Céreq Bref, n° 378, Juin 2019, 4 p.

Tous informés... tous formés?

Publié le
28 Juin 2019

Pour activer ses droits à la formation, encore faut-il bien les connaître. Les salariés peuvent être informés de différentes façons sur le sujet : par la hiérarchie et les responsables de la formation ou des ressources humaines, par les collègues ou les représentants du personnel, ou encore par leurs propres recherches. Mais selon le mode de diffusion, l’information touche des catégories de salariés différentes, et n’a pas les mêmes conséquences sur leur accès effectif à la formation.

Augmenter le recours à la formation professionnelle et réduire les inégalités d’accès sont des objectifs centraux des réformes actuelles du marché du travail. L’information sur la formation est un levier clé pour atteindre ces objectifs et permettre aux salariés d’activer leurs droits à la formation. D’autant plus que depuis une dizaine d’années, il leur est demandé d’être responsables de l’élaboration de leur projet de formation, et plus généralement d’être autonomes dans la construction de leur parcours professionnel. La loi de septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel résume et parachève cet objectif. Pour autant, comme l’ont montré les travaux du Céreq, la responsabilité des salariés n’est pas la seule en jeu : les dispositifs mis en place par l’entreprise pour leur permettre d’être informés et d’exprimer leurs demandes sont également déterminants dans l’accès à la formation [1 ; 4 ; 6].

La diffusion directe d’information par la hiérarchie a ainsi été identifiée comme le vecteur d’information sur la formation le plus fréquent et le plus souvent associé à l’accès à la formation. En revanche, peu d’éléments permettent de qualifier les situations aux marges de ce mode de transmission principal. L’enquête Defis offre l’occasion d’actualiser et d’enrichir les connaissances sur ces situations. Trois canaux d’information des salariés sont ici distingués : un canal « vertical » lorsque les salariés sont informés par leur hiérarchie, un responsable de la formation ou des ressources humaines ; un canal « horizontal » lorsque l’information est donnée par les collègues de travail ou des représentants du personnel et un canal « autonome » lorsque le salarié s’informe seul.

La grande majorité des salariés sont informés des possibilités de formation...

À l’été 2015, la grande majorité (86 %) des salariés interrogés dans Defis disent être informés des possibilités de formation en entreprise, résultat stable par rapport aux sources antérieures [6]. Les hommes, les cadres, les professions intermédiaires, les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI), ceux à temps plein et ceux ayant le plus d’ancienneté dans l’entreprise sont les catégories les plus informées, résultats confirmés par l’analyse statistique « toutes choses égales par ailleurs. Travailler dans une entreprise où il y a des délégués syndicaux, dans une entreprise de grande taille, dans l’industrie, ou encore dans une entreprise dont le marché n’est pas local ou régional augmente, à chaque fois, la probabilité d’être informé des possibilités de formation.

Les salariés enquêtés ont également identifié la voie principale par laquelle ils sont informés. L’enquête confirme là aussi des résultats antérieurs concernant la politique de l’entreprise [1 ; 6] : l’existence d’un plan de formation et le fait que l’entreprise communique sur le sujet jouent positivement sur la probabilité que les salariés soient informés. L’analyse confirme de surcroît le rôle majeur de l’entretien professionnel comme dispositif favorisant, entre autres, l’information sur la formation au sein des entreprises.

... mais pas toujours par le même canal

Près de la moitié des salariés (46 %) identifient la hiérarchie comme voie principale d’information ; les responsables de la formation ou des RH sont quant à eux cités par 20 % des salariés. Les deux tiers des salariés sont donc principalement informés par un canal qualifié de « vertical » car les interlocuteurs incarnent la politique de l’entreprise en matière de formation. Ils connaissent, de par leur fonction, les possibilités de formation et les droits des salariés et peuvent (voire doivent) en informer ces derniers, ou même les inciter à se former.

À côté de ce canal principal d’information, deux autres canaux secondaires existent. Le premier, qualifié d’« horizontal », concerne 10 % des salariés, qui disent être informés par leurs collègues ou par un représentant du personnel. Ce dernier, en général mieux informé que les autres salariés des possibilités de formation dans l’entreprise [3], peut relayer en partie l’information diffusée par la direction, mais il la transmet hors du cadre d’une relation hiérarchique. Le deuxième canal secondaire est mentionné par les 10 % des salariés qui s’informent par eux-mêmes, sans qu’une autre personne soit impliquée. Ce canal est qualifié d’« autonome » pour signifier l‘absence de relais de transmission de l’information.

