En matière de formation continue, l’entretien professionnel peut venir étayer la participation. Mais ce sont plus souvent des rendez-vous manqués chez les sous-traitants de dernier rang, selon les déclarations des salariés qui signalent y prendre part moins souvent que les autres. Ces déclarations sont confirmées par leurs employeurs qui attestent recueillir plus souvent qu’ailleurs les besoins de formation à travers des discussions informelles. De leur côté, les sous-traitants intermédiaires signalent plus fréquemment les organiser au bénéfice exclusif de leurs cadres. Enfin, c’est chez les donneurs d’ordres de premier rang que les salariés, quel que soit leur statut, déclarent le plus bénéficier d’un entretien professionnel sur des thèmes multiples : besoins de formation, apprentissage au travail et perspectives de carrière.

La participation collective est appréhendée à travers une question sur la possibilité qu’ont les représentants du personnel de discuter de la mobilité avec la direction. Aux yeux des employeurs, cette possibilité s’avère nettement plus répandue chez les donneurs d’ordres de premier rang que chez les sous-traitants. En revanche, les débats autour de la formation n’y seraient pas plus répandus.

Les salariés des sous-traitants ne manquent pas d’aspirations mais sont moins formés

Les salariés des sous-traitants de dernier rang ne manquent pas d’aspirations pour les cinq années à venir. Toutes choses égales par ailleurs, par rapport aux salariés des autres entreprises, ils sont 25 % plus nombreux à souhaiter faire évoluer le contenu de leur activité et 10 % plus nombreux à souhaiter changer de métier ou de profession. Les salariés des donneurs d’ordres de premier rang se distinguent par contre par des aspirations plus fréquentes à laisser davantage de temps à leur vie personnelle.   

Nonobstant ces différences d’aspirations professionnelles, les salariés des sous-traitants de dernier rang sont toujours toutes choses égales par ailleurs moins nombreux que les autres à pouvoir réaliser des formations. Si les aspirations semblent clivées selon la position de l’entreprise dans la chaîne de sous-traitance, les réalisations le sont tout autant. Les salariés des sous-traitants de dernier rang sont 25 % moins nombreux que les autres à avoir réalisé une formation durant l’année précédente. Et lorsqu’ils réalisent une formation, ils sont aussi 25 % moins nombreux à se former pour prendre plus de responsabilités. Pour autant, comparativement aux salariés des donneurs d'ordres ou aux entreprises sans lien de sous-traitance, ils sont le même nombre à avoir suivi des for­mations à l'hygiène et à la sécurité. Cela reste vrai aussi pour les formations destinées à être plus efficace dans son le travail ou celles vouées à accompagner un changement d'activité.

De leur côté, si les salariés des sous-traitants intermédiaires ne signalent pas se former moins que les donneurs d’ordres ou les entreprises ni donneurs d’ordres ni sous-traitants, ils ne semblent pas pour autant avoir beaucoup de marges de manœuvre dans le choix de celles-ci. Toutes choses égales par ailleurs, par rapport aux salariés des autres entreprises, ils sont en effet 20 % plus nombreux à avoir suivi des formations orientées vers l’hygiène et la sécurité, mais 25 % de moins à s’être formés pour accompagner un changement dans leur activité, 25 % de moins à avoir réalisé une formation pour être plus efficace dans leur travail et 10 % de moins à avoir bénéficié d’une formation pour prendre plus de responsabilités. 

La responsabilité de formation des donneurs d’ordres

Si la formation professionnelle est un atout maître face aux enjeux de sécurisation des parcours ou un appui à la mobilité interne, c’est l’occasion d’orienter le projecteur sur la situation des salariés des sous-traitants. Or, la position de l’employeur dans la chaîne de production semble avoir une influence sur les opportunités, processus d’accès et réalisations en matière de formation : la capacité à se former apparaît d’autant plus limitée que les salariés travaillent dans une entreprise située en bout de chaîne. Des résultats qui questionnent la responsabilité des donneurs d'ordres vis-à-vis de la formation des salariés des sous-traitants placés dans leur dépendance économique et invitent à étudier des mécanismes de responsabilité solidaire dans les chaînes de sous-traitance au-delà des formations à l’hygiène et la sécurité.

Si globalement l’asymétrie qui caractérise les relations entre le sous-traitant et son donneur d'ordres se traduit par une moindre capacité des salariés à se former à mesure que l’on descend dans la chaîne de sous-traitance, comme le montre le dispositif DEFIS, ces résultats généraux méritent des investigations ultérieures. Peut-on les établir dans tous les secteurs ? Les entreprises de même rang de sous-traitance peuvent-elles opter pour des stratégies différenciées face à la formation ? Ces premiers résultats inédits invitent à des recherches complémentaires sur les pratiques de formation du tissu de sous-traitants. Des investigations plus qualitatives et la création de statistiques publiques fines sur la formation dans la sous-traitance pourraient le permettre : une orientation que certains acteurs auditionnés dans le dernier rapport d’information sur la sous-traitance appellent de leurs vœux.

En savoir plus

[1] « Sous-traitance : des conditions de travail plus difficile chez les preneurs d’ordres », E. Algava, S. Amira, DARES Analyse, n° 11, 2011.
[2] « Les rapports de force au cœur des relations de sous-traitance : conséquences sur les relations de travail », C. Perraudin, H. Petit, N. Thevenot, B. Tinel, J. Valentin (2014), halshs-01149601.
[3] Les relations entre les grands donneurs d’ordre et les sous-traitants dans les filières industrielles, D. Sommer, Rapport d’information n°2076 déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Commission des affaires économiques des affaires sociales, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 juin 2019.
[4] « Les entretiens professionnels, un appui aux carrières internes ou à la sécurisation des parcours ? », J.-C. Sigot, D. Guillemot (2018), Céreq Bref, n° 364, 2018.
[5] « Le compte personnel de formation peut-il ouvrir les chemins de la liberté ?, J.-M. Dubois, J. Vero, in T. Berthet & C. Vanuls (coord), Vers une flexicurité à la française ?, Octarès, 2019.

Citer cette publication

Sigot Jean-Claude, Vero Josiane, Sous-traitance en chaîne : le maillon faible de la formation en entreprise, Céreq Bref, n° 387, 2020, 4 p. https://www.cereq.fr/sous-traitance-en-chaine-le-maillon-faible-de-la-formation-en-entreprise