Le canal vertical, une information destinée aux salariés les plus intégrés

Lorsque l’entreprise souhaite informer ses salariés, elle le fait par le biais de divers dispositifs. Parmi eux, l’entretien professionnel se distingue comme une source majeure d’information pour les salariés. Avoir passé cet entretien augmente de plus de 14 points de pourcentage la probabilité d’avoir été informé par le canal vertical, alors que cela diminue légèrement la probabilité de s’être informé de façon autonome, ou par le biais des collègues ou des représentants du personnel. De même, la mise en place d’un plan de formation augmente significativement les chances d’être informé par cette source hiérarchique, ce qui rend superflue une recherche autonome d’information. De plus, quelle qu’en soit la modalité, la diffusion d’informations par l’entreprise augmente le pourcentage de salariés informés par la voie verticale. Par ailleurs, ce mode d’accès à l’information est d’autant plus probable que l’entreprise est de grande taille.

L’information diffusée par la hiérarchie ou par les responsables des RH ou de la formation atteint indistinctement les cadres, les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers. Les caractéristiques du contrat de travail sont en revanche particulièrement discriminantes. Ainsi, le fait d’être en CDD ou de travailler à temps partiel diminuent respectivement de plus de 6 et 3 points de pourcentage la probabilité d’être informé de cette façon. C’est le seul des trois canaux à toucher ainsi différemment les salariés selon les caractéristiques de leur contrat de travail. Les salariés les plus anciens dans l’entreprise (plus de sept ans d’ancienneté) sont, symétriquement, davantage informés par leur hiérarchie que les autres. Par ailleurs, l’accès des salariés à l’information par ce biais ne dépend quasiment pas de leur niveau de diplôme, une fois les autres caractéristiques prises en compte. La diffusion d’informations par la hiérarchie fonctionne ainsi principalement dans une logique de marché interne d’entreprise : elle s‘adresse aux salariés les plus intégrés. Notons enfin que les femmes sont moins informées par le canal vertical que les hommes. Des éléments non observables ayant trait aux caractéristiques de leurs emplois (horaires de travail fragmentés et temps partiel avec peu d’heures hebdomadaires notamment) sont peut-être en jeu ici.

Le canal horizontal, davantage utilisé par les ouvriers et les hommes

L’information diffusée par les collègues et les représentants du personnel atteint en revanche les salariés indépendamment de la forme de leur contrat, et davantage ceux présents depuis moins de deux ans que les plus anciens dans l’entreprise. De plus, les informations transmises ici sur un mode relationnel (voire amical) et dénué d’enjeu hiérarchique, touchent davantage les employés et les ouvriers que les cadres ou les professions intermédiaires. Lorsqu’ils n’ont pas accès à l’information par la hiérarchie, le collectif de travail représente pour les employés et les ouvriers une source non négligeable d’information.

Mais c’est un collectif de travail avant tout masculin : les hommes sont plus souvent que les femmes informés des possibilités de formation par ce canal horizontal. Une étude récente [5] offre des pistes d’explication : d’une part, les femmes connaissent relativement peu les représentants du personnel dans leur entreprise, et elles sont par ailleurs moins nombreuses parmi ces derniers. On sait d’autre part que les femmes passent moins que les hommes par leurs réseaux professionnels (donc leurs collègues) pour s’informer [2].

Le canal autonome : des ressources individuelles pour s’informer par soi-même ?

Logiquement, lorsque l’entreprise ne diffuse pas d’informations sur la formation, la probabilité que les salariés s’informent par eux-mêmes augmente. Ceux qui travaillent dans des petites entreprises ont également plus de chances de s’informer de manière autonome, ayant moins d’opportunités d’interagir avec des collègues ou des représentants de l’entreprise, de fait peu nombreux.

Le canal autonome a d’autres spécificités. Ainsi, avoir un poste de cadre ou de profession intermédiaire augmente respectivement de 6,7 et 3,5 points de pourcentage la probabilité de s’informer par soi-même. Par ailleurs, les salariés diplômés d’un baccalauréat ou d’un diplôme du supérieur (par rapport aux non diplômés) s’informent davantage par eux-mêmes, ainsi que les salariés de nationalité française. Les réformes de la formation professionnelle attendent des actifs qu’ils soient autonomes dans leur recherche d’information. Or, ces résultats montrent que cette autonomie suppose des ressources particulières (éducatives, liées au statut social, voire à la nationalité) qui font précisément défaut aux profils les plus fragiles. Au total, l’information diffusée par la hiérarchie ou les responsables des RH ou de la formation atteint les salariés les plus intégrés à l’entreprise, indépendamment de leur CSP et de leur niveau de diplôme. Les salariés s’informant aux marges de ce canal principal, piloté par l’entreprise, ont des profils contrastés : il s’agit d’un côté plutôt d’une population de cadres, bien dotée en capital humain, qui s’informe par elle-même, et d’un autre côté d’une population masculine d’ouvriers et d’employés, plutôt récemment arrivée dans l’entreprise, qui bénéficie de l’information donnée par la voie horizontale.

Ces résultats soulignent l’importance des politiques d’entreprise, qui ciblent des catégories de salariés vers lesquelles elles orientent l’information sur les formations. Ils invitent à questionner les effets des différents canaux d’information identifiés sur la participation effective des salariés à la formation.

 

Répartition des sources d'information des salariés sur la formation (graphique)

L’information donnée par les représentants de l’entreprise : un effet prononcé sur la participation à la formation

Toutes choses égales par ailleurs, être informé plutôt que non informé augmente fortement la probabilité de participer à une formation demandée, quel que soit le canal d’information. Mais chacun des trois canaux influence de façon très variable l’accès effectif à la formation. La probabilité de suivre une formation demandée augmente ainsi de 12 points de pourcentage lorsque l’information provient du canal vertical, de 9 points lorsque le salarié s’est informé par lui-même et de seulement 3 points lorsque l’information provient des collègues ou des représentants du personnel.

La hiérarchie et les responsables des RH ou de la formation jouent donc un rôle crucial la fois dans l’accès à l’information sur la formation et dans la participation effective à une formation demandée. En effet, l’information est alors diffusée par différentes voies (entretiens, catalogue, etc.), elle émane de représentants de l’entreprise, peut être répétée, appuyée et perçue comme fiable. Outre le fait qu’il informe le salarié, le responsable (hiérarchique ou des RH) a pu donner son aval pour la formation, accompagner le salarié dans ses démarches et l’inciter à y participer.

Le canal vertical véhicule les orientations définies par l’entreprise, tant en matière de contenus des formations – dont on peut supposer qu’ils correspondent aux besoins stratégiques de la firme – que du point de vue des salariés auxquels les informations sont transmises. En destinant en priorité son information aux salariés les plus intégrés et qu’elle souhaite former (voire faire évoluer via des mobilités internes), l’entreprise réplique et renforce la segmentation de sa main-d’œuvre. En effet, elle informe et forme celle appartenant à son marché interne, tandis que celle qui reste en périphérie de ce marché accède moins à l’information ainsi qu’à la formation qu’elle délivre. Le canal vertical ne concerne toutefois pas nécessairement tous les salariés du marché interne. D’un côté, les salariés les mieux dotés en capital humain s’informent d’eux-mêmes et ont un accès à la formation amélioré par cette information « auto-produite », même si cette amélioration est moindre que celle apportée par le canal vertical. D’un autre côté, les ouvriers, employés, hommes, au seuil du marché interne, sont informés par les représentants du personnel ou leurs collègues et accèdent nettement moins que les autres à une formation. On peut supposer que l’information délivrée par le canal horizontal est moins précise, et peut être moins ajustée aux formations délivrées dans l’entreprise que celle issue des deux autres canaux. Elle correspond néanmoins sans doute davantage aux souhaits des salariés occupant des emplois moins qualifiés, de se former dans le but de changer de métier ou d’acquérir une qualification [3].

 

Les déterminants des modalités d'accès à l'information (graphique)

 

Cette étude invite à suggérer trois pistes pour réduire les inégalités d’accès à la formation. La première consiste à inciter les « représentants » de la politique de l’entreprise (hiérarchie, responsables RH ou de la formation) à cibler davantage l’information qu’ils diffusent sur les salariés aux profils les plus fragiles. La seconde à impliquer plus fortement dans la politique de formation de l’entreprise les représentants du personnel, dont on a vu qu’ils informaient tout particulièrement des catégories peu formées. Enfin, une attention particulière doit être accordée aux salariées femmes, moins concernées par l’information diffusée par le canal vertical et par le canal horizontal.

Pour en savoir plus

[1] « Démocratiser la formation continue dans l’entreprise : le rôle de l’information, des entretiens professionnels et des supports collectifs », Céreq Bref n°260, J.C. Sigot et J. Véro, 2009.

[2] « Job information Networks, Neighbourhood Effects and Inequalities », Journal of Economic Literature, XLII, p. 1056-1093, Y. Ioannides et L. Datcher Loury, 2004.

[3] « La formation en entreprise face aux aspirations des salariés », Céreq Bref n°357, J.M. Dubois et E. Melnik-Olive, 2017.

[4] « Les entretiens professionnels, un appui aux carrières internes ou à la sécurisation des parcours ? », Céreq Bref n°364, D. Guillemot et J.C. Sigot, 2018.

[5] « Les représentants du personnel dans l’entreprise : des salariés comme les autres ?», M-T. Pignoni, Dares Analyses n°2, 2019. [6] Quand la formation continue... Repères sur les pratiques de formation des employeurs et salariés, Céreq, M. Lambert et I. Marion-Vernoux (coord), 2014.

Citer cette publication

Brunet Carole , Rieucau Géraldine, Tous informés... tous formés?, Céreq Bref, n° 378, 2019, 4 p. https://www.cereq.fr/tous-informes-tous-formes